ROMAN POLANSKI - LE PIANISTE (2002)

Survival ...
« Le Pianiste », c’est malgré les réalisations qui ont suivi et suivent encore, l’épitaphe cinématographique de Polanski. Le film qui résume sa vie, et pas forcément (pas du tout ?) son œuvre. C’est un film-thérapie, un film-exutoire, un film de divan d’analyste. Polanski, l’enfant grandi dans les années 40 et miraculeusement réchappé du grand massacre des Juifs polonais ne pouvait pas ne pas s’attaquer à ce thème.
Adrian Brody & Roman Polanski
Alors, formellement ou esthétiquement, « Le pianiste » n’est pas son meilleur film. C’est malgré tout son plus personnel, et pour peu qu’on ait un cœur en état d’insuffler des émotions, son plus touchant. Bon, évidemment, la leçon d’Histoire, les bons sentiments et cette atmosphère de mélo perpétuel, ont eu deux conséquences : la méfiance de certains, jugeant le film « too much ». Corollaire, des récompenses par la « profession » innombrables, dont trois Oscars (et 47698 Césars, qui comme chacun sait, sont au cinéma ce qu’Annie Cordy est à Bessie Smith).
Moi, « Le Pianiste », j’suis preneur. A mille pour cent. Et d’autant plus ces jours-ci, où l’on voit à longueur de 20 Heures, des journaleux nous faire le « devoir de mémoire » sur l’anniversaire de la libération d’Auschwitz. Pendant que d’autres de leurs congénères (plutôt cons tout court d’ailleurs) remettent un colifichet honorifique au maire FN de Hénin-Beaumont, au crâne bien dégagé derrière les oreilles et bien plein de remugles idéologiques pourris. Comme si on avait pas assez donné cette année en matière d’exposition faite aux cinglés intolérants. Et voir l’épouvantail Arlette Chabot (groupie insatisfaite du piteux Chirac, mais qui au moins, lui, n’a jamais transigé avec ces fachos-là), présidente de ce jury honteux avaler une colonie de couleuvres pour nous expliquer que politiquement parlant, c’est une distinction que ce pantin mérite … ‘tain, y’a des coups de pied au cul qui se perdent. Eh, Arlette, regarde ce qu’a déjà fait ce mec dans son bled, tu comprendras peut-être que vous êtes quelques-uns à avoir touché le fond …

Bon, « Le Pianiste ». Qui est en gros un biopic. Qui aurait pu être celui de Polanski lui-même. Il a préféré tourner la vie, la survie plutôt entre 1939 et 1945 de Wladislaw Szpilman, pianiste officiel et surdoué de la radio polonaise au moment où les troupes nazies envahissent la Pologne. Szpilman n’est apparemment pas un bonimenteur, le livre racontant sa traversée de la guerre publié en 1946, lui a valu bien des ennuis et une quasi-censure de la part des autorités communistes polonaises (un Juif sauvé par un haut officier SS et pas par l’Armée Rouge, les camarades rigolaient pas avec ça). « Le Pianiste » est un survival, avec des nazis à la place des zombies. C’est la grande Histoire vue par la « petite » de Szpilman. Et là, il n’est plus question d’idéologie. Szpilman est pris dans un engrenage où les salauds ne sont pas tous Allemands, et les types bien pas tous Polaks ou Juifs, où beaucoup cherchent à sauver ce qui peut encore l’être (leur vie, tout simplement) et louvoient dangereusement entre grandeur et bassesse. Il y a les bons et les méchants, et toutes les nuances entre les deux. La guerre déshumanise, et fabrique plus souvent des lâches que des héros.
Szpilman n’échappe pas à la règle. C’est le type qui vit à travers la musique et son piano, le reste lui étant souvent accessoire. Mais pas toujours. Il vend son piano une misère pour que sa famille puisse s’acheter à manger, il est lucide et fataliste devant les premières pancartes interdisant l’entrée de certains établissements à des Juifs, envoie bouler les juifs collabos. Et puis, lentement, insidieusement, quand le cauchemar meurtrier s’amplifie et qu’il faut à chaque instant assurer sa pitance puis sauver sa peau, Szpilman « lâche » les valeurs et les idéaux, jouant dans des bars pour juifs chelous gagnant de l’argent quand d’autres crèvent de faim, suppliant les miliciens juifs pour améliorer son ordinaire et celui de ses proches, devenant peu à peu un pantin sans valeurs ou morale, uniquement préoccupé de sa survie. Juste un type qui veut sauver sa peau au milieu de cette barbarie, rythmée par des intertitres qui indiquent les dates de cette période qui va de la blitzkrieg polonaise à la libération des camps de déportés par l’armée russe.

Polanski nous montre ce type aux prises avec la folie de ses congénères et de leur attitude de plus en plus incompréhensible, anormale, à mesure que la guerre et son convoi de misères avancent. Et parce que Polanski sait de quoi il parle mais aussi comment on filme, il évite les clichés. Celui de l’allégorie qui ferait passer des symboles au-dessus de l’histoire, celui du « tout est bien qui finit bien » (y’ des pourris qui s’en sortent, et des mecs bien qui crèvent). Il y a des plans d’une beauté à couper le souffle, comme celui où l’on voit Szpilman escalader le mur du ghetto de Varsovie pour revenir dans cet espace dont il s’est évadé quelques mois plus tôt, et qui d’endroit pas vraiment folichon est devenu un paysage de ruines lunaires après l’insurrection. Il y a des scènes d’une dureté glaçante, quand un officier nazi flingue d’une balle dans la nuque des juifs choisis au hasard dans une procession de travailleurs contraints, quand deux vieux affamés se battent pour une boîte de conserve qui se renverse et que l’un finit par bouffer à même le sol. D’autres sont d’une poésie irréelle notamment lorsque Szpilman, pour ne pas faire du bruit qui trahirait sa présence joue du piano sans même effleurer les touches et vit littéralement cette musique qu’il n’entend que dans sa tête.

Szpilman, c’est Adrien Brody, qui à même pas trente ans trouve là ce qui sera certainement le rôle de sa vie, composant entre sobriété du jeu et techniques de l’Actor’s Studio (il a perdu quinze kilos pendant le tournage et a appris à jouer du piano, même si ce n’est pas lui qu’on entend tout le temps). Dans ce casting de seconds couteaux, il ne cherche pas à écraser le film, est crédible de bout en bout dans un jeu tout en retenue.
Polanski est lui, comme souvent, parfait derrière la caméra. Il réussit en mettre en parallèle la survie de son personnage principal dans cette boucherie organisée et les grands faits marquants de l’histoire de Varsovie et de la Pologne au début des années 40. Une grande partie du « Pianiste » a été tournée sur les lieux mêmes où se passe l’action, dans ce qui fut le ghetto juif de Varsovie. Perso, je trouve quand même assez mesquine l’attitude de quelques-uns qui a la sortie du film n’y ont vu qu’un mélo larmoyant et émotionnel, limite une machine à Oscars.

Prévert a écrit dans un poème fameux que la guerre était une connerie. Polanski a dit la même chose. Avec une caméra …


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