…
Qui en plus d’être un titre des Stones des early 60’s, est comme chacun sait
(hormis les électeurs de Fillon, les sportifs, les jeunes de moins de
soixante-cinq ans, et quelques autres…), l’adresse du label Chess à Chicago.
Soit la référence du blues à son âge d’or, ou son apogée, comme on veut. Un
label dont les parutions, comme chacun sait (hormis les électeurs etc, etc, …),
ont fortement influencé quelques visages pâles anglais au début des 60’s. Y
compris ceux au sujet desquels dont il va être question, j’ai nommé Ladies
& Gentlemen, Mesdames et Messieurs et Autres, le plus grand groupe de rock
de tous les temps (le meilleur étant comme chacun sait, Kyo, voire à la limite
les Beatles), les ci-devant Rolling Stones. Cinquante deux ans et des brouettes
de carrière. Dont les dernières quarante années, comment dire … passées à
capitaliser sur le prestige des douze premières.
Car
quel homo sapiens muni d’oreilles en état de fonctionnement, peut trouver
intéressants, voire plus, les disques sortis par la Jagger & Co. Inc. depuis
au mieux, « Black & Blue », au pire « Exile … ».
D’ailleurs, conscients de leurs limites et d’une inspiration en cale sèche, les
Vieux Cailloux n’avaient sorti que deux disques studio en 20 ans, « Voodoo
Lounge » au milieu des 90’s et « A Bigger Bang » dix ans plus
tard. Et que ceux qui ont en mémoire un seul titre de ces deux galettes se
fassent connaître, ils gagnent une semaine de backstage pass pour les meetings
chamaniques ( ? ) de Sœur Emmanuelle Micron. Par contre, les Stones ont
beaucoup tourné, allant même jusqu’à racketter des Cubains ou des Chinois
consentants ( ? ), faisant paraître des Cds, Dvds, Blu-Rays live à une
cadence que même Pénélope F. n’arrive pas à suivre en matière de faux bulletins
de salaire.
Souriez, c'est pour la promo ...
Et
les Stones, qui se détestent cordialement (enfin, surtout Jagger et Richards,
Ronnie servant d’interprète entre les deux, et Charlie entre deux cancers
regardant tout ça d’un œil amusé), n’étaient qu’une multinationale engrangeant
des millions de dollars au profit des quatre actionnaires majoritaires. On ne
sait par quel miracle ou accident, lors d’un conseil d’administration de la
holding Rolling Stones, en présence on s’en doute de dizaines d’avocats des
différentes parties en présence, la conception et la mise en marché d’un
nouveau disque studio furent mis à l’ordre du jour. Nom du produit :
« Blue & Lonesome ».
Evidemment,
les notes de la pochette de la chose nous parlent de jam bluesy en studio
impromptue et improvisée en présence du producteur Don Was. Lequel aurait
suggéré un disque de reprises de vieilleries blues plus ou moins inconnues.
Tope là, marché conclu, affaire bâclée en trois jours de studio, tout le monde live,
douze titres mis en boîte, zéro overdubs, etc, etc …, veuillez chers amis
passer à la caisse avec le dernier skeud des Stones …
Ouais,
… Hum … Je veux bien qu’on imprime la légende si elle est mieux que la réalité,
mais bon … Pourquoi avoir attendu un an (douze mois), avant de sortir la chose,
pourquoi ces titres extraordinairement bien en place ?
L’expérience,
la magie de l’instant ? Ou le travail minutieux, milliseconde par
milliseconde sur une batterie de Mac, de postproduction, comme on dit en cinéma ?
Tout ça pour arriver à faire sonner les cymbales de Charlie Watts comme des
casseroles sur lesquelles on cogne (sur « Just like I treat you »
notamment) ?
Et
vous avez vu ce qu’ils en disent dans la presse (la vraie, celle où on paye des
gens pour écrire des phrases avec sujet, verbe, complément et accord du
participe passé) ? « Blue & Lonesome » est une bouse
terminale, jouée par des vieillards en bout de course. J’ai vu ça dans
l’Express ou le Nouvel Obs, vous imaginez le sérieux et la compétence de l’analyse.
Y'a encore du monde pour nous voir ?
Ben
moi je vais dire, ce « Blue & Lonesome », il est excellent, voire
plus. Le meilleur disque des Stones depuis « Black & Blue »,
voire « Exile … », et meilleur même que bon nombre de rondelles
sorties par le groupe entre 64 et 72 (quelqu’un pour défendre « Satanic
Majesties » ?). Parce que peu importe que les prises aient été
bidouillées et triturées par Was, Jagger et Richards, « Blue &
Lonesome », il envoie le bois. Et signifie à tout un chacun que le blues,
c’est pas forcément un truc tristos, monotone et chiant joué par un vieux Noir
aveugle et cocu. Les Stones jouent dans ce disque comme si leur carrière en
dépendait. Up tempo, le plus souvent. Avec une énergie punk. Oui, j’ai bien
écrit punk, ce genre musical dont tous les acteurs se plaisaient à dire en 77
« fuck les vieux Stones » (enfin, pas tous, Strummer et Jones étaient
beaucoup plus mesurés, sachant ce que le rock devait à la bande à Jagger et
Richards). Quarante ans après les faits, les Stones envoient le bois comme Dr
Feelgood. Un seul exemple, frappant au bout de quelques secondes sur n’importe
quel titre : Jagger chante en laissant tous ses tics et afféteries vocaux
au vestiaire, se fout le gosier minable. Et souffle à s’en faire exploser les
carotides dans un harmonica, ce qui lui était pas arrivé depuis … pff, plus que
ça, au moins.
Derrière,
les deux siamois, le Keith et le Ronnie, riffent, chorussent et solotent comme
s’ils voulaient se faire un nom dans le music business, Charlie Watts oublie
Gene Krupa et sort des breaks et des roulements dévastateurs. Les larbins
habituels, Darryl Jones, Chuck Leavell, Matt Clifford, sont discrètement
efficaces. Même un autre vieux de la vieille, Eric Clapton, qui soi-disant par
le plus grand des hasards enregistrait dans le studio à côté, qui a vu de la
lumière et est rentré triturer sa vieille pelle slide sur « Everybody
knows … », et sa Strat sur « I can’t quit you baby », oublie
pour une fois de se prendre pour un vieux débris pénible.
Souriez, les mecs, on est censé être potes ...
Oui,
vous avez bien lu, les Stones reprennent « I can’t quit you baby » de
Willie Dixon certes, mais surtout pierre angulaire du 1er Led Zep.
Hasard ? Tu parles, Balthazar … Moi je vois plutôt ça comme régler de
façon définitive une vieille histoire de suprématie. Les Stones en 2016
viennent narguer le cadavre du Dirigeable. Leur version, quoique puissante et
couillue ne vaut pas celle de Plant et Page, mais semble leur poser la
question : « vous êtes où, les mecs aujourd’hui, à vous prendre le
chou pour savoir si vous allez vous reformer, venez-y voir, vous êtes cuits,
finis, nous on est toujours là et on vous emmerde … ».
Par
le ton, le son, et la rage déployées, « Blue & Lonesome » renvoie
cul par-dessus tête (ouais, même Neil Young) tous les collègues-concurrents,
qui la soixantaine largement entamée, continuent de faire du rock ou du moins
quelque chose qui y ressemble. Depuis combien de temps ZZ Top, par exemple, n’a
pas sorti un boogie de la trempe de « Ride ‘em down » ? Qui
après le lourd, lent et rustique « Hoodoo blues », ou la montée en
puissance et en tempo de « Little rain » a envie de se réécouter une
rondelle de S. R. Vaughan, ou pire, la dernière pleurnicherie bluesy de
Bonamassa, Poppa Chubby, Warren Haynes ou qui sais-je encore. Et ne me parlez
pas de Bertignac ou Paul Personne (deux types que j’aime bien, mais dont malgré
de louables et répétés efforts, j’ai jamais pu écouter une rondelle jusqu’au
bout), ou du groupe de belouze du copain auvergnat du cousin du neveu de votre
collègue de bureau. Et j’aurais même une question idoine à poser (non pas aux
Canned Heat, ils sont tous morts, Dieu merci), à Brian Setzer : depuis
quand il a pas sorti un rockab du niveau de « Just like I treat you ».
Et
encore, j’ai pas cité les deux meilleurs du disque, « Blue &
lonesome », le titre, et la tuerie blues-punk « I gotta go »,
qui va faire se gratter l’occiput au pourtant speedé Reverend Horton Heat
soi-même (par charité chrétienne, je ne ferai aucune allusion malveillante au
Jon Spencer Blues Explosion, vous savez, le groupe du type qui se prend pour un
Elvis énervé de Prisunic …)
Bon,
qu’est-ce que je pourrai encore vous dire… Que c’est Little Walter qui se
taille la part du lion dans la tracklisting (quatre titres), mais à la limite
on s’en fout.
Non,
ce qui est essentiel, c’est que là, fin 2016, les Stones ont sorti la suite de
« The Rolling Stones » ou « 12 x 5 ». Et qu’ils sont en
nets progrès. Retour vers le futur … Va encore falloir passer à la caisse avec
un grand disque des Stones sous le bras … Des mêmes sur ce blog :
On le sait depuis toujours, Nick Cave n’est pas un
joyeux. Le type toujours habillé de noir, qu’on peut résumer par le raccourci
« crooner gothique junkie ». Sauf que comme pour tous les raccourcis,
on est assez loin de la vérité. Cave ne s’est jamais pris pour Sinatra ou Bing
Crosby, pour Bauhaus ou Cure, pour Keith Richards ou Johnny Thunders. Cave a
commencé, vingt ans avant la fin du siècle dernier, par la destruction et
l’autodestruction avec Birthday Party. Et puis, lentement, comme tous les types
qui ont un but dans la vie et veulent laisser une œuvre dans leur art, Cave
s’est apaisé, assagi pourrait-on dire, en surface. Plus le fond (la musique)
était calme, plus la forme (les textes) devenait violente et dérangeante. Le
Johnny Cash (influence maintes fois revendiquée) des American Recordings avec
Rick Rubin pointait le bout de son ombre crépusculaire.
Cave n’est pas un robot, engoncé dans son
personnage, il est fait de chair et de sang. Son précédent, « Push the sky
away » avait même laissé dire à quelques connaisseurs avisés, sur la foi
d’une pochette sépia sur laquelle posait sa copine à poil et d’un contenu plus
« accessible » que d’habitude, que Cave s’était
« normalisé » (quel vilain mot).
Nick Cave
Et puis, l’an dernier, un de ses fils de quinze ans,
soi-disant déchiré au LSD, se tue en tombant d’une falaise. Le genre de
saloperies que peut te réserver la vie, et surtout qui te la change salement.
« Skeleton tree » est le premier disque de Nick Cave (& The Bad
Seeds) depuis ce drame. Et là, Cave ne joue plus, si tant est qu’il ait joué un
jour. C’est son disque le plus noir, une noirceur qui se retrouve jusque dans
son enrobage, comme une version de « White light, white heat »
adaptée à l’ère numérique, bien que l’Australien de naissance doive entretenir
des rapports de non geek total avec l’informatique, le lettrage en vert fluo
est celui des antiques bécanes des années 80 qui tournaient sous DOS …
Cave, comme tous les types embringués dans le
rock’n’roll circus, se sert de son œuvre comme un miroir qui renverrait l’image
qu’il veut donner, qu’il veut que son public ait de lui. Même si cette image
est volontairement déformée. Perso, des disques où des types sont censés se
foutre à poil devant leurs auditeurs, j’en ai des brouettes et je m’en méfie
toujours un peu, ayant du mal (je les connais pas en vrai, ces zozos) à placer
le curseur entre vérité et calcul. Là, pour ce « Skeleton tree »,
j’ai l’impression de me trouver face à un « vrai » disque, sans
chichis, sans arrangements, sans calculs, du genre : « est-ce que ça
a l’air vraiment désespéré, ou est-ce que j’en rajoute encore une couche, comme
me le conseillent mon management et ma maison de disques ? ».
Nick Cave & The Bad Seeds
Tant qu’à faire aussi, et pour situer Cave et son
œuvre, autant préciser pour les profanes que Cave ne s’exprime pas que par des
sons. Il écrit aussi (même s’il n’a pas eu le Prix Nobel comme Dylan, qui doit
bien se marrer, lui qui s’est toujours foutu de la gueule de tout son monde et
qui doit être la seule personne de cette galaxie à être plus ou moins capable
de déchiffrer ce qu’il a lui-même écrit), et a même fait un film (enfin non, c’est
pas lui qui l’a réalisé, mais il est le personnage central de
« 20 000 jours sur Terre », vraie fiction autobiographique).
« Skeleton tree » sorti de son contexte
doit être insupportable. D’une froideur et d’une noirceur à faire passer, au
hasard, Townes Van Zandt, pour Dany Boon. Des ambiances sépulcrales, morbides,
rythmées par un minimalisme instrumental à faire se retourner Leonard Cohen
dans son costard de sapin tout neuf. « Skeleton tree » ne s’écoute
pas de but en blanc, à la fin d’un repas de retrouvailles avec les blaireaux
potes de troisième recherchés sur « copainsdavant.com ».
« Skeleton tree » n’est pas un chef-d’œuvre, juste une tranche de vie
(et de mort).
Commencé (« Jesus alone ») par un lamento
introduit par le hululement sinistre de synthés façon B.O. de giallo, et
construit comme une incantation vers le diabolique Jesus (Cave a toujours été
partagé entre fascination et répulsion pour la religion chrétienne) qui a pris
la vie de son gosse, le disque passe de la douleur, du désespoir, de
l’accablement, vers une rédemption apaisée (la clôture presque enjouée de « Skeleton tree » le titre,
comme si la boucle était bouclée, le travail de deuil accompli, et qu’il fallait,
sous peine d’en perdre l’âme et la raison, passer à autre chose …). Ce disque
est l’autopsie, crue, limite indécente (on ne sait plus si on est auditeur ou
voyeur) d’un choc émotionnel et de la lente reconstruction qui va suivre. Qui
fait passer des sommets de désespoir mis en musique (« Plastic Ono
Band » de Lennon, « Disintegration » de Cure) pour d’aimables
pitreries (les geignardises d’un milliardaire désabusé pour le premier, un
travail mathématique d’inflation morbide pour le second, même s’il s’agit de
deux putain de grands disques).
Nick Cave, l'âme crucifiée ...
« Skeleton tree » dévide au long de ses
huit titres toute la peine d’un Cave non plus figure iconique d’un des
sous-genres du « rock », mais d’un type souffrant de la perte d’un
être très cher. Ses vieux soudards de toujours qui l’accompagnent sont tout en
retenue derrière lui, s’ingéniant le plus souvent à ne tisser que des …
squelettes mélodiques, plus proches de l’épure que du minimalisme.
« Skeleton tree » compte dans ses rangs les plus belles mélodies jamais
écrites par Cave (« Girl in amber », « I need you », « Distant
sky »). Et dans ce disque, Cave se laisse aller à chanter vraiment,
naturellement, sans afféterie, sans ces trémolos gothiques souvent surfaits qui
sont sa marque de fabrique vocale.
On pense souvent à d’autres hommes en noir. Leonard
Cohen, le poète christique des désillusions et des déceptions, le Johnny Cash
cornaqué par Rubin, perclus de souffrance physique et qui mettait en musique sa
mort prochaine, les Stranglers vers 79-82 quand ils chantaient les Hommes en
Noir et tombaient dans l’épure synthétique « féline » …
« Skeleton tree » est un tout, où chaque
titre est indissociable du précédent et du suivant, dont on n’écoute pas des
extraits sur Spotify. Soit on le prend en pleine poire, soit on l’ignore. Et si
l’on n’était pas bouffé par l’ère du superficiel éphémère, ce devrait être un
disque qui donnerait lieu à des débats enflammés sans fin, du genre
« est-ce plus grave de montrer son âme que son cul » (dixit
Gainsbourg).
Un disque hors normes, hors du temps, à ne pas
mettre entre toutes les mains et toutes les oreilles …
Quoi que … « San Francisco Nights » en
intitulé de cette notule, ça pourrait faire se retourner Eric Burdon dans sa
tombe. Hein, tu dis quoi, toi ? Qu’il est pas mort Burdon ? T’as
raison, mais on s’en fout du nabot qui braillait dans les Animals.
Le sujet aujourd’hui, c’est le sieur John Dwyer,
leader et homme à tout faire de Thee Oh Sees, mais aussi gourou et figure
tutélaire de toute la « nouvelle » scène de Frisco, dont les plus
illustres éléments sont Ty Segall et Mikal Cronin, responsables comme Dwyer de
multitudes de galettes sous de multiples intitulés et quelques fois sous leur
nom propre. Parce que maintenant, dans un monde musical aux modèles économiques
pulvérisés par le téléchargement et le streaming, le centre de gravité de la
musique américaine qui bouge, qui vit, qui cherche à avancer malgré tout, il
n’est plus à New York (trop arty, branchouille, m’as-tu-vu), ni à L.A.
(colonisé et lobotomisé par les pitres qui passent en boucle sur MTV et les
meufs kardashianesques).
Thee Oh Sees 2016
Comme il y a pile cinquante ans (putain cinquante
ans !) ça se passe à Frisco. Bon, il est peu probable que tous ces combos
qui aujourd’hui s’agitent dans l’anonymat sinon l’indifférence généraux
deviennent un jour aussi célèbres que l’Airplane, le Dead, Creedence,
Quicksilver, Big Brother, Country Joe et les autres qui ont fait éclore la
vague psychédélique 60’s. Même si de psychédélisme il en est encore question
avec les Thee Oh Sees. Comme chez tout le monde de nos jours. Chopez n’importe
quel groupe de minots avec guitares, et ils vous citent d’entrée comme un
sésame les mots de garage et de psychédélisme. Ça donne sinon le droit de
devenir riche et célèbre, mais ça permet de faire savoir qu’on existe, puisque
c’est « tendance ».
Sauf que les Thee Oh Sees et Dwyer en particulier,
c’est plutôt des quadras qui sont là depuis une éternité, ça leur confère une
sorte de légitimité. Mais on s’en cogne de la légitimité me dis-tu ? Que
ce qui compte c’est de sortir un disque écoutable, et que c’est pas parce tu
moulines sur ta gratte depuis vingt ans que tu vas faire de bons disques, hein,
voyez plutôt Status Quo … ou Coldplay. Vous saisissez où je veux en
viendre ? Non, bon tant pis, je recommence pas …
Non, ce qui est intéressant voire passionnant dans
le cas de Dwyer et de ses Thee Oh Sees, c’est que le type en a plus rien à
foutre des chiffres de vente si tant est qu’il en a eu quelque chose à cirer un
jour. Sa petite notoriété lui permet de survivre de son art, il est dans la
logique du do it yourself (et avec les outils informatiques aujourd’hui, tu
sors un disque « fini » pour le budget Kleenex d’une scène de porno),
fait en gros ce qu’il veut et vous emmerde … Parce que faut être un peu con
pour virer ce que certains considèrent déjà comme la formation
« royale » des Thee Oh Sees, celle de l’encensé (du moins dans ce
blog) « Floating coffin », et repartir à l’assaut avec un casting
tout neuf. Qu’il me soit permis de regretter la mimi Brigid Dawson (même si elle
traîne dans les backing vocaux sur un titre), dont les claviers et les chœurs
lumineux étaient pour beaucoup dans l’impact du précédent opus.
La nouvelle formation des Oh Sees (parce que tant
qu’à virer tout le monde, autant faire dans l’inédit) se compose ladies and
gentlemen, de deux (oui deux, un + un) batteurs. Comme dans l’Allman Brothers
Machin, s’écrie le pervers fan de rock sudiste ? Pff, non, t’as rien
compris, plutôt comme chez les Black Angels, si tu veux citer quelque chose d’à
peu près comparable. Mais à quoi ça sert deux putains de batteurs, quand t’as
un plug-in sur ton Mac qui peut te faire pareil que si t’avais les Tambours du
Bronx à la rythmique ? ben à foutre la pression sur les autres et à
pouvoir se balader dans des structures compliquées comme les affectionnaient
les groupes de kraut (eh, oh le fan des Allman, pourquoi tu pars en
courant ?). Car les Oh Sees ne cèdent à la facilité de ne contentent pas
du minimum binaire de base comme leur petite notoriété pourrait les y
autoriser, avec douze titres descendus dans les quarante foutues minutes ;
D’abord, des morceaux, dans « A weird
exists » il n’y en a que huit. Autrement dit, on n’a pas chez le sieur
Dwyer peur de s’installer dans la durée, de tirer toute la substantifique
moelle d’une composition. Et à ce jeu, les quasi huit minutes de « Crawl
out from the fall out » entamées par un cliquetis de cymbales, se
terminent en une sorte de boléro lysergique que n’aurait pas renié Jason Pierce
et ses Spiritualized. « Plastic plant » montre à quoi ça peut servir deux
batteries qui dévalent le titre genre avalanche de fûts, essaient de se tailler
une place au milieu de guitares hurlantes, et preuve que ce titre est également
excellent, tout ce raffut n’arrive pas à masquer une mélodie de derrière les
fagots.
John Dwyer se prend pour Angus Young (ou Chuck Berry)
Dans « A weird exists », on cause et on fait de la musique. Et si y’a pas
besoin de paroles, et ben on s’en passe, ce qui arrive dans la moitié des cas, sans
que ça sonne une seule seconde comme un
revival electro ou un tentative de faire de l’ambient avec des guitares. On est
bien au-dessus de ces viles comparaisons. Et on se retrouve avec les deux
aspects extrêmes de ce genre de musique. D’un côté le ratatinage sonore obstiné
à la Hawkwind (« Ticklish warrior »), et à l’autre aspect du spectre
sonore une lente mélodie belle à pleurer (« The axis »), inspirée paraît-il
par un baba entendu dans une rue qui avec un Clavier tout pourri joué à la
Charlie Oleg reprenait pour les passants des titres de Hendrix. Un Voodoo Chile
évidemment méconnaissable, en dehors du titre de la rengaine.
« A weird exists » est le genre de disques
comme on n’hésitait pas à en faire au tournant des années 60-70, à une époque où
l’on n’avait rien à foutre de notions de chapelle et de normalité. On mettait sur
un disque une litanie de bons morceaux, et tant pis (ou tant mieux) s’ils ne se
ressemblaient pas tous. Allez, s’il fallait un maillon faible à cette rondelle,
je dirais que c’est « Jammed entrance » qui comme son nom le laisse supposer
est un peu trop en roue libre tendance free jazz pénible (pléonasme).
« A weird exists » est le genre de disque dont
Nagui risque pas de faire la promotion. Donc excellent.
Et la lumière fut avec les Mystery Lights … Ouais, je
sais, c’est pas rien de commencer une chroniquette en paraphrasant Dieu, mais
pour une fois y’a de quoi sortir la brouette à superlatifs.
Et d’abord, c’est qui, les Mystery Machins, se demandent
mes armées de lecteurs. Euh, à vrai dire, j’en sais rien, et là, à
brûle-pourpoint, sans copier sur le livret, je suis bien incapable de vous dire
comment ils s’appellent ces gugusses et de quel bled des Zétazunis ils
viennent.
Ce que je sais, c’est qu’ils sont tout jeunes, que cette
rondelle est leur première et qu’ils l’ont enregistrée au studio Daptone, du
label du même nom. Bon, pour ceux qui ont tout juste le niveau maternelle
supérieure en classic soul, Tonton Lester vous explique, et ouvrez grand vos
orifices (mais non, pas tous, rien que les oreilles, z’êtes pénibles, les
filles …), y’aura interro là-dessus un de ces quatre. Daptone, c’est une bande
d’azimutés revivalistes qui entendent balancer aujourd’hui des disques de soul
comme on faisait chez, au hasard, Stax, y’a cinquante ans. Entendre par là,
qu’il y a des chanteurs ou chanteuses dignes de ce nom au micro, des vrais
types qui les accompagnent en jouant de vrais instruments, le tout enregistré
avec un soin maniaque sur des consoles analogiques d’époque. Autrement dit, les
artistes Daptone (figure de proue Sharon Jones, bien 70 balais), ils ont le
putain de son qui te fait frissonner, on n’est pas exactement dans le registre
de la pétasse ondulant du croupion, avec Cubase, Bandcamp, ProTools et AutoTune
qui moulinent les octets derrière…
Ceci posé, les Mystery Lights sont une erreur de casting
totale, une aberration au pays des revivalistes soul maison. Ces cinq
corniauds, ils sont à peu près aussi soul que Bruno Lemaire (vous savez, le mec
à tronche de bedeau premier de la classe, qui pense avoir des idées jeunes
parce qu’il fait du Sarko light ou du Juppé version ado, et qui s’imagine être
le Obama ou le Kennedy normand que nous attendons tous, si tu savais la gamelle
que tu vas prendre face au vieux briscards, tu retournerais sous les jupes de ta
cousine pour avoir une idée de l’origine du monde, mais bon, je pars en vrille
là, on va se calmer …). J’en étais où là ? Ah ouais, la soul et les
Mystery Truc.
Ben hormis par moments la voix du chanteur (ils ont pas
dû le laisser partir comme çà, deux prises et c’est bon c’est dans la boîte,
ils ont du le torturer longtemps) qui fait « passer des choses » dans
son gosier, même s’il se cantonne au registre du shouter un peu limité, les
Mystery Chose, ils sont pas soul pour deux sous.
Je vous parie la vertu d’une congrégation de bénédictines
que leur disque de chevet, c’est la compile Nuggets assemblée par Lenny Kaye en
… 1972, et qui repiquait tous ses morceaux entre 65 et 67, dans un genre devenu
plus tard dans les livres le rock garage. Entendez par là tous ces boutonneux
américains, traumatisés par tout ce qui venait d’Angleterre (les Beatles
d’abord, ensuite tous les Stones, Who, Kinks, Pretty Things, Them and so on …)
et qui s’escrimaient à les imiter, le plus souvent assez gauchement (suffit de
fouiller un peu dans les multiples compilations parues depuis pour s’apercevoir
qu’il n’y avait pas que des cadors du binaire énervé) tous ces crazy rhythms
britons. Quelques-uns avaient des hits locaux (les Seeds avec « Pushin’
too hard », d’autres ont écrit un de ces titres devenus mythiques des
lustres plus tard (le « Psychotic reaction » du Count Five), d’autres
n’ont été célébrés que plus tard (les meilleurs de tous, les Sonics, ne sont
pas sur le double vinyle original), et constante pour tous, aucun de ces
groupes n’est devenu riche et célèbre.
C’est un peu ce qui pend au nez des Mystery Lights. Parce
que parmi tous ceux qui donnent dans le « Nuggets style », j’ai
rarement entendu un truc aussi cohérent, méticuleux, maniaque. Du travail
d’orfèvre, à mon avis nettement mieux que tout ce que les groupes originaux ont
sorti en vinyle. Un peu comme ces moines copistes du début du Moyen-âge qui retranscrivaient
des bouquins religieux en les enjolivant, faisant de récits plan plan des
œuvres d’art. Les Mystery Lights livrent quelque chose d’entendu trois milliards
de fois et pourtant avec ce petit plus qui fait la différence, les fait sortir
du troupeau (merci Daptone …). En à peine plus de demi-heure et onze titres, la
messe sixties est dite. De la courte intro instrumentale fuzzy en accélération
permanente à la rave-up finale de « What happens … », y’a pour moi
rien à jeter. Avec même peut-être bien un futur classique des compiles garage
des années (20)50. Ça s’appelle « Melt », ça dure deux minutes et
trente neuf secondes, c’est un dragster sonore surpuissant, basé sur un riff
copié-décalqué sur celui de « The witch » des Sonics, ça s’achève
avec des faux grésillements de vinyle en bout de piste et ça sonne
instantanément comme un classique … que vous entendrez certainement jamais sur les
ondes de radio, trop occupées à passer en boucle les derniers remugles sonores
de … pff, y’en a tellement de ces tocards insupportables qu’on entend partout …
Les Mystery Lights revisitent avec un talent, une grâce
et une énergie peu communs tout le catéchisme des sixties underground. Pas de
baisse de régime, même pas un titre juste quelconque. Ils ont décidé d’être
excellents, et ma foi, pourvu que ça dure. Du « classique »
« Follow me home » et sa pédale fuzz sur onze, à la pop (très rock)
de « Whitout me », à l’hymne pour les stades dans lesquels ils ne
joueront très certainement jamais (« 21 and counting »), au Iron
Butterfly style (le côté crétin balourd ravi en moins) « Too tough to
bear », on se surprend à taper du pied pour battre la mesure et avoir
envie après chaque titre d’appuyer sur « replay »…
Bon, allez, je vous laisse, je vais me le remettre ce
Mystery Lights …
Cette bande pléthorique d’Australiens azimutés s’était
signalée à l’attention de ses semblables l’année dernière avec le déglingué
« I’m in your mind fuzz », tout un programme en soi et ode à la saturation
répétitive (mais pas que). Arrivés à un tel point de non-retour sonore, on
voyait pas très bien où le leader Stu McKenzie pourrait amener sa troupe (en
HP ? au cimetière ?).
King Gizzard & The Lizard Wizard 2015
Bon, apparemment, ils doivent moins se défoncer que ce
que ce disque laissait supposer, parce qu’ils sont encore là, et en état de
marche … les plus ronchons diront qu’ils ont mis de l’eau dans leur shilom et
ils auront raison. Ceci étant, on a également vite fait le tour des gimmicks à
gratte saturée version psyché. Non, là, les King Machin ont fait un truc pour
le moins inattendu. Un disque entier plein de chanson(nette)s de folk
peinturluré (tendance late 60’s, parce que chez ces gens-là, Monsieur, on ne
change pas de période de référence comme on change d’avis sur une vague
question de déchéance de nationalité, y’a des principes dans la vie, et les Magiciens
Bidule en ont).
Curieusement (enfin, pas tant que ça, y’a du talent chez
ces types ou du moins chez leur leader), le résultat ne sonne pas aussi pénible
que Devendra Chose ou le Tyrannosaurus Rex du Bolan des débuts. Pas non plus
aussi casse-burnes que du Jethro Tull … Eh, pourquoi il cite Jethro Tull, ce
con, se demandent mes légions de lecteurs assidus. Ben figurez-vous mes agneaux
que le Stuart McKenzie dont au sujet duquel j’ai causé plus haut a appris à
jouer de la putain de flûte et même s’il en fout partout, l’utilise d’une façon
moins gavante que le héron éleveur de saumons Ian Anderson … pourquoi le héron
se demandent etc etc …oh putain, faites chier, z’avez qu’à mater un Dvd des
Jette-Rotules et vous comprendrez. Et n’allez pas croire que j’ai quelque chose
contre Jethro Tull, non, pas du tout, c’est juste nul, mais je m’en tape, faut
bien que les tocards aussi vivent, hein …
Quatre guitares, deux batteries, qui dit mieux ?
Bon, revenons à nos kangourous. Qui avec ce « Paper
… » ont sorti un disque totalement bordélique. Et aussi totalement bien
propre sur lui. Me demandez pas comment ils ont fait, le tout est qu’ils y sont
arrivés. Tu t’attends à les voir se ramasser, et puis, tous leurs trucs
brinquebalants, entre j’menfoutisme potache et traits de génie, tiennent
étonnamment bien la route. Vous savez à qui ils me font penser ? Vous vous
en foutez mais je vous le dis quand même. Ben à son Altesse Sérénissime, le
nabot de Minneapolis, Prince himself dans les années 80 (ses meilleures), où il
gambadait en toute nonchalance et décontraction de styles en styles au gré
d’une poignée d’albums totalement différents et réussis (et pas seulement
« Around the world … » son disque psyché à lui).
Et comme Prince, y’en a un (McKenzie ?) qui chante
(sont plusieurs à se relayer au micro chez les King Machin) avec une voix de
fausset, à laquelle il faut se faire, je veux bien vous l’accorder. Mais je
m’égare. Non, en fait, je sais pas trop quoi raconter sur ce skeud.
Il est excellent, c’est tout. Avec des trucs très forts
comme « Bone » (pop sous substances), « Paper Mache … » le
titre (on dirait un inédit des Zombies), la gigue sautillante de « Cold
cadaver » ( ? ) avec ses faux airs de rengaine à la Robert Palmer
(« Everyday kinda people » ce genre), une sorte de rhythm’n’blues
avec un jeu de piano très Jerry Lee lewis (« NGRI Bloodstain »), une
ballade éternelle (« Most of what I like ») qui met les deux (oui,
deux et pas dans le même genre que chez les foutus frangins Allman) batteurs en
évidence. Jusqu’à un boogie (« The bitter boogie »), avec son riff dérivé
de celui de « La Grange » donc quelque part de John Lee Hooker et sa
séquence d’harmonica qui font penser à un bon titre de Canned Heat (si, ils en ont
faits, faut pas s’arrêter à leurs statusquonneries de vingt minutes).
Evidemment, « Paper … » est pas en tête de gondole
dans le Leclerc du coin. C’est pas non plus le disque du siècle. Mais c’est
beaucoup mieux que … beaucoup de choses en fait …
Un petit tour au Rock’n’Roll Hall of Fame des has-been,
ça vous dit ? Vous savez, là où on trouve les cadavres de tous ces types
morts (pas forcément physiquement), toutes ces superstars qu’ont pas sorti un
bon disque depuis au moins vingt ou trente ans, les Bowie, Stones, Springsteen,
Prince, Wonder and so on … Pourquoi cette balade gothique me direz-vous ?
Ben pour voir si Neil Young ne s’y trouve pas …
Un cas à part, lui. Nettement plus vieux que la
plupart des croûtons suscités, et qui s’est entêté à sortir de bons disques
dans les années 60, 70, 80 et 90. Qui dit mieux ? Personne, même pas
Dylan. Ouais, mais voilà, le bon Neil depuis pile vingt ans (le fabuleux
« Mirror Ball » avec les tocards du grunge Pearl Jam, fallait le
faire, sortir pareil chef-d’œuvre avec pareille ribambelle de pas bons …),
n’était plus que l’ombre chauve de lui-même, on le voyait traîner ses larsens
et ses rouflaquettes tombantes sur tout un tas de galettes qui sentaient la
redite, le pilotage automatique et l’inspiration aussi sèche qu’un vagin de
centenaire. A tel point que le seul truc qui ait fait illusion, c’était le
soundtrack de « Dead man », tout en saturation et grondements
guitaristiques, enregistrés live pendant que défilaient les images de Jarmusch.
Problème, sans les images justement, ce truc est inécoutable …
Neil (Plus Très) Young 2015
Par contre, Neil Young avait quelque peu accentué
son côté Don Quichotte, soutenant de plus ou moins bonnes causes, de plus ou
moins catastrophiques candidats à la Présidence US (alors qu’il est Canadien,
de quoi il se mêle, ce con ?), se lançant dans des combats épiques perdus
d’avance. Comme sa dernière tocade, le Pono, iPod version hi-fi, censé grâce à
un encodage (de mouches ?) novateur, donner un son qui déchire sa mère …
alors que le brave Neil, t’écoutes ses disques, on est quand même assez loin du
Pharell Williams sound, t’as le choix entre de la saturation et du folk
acoustique, pas besoin de stéréo de la mort pour ça, mais bon, c’est Neil Young
et ses croisades …
Plus haut fait d’armes, l’ancien Roi des Hippies s’était
reconverti dans l’humanitaire social concerné, était devenu la pierre angulaire du Farm Aid, ce téléthon
musical annuel pour les paysans américains, encore plus mal barrés que les
bouseux d’Europe, ce qui n’est pas rien. Et on le voyait chaque année depuis
trente ans arpenter les scènes du Midwest en compagnie de Willie Nelson (prenez
des notes, y’a des trucs qui ont leur importance) et John (anciennement Cougar,
on ne rit pas) Mellencamp, vous savez le Springsteen campagnard, celui qui fait
des disques (pas mauvais au demeurant) sur des petites villes et des
épouvantails…
Et pourquoi il fallait que Young les soutienne les
culs-terreux yankees ? Ben en gros parce qu’ils se faisaient niquer grave
par toute l’industrie agro-alimentaire,
peu soucieuse d’environnement, de commerce équitable, de partage et
autres balivernes de gauchistes révolutionnaires et surtout prompte à ramasser
tout le brouzouf qu’on pouvait tirer de l’agriculture. Principale cible :
la multinationale Monsanto (on y arrive … quoi, qui a dit enfin ?) qui
fournit graines et semences et pesticides divers pour que tes mouflets ils se
gavent d’OGM et pèsent deux cent kilos à quatorze ans … En fait, Neil Young,
c’est un peu le José Bové de son continent, la guitare en plus et la pipe en
moins …
Promise Of The Real
Et aux concerts du Farm Aid, Young découvre les fils
de Willie Nelson, Lukas, leader et guitariste, et Micah (comme papa est de
toutes les éditions, ça aide pour se faire connaître, népotisme quand tu nous
tiens …) et leur groupe Promise of the Real. Un groupe qui casse pas trois pattes
à un canard transgénique, mais qui assure d’après quelques extraits écoutés, le
minimum syndical en termes d’americana sans imagination. On sait pas trop
pourquoi, Neil Young convoque ces minots pour enregistrer un disque. « The
Monsanto Years » donc. Le truc à gros sabots, le gros pamphlet, la charge
incendiaire qui mange pas de pain, mais qui fait bien dans un CV, ou, vu l’âge
du Neil, dans une prochaine épitaphe : « Il est mort guitare au
poing, dénonçant les complots des suppôts du capitalisme sans frontière qui
exploitent les autres, les ruinent pour s’en foutre encore plus plein les
fouilles etc, etc … », alors que les mecs maintenant ils ont la flemme de
se brosser les dents, ils achètent un bidule électrique qui leur bousille les
gencives, tu parles s’ils vont se bouger pour faire la révolution … Et bizarrement,
la rumeur enfle, prétendant que vous allez voir ce que vous allez entendre.
Sauf qu’on me la fait pas, des retours du diable vauvert orchestrés par le buzz
de vieux schnocks qui seraient meilleurs à 70 balais qu’à 25, y’en a chaque
semaine. Et quand t’écoutes leurs rondelles, oh putain la misère …
Et plus par réflexe boulimique que par conviction,
tu mets le skeud dans le lecteur, t’appuies sur Play … une intro folky
électro-acoustique dont voudrait même pas Hugues Aufray(ses), tu te dis que
cinquante minutes ça va être long et que comme il fait un putain de cagnard,
vaudrait mieux aller chercher une mousse pour aider à tuer le temps. Sauf qu’au
bout d’exactement vingt et une secondes, il se passe un truc, y’a la foudre qui
sort des haut-parleurs. Un riff de brontosaure, hyper cradingue, saturé, une
batterie aplatissante jouée par un mammouth en rut, un tempo rampant comme un
crotale ébouillanté, la voix du Neil certes vieillie, breathless mais toujours
reconnaissable entre dix millions. Et les neurones en surchauffe font clignoter
des titres qu’on croyait à jamais disparus, des « Down by the
river », des « Cortez the Killer », des « Hey hey
my-my », des disques comme « Live rust », « Ragged
glory », « Weld », « Mirror ball », … Ouais, carrément … Le Neil Young que j’aime is back, alive and very well.
« A new
day for love », il s’appelle ce titre inaugural de « Monsanto
years ».
Un peu fatigué, quand même, le Loner
Et ça va durer comme ça jusqu’au bout. Sauf sur
« Wolf moon », la ballade acoustique éternelle, comme tout le monde
en pond, et Young particulièrement sur « Harvest » ou sa fausse suite
« Harvest moon ». Et ce « Wolf moon » n’aurait pas dépareillé
dans ces deux classiques, c’est dire son niveau. « The Monsanto
Years » est à peine un peu moins bon que « Ragged glory » (parce
70 balais le Neil, parce que Promise of the Real c’est pas Crazy Horse, que
Lukas Nelson c’est pas Whitten ou Sampredo, et que moi aussi j’ai plus vingt
ans …). Il y a des choses raisonnablement inenvisageables ou qu’on croyait
maintenant inaccessibles à Young, cette colère électrifiée tous potards sur
onze, ces coulis de distorsion, ces duels épiques de guitare, ces slogans braillés
rage aux tripes. Des titres comme « People want to hear about love », «
Workin’ man », « Monsanto years», sont
proprement exceptionnels et « A rock star bucks a coffee shop », avec son
refrain à limite de la rupture et son irrésistible gimmick sifflé est un des
dix meilleurs morceaux que Neil Young ait jamais écrit. Et ne me dites pas que
j’exagère, c’est brothers and sisters la putain de vérité vraie …
Son premier skeud, « Cabinet of curiosities » en
2013, avait rehaussé le niveau affligeant des années 2010. Le type totalement dans
son truc, reprenant les choses là où les ténors de la pop psyché des 60’s les
avaient laissées, et une collection de putains de chansons comme il n’y en a
pas deux poignées de contemporains qui savent les torcher.
Le petit prodige néerlandais avait laissé entendre que
faire des disques c’était pas trop son truc, qu’il préférait bidouiller en
studio, et pourquoi pas pour les autres. Heureusement, y’a que les corniauds
qui changent pas d’avis. Le Jacco a passé deux ans sur la route et sur les
planches et nous sort maintenant ce « Hypnophobia » (la phobie du
sommeil, dans la langue de Florent Pagny). « Cabinet of
curiosities », c’était estampillé 66-68. Logiquement, deux ans plus tards,
Gardner se retrouve en 1970. Et de ses périples all around the world, il a du
entasser une collection de synthés vintage, car ce sont eux qui dominent
« Hypnophobia », et particulièrement le Mellotron. C’est pas vraiment
une surprise, on avait compris que le garçon était fan ultime des Zombies, dont
le chef-d’œuvre maudit « Odessey & oracle » peut être vu comme
une brochure commerciale au dit Mellotron.
Mais autant « Cabinet … » était une collection
de chansons de structure « classique », autant
« Hypnophobia » va plus loin. Gardner semble vouloir dépasser le
format chansonnette (deux titres sont des instrumentaux, et les lyrics de
quelques autres doivent tenir sur un timbre-poste) pour s’attaquer au concept
de climat, d’ambiance. Tout en évitant le piège du funeste prog qui pointe ses
gros sabots dans ces cas-là. Exercice de style casse-gueule. Et réussi.
On retrouve les fondamentaux du bonhomme. La pop
cafardeuse, le folk-rock mélodique. Autant ils étaient l’essence du premier
disque, autant ils ne servent que de trame – dont il s’extrait facilement –
pour celui-là. Les Zombies sont toujours là, le Brian Wilson d’après « Pet
sounds » aussi. Le bouffeur de space cakes Barrett itou, mais cette
fois-ci, le Floyd sans lui affleure dans nombre de plages. Le Pink Floyd
captivant de la fin des 60’s, en perpétuelle hésitation entre chansons et
longues suites atmosphériques, celui en gros des disques « Meddle »
et le soundtrack de « More », mais aussi par extrapolation, des
relents du Gainsbourg de « Melody Nelson » (les cordes évanescentes, chez
Gardner les machines ont remplacé les hommes) et de leurs imitateurs-disciples
(le Air de « Moon safari » ou de « Virgin suicides, qui cumulent
les influences Gainsbourg-Floyd).
« Hypnophobia », c’est un bloc, un pavé dans la
mare, et en l’occurrence celle du Kevin Parker de Tame Impala, auquel on a
souvent comparé Gardner. Bon, le gentil Australien envapé, reste sur le coup
loin derrière à mon sens. Tout au plus pourra t-il se vanter d’avoir inspiré à
Gardner sa coupe de cheveux.
Deux titres de « Hypnophobia » renvoient à un
folk millésimé, le bon « Face to face » et le dispensable « Make
me see » (moins de deux minutes, ça va, ça passe vite). Le folk sert de
point de départ à « Brightly », mélodie de rêve comme savait en
torcher Cat Stevens (avant que Mahomet lui bouffe les neurones), et puis le
titre s’envole, porté par une fabuleuse progression instrumentale que n’aurait
pas renié Brian Wilson (avant que le LSD lui bouffe les neurones). Un des
sommets du disque.
Les autres ? « Find yourself », énorme
single qu’on risque de pas beaucoup entendre sur NRJ, on dirait un inédit de la
B.O de « More ». « Before the dawn » (huit minutes), c’est
la pièce de bravoure du disque. Porté par une batterie très krautrock et une
trouvaille mélodique entêtante au synthé, ce titre est d’une fausse simplicité,
en perpétuel mouvement, décollage hypnotique assuré. « Hypnophobia »
le morceau multiplie les trouvailles atmosphériques, et les temps étant ce
qu’ils sont, pourrait passer pour le « Echoes » de son époque.
Avec ce disque, Gardner signe un superbe doublé et s’extirpe
haut la main du piège souvent délicat du deuxième album. Comme en plus il sort de
l’indie pur et dur (il est signé ce coup-ci sur PIAS, qui sans être une major est
une structure « sérieuse ») et que s’exhiber sur scène ne le rebute pas,
il se pourrait bien qu’il devienne quelqu’un qui « compte », dont on entend
parler.
Pour une fois, ce sera mérité …
Du même sur ce blog :
On pourrait se poser plein de questions, du genre
pourquoi tout ce barouf dans tous les médias spécialisés (ou pas) au sujet
cette miniature australienne (comme si ça suffisait pas avec KyKylie Minogue,
les chanteuses d’un mètre cinquante, talonnettes compensés comprises), en plus
même pas canon avec son visage poupin et donc ses faux airs de McCartney with
boobs. Surtout qu’elle est aussi charismatique, causante et souriante que le
mime Marceau un soir de déprime … Moi je vois qu’une explication, c’est qu’elle
a fait un putain de bon disque. Qui plus est dans un des genres les plus
ringards et moqués aujourd’hui, le folk-rock.
Bon, remarquez je dis folk-rock pour dire quelque chose,
parce que si quelqu’un voit la moindre similitude entre ce « Sometimes
… » et les skeuds des Flying Burrito Brothers, je passe le reste de mes
vieux jours à écouter en boucle l’intégrale de David Crosby. Courtney Barnett,
c’est folk parce que ça raconte des histoires, souvent tristes (et
personnelles, on sait plus à quel niveau on doit prendre le clown qui fait pas
rire du clip de « Pedestrian at best »), c’est rock parce qu’il y a
plein de guitares aux sons bizarres, trafiqués, plus proches de Sonic Youth que
d’Yves Duteil (et celui qui pense Television a bien raison). La damoiselle cite
dans ces interviews des gens éminemment respectables (Lou Reed et le Velvet,
Billy Bragg, Neko Case, les Lemonheads, Wilco …). De plus elle a quelque peu
gravité dans la galaxie des Dandy Warhols, a repris sur scène un album entier
d’INXS (?!), et chante souvent (en fait scande plutôt) comme la Sheryl Crow des
débuts, avant que l’Américaine tombe amoureuse de cyclistes dopés (pléonasme)
et se la joue à plus de quarante balais bimbo flower-power, mini-jupes et
tétons en avant … Autrement dit, Courtney Barnett, c’est pas monolithique, pas
un gimmick qui tourne en boucle sur la durée du skeud. Ça part un peu dans tous
les sens, tout en restant cohérent d’un bout à l’autre … pas exactement le genre
de démarche facile à entreprendre, et encore moins à réussir …
On a quelquefois des machins qui rappellent le Beck (non,
pas Jeff, l’autre, le scientologue) des débuts, quand il concassait et malaxait
le folk avec des rythmiques proches du hip-hop (« Elevator
operator », « An illustration … »), on trouve même à la fin un
blues dénudé (la Courney et seulement sa gratte), ça s’appelle « Boxing
day blues », et ça sonne surtout pas comme la Tracy Chapman soporifique de
l’autre siècle.
La petite australienne s’aventure même dans des titres de
sept minutes. Le premier (« Small poppies ») est une ballade qui
commence sobrement avant qu’un crescendo de guitares (Barnett ? parce
qu’il y a un autre type à la gratte dans son band) y mette un peu d’électricité
tordue. Le second titre étiré (« Kim’s Caravan ») m’a tout l’air d’un
jeu de pistes musical, où l’on passe de murmures d’instruments dans une
ambiance glaciale et dépouillée, voix à la Nico, avant qu’arrivent des guitares
lancinantes à la Lou Reed ou Sonic Youth (« Kim » pour Kim
Gordon ?) et un final en lourd et lent déluge électrique façon doom metal
(« Caravan » pour « Planet Caravan » de Black
Sabbath ?).
Mais on trouve aussi plein d’autres choses dans ce skeud
au titre en forme d’hymne à la fainéantise. Et du rock, tendance ‘n’roll qui
dépote. « Aqua profunda ! », on dirait même du pub-rock tel que
le servaient chaud Feelgood ou les Inmates. « Dead fox », on jurerait
un tribute aux guitares toute particulières dont FatBob Smith tartinait les
disques de Cure, « Debbie Downer », avec son gimmick fabuleux d’orgue
vintage (Vox ?), ça fait ressurgir les oubliés amerlos du Paisley
Underground, plus précisément les Bangles des débuts (« Going down to
Liverpool », ce genre). Avec « Nobody really cares … », on se demande
si la petite Barnett ne connaît pas Antoine (c’est les accords des
« Elucubrations » avec un refrain façon la version de
« Gloria » de Patti Smith), alors qu’avec le hit (ou qui mériterait
de le devenir) de rock’n’roll lo-fi « Pedestrian at best », on a
droit à une variante du riff de « All day and all of the night » des
Kinks. Cultivée, la dame …
Cohen, c’est un cas un peu à part dans la musique
des 60’s. Alors que la musique pour jeunes était faite par des gens de leur âge
(le plus vieux, ce devait être Chuck Berry, mais vers la fin des 60’s, il était
comme qui dirait passé de mode), Leonard Cohen s’attaquait aux hit-parades avec
ce « Songs of … » à trente deux ans. Et alors que les cheveux
poussaient jusqu’à la démesure et que les fringues se bariolaient exagérément,
lui se pointait avec son look de clerc de notaire, son air de chien battu et
ses stricts costards noirs. Conclusion : adeptes du glam-rock, Cohen n’est
pas exactement un précurseur de votre musique favorite.
Quoi que pour être aussi rigoureux qu’un banquier
qui calcule vos intérêts débiteurs, y’avait déjà eu le nom de Leonard Cohen
dans les charts. Dans les crédits de « Suzanne », petit hit par
l’oubliée Judy Collins, chanson qu’il avait écrite mais pour laquelle il
n’avait pas touché un rond, ayant dû renoncer à ses droits pour se voir publié.
Comme quoi, y’a pas que les niggas qui se font arnaquer dans le showbiz. Parce
que Cohen, c’est un peu un accident sa carrière de chanteur. Il commençait à se
faire un petit nom dans l’underground canadien (sa nationalité) et américain
comme poète et écrivain.
C’est John Hammond qui le signera et lui fera
enregistrer sa première rondelle, ce « Songs of … ». John Hammond, il
peut être bon de le rappeler aux fans de M Pokora, c’est le type qui a
découvert et signé quelques demi-sels comme Billie Holiday, Aretha Franklin ou
Bob Dylan, excusez du peu. Un type qui avait un peu l’oreille quoi. Un peu
aussi le sens des affaires pour son label Columbia. Parce que chez Columbia, en
1968, on était un peu dans l’expectative rayon folk. La star maison incontestée
du genre, le sieur Dylan se remettait entouré de musiciens au look de paysans
mormons (The Band) d’un soi-disant accident de moto. Et à une époque où faire
paraître deux trente-trois tours par an était la norme, le Zim était silencieux
depuis plus d’un an. Et même si le talent de Cohen se suffit, la semi-retraite
du Zim n’est certainement pas pour rien dans sa signature chez Columbia et les
moyens assez conséquents mis en œuvre pour en faire la nouvelle
« rock-star » du folk…
Rare : l'artiste hilare ...
Même si Cohen, c’est comment dire … Ardu … Faut se
motiver avant de l’écouter, quoi. Pas exactement les chansons qu’on entonne à
la fin d’un repas de chasseurs … Et puis faut faire l’effort de pas se
contenter de quelques machins connus et plus ou moins radiophoniques des 80’s
(« First we take Manhattan », ce genre). Cohen, pour l’écouter à son
meilleur, faut le prendre aux débuts, avec « Songs of … » et son
quasi siamois « Songs from a room ». Parce que chez Cohen, Môssieur,
y’a du texte. A peine un peu moins elliptique et énigmatique que chez Dylan,
c’est-à-dire qu’à moins de Bac+10 en anglais, Cohen, c’est souvent aussi clair
que du bouillon de légumes.
Mais Cohen, bizarrement pour un littéraire pur et
dur, a un sens de la mélodie assez extraordinaire. Les chansons de Cohen, pour
musicalement squelettiques qu’elles soient, elles sont évidentes. Il y a sur ce
premier disque trois bombes mélodiques qui sont trois classiques folk. Sa
propre version de « Suzanne », depuis reprise par des dizaines de
gens plus ou moins ténébreux et mélancoliques (cas type, Bashung). « Sisters
of Mercy » religieuses ou prostituées, allez savoir, mais qui servira de
nom de baptême au groupe gothique caricatural d’Andrew Eldritch dans les 80’s.
L’échevelée (dans le contexte du disque) « So long, Marianne » dans
laquelle Cohen se lâche, allant jusqu’à chanter (juste) et mettant une batterie
sur le devant du mix, ou pas loin.
Parce que faut préciser que les disques de Cohen,
c’est pas exactement de la sunshine pop chatoyante. De la guitare acoustique
pleine d’accords compliqués qui sonne comme un piano, y’en a partout. Et puis,
un peu comme chez Simon & Garfunkel, par touches infinitésimales, quantité
d’autres instruments, venus plus souvent de la musique de chambre ou classique
que du rock basique. Mais faut tendre l’oreille pour les écouter, et quand par
hasard ils sont mis en avant (quelques notes de guitare saturée dans
« Master song »), ils font l’effet d’une déflagration. Une des autres
trademarks indissociables de Cohen, c’est aussi ces chœurs virginaux ( ? )
éthérés, qu’il a fini au long des disques à mettre trop en avant pour cacher
ses faiblesses vocales mais qui là tombent juste où il faut quand il faut et
rajoutent cet aspect de mélopée céleste qui fait toute la beauté de ses premiers
disques.
Parce que oui, les premiers disques de Cohen sont beaux,
semblent régis mathématiquement par cette pureté et ce dénuement mélodiques souvent
imités et bien peu égalés. La démarche sera la même sur le suivant (« Songs
from a room »), encore plus engoncé dans son austérité rigide, ce jusqu’auboutisme
décharné qui malgré tout en fera, quelque peu à son corps défendant, une « star »
du rock.
« Songs of Leonard Cohen », c’est d’entrée une pièce
maîtresse de Cohen. Qui elle n’a pas pris une ride… Du même sur ce blog :
Mon périple m’a conduit en ce 11 Janvier 2015 dans cette
bien étrange bourgade française qu’est Paris. Je me suis retrouvé dans une
foule énorme, agitant force drapeaux et battant le pavé. Comme c’était
impossible de les compter tant ils étaient nombreux, on a dit qu’ils étaient 2
millions, ça au moins c’est du chiffre qui a de la gueule. Tu connais mon
attirance pour le ballon rond, j’ai pensé que la France avait gagné la Coupe du
Monde organisée au Qatar. Un autochtone auprès duquel je m’enquérissaisdu score, me dit que non, pas du tout, il ne
s’agissait pas de football. C’est dommage, cette compétition sera sans doute un
grand spectacle, une magnifique vitrine pour l’exposition au monde des
mirifiques pratiques locales, et l’on peut rêver de voir dans le rond central à
la mi-temps des matchsquelques mains
coupées aux maraudeurs locaux, ou quelque concours de lapidation pour épouses
infidèles. Quand le sport désintéressé et une évolution sociale hors pair se
rencontrent, ce ne peut âtre que grandiose … Mais je m’égare (et je pourrai
m’égarer encore plus si j’en venais à causer de ce à quoi sont utilisés les
pétrodollars qataris en matière de financement de groupuscules islamistes ayant
peu à voir avec le kop de Boulogne …)
Mon voisin m’apprit que la France se trouvait réunie dans
les rues dans une sorte de sursaut national après avoir connu pendant les jours
précédents une vague d’assassinats visant dessinateurs, journalistes,
policiers, clients de supérette, et quelques autres quidams ayant eu le malheur
d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Les troupes de Robocop locaux
ayant réduit en charpie les trois illuminés (enfin façon de parler, y’avait pas
de lumière à tous les étages chez eux) responsables. Lorsque je lui demandai
les raisons de ce carnage, il me dit que les premiers tués l’avaient été parce
qu’ils avaient moqué par leur caricatures le Prophète, le dieu de leur
religion. Quelle ne fut ma surprise de savoir qu’en France, ce paysqui avait inventé le seul idéal
révolutionnaire méritant l’exportation résumé par le triptyque Liberté Egalité
Fraternité, il existât encore des gens pour le fouler au pieds et le rejeter à
grands coups d’armes de guerre automatiques dans ta face, chien d’infidèle …
Emportés par la foule qui nous traîne nous entraîne écrasés
l’un contre l’autre, je me glissai donc avec mon guide de rencontre dans cette
folle sarabande . Il m’expliqua tout ce qui était arrivé dans la semaine, toute
cette émotion, cette crainte et cette colère qui se déversaient maintenant en
un immense défilé de fierté unitaire. Que ce pays est donc un beau et grand
pays me dis-je. Quelques menus détails attirèrent mon attention. Des cars de
policiers passaient, applaudis par le peuple. Qu’avaient donc fait de
particulier ces gens-là ? Leur travail me répondit mon ami. Ce doit être
une coutume locale, je ne manquerai pas quand j’irai au café ou au supermarché
d’applaudir le serveur et la caissière.
A moment donné, il ne fut plus possible de bouger. Une
troupe nombreuse et lourdement armée encadrait un carré de personnages que je
devinais importants. Il y avait là le Président français Hollande, d’autres grands
chambellans de différentes nations, tous plus célèbres et importants les uns
que les autres, les plutôt fréquentables devant, les autres derrière. Je ne vis
pas Poutine ou Medvedev, mon voisin me précisa qu’ils n’aimaient pas trop être
là quand on parlait de liberté (d’autres aussi s’étaient fait porter pâles, et
pas seulement le nord-coréen …), mais qu’ils avaient été bien présents tout au
long de la semaine, l’arsenal des forcenés étant surtout made in Russia … Mais
chut, fallait pas le dire, la France vend aussi beaucoup d’armes. Il y en avait
un qui avait l’air plus protégé que les autres, c’était l’Israélien Netanyahou,
digne héritier d’une vieille famille de bouchers-charcutiers. C’est peut-être
pas tout à fait sa faute, on l’a foutu lui et son peuple dans un pays créé de
toutes pièces au milieu de ses ennemis millénaires. Comme ça, on est sûr que
les marchands de canons seront pas au chômage, merci Yalta …
Netanyahou, c’était la star de la journée. Peut-être pas le
playboy de l’équipe (fallait voir Renzi et Cameron faire les beaux, par contre
Angela était toujours aussi peu euh… canon), mais le meilleur communicant, ça
c’est sûr. Mon ami m’expliqua que c’étaient des Juifs qui avaient été pris pour
cible le troisième et dernier de ces tristes jours. A mon grand étonnement,
parce que je m’imaginais naïvement que dans une République laïque, on était
Français avant d’être juif, ou musulman ou chrétien, ou athée, et que c’était
l’individu qui primait sur sa religion. N’y avait-il pas quelque joueur de
ping-pong parmi les victimes, pour que la communauté des pongistes puisse crier
à la persécution ? Mon voisin me prédit même (il n’était donc pas
éditorialiste) qu’on en viendrait bientôt à plus parler de ces quatre-là et de
leur religion stigmatisée que des premières victimes qui étaient le postulat de
départ ce cette série d’abominations. Mais qui étaient donc ces Charlie
demandai-je ? Une bande de plutôt anars rigolos, amateurs de vannes en
dessous de la ceinture et de canons (de rouge), et qui avaient décidé que comme
la liberté, ils n’auraient pas de limites et surtout pas celles que voudraient
leur imposer les bien mal pensants de tout acabit. Ils représentaient l’essence
même de la République et de la laïcité et ils sont morts pour ça … et
maintenant tous les calotins avec des siècles de sang versé àcause de leurs croyances sur les mains,
rejoints par tous les hypocrites sécuritaires de tout poil voudraient placer
leurs putains de dieux au cœur de cette affaire, et faire que ces types qui
sont morts pour défendre une liberté majuscule de leur vivant seraient
maintenant un prétexte pour un tour de vis sur nos petites libertés à tous, un
Patriot Act à la française ?
Je vous le dis, ma
chère Roxane, il a dans cet étrange peuple cosmopolite bien des raisons de désespérer.
J’en ai pourtant vu une d’espérer. Il y avait au milieu de cette foule une
gamine black et musulmane qui chantait à gorge déployée la Marseillaise. C’est
les Messieurs-Dames que l’on voyait fiers comme des coqs ceints de leurs
écharpes tricolores, qui ont maintenant la responsabilité de la faire grandir
heureuse au milieu de tous. La balle, si l’on peut dire, est dans leur camp …
Qu’ils essayent d’être à la hauteur des espérances, une fois dans leur vie, ça
pourrait être ça, le changement … Sinon, les inventeurs du Moyen-âge, comme
disait un de leurs bouffons majeurs du siècle dernier, auront gagné …