STANLEY KUBRICK - BARRY LYNDON (1975)

Eloge de la lenteur ...
Comme celle de la « Sarabande » de Haendel qui rythme l’enterrement du fils de Barry Lyndon. Ou plutôt de Redmond Barry. Oops … Spoiler ? Ouais, mais on s’en fout. Quiconque n’a pas vu « Barry Lyndon » est juste bon pour l’intégrale de Christian Clavier …
Parce que « Barry Lyndon » est, du moins en France, un des Kubrick les plus populaires. Peut-être parce que le Kubrick le plus facile. Facile d’accès, évidemment, parce que sur bien des aspects, « Barry Lyndon » se situe à des hauteurs stratosphériques.
Kubrick met les figurants au pas ...
Il n’y a pas dans « Barry Lyndon » de parabole, de message caché, ou subliminal, ou hermétique. C’est un film à prendre au premier degré. Un film d’époque en costumes, un peu d’aventure, de l’amour, de la haine. La matrice de milliards de films. Sauf que pas beaucoup arrivent à ce niveau.
Parce que Kubrick est un maniaque. Qui commence à prendre son temps pour rendre sa copie. Quatre ans séparent « Barry Lyndon » de « Orange mécanique » et il faudra en attendre cinq pour voir sur les écrans son successeur, « Shining ». Kubrick se fixe sinon des challenges, du moins des exigences sur ce qu’il entend montrer au spectateur. Et pour « Barry Lyndon », les obstacles n’ont pas manqué. Financiers, certes, même si c’est pas la préoccupation principale. Parce que faire un film de trois heures (version « publique », je vous dis pas le nombre d’heures de rushes que ça a du générer) se passant au XVIIIème siècle, en costumes d’époque (et pas des fripes vaguement vintage, non, dix huit mois « d’atelier de couture » d’après les tableaux d’époque minutieusement disséqués), et avec quelques scènes de bataille (avec des vrais figurants, pas des silhouettes numériques rajoutées). L’exigence de Kubrick va trouver un challenge à sa hauteur. Il n’entend pas filmer des scènes d’intérieur (et il y en a un paquet) sous la lumière de projecteurs électriques. Non, les gens au XVIIIème s’éclairaient à la bougie, c’est donc à la lumière exclusive et unique des bougies et autres chandelles que Kubrick filmera. Or, il n’y a au début des années 70 pas le matériel capable de filmer dans la pénombre. Kubrick aura recours à des optiques conçues pour autre chose par la NASA, il devra les modifier pour les intégrer à ses caméras, afin d’avoir toutes les scènes en lumière naturelle ou réelle.
Un certain sens du cadrage ...
Bon, tout ça (les costumes, le matos) on peut le faire ou l’avoir (avec du pognon). C’est pas pour autant qu’on va derrière sortir un grand film. Moi, je suis une tanche niveau technique cinématographique, je me contente de ce qui passe sur l’écran sans souvent avoir la moindre idée de comment ils se sont démerdés les types sur le plateau de tournage pour arriver à ce que je vois. Dans « Barry Lyndon », il y a au moins un truc technique qui saute aux yeux, c’est le cadrage. Putain il avait des lasers dans les pupilles le Kubrick (ou le mec qui tenait la caméra) pour arriver à ce résultat. Cherchez dans les putain de trois heures une seule scène dans laquelle les personnages ne sont pas positionnés au millimètre au centre du décor ou de l’environnement. Qu’il s’agisse de mecs filmés en gros plans, ou d’une calèche pas plus grosse qu’une fourmi dans un extérieur grandiose. Et si des fois c’est pas le cas, il faut quand même regarder plein milieu de l’écran, c’est là qu’il y a ce qui est essentiel ou va le devenir dans la scène.
Parce que l’histoire de Barry Redmond (si Kubrick avait été au courant de la chose rock, il aurait pu appeler ça « The rise and fall of … »), elle est, sinon évidente, du moins prévisible. Le film est divisé en deux parties (plus un épilogue sous forme d’intertitres) aux intitulés suffisamment explicites pour qu’on devine à peu près vers quoi on s’avance. Deux parties différentes. La première relativement picaresque (entre Don Quichotte et Gil Blas de Santillane), où l’on voit un jeune hobereau irlandais chercher la réussite sociale (dans l’amour, l’armée, la désertion, le jeu, …), en flirtant évidemment avec toutes les limites et en les dépassant allègrement dès que possible. Barry Redmond est un personnage attachant bien que peu sympathique. Barry, c’est Ryan O’Neal (le beau gosse 60’s révélé dans le machin fleur bleue « Love Story ») qui trouvera dans « Barry Lyndon » son titre de gloire avant de retomber dans les nanars plus ou moins affligeants (lui et Kubrick se détesteront évidemment de plus en plus à mesure que le tournage avance). Même si sa performance d’acteur ici n’est pas de celle que l’histoire du cinéma retiendra (surtout si on la compare à McDowell dans « Orange mécanique »). Il y a par contre dans cette première partie toute une série de personnages pittoresques qui apparaissent plus ou moins furtivement et donnent le plus souvent des éclaircies comiques dans un film qui ne l’est pas vraiment.
Un certain sens du cadrage (bis) ...
Au milieu du film (quasiment à la seconde près), apparaissent la comtesse de Lyndon (Marisa Berenson) et son mari impotent et grabataire. Forcément, le vieux cocu une fois mort, Barry Redmond va épouser la veuve pas très éplorée et devenir Barry Lyndon. Et alors que l’on croit le personnage parvenu (dans tous les sens du terme), c’est justement sa déchéance qui va nous être montrée dans la seconde partie du film. Malheureux en amour, en affaires, détesté par la noblesse anglaise qui n’est pas dupe de son arrivisme, il finira amputé (après un duel avec son beau fils qui le hait cordialement) et exilé, loin de sa femme et de ses fastes et frasques passés. Sans que pour autant il puisse y avoir une sorte de morale ou qu’on ait envie de s’apitoyer sur son sort. Aucun des personnages mis en scène par Kubrick n’inspire la sympathie, et surtout pas le couple Lyndon. Rien cependant qui tienne de la révélation, quand on sait le peu d’estime que porte Kubrick à la « vieille Angleterre » et à tous ceux qui la représentent, la noblesse séculaire en particulier.
Et aussi de l'éclairage ...
Deux scènes mémorables. Les deux duels de Barry. Le premier avec un officier anglais, hyper hautain et hyper sûr de lui, qui se délite complètement au moment fatidique. Le dernier avec son avorton de beau fils, grand épisode tragi-comique du film.
Deux observations pour finir. La mort du fils (par ailleurs belle tête à claques) de Barry intervient dans exactement les mêmes circonstances (chute de cheval) que la mort de la fille de Rhett et Scarlett dans « Autant en emporte le vent ». Certainement pas un hasard. Et la seconde partie du film a quasiment été plagiée (dans la forme et l’esprit) par le pénible et expérimental Peter Greenaway dans son « Meurtre dans un jardin anglais ».

Conclusion perso : « Barry Lyndon » est à Kubrick ce que « Le temps de l’innocence » est à Scorsese. Une parenthèse apaisée et merveilleuse dans une œuvre globale ne manquant pas de tempérament…


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