SCOTT WALKER - SCOTT 4 (1969)

Walker on the wild side ?
Noel Scott Engel (puisque c’est son vrai nom), c’est un cas d’école dans le rock. L’archétype du bonhomme qui a fait tout ce qui était en son pouvoir pour saborder sa carrière. Et comme il était doué, il a réussi cet auto-sabotage méthodique.
Au début, dans les mid-sixties, il est un des trois Walker Brothers. Aucun des trois ne s’appelle Walker et bien entendu ils ne sont pas frères. Juste un groupe monté par le music-business américain en réponse à la British Invasion. Dans cette politique protectionniste et un brin nationaliste (on va pas se faire bouffer par les Anglais, on va pousser nos talents, leur faire vendre du disque), beaucoup d’appelés, peu d’élus. Les Walker Brothers seront parmi les rares à avoir des hits, et mieux, à vendre du disque en Angleterre. Mais ce genre d’icônes bubblegum ne dure qu’un temps, et de toute façon, à partir de 1967, les States allaient livrer au monde une multitude de groupes majeurs. Exit donc les faux frangins Walker. Scott Walker gardera son pseudo, et s’exilera en Angleterre.

Très vite, il sortira des disques solo (à succès), bêtement numérotés, mais très exigeants artistiquement, bien loin de ses premiers succès. Particularité des trois premiers (excellents, même si le « 3 » est en deçà des deux autres), ils comportent chacun plusieurs adaptations de titres de Jacques Brel. Ce qui confère à Scott Walker une aura toute particulière. Brel, les Anglais le connaissent pas ou s’en tapent, ce qui revient au même. Cet acharnement de Walker sur les titres du Belge le fera passer, en plus d’un exilé, pour un excentrique. Depuis, ses débuts en solo ont été cité par plein de gens assez disparates (de Radiohead à Pulp, en passant par Nick Cave et Alex Tuner, liste non exhaustive). Mais surtout, en cette fin des années 60, Walker a comme fan un jeune mod (David Jones, qui prendra bientôt le pseudo de David Bowie) bien déterminé à se faire un nom dans le rock, qui ira jusqu’à reprendre lorsqu’il aura atteint la gloire des titres de Brel et imitera Walker dans sa façon de chanter dans les graves.
Problème, Walker n’en a rien à foutre de ses fans et cette mini-reconnaissance l’agace. Il ne veut pas du succès, juste n’en faire qu’à sa tête. « Scott 4 » va rompre avec les trois précédents et entrouvrir la porte d’une des carrières et des musiques les plus étranges qui soient.
Dans « Scott 4 » plus de reprises de Brel. Les dix titres sont signés Scott Engel. Par contre, tant sur le livret du Cd que dans les recoins du Net, rien sur les types qui jouent avec lui. Et pourtant, même si « Scott 4 » est un disque sobre, limite austère, il n’est pas minimaliste. Derrière le chanteur, il y a souvent une formation rock classique, à laquelle se rajoutent pianos, section de cuivres, de cordes, … qui font passer l’aspect « rock » au second plan. S’il faut à tout prix situer Walker par rapport à ses contemporains, je dirais qu’il est quelque part du côté de Nick Drake et de Tim Buckley, tant musicalement (ce sens des mélodies, des arrangements « compliqués ») qu’intellectuellement (rien à foutre du succès). D’ailleurs, on se retrouvait dans la pochette intérieure avec la photo et une citation prise de tête de Camus sur l’Art. Pas vraiment destiné à l’amateur de Canned Heat, d’entrée …

Et le premier titre a de quoi faire détaler le rocker de base. « The seventh seal » qu’il s’appelle. Ben oui, comme le film de Bergmann dont il est inspiré. Ouais, Bergmann, « Le septième sceau », Max von Sydow qui joue aux échecs avec la Mort, ça devait laisser perplexe les fans de Creedence à l’époque. D’ailleurs, c’est plus un poème mis en musique qu’une chanson, et ce qu’on remarque d’entrée, c’est cette trompette qui mène la danse (macabre). A priori repoussant mais très beau titre. De la musique intello ? Non, même pas, tout semble couler de source sur ce disque, tout semble évident. Il y a un gros boulot d’écriture et de production, rien de grinçant pour l’oreille, au contraire (et c’est à peu prés la dernière fois chez Scott Walker, la suite de sa carrière sera pour le moins déstabilisante et hermétique).
Autre titre qui a beaucoup fait jaser, « The old man’s back again (dedicated to the neo-stalinist regime) », inspiré par les chars russes matant le Printemps de Prague (le old man, c’est à peu près évident qu’il s’agit de Staline). Chanson « lyrique » (comme beaucoup dans ce disque), et pas la meilleure idée pour se faire des amis communistes. De toute façon, cocos ou pas, il s’en fera pas trop d’amis, Scott Walker avec cette rondelle. Dommage, avec une voix pareille (« Angels of ashes »), des arrangements de violons (« On your own again ») ou de cordes (« Hero of the war »), des ballades pour chialer dans sa bière (« Duchess »), Walker livre un disque majuscule, hors des sentiers battus et rebattus du rock « traditionnel ». C’est finalement et logiquement le titre où la guitare électrique est mise en avant (« Get behind me », soul limite pompière) qui fait hors sujet.

Scott Walker avait tout lieu d’être satisfait de ce « Scott 4 ». Il venait de ruiner sa carrière commerciale. C’est exactement ce qu’il voulait. Mais quel beau sabordage …