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NICK CAVE & THE BAD SEEDS - SKELETON TREE (2016)

Death Songs ...
On le sait depuis toujours, Nick Cave n’est pas un joyeux. Le type toujours habillé de noir, qu’on peut résumer par le raccourci « crooner gothique junkie ». Sauf que comme pour tous les raccourcis, on est assez loin de la vérité. Cave ne s’est jamais pris pour Sinatra ou Bing Crosby, pour Bauhaus ou Cure, pour Keith Richards ou Johnny Thunders. Cave a commencé, vingt ans avant la fin du siècle dernier, par la destruction et l’autodestruction avec Birthday Party. Et puis, lentement, comme tous les types qui ont un but dans la vie et veulent laisser une œuvre dans leur art, Cave s’est apaisé, assagi pourrait-on dire, en surface. Plus le fond (la musique) était calme, plus la forme (les textes) devenait violente et dérangeante. Le Johnny Cash (influence maintes fois revendiquée) des American Recordings avec Rick Rubin pointait le bout de son ombre crépusculaire.
Cave n’est pas un robot, engoncé dans son personnage, il est fait de chair et de sang. Son précédent, « Push the sky away » avait même laissé dire à quelques connaisseurs avisés, sur la foi d’une pochette sépia sur laquelle posait sa copine à poil et d’un contenu plus « accessible » que d’habitude, que Cave s’était « normalisé » (quel vilain mot).
Nick Cave
Et puis, l’an dernier, un de ses fils de quinze ans, soi-disant déchiré au LSD, se tue en tombant d’une falaise. Le genre de saloperies que peut te réserver la vie, et surtout qui te la change salement. « Skeleton tree » est le premier disque de Nick Cave (& The Bad Seeds) depuis ce drame. Et là, Cave ne joue plus, si tant est qu’il ait joué un jour. C’est son disque le plus noir, une noirceur qui se retrouve jusque dans son enrobage, comme une version de « White light, white heat » adaptée à l’ère numérique, bien que l’Australien de naissance doive entretenir des rapports de non geek total avec l’informatique, le lettrage en vert fluo est celui des antiques bécanes des années 80 qui tournaient sous DOS …
Cave, comme tous les types embringués dans le rock’n’roll circus, se sert de son œuvre comme un miroir qui renverrait l’image qu’il veut donner, qu’il veut que son public ait de lui. Même si cette image est volontairement déformée. Perso, des disques où des types sont censés se foutre à poil devant leurs auditeurs, j’en ai des brouettes et je m’en méfie toujours un peu, ayant du mal (je les connais pas en vrai, ces zozos) à placer le curseur entre vérité et calcul. Là, pour ce « Skeleton tree », j’ai l’impression de me trouver face à un « vrai » disque, sans chichis, sans arrangements, sans calculs, du genre : « est-ce que ça a l’air vraiment désespéré, ou est-ce que j’en rajoute encore une couche, comme me le conseillent mon management et ma maison de disques ? ».
Nick Cave & The Bad Seeds
Tant qu’à faire aussi, et pour situer Cave et son œuvre, autant préciser pour les profanes que Cave ne s’exprime pas que par des sons. Il écrit aussi (même s’il n’a pas eu le Prix Nobel comme Dylan, qui doit bien se marrer, lui qui s’est toujours foutu de la gueule de tout son monde et qui doit être la seule personne de cette galaxie à être plus ou moins capable de déchiffrer ce qu’il a lui-même écrit), et a même fait un film (enfin non, c’est pas lui qui l’a réalisé, mais il est le personnage central de « 20 000 jours sur Terre », vraie fiction autobiographique).
« Skeleton tree » sorti de son contexte doit être insupportable. D’une froideur et d’une noirceur à faire passer, au hasard, Townes Van Zandt, pour Dany Boon. Des ambiances sépulcrales, morbides, rythmées par un minimalisme instrumental à faire se retourner Leonard Cohen dans son costard de sapin tout neuf. « Skeleton tree » ne s’écoute pas de but en blanc, à la fin d’un repas de retrouvailles avec les blaireaux potes de troisième recherchés sur « copainsdavant.com ». « Skeleton tree » n’est pas un chef-d’œuvre, juste une tranche de vie (et de mort).
Commencé (« Jesus alone ») par un lamento introduit par le hululement sinistre de synthés façon B.O. de giallo, et construit comme une incantation vers le diabolique Jesus (Cave a toujours été partagé entre fascination et répulsion pour la religion chrétienne) qui a pris la vie de son gosse, le disque passe de la douleur, du désespoir, de l’accablement, vers une rédemption apaisée (la clôture presque enjouée  de « Skeleton tree » le titre, comme si la boucle était bouclée, le travail de deuil accompli, et qu’il fallait, sous peine d’en perdre l’âme et la raison, passer à autre chose …). Ce disque est l’autopsie, crue, limite indécente (on ne sait plus si on est auditeur ou voyeur) d’un choc émotionnel et de la lente reconstruction qui va suivre. Qui fait passer des sommets de désespoir mis en musique (« Plastic Ono Band » de Lennon, « Disintegration » de Cure) pour d’aimables pitreries (les geignardises d’un milliardaire désabusé pour le premier, un travail mathématique d’inflation morbide pour le second, même s’il s’agit de deux putain de grands disques).
Nick Cave, l'âme crucifiée ...
« Skeleton tree » dévide au long de ses huit titres toute la peine d’un Cave non plus figure iconique d’un des sous-genres du « rock », mais d’un type souffrant de la perte d’un être très cher. Ses vieux soudards de toujours qui l’accompagnent sont tout en retenue derrière lui, s’ingéniant le plus souvent à ne tisser que des … squelettes mélodiques, plus proches de l’épure que du minimalisme. « Skeleton tree » compte dans ses rangs les plus belles mélodies jamais écrites par Cave (« Girl in amber », « I need you », « Distant sky »). Et dans ce disque, Cave se laisse aller à chanter vraiment, naturellement, sans afféterie, sans ces trémolos gothiques souvent surfaits qui sont sa marque de fabrique vocale.
On pense souvent à d’autres hommes en noir. Leonard Cohen, le poète christique des désillusions et des déceptions, le Johnny Cash cornaqué par Rubin, perclus de souffrance physique et qui mettait en musique sa mort prochaine, les Stranglers vers 79-82 quand ils chantaient les Hommes en Noir et tombaient dans l’épure synthétique « féline » …
« Skeleton tree » est un tout, où chaque titre est indissociable du précédent et du suivant, dont on n’écoute pas des extraits sur Spotify. Soit on le prend en pleine poire, soit on l’ignore. Et si l’on n’était pas bouffé par l’ère du superficiel éphémère, ce devrait être un disque qui donnerait lieu à des débats enflammés sans fin, du genre « est-ce plus grave de montrer son âme que son cul » (dixit Gainsbourg).

Un disque hors normes, hors du temps, à ne pas mettre entre toutes les mains et toutes les oreilles …


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THEE OH SEES - A WEIRD EXISTS (2016)

San Francisco Nights
Quoi que … « San Francisco Nights » en intitulé de cette notule, ça pourrait faire se retourner Eric Burdon dans sa tombe. Hein, tu dis quoi, toi ? Qu’il est pas mort Burdon ? T’as raison, mais on s’en fout du nabot qui braillait dans les Animals.
Le sujet aujourd’hui, c’est le sieur John Dwyer, leader et homme à tout faire de Thee Oh Sees, mais aussi gourou et figure tutélaire de toute la « nouvelle » scène de Frisco, dont les plus illustres éléments sont Ty Segall et Mikal Cronin, responsables comme Dwyer de multitudes de galettes sous de multiples intitulés et quelques fois sous leur nom propre. Parce que maintenant, dans un monde musical aux modèles économiques pulvérisés par le téléchargement et le streaming, le centre de gravité de la musique américaine qui bouge, qui vit, qui cherche à avancer malgré tout, il n’est plus à New York (trop arty, branchouille, m’as-tu-vu), ni à L.A. (colonisé et lobotomisé par les pitres qui passent en boucle sur MTV et les meufs kardashianesques).
Thee Oh Sees 2016
Comme il y a pile cinquante ans (putain cinquante ans !) ça se passe à Frisco. Bon, il est peu probable que tous ces combos qui aujourd’hui s’agitent dans l’anonymat sinon l’indifférence généraux deviennent un jour aussi célèbres que l’Airplane, le Dead, Creedence, Quicksilver, Big Brother, Country Joe et les autres qui ont fait éclore la vague psychédélique 60’s. Même si de psychédélisme il en est encore question avec les Thee Oh Sees. Comme chez tout le monde de nos jours. Chopez n’importe quel groupe de minots avec guitares, et ils vous citent d’entrée comme un sésame les mots de garage et de psychédélisme. Ça donne sinon le droit de devenir riche et célèbre, mais ça permet de faire savoir qu’on existe, puisque c’est « tendance ».
Sauf que les Thee Oh Sees et Dwyer en particulier, c’est plutôt des quadras qui sont là depuis une éternité, ça leur confère une sorte de légitimité. Mais on s’en cogne de la légitimité me dis-tu ? Que ce qui compte c’est de sortir un disque écoutable, et que c’est pas parce tu moulines sur ta gratte depuis vingt ans que tu vas faire de bons disques, hein, voyez plutôt Status Quo … ou Coldplay. Vous saisissez où je veux en viendre ? Non, bon tant pis, je recommence pas …
Non, ce qui est intéressant voire passionnant dans le cas de Dwyer et de ses Thee Oh Sees, c’est que le type en a plus rien à foutre des chiffres de vente si tant est qu’il en a eu quelque chose à cirer un jour. Sa petite notoriété lui permet de survivre de son art, il est dans la logique du do it yourself (et avec les outils informatiques aujourd’hui, tu sors un disque « fini » pour le budget Kleenex d’une scène de porno), fait en gros ce qu’il veut et vous emmerde … Parce que faut être un peu con pour virer ce que certains considèrent déjà comme la formation « royale » des Thee Oh Sees, celle de l’encensé (du moins dans ce blog) « Floating coffin », et repartir à l’assaut avec un casting tout neuf. Qu’il me soit permis de regretter la mimi Brigid Dawson (même si elle traîne dans les backing vocaux sur un titre), dont les claviers et les chœurs lumineux étaient pour beaucoup dans l’impact du précédent opus.

La nouvelle formation des Oh Sees (parce que tant qu’à virer tout le monde, autant faire dans l’inédit) se compose ladies and gentlemen, de deux (oui deux, un + un) batteurs. Comme dans l’Allman Brothers Machin, s’écrie le pervers fan de rock sudiste ? Pff, non, t’as rien compris, plutôt comme chez les Black Angels, si tu veux citer quelque chose d’à peu près comparable. Mais à quoi ça sert deux putains de batteurs, quand t’as un plug-in sur ton Mac qui peut te faire pareil que si t’avais les Tambours du Bronx à la rythmique ? ben à foutre la pression sur les autres et à pouvoir se balader dans des structures compliquées comme les affectionnaient les groupes de kraut (eh, oh le fan des Allman, pourquoi tu pars en courant ?). Car les Oh Sees ne cèdent à la facilité de ne contentent pas du minimum binaire de base comme leur petite notoriété pourrait les y autoriser, avec douze titres descendus dans les quarante foutues minutes ;
D’abord, des morceaux, dans « A weird exists » il n’y en a que huit. Autrement dit, on n’a pas chez le sieur Dwyer peur de s’installer dans la durée, de tirer toute la substantifique moelle d’une composition. Et à ce jeu, les quasi huit minutes de « Crawl out from the fall out » entamées par un cliquetis de cymbales, se terminent en une sorte de boléro lysergique que n’aurait pas renié Jason Pierce et ses Spiritualized. « Plastic plant » montre à quoi ça peut servir deux batteries qui dévalent le titre genre avalanche de fûts, essaient de se tailler une place au milieu de guitares hurlantes, et preuve que ce titre est également excellent, tout ce raffut n’arrive pas à masquer une mélodie de derrière les fagots.
John Dwyer se prend pour Angus Young (ou Chuck Berry)
Dans « A weird exists », on cause  et on fait de la musique. Et si y’a pas besoin de paroles, et ben on s’en passe, ce qui arrive dans la moitié des cas, sans que ça sonne une  seule seconde comme un revival electro ou un tentative de faire de l’ambient avec des guitares. On est bien au-dessus de ces viles comparaisons. Et on se retrouve avec les deux aspects extrêmes de ce genre de musique. D’un côté le ratatinage sonore obstiné à la Hawkwind (« Ticklish warrior »), et à l’autre aspect du spectre sonore une lente mélodie belle à pleurer (« The axis »), inspirée paraît-il par un baba entendu dans une rue qui avec un Clavier tout pourri joué à la Charlie Oleg reprenait pour les passants des titres de Hendrix. Un Voodoo Chile évidemment méconnaissable, en dehors du titre de la rengaine.
« A weird exists » est le genre de disques comme on n’hésitait pas à en faire au tournant des années 60-70, à une époque où l’on n’avait rien à foutre de notions de chapelle et de normalité. On mettait sur un disque une litanie de bons morceaux, et tant pis (ou tant mieux) s’ils ne se ressemblaient pas tous. Allez, s’il fallait un maillon faible à cette rondelle, je dirais que c’est « Jammed entrance » qui comme son nom le laisse supposer est un peu trop en roue libre tendance free jazz pénible (pléonasme).

« A weird exists » est le genre de disque dont Nagui risque pas de faire la promotion. Donc excellent.


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THE MYSTERY LIGHTS - THE MYSTERY LIGHTS (2016)

Children of Nuggets ...
Et la lumière fut avec les Mystery Lights … Ouais, je sais, c’est pas rien de commencer une chroniquette en paraphrasant Dieu, mais pour une fois y’a de quoi sortir la brouette à superlatifs.
Et d’abord, c’est qui, les Mystery Machins, se demandent mes armées de lecteurs. Euh, à vrai dire, j’en sais rien, et là, à brûle-pourpoint, sans copier sur le livret, je suis bien incapable de vous dire comment ils s’appellent ces gugusses et de quel bled des Zétazunis ils viennent.
Ce que je sais, c’est qu’ils sont tout jeunes, que cette rondelle est leur première et qu’ils l’ont enregistrée au studio Daptone, du label du même nom. Bon, pour ceux qui ont tout juste le niveau maternelle supérieure en classic soul, Tonton Lester vous explique, et ouvrez grand vos orifices (mais non, pas tous, rien que les oreilles, z’êtes pénibles, les filles …), y’aura interro là-dessus un de ces quatre. Daptone, c’est une bande d’azimutés revivalistes qui entendent balancer aujourd’hui des disques de soul comme on faisait chez, au hasard, Stax, y’a cinquante ans. Entendre par là, qu’il y a des chanteurs ou chanteuses dignes de ce nom au micro, des vrais types qui les accompagnent en jouant de vrais instruments, le tout enregistré avec un soin maniaque sur des consoles analogiques d’époque. Autrement dit, les artistes Daptone (figure de proue Sharon Jones, bien 70 balais), ils ont le putain de son qui te fait frissonner, on n’est pas exactement dans le registre de la pétasse ondulant du croupion, avec Cubase, Bandcamp, ProTools et AutoTune qui moulinent les octets derrière…

Ceci posé, les Mystery Lights sont une erreur de casting totale, une aberration au pays des revivalistes soul maison. Ces cinq corniauds, ils sont à peu près aussi soul que Bruno Lemaire (vous savez, le mec à tronche de bedeau premier de la classe, qui pense avoir des idées jeunes parce qu’il fait du Sarko light ou du Juppé version ado, et qui s’imagine être le Obama ou le Kennedy normand que nous attendons tous, si tu savais la gamelle que tu vas prendre face au vieux briscards, tu retournerais sous les jupes de ta cousine pour avoir une idée de l’origine du monde, mais bon, je pars en vrille là, on va se calmer …). J’en étais où là ? Ah ouais, la soul et les Mystery Truc.
Ben hormis par moments la voix du chanteur (ils ont pas dû le laisser partir comme çà, deux prises et c’est bon c’est dans la boîte, ils ont du le torturer longtemps) qui fait « passer des choses » dans son gosier, même s’il se cantonne au registre du shouter un peu limité, les Mystery Chose, ils sont pas soul pour deux sous.
Je vous parie la vertu d’une congrégation de bénédictines que leur disque de chevet, c’est la compile Nuggets assemblée par Lenny Kaye en … 1972, et qui repiquait tous ses morceaux entre 65 et 67, dans un genre devenu plus tard dans les livres le rock garage. Entendez par là tous ces boutonneux américains, traumatisés par tout ce qui venait d’Angleterre (les Beatles d’abord, ensuite tous les Stones, Who, Kinks, Pretty Things, Them and so on …) et qui s’escrimaient à les imiter, le plus souvent assez gauchement (suffit de fouiller un peu dans les multiples compilations parues depuis pour s’apercevoir qu’il n’y avait pas que des cadors du binaire énervé) tous ces crazy rhythms britons. Quelques-uns avaient des hits locaux (les Seeds avec « Pushin’ too hard », d’autres ont écrit un de ces titres devenus mythiques des lustres plus tard (le « Psychotic reaction » du Count Five), d’autres n’ont été célébrés que plus tard (les meilleurs de tous, les Sonics, ne sont pas sur le double vinyle original), et constante pour tous, aucun de ces groupes n’est devenu riche et célèbre.

C’est un peu ce qui pend au nez des Mystery Lights. Parce que parmi tous ceux qui donnent dans le « Nuggets style », j’ai rarement entendu un truc aussi cohérent, méticuleux, maniaque. Du travail d’orfèvre, à mon avis nettement mieux que tout ce que les groupes originaux ont sorti en vinyle. Un peu comme ces moines copistes du début du Moyen-âge qui retranscrivaient des bouquins religieux en les enjolivant, faisant de récits plan plan des œuvres d’art. Les Mystery Lights livrent quelque chose d’entendu trois milliards de fois et pourtant avec ce petit plus qui fait la différence, les fait sortir du troupeau (merci Daptone …). En à peine plus de demi-heure et onze titres, la messe sixties est dite. De la courte intro instrumentale fuzzy en accélération permanente à la rave-up finale de « What happens … », y’a pour moi rien à jeter. Avec même peut-être bien un futur classique des compiles garage des années (20)50. Ça s’appelle « Melt », ça dure deux minutes et trente neuf secondes, c’est un dragster sonore surpuissant, basé sur un riff copié-décalqué sur celui de « The witch » des Sonics, ça s’achève avec des faux grésillements de vinyle en bout de piste et ça sonne instantanément comme un classique … que vous entendrez certainement jamais sur les ondes de radio, trop occupées à passer en boucle les derniers remugles sonores de … pff, y’en a tellement de ces tocards insupportables qu’on entend partout …
Les Mystery Lights revisitent avec un talent, une grâce et une énergie peu communs tout le catéchisme des sixties underground. Pas de baisse de régime, même pas un titre juste quelconque. Ils ont décidé d’être excellents, et ma foi, pourvu que ça dure. Du « classique » « Follow me home » et sa pédale fuzz sur onze, à la pop (très rock) de « Whitout me », à l’hymne pour les stades dans lesquels ils ne joueront très certainement jamais (« 21 and counting »), au Iron Butterfly style (le côté crétin balourd ravi en moins) « Too tough to bear », on se surprend à taper du pied pour battre la mesure et avoir envie après chaque titre d’appuyer sur « replay »…

Bon, allez, je vous laisse, je vais me le remettre ce Mystery Lights …


KING GIZZARD & THE LIZARD WIZARD - PAPER MACHE DREAM BALLOON (2015)

Etonnant ...
Cette bande pléthorique d’Australiens azimutés s’était signalée à l’attention de ses semblables l’année dernière avec le déglingué « I’m in your mind fuzz », tout un programme en soi et ode à la saturation répétitive (mais pas que). Arrivés à un tel point de non-retour sonore, on voyait pas très bien où le leader Stu McKenzie pourrait amener sa troupe (en HP ? au cimetière ?).
King Gizzard & The Lizard Wizard 2015
Bon, apparemment, ils doivent moins se défoncer que ce que ce disque laissait supposer, parce qu’ils sont encore là, et en état de marche … les plus ronchons diront qu’ils ont mis de l’eau dans leur shilom et ils auront raison. Ceci étant, on a également vite fait le tour des gimmicks à gratte saturée version psyché. Non, là, les King Machin ont fait un truc pour le moins inattendu. Un disque entier plein de chanson(nette)s de folk peinturluré (tendance late 60’s, parce que chez ces gens-là, Monsieur, on ne change pas de période de référence comme on change d’avis sur une vague question de déchéance de nationalité, y’a des principes dans la vie, et les Magiciens Bidule en ont).
Curieusement (enfin, pas tant que ça, y’a du talent chez ces types ou du moins chez leur leader), le résultat ne sonne pas aussi pénible que Devendra Chose ou le Tyrannosaurus Rex du Bolan des débuts. Pas non plus aussi casse-burnes que du Jethro Tull … Eh, pourquoi il cite Jethro Tull, ce con, se demandent mes légions de lecteurs assidus. Ben figurez-vous mes agneaux que le Stuart McKenzie dont au sujet duquel j’ai causé plus haut a appris à jouer de la putain de flûte et même s’il en fout partout, l’utilise d’une façon moins gavante que le héron éleveur de saumons Ian Anderson … pourquoi le héron se demandent etc etc …oh putain, faites chier, z’avez qu’à mater un Dvd des Jette-Rotules et vous comprendrez. Et n’allez pas croire que j’ai quelque chose contre Jethro Tull, non, pas du tout, c’est juste nul, mais je m’en tape, faut bien que les tocards aussi vivent, hein …
Quatre guitares, deux batteries, qui dit mieux ?
Bon, revenons à nos kangourous. Qui avec ce « Paper … » ont sorti un disque totalement bordélique. Et aussi totalement bien propre sur lui. Me demandez pas comment ils ont fait, le tout est qu’ils y sont arrivés. Tu t’attends à les voir se ramasser, et puis, tous leurs trucs brinquebalants, entre j’menfoutisme potache et traits de génie, tiennent étonnamment bien la route. Vous savez à qui ils me font penser ? Vous vous en foutez mais je vous le dis quand même. Ben à son Altesse Sérénissime, le nabot de Minneapolis, Prince himself dans les années 80 (ses meilleures), où il gambadait en toute nonchalance et décontraction de styles en styles au gré d’une poignée d’albums totalement différents et réussis (et pas seulement « Around the world … » son disque psyché à lui).
Et comme Prince, y’en a un (McKenzie ?) qui chante (sont plusieurs à se relayer au micro chez les King Machin) avec une voix de fausset, à laquelle il faut se faire, je veux bien vous l’accorder. Mais je m’égare. Non, en fait, je sais pas trop quoi raconter sur ce skeud.
Il est excellent, c’est tout. Avec des trucs très forts comme « Bone » (pop sous substances), « Paper Mache … » le titre (on dirait un inédit des Zombies), la gigue sautillante de « Cold cadaver » ( ? ) avec ses faux airs de rengaine à la Robert Palmer (« Everyday kinda people » ce genre), une sorte de rhythm’n’blues avec un jeu de piano très Jerry Lee lewis (« NGRI Bloodstain »), une ballade éternelle (« Most of what I like ») qui met les deux (oui, deux et pas dans le même genre que chez les foutus frangins Allman) batteurs en évidence. Jusqu’à un boogie (« The bitter boogie »), avec son riff dérivé de celui de « La Grange » donc quelque part de John Lee Hooker et sa séquence d’harmonica qui font penser à un bon titre de Canned Heat (si, ils en ont faits, faut pas s’arrêter à leurs statusquonneries de vingt minutes).

Evidemment, « Paper … » est pas en tête de gondole dans le Leclerc du coin. C’est pas non plus le disque du siècle. Mais c’est beaucoup mieux que … beaucoup de choses en fait …

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NEIL YOUNG & PROMISE OF THE REAL - THE MONSANTO YEARS (2015)

Dorian Gray ...
Un petit tour au Rock’n’Roll Hall of Fame des has-been, ça vous dit ? Vous savez, là où on trouve les cadavres de tous ces types morts (pas forcément physiquement), toutes ces superstars qu’ont pas sorti un bon disque depuis au moins vingt ou trente ans, les Bowie, Stones, Springsteen, Prince, Wonder and so on … Pourquoi cette balade gothique me direz-vous ? Ben pour voir si Neil Young ne s’y trouve pas …
Un cas à part, lui. Nettement plus vieux que la plupart des croûtons suscités, et qui s’est entêté à sortir de bons disques dans les années 60, 70, 80 et 90. Qui dit mieux ? Personne, même pas Dylan. Ouais, mais voilà, le bon Neil depuis pile vingt ans (le fabuleux « Mirror Ball » avec les tocards du grunge Pearl Jam, fallait le faire, sortir pareil chef-d’œuvre avec pareille ribambelle de pas bons …), n’était plus que l’ombre chauve de lui-même, on le voyait traîner ses larsens et ses rouflaquettes tombantes sur tout un tas de galettes qui sentaient la redite, le pilotage automatique et l’inspiration aussi sèche qu’un vagin de centenaire. A tel point que le seul truc qui ait fait illusion, c’était le soundtrack de « Dead man », tout en saturation et grondements guitaristiques, enregistrés live pendant que défilaient les images de Jarmusch. Problème, sans les images justement, ce truc est inécoutable …
Neil (Plus Très) Young 2015
Par contre, Neil Young avait quelque peu accentué son côté Don Quichotte, soutenant de plus ou moins bonnes causes, de plus ou moins catastrophiques candidats à la Présidence US (alors qu’il est Canadien, de quoi il se mêle, ce con ?), se lançant dans des combats épiques perdus d’avance. Comme sa dernière tocade, le Pono, iPod version hi-fi, censé grâce à un encodage (de mouches ?) novateur, donner un son qui déchire sa mère … alors que le brave Neil, t’écoutes ses disques, on est quand même assez loin du Pharell Williams sound, t’as le choix entre de la saturation et du folk acoustique, pas besoin de stéréo de la mort pour ça, mais bon, c’est Neil Young et ses croisades …
Plus haut fait d’armes, l’ancien Roi des Hippies s’était reconverti dans l’humanitaire social concerné, était devenu la  pierre angulaire du Farm Aid, ce téléthon musical annuel pour les paysans américains, encore plus mal barrés que les bouseux d’Europe, ce qui n’est pas rien. Et on le voyait chaque année depuis trente ans arpenter les scènes du Midwest en compagnie de Willie Nelson (prenez des notes, y’a des trucs qui ont leur importance) et John (anciennement Cougar, on ne rit pas) Mellencamp, vous savez le Springsteen campagnard, celui qui fait des disques (pas mauvais au demeurant) sur des petites villes et des épouvantails…
Et pourquoi il fallait que Young les soutienne les culs-terreux yankees ? Ben en gros parce qu’ils se faisaient niquer grave par toute l’industrie agro-alimentaire,  peu soucieuse d’environnement, de commerce équitable, de partage et autres balivernes de gauchistes révolutionnaires et surtout prompte à ramasser tout le brouzouf qu’on pouvait tirer de l’agriculture. Principale cible : la multinationale Monsanto (on y arrive … quoi, qui a dit enfin ?) qui fournit graines et semences et pesticides divers pour que tes mouflets ils se gavent d’OGM et pèsent deux cent kilos à quatorze ans … En fait, Neil Young, c’est un peu le José Bové de son continent, la guitare en plus et la pipe en moins …
Promise Of The Real
Et aux concerts du Farm Aid, Young découvre les fils de Willie Nelson, Lukas, leader et guitariste, et Micah (comme papa est de toutes les éditions, ça aide pour se faire connaître, népotisme quand tu nous tiens …) et leur groupe Promise of the Real. Un groupe qui casse pas trois pattes à un canard transgénique, mais qui assure d’après quelques extraits écoutés, le minimum syndical en termes d’americana sans imagination. On sait pas trop pourquoi, Neil Young convoque ces minots pour enregistrer un disque. « The Monsanto Years » donc. Le truc à gros sabots, le gros pamphlet, la charge incendiaire qui mange pas de pain, mais qui fait bien dans un CV, ou, vu l’âge du Neil, dans une prochaine épitaphe : « Il est mort guitare au poing, dénonçant les complots des suppôts du capitalisme sans frontière qui exploitent les autres, les ruinent pour s’en foutre encore plus plein les fouilles etc, etc … », alors que les mecs maintenant ils ont la flemme de se brosser les dents, ils achètent un bidule électrique qui leur bousille les gencives, tu parles s’ils vont se bouger pour faire la révolution … Et bizarrement, la rumeur enfle, prétendant que vous allez voir ce que vous allez entendre. Sauf qu’on me la fait pas, des retours du diable vauvert orchestrés par le buzz de vieux schnocks qui seraient meilleurs à 70 balais qu’à 25, y’en a chaque semaine. Et quand t’écoutes leurs rondelles, oh putain la misère …
Et plus par réflexe boulimique que par conviction, tu mets le skeud dans le lecteur, t’appuies sur Play … une intro folky électro-acoustique dont voudrait même pas Hugues Aufray(ses), tu te dis que cinquante minutes ça va être long et que comme il fait un putain de cagnard, vaudrait mieux aller chercher une mousse pour aider à tuer le temps. Sauf qu’au bout d’exactement vingt et une secondes, il se passe un truc, y’a la foudre qui sort des haut-parleurs. Un riff de brontosaure, hyper cradingue, saturé, une batterie aplatissante jouée par un mammouth en rut, un tempo rampant comme un crotale ébouillanté, la voix du Neil certes vieillie, breathless mais toujours reconnaissable entre dix millions. Et les neurones en surchauffe font clignoter des titres qu’on croyait à jamais disparus, des « Down by the river », des « Cortez the Killer », des « Hey hey my-my », des disques comme « Live rust », « Ragged glory », « Weld », « Mirror ball », … Ouais, carrément … Le Neil Young que j’aime is back, alive and very well. « A new day for love », il s’appelle ce titre inaugural de « Monsanto years ».
Un peu fatigué, quand même, le Loner
Et ça va durer comme ça jusqu’au bout. Sauf sur « Wolf moon », la ballade acoustique éternelle, comme tout le monde en pond, et Young particulièrement sur « Harvest » ou sa fausse suite « Harvest moon ». Et ce « Wolf moon » n’aurait pas dépareillé dans ces deux classiques, c’est dire son niveau. « The Monsanto Years » est à peine un peu moins bon que « Ragged glory » (parce 70 balais le Neil, parce que Promise of the Real c’est pas Crazy Horse, que Lukas Nelson c’est pas Whitten ou Sampredo, et que moi aussi j’ai plus vingt ans …). Il y a des choses raisonnablement inenvisageables ou qu’on croyait maintenant inaccessibles à Young, cette colère électrifiée tous potards sur onze, ces coulis de distorsion, ces duels épiques de guitare, ces slogans braillés rage aux tripes. Des titres comme « People want to hear about love », « Workin’ man », « Monsanto years»,  sont proprement exceptionnels et « A rock star bucks a coffee shop », avec son refrain à limite de la rupture et son irrésistible gimmick sifflé est un des dix meilleurs morceaux que Neil Young ait jamais écrit. Et ne me dites pas que j’exagère, c’est brothers and sisters la putain de vérité vraie …

Disque de l’année, au moins …


Du même sur ce blog :

JACCO GARDNER - HYPNOPHOBIA (2015)

The constant Gardner
Son premier skeud, « Cabinet of curiosities » en 2013, avait rehaussé le niveau affligeant des années 2010. Le type totalement dans son truc, reprenant les choses là où les ténors de la pop psyché des 60’s les avaient laissées, et une collection de putains de chansons comme il n’y en a pas deux poignées de contemporains qui savent les torcher.

Le petit prodige néerlandais avait laissé entendre que faire des disques c’était pas trop son truc, qu’il préférait bidouiller en studio, et pourquoi pas pour les autres. Heureusement, y’a que les corniauds qui changent pas d’avis. Le Jacco a passé deux ans sur la route et sur les planches et nous sort maintenant ce « Hypnophobia » (la phobie du sommeil, dans la langue de Florent Pagny). « Cabinet of curiosities », c’était estampillé 66-68. Logiquement, deux ans plus tards, Gardner se retrouve en 1970. Et de ses périples all around the world, il a du entasser une collection de synthés vintage, car ce sont eux qui dominent « Hypnophobia », et particulièrement le Mellotron. C’est pas vraiment une surprise, on avait compris que le garçon était fan ultime des Zombies, dont le chef-d’œuvre maudit « Odessey & oracle » peut être vu comme une brochure commerciale au dit Mellotron.
Mais autant « Cabinet … » était une collection de chansons de structure « classique », autant « Hypnophobia » va plus loin. Gardner semble vouloir dépasser le format chansonnette (deux titres sont des instrumentaux, et les lyrics de quelques autres doivent tenir sur un timbre-poste) pour s’attaquer au concept de climat, d’ambiance. Tout en évitant le piège du funeste prog qui pointe ses gros sabots dans ces cas-là. Exercice de style casse-gueule. Et réussi.
On retrouve les fondamentaux du bonhomme. La pop cafardeuse, le folk-rock mélodique. Autant ils étaient l’essence du premier disque, autant ils ne servent que de trame – dont il s’extrait facilement – pour celui-là. Les Zombies sont toujours là, le Brian Wilson d’après « Pet sounds » aussi. Le bouffeur de space cakes Barrett itou, mais cette fois-ci, le Floyd sans lui affleure dans nombre de plages. Le Pink Floyd captivant de la fin des 60’s, en perpétuelle hésitation entre chansons et longues suites atmosphériques, celui en gros des disques « Meddle » et le soundtrack de « More », mais aussi par extrapolation, des relents du Gainsbourg de « Melody Nelson » (les cordes évanescentes, chez Gardner les machines ont remplacé les hommes) et de leurs imitateurs-disciples (le Air de « Moon safari » ou de « Virgin suicides, qui cumulent les influences Gainsbourg-Floyd).

« Hypnophobia », c’est un bloc, un pavé dans la mare, et en l’occurrence celle du Kevin Parker de Tame Impala, auquel on a souvent comparé Gardner. Bon, le gentil Australien envapé, reste sur le coup loin derrière à mon sens. Tout au plus pourra t-il se vanter d’avoir inspiré à Gardner sa coupe de cheveux.
Deux titres de « Hypnophobia » renvoient à un folk millésimé, le bon « Face to face » et le dispensable « Make me see » (moins de deux minutes, ça va, ça passe vite). Le folk sert de point de départ à « Brightly », mélodie de rêve comme savait en torcher Cat Stevens (avant que Mahomet lui bouffe les neurones), et puis le titre s’envole, porté par une fabuleuse progression instrumentale que n’aurait pas renié Brian Wilson (avant que le LSD lui bouffe les neurones). Un des sommets du disque.
Les autres ? « Find yourself », énorme single qu’on risque de pas beaucoup entendre sur NRJ, on dirait un inédit de la B.O de « More ». « Before the dawn » (huit minutes), c’est la pièce de bravoure du disque. Porté par une batterie très krautrock et une trouvaille mélodique entêtante au synthé, ce titre est d’une fausse simplicité, en perpétuel mouvement, décollage hypnotique assuré. « Hypnophobia » le morceau multiplie les trouvailles atmosphériques, et les temps étant ce qu’ils sont, pourrait passer pour le « Echoes » de son époque.
Avec ce disque, Gardner signe un superbe doublé et s’extirpe haut la main du piège souvent délicat du deuxième album. Comme en plus il sort de l’indie pur et dur (il est signé ce coup-ci sur PIAS, qui sans être une major est une structure « sérieuse ») et que s’exhiber sur scène ne le rebute pas, il se pourrait bien qu’il devienne quelqu’un qui « compte », dont on entend parler.

Pour une fois, ce sera mérité …

Du même sur ce blog :


COURTNEY BARNETT - SOMETIMES I SIT AND THINK, AND SOMETIMES I JUST SIT (2015)

Courtney ? Love !!!
On pourrait se poser plein de questions, du genre pourquoi tout ce barouf dans tous les médias spécialisés (ou pas) au sujet cette miniature australienne (comme si ça suffisait pas avec KyKylie Minogue, les chanteuses d’un mètre cinquante, talonnettes compensés comprises), en plus même pas canon avec son visage poupin et donc ses faux airs de McCartney with boobs. Surtout qu’elle est aussi charismatique, causante et souriante que le mime Marceau un soir de déprime … Moi je vois qu’une explication, c’est qu’elle a fait un putain de bon disque. Qui plus est dans un des genres les plus ringards et moqués aujourd’hui, le folk-rock.

Bon, remarquez je dis folk-rock pour dire quelque chose, parce que si quelqu’un voit la moindre similitude entre ce « Sometimes … » et les skeuds des Flying Burrito Brothers, je passe le reste de mes vieux jours à écouter en boucle l’intégrale de David Crosby. Courtney Barnett, c’est folk parce que ça raconte des histoires, souvent tristes (et personnelles, on sait plus à quel niveau on doit prendre le clown qui fait pas rire du clip de « Pedestrian at best »), c’est rock parce qu’il y a plein de guitares aux sons bizarres, trafiqués, plus proches de Sonic Youth que d’Yves Duteil (et celui qui pense Television a bien raison). La damoiselle cite dans ces interviews des gens éminemment respectables (Lou Reed et le Velvet, Billy Bragg, Neko Case, les Lemonheads, Wilco …). De plus elle a quelque peu gravité dans la galaxie des Dandy Warhols, a repris sur scène un album entier d’INXS (?!), et chante souvent (en fait scande plutôt) comme la Sheryl Crow des débuts, avant que l’Américaine tombe amoureuse de cyclistes dopés (pléonasme) et se la joue à plus de quarante balais bimbo flower-power, mini-jupes et tétons en avant … Autrement dit, Courtney Barnett, c’est pas monolithique, pas un gimmick qui tourne en boucle sur la durée du skeud. Ça part un peu dans tous les sens, tout en restant cohérent d’un bout à l’autre … pas exactement le genre de démarche facile à entreprendre, et encore moins à réussir …
On a quelquefois des machins qui rappellent le Beck (non, pas Jeff, l’autre, le scientologue) des débuts, quand il concassait et malaxait le folk avec des rythmiques proches du hip-hop (« Elevator operator », « An illustration … »), on trouve même à la fin un blues dénudé (la Courney et seulement sa gratte), ça s’appelle « Boxing day blues », et ça sonne surtout pas comme la Tracy Chapman soporifique de l’autre siècle.

La petite australienne s’aventure même dans des titres de sept minutes. Le premier (« Small poppies ») est une ballade qui commence sobrement avant qu’un crescendo de guitares (Barnett ? parce qu’il y a un autre type à la gratte dans son band) y mette un peu d’électricité tordue. Le second titre étiré (« Kim’s Caravan ») m’a tout l’air d’un jeu de pistes musical, où l’on passe de murmures d’instruments dans une ambiance glaciale et dépouillée, voix à la Nico, avant qu’arrivent des guitares lancinantes à la Lou Reed ou Sonic Youth (« Kim » pour Kim Gordon ?) et un final en lourd et lent déluge électrique façon doom metal (« Caravan » pour « Planet Caravan » de Black Sabbath ?).
Mais on trouve aussi plein d’autres choses dans ce skeud au titre en forme d’hymne à la fainéantise. Et du rock, tendance ‘n’roll qui dépote. « Aqua profunda ! », on dirait même du pub-rock tel que le servaient chaud Feelgood ou les Inmates. « Dead fox », on jurerait un tribute aux guitares toute particulières dont FatBob Smith tartinait les disques de Cure, « Debbie Downer », avec son gimmick fabuleux d’orgue vintage (Vox ?), ça fait ressurgir les oubliés amerlos du Paisley Underground, plus précisément les Bangles des débuts (« Going down to Liverpool », ce genre). Avec « Nobody really cares … », on se demande si la petite Barnett ne connaît pas Antoine (c’est les accords des « Elucubrations » avec un refrain façon la version de « Gloria » de Patti Smith), alors qu’avec le hit (ou qui mériterait de le devenir) de rock’n’roll lo-fi « Pedestrian at best », on a droit à une variante du riff de « All day and all of the night » des Kinks. Cultivée, la dame …

Putain que ça fait du bien des disques comme ça …


LEONARD COHEN - SONGS OF LEONARD COHEN (1968)

To old to rock ...
Cohen, c’est un cas un peu à part dans la musique des 60’s. Alors que la musique pour jeunes était faite par des gens de leur âge (le plus vieux, ce devait être Chuck Berry, mais vers la fin des 60’s, il était comme qui dirait passé de mode), Leonard Cohen s’attaquait aux hit-parades avec ce « Songs of … » à trente deux ans. Et alors que les cheveux poussaient jusqu’à la démesure et que les fringues se bariolaient exagérément, lui se pointait avec son look de clerc de notaire, son air de chien battu et ses stricts costards noirs. Conclusion : adeptes du glam-rock, Cohen n’est pas exactement un précurseur de votre musique favorite.
Quoi que pour être aussi rigoureux qu’un banquier qui calcule vos intérêts débiteurs, y’avait déjà eu le nom de Leonard Cohen dans les charts. Dans les crédits de « Suzanne », petit hit par l’oubliée Judy Collins, chanson qu’il avait écrite mais pour laquelle il n’avait pas touché un rond, ayant dû renoncer à ses droits pour se voir publié. Comme quoi, y’a pas que les niggas qui se font arnaquer dans le showbiz. Parce que Cohen, c’est un peu un accident sa carrière de chanteur. Il commençait à se faire un petit nom dans l’underground canadien (sa nationalité) et américain comme poète et écrivain.
C’est John Hammond qui le signera et lui fera enregistrer sa première rondelle, ce « Songs of … ». John Hammond, il peut être bon de le rappeler aux fans de M Pokora, c’est le type qui a découvert et signé quelques demi-sels comme Billie Holiday, Aretha Franklin ou Bob Dylan, excusez du peu. Un type qui avait un peu l’oreille quoi. Un peu aussi le sens des affaires pour son label Columbia. Parce que chez Columbia, en 1968, on était un peu dans l’expectative rayon folk. La star maison incontestée du genre, le sieur Dylan se remettait entouré de musiciens au look de paysans mormons (The Band) d’un soi-disant accident de moto. Et à une époque où faire paraître deux trente-trois tours par an était la norme, le Zim était silencieux depuis plus d’un an. Et même si le talent de Cohen se suffit, la semi-retraite du Zim n’est certainement pas pour rien dans sa signature chez Columbia et les moyens assez conséquents mis en œuvre pour en faire la nouvelle « rock-star » du folk…
Rare : l'artiste hilare ...
Même si Cohen, c’est comment dire … Ardu … Faut se motiver avant de l’écouter, quoi. Pas exactement les chansons qu’on entonne à la fin d’un repas de chasseurs … Et puis faut faire l’effort de pas se contenter de quelques machins connus et plus ou moins radiophoniques des 80’s (« First we take Manhattan », ce genre). Cohen, pour l’écouter à son meilleur, faut le prendre aux débuts, avec « Songs of … » et son quasi siamois « Songs from a room ». Parce que chez Cohen, Môssieur, y’a du texte. A peine un peu moins elliptique et énigmatique que chez Dylan, c’est-à-dire qu’à moins de Bac+10 en anglais, Cohen, c’est souvent aussi clair que du bouillon de légumes.
Mais Cohen, bizarrement pour un littéraire pur et dur, a un sens de la mélodie assez extraordinaire. Les chansons de Cohen, pour musicalement squelettiques qu’elles soient, elles sont évidentes. Il y a sur ce premier disque trois bombes mélodiques qui sont trois classiques folk. Sa propre version de « Suzanne », depuis reprise par des dizaines de gens plus ou moins ténébreux et mélancoliques (cas type, Bashung). « Sisters of Mercy » religieuses ou prostituées, allez savoir, mais qui servira de nom de baptême au groupe gothique caricatural d’Andrew Eldritch dans les 80’s. L’échevelée (dans le contexte du disque) « So long, Marianne » dans laquelle Cohen se lâche, allant jusqu’à chanter (juste) et mettant une batterie sur le devant du mix, ou pas loin.
Parce que faut préciser que les disques de Cohen, c’est pas exactement de la sunshine pop chatoyante. De la guitare acoustique pleine d’accords compliqués qui sonne comme un piano, y’en a partout. Et puis, un peu comme chez Simon & Garfunkel, par touches infinitésimales, quantité d’autres instruments, venus plus souvent de la musique de chambre ou classique que du rock basique. Mais faut tendre l’oreille pour les écouter, et quand par hasard ils sont mis en avant (quelques notes de guitare saturée dans « Master song »), ils font l’effet d’une déflagration. Une des autres trademarks indissociables de Cohen, c’est aussi ces chœurs virginaux ( ? ) éthérés, qu’il a fini au long des disques à mettre trop en avant pour cacher ses faiblesses vocales mais qui là tombent juste où il faut quand il faut et rajoutent cet aspect de mélopée céleste qui fait toute la beauté de ses premiers disques.
Parce que oui, les premiers disques de Cohen sont beaux, semblent régis mathématiquement par cette pureté et ce dénuement mélodiques souvent imités et bien peu égalés. La démarche sera la même sur le suivant (« Songs from a room »), encore plus engoncé dans son austérité rigide, ce jusqu’auboutisme décharné qui malgré tout en fera, quelque peu à son corps défendant, une « star » du rock.

« Songs of Leonard Cohen », c’est d’entrée une pièce maîtresse de Cohen. Qui elle n’a pas pris une ride…

Du même sur ce blog :


No Pasaran !

Lettre persane

 

I will survive (et 1 et 2 et 3 zéro …)

 

Ma chère Roxane,

Mon périple m’a conduit en ce 11 Janvier 2015 dans cette bien étrange bourgade française qu’est Paris. Je me suis retrouvé dans une foule énorme, agitant force drapeaux et battant le pavé. Comme c’était impossible de les compter tant ils étaient nombreux, on a dit qu’ils étaient 2 millions, ça au moins c’est du chiffre qui a de la gueule. Tu connais mon attirance pour le ballon rond, j’ai pensé que la France avait gagné la Coupe du Monde organisée au Qatar. Un autochtone auprès duquel je m’enquérissais  du score, me dit que non, pas du tout, il ne s’agissait pas de football. C’est dommage, cette compétition sera sans doute un grand spectacle, une magnifique vitrine pour l’exposition au monde des mirifiques pratiques locales, et l’on peut rêver de voir dans le rond central à la mi-temps des matchs  quelques mains coupées aux maraudeurs locaux, ou quelque concours de lapidation pour épouses infidèles. Quand le sport désintéressé et une évolution sociale hors pair se rencontrent, ce ne peut âtre que grandiose … Mais je m’égare (et je pourrai m’égarer encore plus si j’en venais à causer de ce à quoi sont utilisés les pétrodollars qataris en matière de financement de groupuscules islamistes ayant peu à voir avec le kop de Boulogne …)

Mon voisin m’apprit que la France se trouvait réunie dans les rues dans une sorte de sursaut national après avoir connu pendant les jours précédents une vague d’assassinats visant dessinateurs, journalistes, policiers, clients de supérette, et quelques autres quidams ayant eu le malheur d’être au mauvais endroit au mauvais moment. Les troupes de Robocop locaux ayant réduit en charpie les trois illuminés (enfin façon de parler, y’avait pas de lumière à tous les étages chez eux) responsables. Lorsque je lui demandai les raisons de ce carnage, il me dit que les premiers tués l’avaient été parce qu’ils avaient moqué par leur caricatures le Prophète, le dieu de leur religion. Quelle ne fut ma surprise de savoir qu’en France, ce pays  qui avait inventé le seul idéal révolutionnaire méritant l’exportation résumé par le triptyque Liberté Egalité Fraternité, il existât encore des gens pour le fouler au pieds et le rejeter à grands coups d’armes de guerre automatiques dans ta face, chien d’infidèle …

Emportés par la foule qui nous traîne nous entraîne écrasés l’un contre l’autre, je me glissai donc avec mon guide de rencontre dans cette folle sarabande . Il m’expliqua tout ce qui était arrivé dans la semaine, toute cette émotion, cette crainte et cette colère qui se déversaient maintenant en un immense défilé de fierté unitaire. Que ce pays est donc un beau et grand pays me dis-je. Quelques menus détails attirèrent mon attention. Des cars de policiers passaient, applaudis par le peuple. Qu’avaient donc fait de particulier ces gens-là ? Leur travail me répondit mon ami. Ce doit être une coutume locale, je ne manquerai pas quand j’irai au café ou au supermarché d’applaudir le serveur et la caissière.

A moment donné, il ne fut plus possible de bouger. Une troupe nombreuse et lourdement armée encadrait un carré de personnages que je devinais importants. Il y avait là le Président français Hollande, d’autres grands chambellans de différentes nations, tous plus célèbres et importants les uns que les autres, les plutôt fréquentables devant, les autres derrière. Je ne vis pas Poutine ou Medvedev, mon voisin me précisa qu’ils n’aimaient pas trop être là quand on parlait de liberté (d’autres aussi s’étaient fait porter pâles, et pas seulement le nord-coréen …), mais qu’ils avaient été bien présents tout au long de la semaine, l’arsenal des forcenés étant surtout made in Russia … Mais chut, fallait pas le dire, la France vend aussi beaucoup d’armes. Il y en avait un qui avait l’air plus protégé que les autres, c’était l’Israélien Netanyahou, digne héritier d’une vieille famille de bouchers-charcutiers. C’est peut-être pas tout à fait sa faute, on l’a foutu lui et son peuple dans un pays créé de toutes pièces au milieu de ses ennemis millénaires. Comme ça, on est sûr que les marchands de canons seront pas au chômage, merci Yalta …

Netanyahou, c’était la star de la journée. Peut-être pas le playboy de l’équipe (fallait voir Renzi et Cameron faire les beaux, par contre Angela était toujours aussi peu euh… canon), mais le meilleur communicant, ça c’est sûr. Mon ami m’expliqua que c’étaient des Juifs qui avaient été pris pour cible le troisième et dernier de ces tristes jours. A mon grand étonnement, parce que je m’imaginais naïvement que dans une République laïque, on était Français avant d’être juif, ou musulman ou chrétien, ou athée, et que c’était l’individu qui primait sur sa religion. N’y avait-il pas quelque joueur de ping-pong parmi les victimes, pour que la communauté des pongistes puisse crier à la persécution ? Mon voisin me prédit même (il n’était donc pas éditorialiste) qu’on en viendrait bientôt à plus parler de ces quatre-là et de leur religion stigmatisée que des premières victimes qui étaient le postulat de départ ce cette série d’abominations. Mais qui étaient donc ces Charlie demandai-je ? Une bande de plutôt anars rigolos, amateurs de vannes en dessous de la ceinture et de canons (de rouge), et qui avaient décidé que comme la liberté, ils n’auraient pas de limites et surtout pas celles que voudraient leur imposer les bien mal pensants de tout acabit. Ils représentaient l’essence même de la République et de la laïcité et ils sont morts pour ça … et maintenant tous les calotins avec des siècles de sang versé à  cause de leurs croyances sur les mains, rejoints par tous les hypocrites sécuritaires de tout poil voudraient placer leurs putains de dieux au cœur de cette affaire, et faire que ces types qui sont morts pour défendre une liberté majuscule de leur vivant seraient maintenant un prétexte pour un tour de vis sur nos petites libertés à tous, un Patriot Act à la française ?

 Je vous le dis, ma chère Roxane, il a dans cet étrange peuple cosmopolite bien des raisons de désespérer. J’en ai pourtant vu une d’espérer. Il y avait au milieu de cette foule une gamine black et musulmane qui chantait à gorge déployée la Marseillaise. C’est les Messieurs-Dames que l’on voyait fiers comme des coqs ceints de leurs écharpes tricolores, qui ont maintenant la responsabilité de la faire grandir heureuse au milieu de tous. La balle, si l’on peut dire, est dans leur camp … Qu’ils essayent d’être à la hauteur des espérances, une fois dans leur vie, ça pourrait être ça, le changement … Sinon, les inventeurs du Moyen-âge, comme disait un de leurs bouffons majeurs du siècle dernier, auront gagné …


TY SEGALL - MANIPULATOR (2014)

La relève ?
Ty Segall, la tarte à la crème de la critique rock, tendance « c’était bien mieux avant ». L’Espoir majuscule de ceux pour qui toute forme de musique qui vaille d’être écoutée est parue avant 1980. Cela commence à faire quelques années que son nom circule, et que les éloges pleuvent sur son œuvre. Alors que ce jeune gars de vingt sept ans (gaffe, mec, c’est l’âge fatidique pour rentrer dans la légende les deux pieds en avant) a un parcours pour le moins déroutant.
Brian Eno période Roxy Music ? non, Ty Segall
Des disques en veux-tu en voilà qui partent dans tous les sens, des projets parallèles innombrables. Avec comme terrain de jeux la scène indie-garage-machin de San Francisco qui gravite autour de la figure tutélaire de John Dwyer, le leader des (entre mille autres) excellents Thee Oh Sees. Aux dires de ceux qui suivent Segall dans ses pérégrinations ininterrompues, y’a chez lui de la qualité qui a besoin d’être canalisée. On passe du folk introspectif au rock heavy psychédélique tendance Blue Cheer (un de ses derniers projets, le « groupe » Fuzz, tous larsens et comme son nom l’indique pédales fuzz en avant, dans lequel Sygall est batteur, alors que d’ordinaire il chante et joue de la guitare). Et comme il est sur de petits labels et semble peu préoccupé par tout ce qui touche à la « gestion » de sa carrière, le bonhomme semblait se confiner à une célébrité ne dépassant pas le bouche à oreille entre « initiés » et s’en contenter.
Il semblerait que Segall ait avec ce « Manipulator » décidé de passer la vitesse supérieure. Sans toutefois se vendre au music business. Le disque paraît sur le label de Chicago Drag City, étiqueté « indie-rock expérimental », et il m’étonnerait fort que l’objectif marchand soit de rivaliser avec Rihanna ou Kanye West. Ceci posé, « Manipulator » est un disque ambitieux, qui entend reprendre les choses là où les grands dinosaures des seventies les avaient laissées. A savoir qu’à cette époque, pour passer un palier supplémentaire et définitivement assoir sa légende, le truc à faire c’était le double album. Des Who aux Stones en passant par Led Zep, c’était l’exercice obligé. On fera pas à Segall l’injure de le comparer à ceux-là (même si les doubles des Who, qu’ils soient des 70’s ou pas, on peut pas dire que … bon, vous avez compris), et lui-même, qui me semble pas trop con, ne s’y hasarde pas. Mais y’a de çà, comme des airs de « Physical graffiti », difficile d’esquiver la comparaison … même s’il serait vain d’essayer de trouver dans « Manipulator » quelque chose qui s’apparente à « Kashmir », « Custard pie » ou « Houses of the holy ».
Kurt Cobain unplugged ? Non, Ty Segall
Même si « Manipulator » est un disque à guitares. Mais aussi, et c’est chose assez rare pour être souligné, à chansons. Si, si … des titres courts, nerveux, mais « construits », avec des couplets, des refrains, des ponts, des solos, des gimmicks décoratifs, et ingrédient indispensable, des mélodies mémorisables sinon mémorables. Parce que des murs de feedback, les quatre premiers cons venus avec les cheveux dans les yeux sont capables de faire (voir tous les grungeux des 90’s et leurs descendants). Mais aligner 17 titres et faire en sorte qu’on commence pas à bâiller à partir du quatrième, c’est peu commun par les temps qui courent et Segall y parvient. Je sais pas si son disque sera cité comme un de ceux qui ont compté dans le rock (enfin si, je me doute un peu qu’il sera moins célébré dans les siècles qui viennent que – au hasard – le « Double Blanc »), mais là le Segall a sorti un truc comme il en sortira pas des quantités dans l’année.

Il y a dans « Manipulator » des choses variées sans que ça sonne auberge espagnole sonore. Parce qu’il y a une unité de son d’abord (une ambiance rétro-seventies de bon goût), parce que délibérément, c’est la guitare au cœur de tous les titres (lucidement, le garçon n’entend pas se livrer à une imitation forcément risible de Page ou Hendrix). Et ensuite, comme un Lenny Kravitz qui aurait oublié d’être neuneu, c’est plein de clin d’œil, d’hommages plus ou moins distanciés aux « grands anciens », sans jamais sombrer dans la copie, la redite ou le mimétisme … Segall a fait un travail de fourmi (hein, que vous l’attendiez, celle-là, bon c’est fait), évoquant T.Rex (« The man skinny lady », The clock »), le krautrock (« The connection man »), les vieux dinosaures boogie (« The faker »), les Who de Tommy repris par Black Sabbath (« The feels »), le rock (folk ou pas) barbouillé de psychédélisme comme il en pleuvait dru il y a quarante cinq ans, tout le circus heavy hardos de la même période (avec même l’obligatoire solo de batterie, ici pour rire, du moins on l’espère, sur « Feel ») …
Seule concession à l’air du temps (enfin, l’air d’il y a dix-quinze ans), la batterie très hip-hop style de « Mister Main », et seule concession à ceux qui voudraient que pareil phénomène vende des disques, le très middle of the road « Stick around » qui conclue le skeud.
Mention particulière et félicitations du jury pour « Manipulator » le titre, qui en trois minutes fait alterner vieux synthés (ceux de « Who’s next » ?), guitares carillonantes à la U2 – Alarm – Big Country, solo tout en saturation et mélodie étrange. Un truc qui pourrait faire un single totalement zarbi à la « When doves cry » de Prince (1984, ce qui ne rajeunit personne, et surtout pas moi). Mention aussi pour « The hand » qui sur un seul titre fait défiler tous les plans qui ont fait la gloire et la fortune de Led Zep (l’atmosphère celtique, les riffs hardos et le passage acoustique).

« Manipulator », c’est le disque parfait fait par un jeune pour des vieux …