THE BLACK ANGELS - DEATH SONG (2017)

Tomorrow the World ?
« Death Song » ou comment le groupe messie de sa petite chapelle peut devenir une référence pour tous. Même si c’est pas gagné. Rien n’est jamais gagné dans cette loterie forcément aléatoire qu’est le music business.

Les Black Angels ont commencé à déployer leurs ailes il y a dix ans (putain dix ans !). Avec comme signe distinctif une révération du Velvet et une génuflexion devant tous les anciens du psychédélisme lourd et sauvage. Et dans ce genre plutôt encombré, ils sont devenus incontournables, (re)mettant Austin sur la carte du rock qui compte, y lançant même le Psych Fest. Qui a fini par faire de l’ombre au totalement mainstream et monétisé à outrance SXSW (South by SouthWest), longtemps considéré comme le plus grand festival rock des années 2000 de la galaxie. Une Psych Fest devenue Levitation Festival et maintenant déclinée dans le monde entier.
Evidemment, se diversifier, comme disent les hommes d’affaires, ça peut avoir des conséquences non négligeables sur l’activité principale. Après deux premiers disques remarquables dont un « Phosphene dream » d’anthologie, ils avaient baissé qualitativement, laissant, à mesure que leur réputation croissait quelques-uns de leurs premiers fans sur le bord de la route.

Et aujourd’hui « Death Song » pourrait être le disque de la rupture, leur ouvrir les portes du succès mainstream, comme l’ont été en leur temps des rondelles comme « Out of time » pour R.E.M. ou « El Camino » pour les Black Keys. Des disques qui ne reniaient pas le passé mais ouvraient toutes grandes les portes des arenas. Avec « Death Song » les Black Angels conservent leur ADN. Déjà, leur nom était la moitié d’une chanson (enfin, chanson si on veut) du Velvet, et le titre de ce disque en est l’autre moitié. Difficile de faire plus explicite, même si rien dans ces onze morceaux ne sonne comme la bande à Lou Reed …
« Death Song » a été enregistré entre leur fief d’Austin et Seattle. Hasard ou pas, il semblerait que l’âme des deux Seattle guys du Club des 27 ait guidé quelques parties de guitare hendrixiennes (les décollages « cosmiques ») ou survolé les riffs lourds très Nirvana de quelques titres. Certitude en tout cas, ce disque a été conçu avant le résultat de la présidentielle US alors que la sourde menace d’un Trump victorieux commençait à se préciser et donne parfois dans le « politisé », le constat social. C’est peut-être cet aspect de « l’œuvre » qui sera un frein à leur expansion, les disques « militants » n’étant pas aujourd’hui forcément bien vus, on n’est plus à la fin des 60’s, l’hédonisme et l’insouciance sont (re)devenus rois …
Ce qui distingue de la concurrence, c’est la variété sonore de ce qui est proposé, loin du pilonnage sonique monotone de mise dans la boutique heavy psych. D’abord les Black Angels font sauter les verrous des claviers et autres synthés longtemps accusés de tous les maux dès lors qu’il s’agissait de « rock ». « Death Song » en est plein, et curieusement (là aussi ça semble une tendance lourde du rock indie de nos jours) beaucoup renvoient aux sonorités honnies des lustres des années 80. Exemple les plus frappants, « I dreamt » et « Medicine » dans lesquels les fans de Depeche Mode ne seront pas perdus, même si le premier, tournerie hypnotique avec voix de muezzin évoque encore plus les premiers P.I.L., le second étant beaucoup plus hermétique et énigmatique dans sa finalité, on voit pas trop où le groupe veut en venir.
Que les amateurs de grosses guitares ne passent pas leur chemin, y’a ce qu’il faut. Des riffs stoner de l’introductif « Currency » (grand morceau, avec son contraste entre la douceur mélodique et la violence sonore), au space rock sauvage de « Comanche moon », en passant par le heavy blues rock « Hurt me down », ou le violent « I’d kill for her » dans lequel la mélodie enfouie sous les strates de guitares évoque Dinosaur Jr.

Et puis il y a dans « Death Song » quelques titres qui s’imposent d’eux-mêmes, sublimant influences et références. « Half believing », ballade à synthés planants et arpèges de guitare, voix haut perchée, avec une montée en puissance qui montre à Arcade Fire qu’ils ont encore du boulot. « Estimate » est le seul clin d’œil au Velvet. Enfin, par la bande, puisque qu’on y trouve un harmonium (instrument de prédilection de Nico lors de sa carrière solo) très en avant, un drive de batterie imperturbable comme un mantra rythmique, qui concourent à faire de ce morceau une expérience sonore originale et étrange. « Grab as much », basse caoutchouteuse, un riff qui ressemble étrangement à celui de « Shakin’ all over » de Johnny Kidd, est un titre quasiment pop qui finit par une boucle à la « A day in the life ». Enfin l’ultime « Life song », c’est la musique qui visite les étoiles, et ça mériterait de devenir le « Space Oddity » des années 2010.
Le packaging est comme toujours avec les Black Angels somptueux, avec sa pochette très Vasarely style, et son poster dans le digipack. Chez ces gens-là, même à une époque où les disques ne se vendent plus, on respecte le cochon de payant.

« Death Song » constitue le premier grand virage, « l’ouverture » vers un public que les Black Angels souhaitent manifestement voir s’agrandir. Perso, ça me dérangerait pas qu’ils réussissent …