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THE WHO - WHO'S NEXT (1971)

 

Projet Lifehouse ...

S’il ne fallait garder qu’un disque des Who, pas besoin de réfléchir longtemps, c’est celui-là … Parce que c’est leur meilleur, bien loin au-dessus de tous les autres (des leurs, et aussi de pas mal de leurs concurrents). La faute aux années 60, qui privilégièrent longtemps les singles, et bien que les Who en aient sorti de fameux, comme ils ne se retrouvaient pas sur les 33 T, ceux-ci en pâtissaient … la faute à Tommy, cet opéra-rock mythique, mais boursouflé par des prétentions symphoniques et pompières (au moins une heure à jeter sur cette foutue rondelle), que le groupe s’entêtait à rejouer le plus souvent en intégralité sur scène …

La scène où pourtant ils étaient les meilleurs … mais le fulgurant « Live at Leeds », dont il existe autant de versions que de rumeurs sur ses lieux et conditions d’enregistrement a été partiellement « arrangé » en studio, et les Who ont manqué le rendez-vous avec l’Histoire à Woodstock, où se sont construites tant de légendes (« Woodstock est le pire concert que les Who ont donné de toute leur carrière » dixit Daltrey)… et tout cela, Townshend le sait et veut que son groupe frappe un grand coup. Il a un concept, un projet, une idée, celle de faire le disque de rock ultime. Qui ne serait que la partie émergée d’un iceberg où il est question de spectacle total, le groupe sur scène, une troupe de comédiens, et un film en arrière-plan centré également sur le groupe. Nom de travail du projet : Lifehouse. Qui sera a minima un double album.

Les Who à l'apéro chez Keith Moon

Dans le groupe personne moufte. Ni Daltrey, qui n’est que le chanteur des mots du Pete au grand nez, ni Entwistle, bassiste par définition taiseux, ni Keith Moon, trop occupé à bambocher pour s’occuper d’autres choses. Y’a juste un souci, enfin deux. Leur manager Kit Lambert, veut exploiter le filon « Tommy » jusqu’au trognon. Son but est d’en tirer un film, que modestement il compte réaliser. Faut juste trouver le pognon et les acteurs, pas grand-monde se bouscule, mais lui y passe tout son temps et veut que les Who s’impliquent toutes affaires cessantes dans son projet. Second problème, Townshend lui est complètement obnubilé par « Lifehouse », a la tête remplie des concepts fumeux, forcément fumeux de son précepteur-gourou indien Meher Baba, et l’estomac rempli de Rémy Martin qu’il ingurgite à doses pantagruéliques, ce qui n’aide pas à avoir les idées claires.

Contre l’avis de Kit Lambert, les Who investissent en Février 1971 un petit théâtre londonien (le Vic Theatre), où, trois soirs durant, ils vont jouer live les deux douzaines de titres de nouveau répertoire de Townshend, « Lifehouse », première approche du projet multimédia global conçu par Townshend. Lequel, détruit physiquement par la bibine, finit par sombrer psychologiquement. Lambert en profite pour reprendre la main, dresse le constat que ni « Tommy » le film, ni « Lifehouse » l’opéra-rock, n’avançant, il serait peut-être sage de revenir à quelque chose de plus simple, un disque des Who. Les meilleurs titres écrits par Townshend et déjà joués au Vic Theatre constitueront le nouveau Who. Durant le printemps 71, le groupe est envoyé au Record Plant de New York en compagnie de l’ingé-son et producteur Glyn Johns. Même si sur les crédits, il n’assure que la co-production avec les Who, Pete Townshend reconnaîtra plus tard que c’est Glyn Johns qui a fait la plus grosse partie du boulot. Et quel boulot !


S’il fallait définir comment doit sonner un groupe de rock sur disque, c’est « Who’s next » qui doit servir de référence. Une rythmique à deux têtes, la rigueur caoutchouteuse d’Entwistle vient en contrepoint du tabassage insensé de ses fûts par Moon, Townshend se multiplie aux guitares, tant électriques (Gibson Les Paul, Fender Stratocaster, Gretsch), qu’acoustiques. Car souvent perçu comme un disque violent, « Who’s next » comporte beaucoup de parties acoustiques, faisant encore plus ressortir lorsqu’ils surgissent les riffs dévastateurs. Et par-dessus tout ça, la voix de Daltrey qui n’a jamais aussi bien chanté et qui pose des parties vocales extraordinaires sur chaque titre.

La musique de « Who’s next » est en quasi-totale rupture avec ce que le groupe a enregistré jusque là. Finis les embarrassants errements opératiques de « Tommy », et au placard également tout l’attirail mod des débuts. Townshend ne se limite plus à l’Angleterre (les fringues et guitares floqués de l’Union Jack, de toutes façons sur ce segment difficile de faire plus british que les rivaux Kinks), pas plus qu’à la soul et au rhythm’n’blues américains qui avaient donné lieu sur leurs premières rondelles à quelques reprise pas toujours heureuses. Pour « Who’s next », Townshend se situe dans la lignée de ses plus grands titres (« My generation », « Substitute », « Pictures of Lily », « The kids are alright », « Happy Jack », …).

Février 71 : The Who live at Young Vic

Townshend a un vice caché. Il est estomaqué par les performances de Terry Riley, un des maîtres de la musique sérielle (ou répétitive selon l’angle selon laquelle on l’envisage). Il a tartiné à un doigt sur un synthé (l’ARP) une « pièce » de 9 minutes. Une partie de ce titre sera l’intro du disque sur le premier morceau « Baba O’Riley », référence transparente à ses deux « maîtres » Meher Baba et Terry Riley. Première minute plus qu’audacieuse pour les Who et pour l’époque, mais quand la batterie de Moon surgit suivie par une partie chantée fabuleuse de Daltrey, le tout servi par un son colossal, on sent que pendant presque trois quart d’heure il va se passer un truc … « Bargain » suit. Les Who ont enregistré 9 versions finalisées de ce titre. C’est la prise la plus électrique qui est retenue. Les gros riffs de Townshend sont joués sur une Gretsch, cadeau de Joe Walsh (du groupe proto hard James Gang, et futur Eagles). Démarche inverse pour « Love ain’t for keepin’ », où les grosses guitares hardos de la maquette sont remplacées par des parties acoustiques (comme du Led Zep celtique et lyrique, période « III »). Quatrième titre et « intermède » signé Entwistle « My wife », où le massif bassiste se taille la part du lion (piano, basse, trompette et chant). Un titre à des années-lumière du reste de l’album qui bizarrement s’y intègre parfaitement, respiration légère après un une première triplette tonitruante. La première face du vinyle original s’achève avec « The song is over », à mon sens le titre le plus ambitieux jamais écrit par Townshend (on oublie les bouses symphoniques de « Tommy »). Le groupe est renforcé par Nicky Hopkins au piano. Avec sa dizaine de « sections » tout au long de ses six minutes, c’est un titre injouable sur scène (les Who ne s’y sont jamais essayé), et c’est par sa construction le plus grand titre de prog jamais gravé, un monument dans la lignée du « 21st Century Schizoid Man » de King Crimson (ou du « Pet sounds » des Beach Boys).

Projet de pochette pour Who's Next

En retournant la galette, on débute par « Getting in tune » (avec toujours Hopkins au piano) qu’on pourrait prendre pour une gentille ballade quelconque avant que Moon défonce ses fûts et change radicalement l’optique du titre. « Going mobile » est le plus mauvais titre du disque (bon, il en faut un), il est juste excellent, avec ses airs de rave-up brouillonne. Et comme un grand disque doit tenir la route d’un bout à l’autre, les Who vont faire encore mieux. Deux de leurs quatre ou cinq meilleurs titres jamais gravés concluent « Who’s next ». « Behind blue eyes » est une balade ultime, commencée acoustique puis transfigurée par les riffs dévastateurs de Townshend. Au départ, ce titre devait être le premier single extrait. Ce single précurseur du disque sera finalement une version raccourcie de « Won’t get fooled again ». Single qui n’arrive pas à la cheville de la monstrueuse version de huit minutes et demie qui clôt « Who’s next ». « Won’t get fooled again » pour moi c’est peut-être bien le plus grand morceau de rock ever. Ecrit comme le contrepoint du mythique « My generation », c’est le dernier clou sur le cercueil des années soixante, on voulait tout changer, on s’est fait entuber, mais gaffe, vous nous baiserez plus. Une autre partie du titre sériel à l’ARP l’introduit, genre réplique-miroir de « Baba O’ Riley », avant que Moon et Townshend du haut de son meilleur riff viennent installer une puissance de feu croissante et inexorable pendant plus de six minutes. Quand les notes d’ARP reviennent, ne pas entretenir l’espoir qu’on se dirige vers un final pianissimo. La batterie herculéenne de Moon, le riff suramplifié de Townshend et un chant littéralement hurlé de Daltrey explosent à nouveau les haut-parleurs. Remarque toute perso, tant par sa durée que sa construction (même si le propos n’est pas le même), « Paradise City » des Guns N’Roses est le titre qui se rapproche le plus de « Won’t get fooled again ». Pas un hasard si ce titre est aussi de très loin le meilleur de la bande de à Axl Rose et Slash.

« Who’s next », évidemment il fallait l’avoir en vinyle. Enfin, pour ceux qui avaient la chance d’être ados dans les seventies, et donc le malheur d’avoir les cheveux blancs aujourd’hui (pour ceux à qui il en reste, des cheveux). Evidemment, outre les multiples rééditions en format d’origine (la mienne est un vinyle honteux de 78, pressage en 80 grammes), l’ère Cd a aussi pondu ses litanies de versions de « Who’s next » (bizarrement à ma connaissance, pas de « reconstitution officielle » intégrale du projet « Lifehouse », il vaut peut-être mieux, voir le cas d’école « Smile » suite mythique du « Pet sounds » de Beach Boys, qui quarante ans après sa parution initiale avortée, n’a pas bouleversé grand-monde). Une des meilleures rééditions Cd (gros son, bonus, livret instructif que j’ai pillé sans vergogne pour rédiger cette notule) est celle de 1995. Sept titres supplémentaires (du live au Vic Theatre, les premières versions de titres qu’on retrouvera sur des compilations et que les Who ont joué en public dans les seventies, des maquettes de travail) ont le mérite de prouver que le projet « Lifehouse » a bien fait d’être abandonné, un double ou un triple album à la place de « Who’s next » n’aurait pas eu le même impact …

Ethan Russell & The Who

Un mot sur la pochette. Initialement, ce devait être une photo de Keith Moon, pas à une pochade douteuse près, en travesti SM. Cette photo existe, elle a servi de support à des pubs dans la presse annonçant la sortie du disque. La photo retenue est quasiment accidentelle, et relève aussi d’un projet abandonné. Celui d’un pont devant supporter un axe routier, seules quelques bases de pilier avaient été érigées en pleine nature du côté de Durham (nord-est de l’Angleterre). Repéré lors d’un retour de concert, le groupe y est revenu avec le photographe Ethan Russell (l’auteur des quatre portraits de la pochette de « Let it be »). Beaucoup d’interprétations de cette photo ont circulé. Il semblerait in fine que personne n’ait uriné sur cette sorte de monolithe (juste de l’eau versée « artistiquement ») et que l’allusion à Kubrick et à « 2001, Odyssée de l’Espace » soit purement fortuite. L’idée de base était de retranscrire l’étrangeté de ce bloc de béton au milieu d’une cambrousse désertique … les idées venues lors de la séance de shooting ont fait le reste …

« Who’s next » sera le plus haut fait d’armes des Who. Et surtout leur dernier, les années 70 auraient pu leur appartenir, elles ne seront que le témoin de leur inexorable dégringolade artistique. Si « Who’s next » n’est pas a minima dans votre Top Ten, on risque de pas être d’accord …


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Sings My Generation

A Quick One 





LOU REED - TRANSFORMER (1972)

 

Englishmen in New York

Cela va sans dire, mais ça va pas plus mal en le disant. Le Velvet Underground, groupe crucial s’il en fut, c’est Lou Reed et les autres. Que ces autres s’appellent Andy Warhol, John Cale, Sterling Morrison, Nico, Moe Tucker, Doug Yule ou qui on voudra, ce n’est pas leur faire injure que d’affirmer que c’est Lou Reed qui a fait le plus gros du boulot, et que tous ces titres, devenus mythiques du Velvet, c’est lui qui les a écrits.

Reed & Bowie 1972

Lou Reed a eu beau démontrer qu’il avait du talent – beaucoup – il a aussi prouvé que c’était un mec pas très sympa, voire un sale con. Après son départ du Velvet (trois disques et les compos du quatrième), il a volé de ses propres ailes, signé en solo par RCA. Un premier disque éponyme sera une des pires ventes de la vénérable firme. Faut dire que le Velvet vendait très peu, quelle que soit son influence sur ses contemporains (« le premier Velvet s’est vendu à mille exemplaires, mais tous les types qui l’ont acheté ont monté leur groupe » dixit plus tard Brian Eno), Lou Reed n’était qu’un musicien pour musiciens, selon la formule consacrée.

Parmi ses fans, l’Anglais David Jones, rebaptisé Bowie. Qui dans l’été 72, triomphe (après des années de vaches soit maigres soit faméliques), avec son double extra-terrestre Ziggy Stardust, et porte au sommet des charts le concept musical de glam rock. Et maintenant qu’il a les moyens, il se propose pour donner un coup de main à tous les gens dont il est fan. Premier servi, Ian Hunter et son groupe Mott the Hoople à qui Bowie offre ce qui sera leur seul grand hit, « All the young dudes ». Par l’intermédiaire de sa maison de disques (RCA, ça tombe bien), Bowie propose de travailler avec Lou Reed sur son prochain disque. Va savoir pourquoi, le misanthrope Lou accepte (enfin, il a dû y avoir des pressions « amicales » du management et de RCA), et Bowie s’envole pour New York avec le titre de producteur de « Transformer », le prochain Lou Reed, non sans avoir glissé dans ses bagages son guitariste Mick Ronson (crédité comme coproducteur), et Ken Scott (assistant de George Martin période Beatles, producteur de « Ziggy Stardust », il sera seulement crédité du mixage de « Transformer », mais nul doute qu’il s’est beaucoup plus impliqué que ce que disent les crédits de pochette).


Il y a du boulot. A même pas trente ans, Lou Reed est déjà un has been. Il a certes des chansons en réserve, mais voir des rosbifs débarquer et s’occuper de sa « carrière », ça le fait pas sauter de joie. On imagine l’ambiance en studio et les séances houleuses. D’ailleurs, une fois le succès de « Transformer » certifié, il ne se privera pas pour épancher son fiel sur Bowie et son équipe. La routine …

Il est peut-être sorti pour le cinquantenaire du disque une version en quinze CDs et huit Blu-ray sur les sessions de « Transformer » (quand il s’agit de vendre pour la énième fois aux fans une rondelle mythique, tous les prétextes et arguments foireux sont bons) mais il suffit de la version Cd de 2002 avec juste deux « inédits » (les démos acoustiques de « Hangin’ ‘round » et « Perfect day ») pour voir qu’on était très loin du résultat final. Incontestablement, Bowie, Ronson et Scott ont énormément apporté.

Certains titres sont stricto sensu du glam-rock (« Hangin’ ‘round », calqué sur la reprise du « Round & round » de Papy Chuck Berry par Bowie, « Make up » traité comme les ballades du même Bowie, « Satellite of love » et son crescendo à la « Rock’n’roll suicide », « I’m so free » glam-rock ou plutôt rock-glam avec la guitare de Ronson très en avant). D’autres par contre sont du pur Lou Reed, le boogie monolithique de « Vicious », « Perfect day », réminiscent des balades du 3ème Velvet, la courte rigolade (enfin, rigolade et Lou Reed, vous imaginez le tableau, c’est juste souriant) « New York telephone conversation », et Goodnight ladies », voyage au bout de la nuit newyorkaise, comme une version interlope du « Il est cinq heures Paris s’éveille » de Dutronc. Ce dernier titre comme une sorte de contrepoint à « Walk on the wild side ».

Ah, « Walk … », le genre de titres comme on en écrit pas quatre dans sa vie (quand on s’appelle Lou Reed, pour quasiment tous les autres, ça relève du rêve …). Portraits croquignolets de tous les oiseaux de nuit qui hantent les rues mal famées de New York, les transsexuels (Holly et Candy Darling), les prostitués défoncés (Joe) ou les défoncées tout court (Jackie), une ligne de basse unique de Herbie Flowers (que Bowie recrutera lors de sa carrière américaine de 75-76), les mythiques vers « but she never lost her head, even when she was givin’ head », le tout pour un des plus improbables titres à avoir jamais atteint le haut des charts.


Ronson est très présent (plus même que chez Bowie), lui et le Ziggy font les chœurs, et le grand bonhomme du disque est la révélation Herbie Flowers qui magnifie « Walk … » certes, qui dirige « Andy’s chest » (hommage du bout des lèvres à Warhol), et joue de l’improbable tuba sur « Make up ».

« Transformer » est un disque quasiment parfait (un seul titre faible, « Wagon wheel »), avec sa pochette devenue iconique tant son recto (la photo « ratée » de Mick Rock, égarée parmi toutes celles qu’il présentait pour la pochette, c’est évidemment celle que le Lou a choisie) que son verso du photographe Karl Stocker (la mannequin anglaise Gala Mitchel et le pote de Reed Ernie Thormahlen avec sa banane dans le jean).

« Transformer » boosté par « Walk … », lancera la carrière internationale de Lou Reed, fera reconnaître tardivement le Velvet (le concert français de « reformation » avec Nico et John Cale l’année suivante). En 73 paraîtra l’autre grand classique de Reed, « Berlin », beaucoup plus sombre et glauque qui assiéra définitivement son statut de figure tutélaire du rock. Dès lors à l’abri du besoin, Reed pourra laisser libre cours à sa mauvaise humeur (pour être gentil) légendaire, faire paraître une litanie de disques où le très bon côtoie le sans intérêt, avant un ultime chef d’œuvre (« New York ») à la fin des 80’s …


THE CURE - PORNOGRAPHY (1982)

 

Au fond du trou ...

« Pornography », on l’a souvent décrit comme le dernier et l’aboutissement de la trilogie « glaciale », « cold » - appelez ça comme vous voulez de Cure, après « Seventeen seconds » et « Faith ». Ce qui fait sens, d’autant plus que les trois disques se sont succédé dans la discographie de la bande à Robert Smith. Sauf que ledit Bob Smith, qui est quand même aux manettes du groupe, voire Cure à lui tout seul, et qui prend souvent un malin plaisir à contredire tout le monde, considère « Pornography » comme le premier volet d’une trilogie se poursuivant avec « Disintegration » (1989) et se concluant avec « Wild mood swings » (1996). D’ailleurs il ira jusqu’à donner une série de concerts où il enchaînera en respectant leur tracklisting ces trois disques … ce qui bien entendu ne prouve rien … Si vous voulez mon avis (et même si vous le voulez pas je vous le donne), Cure a produit quatre disques « sombres », « Seventeen seconds », « Faith », « Pornography » et « Disintegration ». Ce dernier est le meilleur, insurpassable, avec pas loin derrière « Pornography ». Et « Wild mood machin » me susurre t-on ? Oubliez-le, il est pas terrible du tout …

Smith, Gallup & Tolhurst : The Cure 1982

En tout cas, en ce début des années 80, Cure n’est pas un groupe qui compte vraiment. Il a certes des fans, vend correctement du disque, mais rares sont ceux qui miseraient sur lui pour une « grosse » carrière. D’autant que Robert Smith, leader maximo, est un jeune type instable. Qui préfère faire des piges comme guitariste chez Siouxsie and the Banshees que s’occuper de Cure. De toutes façons, le garçon est un tristos voire pire, anxieux, angoissé, en proie au doute en permanence, et chez lui, c’est pas une façade pour faire gothique. Il ne se désinhibe qu’en picolant sévère et en se défonçant aussi sévèrement. D’ailleurs, les rumeurs prétendent (ne pas se fier à ce que dit Robert Smith, spécialiste des bobards face à la presse musicale) qu’il a hésité entre mettre en chantier « Pornography » ou se suicider. Ceux qui voient en filigrane apparaître la figure de Kurt Cobain n’ont pas tort. Sauf que l’un a supporté le succès beaucoup mieux que l’autre …


Décision est donc prise de se saouler et de se défoncer copieusement et de voir ce que ça peut donner musicalement. Smith réunit un Cure en formation réduite, lui, Simon Gallup à la basse et Lol Tolhurst à la batterie, ce que les fans du groupe considèrent comme la formation « royale » de Cure. Evidemment, parce que ce n’est plus à la mode et que Smith déteste le classic rock, rien à voir avec un power trio. Les trois (à tour de rôle ou ensemble) rajoutent des couches et des couches de synthés, triturent tous les sons, et ne cherchent pas à faire étalage d’une quelconque technique virtuose (que de toutes façons ils ne possèdent pas).

Bon, des disques sous substances, c’est pas ça qui manque. Ça peut donner de grandes et belles choses, et même dans ce cas, partir un peu dans tous les sens (cas d’école : « There’s a riot coming on » de Sly & the Family Stone », ou « Station to station » de Bowie). Ce qui frappe avec « Pornography » c’est son unité. Ce disque est tout d’un bloc, d’une homogénéité redoutable.

Les titres (il est difficile de parler de chansons) sont tous construits de la même façon. Un schéma rythmique (basse et batterie mates) immuable (pas d’intro, de couplets, de refrains, de ponts, de solos), des nappes lourdes de synthés en surlignage, des guitares distordues dénuées de tout aspect mélodique. Et par-dessus tout ça, Robert Smith qui hurle de façon monocorde dans les aigus. Le résultat est un son oppressant, sans le moindre répit. Déstabilisant et diversement accueilli à sa sortie, le disque deviendra une référence incontournable du rock dit gothique, surclassant ses inspirations (si l’on en croit Robert Smith, Siouxsie of course, et les martiaux Psychedelic Furs). Aujourd’hui cette descente aux enfers sonores est devenue un des incontournables de Cure et des années 80.


« Pornography » définit une fois pour toutes le vocabulaire de Smith. Les mots, rattachés à la souffrance, à l’obscurité, au mal-être, et autres états d’esprit pas vraiment joyeux reviennent comme des mantras au long des paroles (die-death, dark, night, pain, fall, blood, rain, sick, madness, …)

Musicalement, s’il faut en extraire quelques-uns de ce pavé, on citera l’introductif « One hundred years » qui donne la couleur de l’ensemble, le seul single extrait du disque « The hanging garden », sorte de surf music jouée par des trépanés pour des trépanés, annonciateur du Cure à (gros) succès à venir, « A strange day » qui malgré (à cause ?) une intro lourde et planante offre un peu de répit, avant que le morceau-titre vienne finir d’enfoncer les clous dans le cercueil, avec ses dialogues de vieux films surimposés, et une voix de Smith qui n’est plus que cris ou borborygmes étouffés, avant un final noyé dans l’écho, genre vortex qui engloutit tout …

Dépressifs s’abstenir … Un des deux meilleurs Cure, toutes époques confondues, et un disque à ranger à côté de « La joie de vivre » de Zola …


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THE MAMAS AND THE PAPAS - IF YOU CAN BELIEVE YOUR EYES AND EARS (1966)

 

Quand tous les rêves étaient permis ...

Les Mamas & Papas ont été précurseurs et chefs de file de ce sous-genre de la pop qu’on a appelé sunshine pop. (Epi)phénomène qui a eu son quart d’heure de gloire dans l’Amérique de la fin des 60’s, quand quelques petits malins (surtout producteurs) ont mélangé les aspects « positifs » du psychédélisme (« everybody needs somebody », ce genre de philosophie) avec la pop la plus « facile » (celle qui cartonnait dans les charts, genre Beach Boys ou Beatles). Les groupes sur lesquels tout le monde est à peu près d’accord pour les ranger sous l’étiquette « sunshine pop » s’épèlent 5th Dimension, Left Banke, Sagittarius, Turtles, Rascals, Grass Roots, Monkees, … Et les Mamas & Papas (même si c’est un peu plus compliqué, on va en causer), ne serait-ce que parce qu’ils ont écrit et chanté l’hymne définitif de la sunshine pop, « California dreamin’ ».

John & Michelle Phillips, Mama Cass Elliot & Denny Doherty

Bon, « California dreamin’ », en 2’30, c’est la plus belle et plus emblématique chanson des années 60. Et donc forcément suivantes, parce qu’on a perdu depuis la recette (dénigrés les auteurs-compositeurs parce qu’il fallait en plus être interprète, on s’est compliqué la vie avec des machins amphigouriques, on a déstructuré, on s’est focalisé sur le son et les arrangements, sans compter tous ceux qui ont pris le melon et se croyaient les Bach de la musique pour jeunes …). Enfin on a voulu faire compliqué quand par hasard on était capable de faire simple, une intro, des couplets, des refrains, un pont, et basta … « California dreamin’ » est écrite par John Phillips alors qu’il se gelait à New York et qu’il se disait que s’il arrivait à faire son trou dans le music business (il composait, chantait correctement, et gratouillait une guitare) il irait s’installer à Los Angeles. Tout ça tient en un couplet, le second fait une référence assez énigmatique à la religion. Le premier couplet est chanté par John Phillips, le second par Denny Doherty, Mama Cass Elliot et Michelle Phillips assurant les chœurs. Et au milieu du titre, une pointure du jazz, Bud Shank, vient signer le solo de flûte le plus célèbre de la pop. Ici, le lecteur fidèle se dit wtf, on y comprend rien, mais qui sont ces gens-là, pas de souci, lecteur fidèle, je te raconte tout le truc …

Au départ, le couple dans la vie John et Michelle Phillips. Lui, j’en ai causé au-dessus, rien à rajouter sinon que c’est une grande asperge ayant souvent la risible idée de se coiffer d’une toque en fourrure. Elle, c’est une des deux plus belles blondes des sixties (l’autre étant la cycliste Nico), tout juste bonne à filer un coup de main à son John pour composer un titre (elle est co-créditée pour « California dreamin’ » c’est son banquier qui est content) et assurer des chœurs feignasses (l’essentiel du boulot est fait par Mama Cass). Mais son principal intérêt ne réside pas vraiment dans ses dons musicaux, voir la vidéo plus bas lors d’un passage du groupe (en furieux play-back au Ed Sullivan show) difficile de la quitter des yeux alors que raide déf, elle oublie totalement le titre pour grignoter une banane, déplacer une phallique borne d’incendie factice, jouer avec un ballon aussi large que Mama Cass, mais qu’elle réussit à manquer quand elle veut lui donner un coup de pied. Grand moment de télévision psychédélique …


Donc le couple Phillips bricole dans le music business et accepte n’importe quelle session de studio comme choristes, et sait-on jamais, refiler à qui en voudrait bien une composition de John. Au gré de sessions, ils rencontrent un Canadien, Denny Doherty. Ce dernier appelle à la rescousse une de ses connaissances Cass Elliot, au fort tonnage et à triple menton, mais à la voix d’or. Les quatre décident de jouer ou plutôt chanter ensemble, et partent se mettre « au vert » dans les Îles Vierges américaines, d’où le gouverneur les expulsera (« pas de hippies chez moi »). Après avoir fait les chœurs d’un album oublié du non moins oublié Barry McGuirre, John (et Michelle) proposent au producteur Lou Adler la maquette de « California dreamin’ » qui tergiverse avant de signer les quatre pas vraiment fab. Comme ce couillon de John a refilé son titre à Barry McGuirre, celui-ci veut aussi l’enregistrer. Les deux versions sortiront à quelques jours d’intervalle et ce sont les tout nouveaux Mamas & Papas qui tirent les marrons du feu.

Evidemment, le malin Adler ne laisse pas retomber le soufflé et envoie sa bande des quatre en studio pour un trente-trois tours et somme John Phillips d’écrire d’autre hits. Ce sera chose faite avec « Monday Monday », et dans une bien moindre mesure « Go where you wanna go ». Une équipe de fines lames de studios est recrutée sous le commandement du batteur Hal Blaine, homme de base du Wrecking Crew, l’orchestre de Phil Spector, qui en quatre décennies de carrière aurait soi-disant battu la mesure sur plus de trente mille titres (!). Equipe réduite (pas la peine de faire du boucan, y’en a quatre au chant), avec P.F. Sloan (guitariste mais aussi compositeur, il amènera un titre), Larry Knatchel (piano) et Joe Osborn (basse). Le résultat sera ce « If you can believe your eyes and ears », dont au passage la pochette originale sera censurée. Pas à cause des quatre dans la même baignoire, mais à cause de chiottes en bas à droite, qui seront recouvertes d’une espèce de parchemin genre sticker annonçant les titres forts de la galette à mesure que ces titres grimpaient dans les charts. Par contre la mauvaise orthographe ("Mama's et Papa's") a perduré tout au long des rééditions.

Cachez cette cuvette que je ne saurai voir ...

A l’écoute des douze titres, on se rend compte qu’artistiquement, le maillon faible du quatuor est Michelle Phillips (de toute façon, elle a même pas besoin de chanter pour capter tous les regards). Son John de mari est un peu meilleur, mais moins bon chanteur que Denny Doherty, capable d’aller chercher des registres soul. Moins cependant que Mama Cass qui chante lead sur deux titres qu’elle sauve de la noyade (« Somebody groovy » et « In crowd ») et tire vers le haut « Hey girl » et son joli pont de basse.

Outre « California dreamin’ », l’autre gros succès du disque sera « Monday Monday », mélodie first class, harmonies vocales exceptionnelles, arrangements et pont mirifiques. Et pour assurer le coup, on va glisser quelques reprises. Et du lourd. « I call your name » est signée Lennon-McCartney. C’est un titre pré-Beatles de Lennon, qu’on ne trouve pas sur les albums officiels anglais, mais sur les américains et sur les compiles « Past masters ». Sous la houlette de Mama Cass, chanteuse principale sur le titre, ce morceau assez anecdotique dans sa version originale voyage du côté de la musique caraïbe et du jazz New Orleans. Au moins au niveau de l’original … « Do you wanna dance » du one-hit wonder Bobby Freeman est à la base un rhythm’n’blues sur un tempo rapide. Très souvent reprise (des Beach Boys aux Ramones en passant par Cliff Richard et Bette Midler), elle l’est quasiment toujours sur un tempo vif et entraînant. Les Mamas & Papas en donnent une version lente, genre fin de party désabusée. La meilleure version que je connais de ce classique. La troisième reprise, « Spanish Harlem » est aussi dans le trio des meilleurs titres de « If you can … » et pourtant, là aussi, c’est un classique moultes fois entendu. Dans sa version originale par Ben E. King, puis plus tard par Aretha Franklin, pas vraiment des premiers venus derrière un micro. Grâce à des arrangements de génie, là aussi, la meilleure version est celle des Mamas & Papas.

Après les sommets, la noyade ...

Qui ne se cantonnent pas à un registre qu’on pourrait qualifier de lounge si le terme avait existé à l’époque, témoin « Straight shooter » autre compo de John Phillips, sur un tempo nettement plus rock, en gros le meilleur titre que les Byrds imitant les Beatles avaient oublié de sortir. Malgré tout, il y a quand même une baisse de qualité vers le dernier tiers du disque, les morceaux sont moins marquants.

Le succès ouvrait grand les bras aux Mamas & Papas (prestation remarquée au Monterey Pop Festival l’année suivante). C’était sans compter sur le couple Phillips. Le John va se révéler incapable de composer de nouveaux grands titres. Enfin, presque. C’est le manager-producteur Lou Adler qui refusera que les Mamas & Papas enregistrent un de ses titres, préférant le refiler à un inconnu dont il voudrait lancer la carrière. L’inconnu, c’est Scott McKenzie, et le titre, évidemment, « San Francisco », hit galactique de 1967. Les Mamas & Papas, auront beau en sortir une belle version, c’est trop tard. Et l’inspiration de John Phillips va se tarir aussi soudainement qu’elle s’était révélée. Faut dire aussi que sa belle épouse va lui en faire voir de toutes les couleurs. Une première liaison avec Gene Clark (ex Byrds) va jeter un gros coup de froid pendant l’enregistrement du second album du groupe. Mise en bouche, osera-t-on. La suite va affoler les tabloïds. Elle quitte momentanément John pour Denny Doherty, ce qui entraînera de fait le split des Mamas & Papas, même si le groupe durera officiellement jusqu’en 1971. On retrouvera la belle Michelle mariée à la fin des sixties avec un autre cramé notoire, Dennis Hopper. Le mariage durera huit jours (un record qui ne sera égalé que par Axl Rose avec la fille d’un des Everly Brothers), avant que l’ex-Madame Hopper ne soit vue un temps au bras de Jack Nicholson … quand je vous disais que c’est le genre de blonde qui ne passe pas inaperçue …

« If you can believe … » est un polaroïd d’une époque, entre pop et psychédélisme. Totalement anecdotique pour une large majorité. Certes, mais rigoureusement indispensable tout de même …


KATE BUSH - HOUNDS OF LOVE (1985)

 

Le Mépris ...

« Tu les trouves jolis, mes hits ? », « Et mes ambiances celtiques ? », « Et mes titres expérimentaux, tu les trouves jolis ? » …

Oui, Kate, je les trouve jolis …

Mais comme le chef-d’œuvre de Godard, le chef-d’œuvre de Kate Bush n’est pas un truc facile. Ça peut rebuter … Parce que « Hounds of love » est un disque déstabilisant, une Œuvre, sans le côté prétentieux qu’on attribue généralement au mot.


Kate Bush est une artiste atypique. Rattachée quasi accidentellement au rock-pop-machin. Elle vient de la musique et de la danse classiques, comme toute bonne fille de famille bourgeoise anglaise qui se respecte dans les années 70. Premier choc, elle aurait (conditionnel, mais imprimons la légende) fait partie (à 15 ans) des quelques centaines de privilégiés qui assistent à la « mort » de Ziggy Stardust le 3 Juillet 1973 au Hammersmith Odeon. Quelques semaines plus tard chez ses parents, elle joue en s’accompagnant au piano des chansons qu’elle a composées, devant l’ami d’un ami de la famille. Qui s’appelle David Gilmour et promet que quand Pink Floyd lui laissera un peu de temps libre, il amènera la gamine en studio. Il faudra attendre trois ans pour les premières séances, et deux de plus pour la sortie du premier single « Wuthering Heights ». Number one dans les charts anglais, une première pour une femme auteur-compositeur-interprète. Le fait que tous les collégiens anglais aient lu « Les hauts de Hurlevent » aidera au succès du titre. Mais la mélodie difficile au piano et les trois octaves (comme Joan Baez ou Laura Nyro, liste à peu près close) tout en haut des aigus de Kate Bush n’y sont pas pour rien. Et pendant deux ans, Kate Bush va voir sa popularité croître. Elle sort des disques, assure la promo. Et donne des concerts. Au sujet desquels le mot féérique est celui qui revient le plus souvent (les fringues à base de voiles vaporeux, la chorégraphie venue de ses années de danse classique, les fumigènes, les ambiances lumineuses en clair-obscur). Dès le départ, Kate Bush contrôle tout, et forcément, les frictions avec le music busines (EMI en l’occurrence) pointeront vite le bout de leur sale museau. En 80, basta, Kate Bush fait savoir qu’on ne lui imposera rien, qu’elle fera des disques quand elle en aura envie et qu’elle ne se produira plus sur scène (elle tiendra parole plus de trente ans). Un autre gros hit (« Babooshka ») la met définitivement à l’abri du besoin. Afin d’être totalement autonome, elle se fait construire son propre studio, et hormis son bassiste-compagnon Del Palmer, n’a plus de « groupe » attitré, elle emploie des musiciens au gré des besoins de ses titres. C’est elle qui produira ses disques, remixant ou réenregistrant complètement (comme Manset) des titres lors de rééditions ou sorties de compilations … Le fameux « Complete Control » que n’a jamais eu le Clash, c’est cette petite bonne femme qui l’obtiendra …


Revers de la médaille, vers le milieu des 80’s, Kate Bush décline commercialement, l’Angleterre faisant une fixation sur les « nouveautés », encensées un jour, portées au gémonies le lendemain. Lorsque qu’elle s’attaque fin 83 à « Hounds of love », son cinquième album, Kate Bush ne peut plus tenir sur ses acquis. Elle doit convaincre. Et évidemment, elle va s’y prendre d’une façon assez singulière. « Hounds of love » est à peu près ce qu’on a l’habitude de qualifier de suicide commercial. Un concept-album pour faire simple. Comme tous ceux qui font de la musique « sérieuse », c’est-à-dire prétentieuse et insupportable. Sauf qu’avec Kate Bush ça ne se passe comme avec tous les vulgaires maltraiteurs de gamme œuvrant dans le prog, genre auquel on l’a quelquefois paresseusement rattachée. « Hounds of love » est un disque « à l’ancienne » et novateur en même temps. A l’heure où il n’est plus question que de raisonner en termes de Cd, « Hounds of love » est conçu comme un trente-trois tours. En gros, une face chanson (« Hounds of love ») et une face expérimentale (« The ninth wave »).

La face « chansons » générera quatre singles (pour cinq titres). Plus connu, le titre d’ouverture, "Running up that hill". Polyrythmies ondulantes, mélodie complexe, évolutive, mais instantanément mémorisable, voix comme d’hab très haut perchée, "Running up that hill" finira en troisième position des hits anglais. Un titre immortel, ne serait-ce que parce qu’il a eu plusieurs vies. Kate Bush le remixera en 2012 à l’occasion des J.O. de Londres. Sixième dans les charts. Et puis l’improbable total se produira. En 2022, Kate Bush est contactée par les producteurs d’une série télévisée Netflix, « Stranger things », qui veulent utiliser le titre comme générique de leur prochaine saison. Discussions, accord. Et là, en quelques semaines, le titre devient viral sur les réseaux sociaux pour « jeunes ». Records de streaming sur Spotify, heavy rotations sur les radios, et titre qui trente sept ans après sa sortie devient numéro un dans plusieurs pays dans sa version originale, du jamais envisagé, même pas en rêve par qui que ce soit … "Running up that hill" est forcément le titre classique de Kate Bush. Mais pour moi il y a encore mieux sur ce disque. C’est « Cloudbusting », chanson au thème pour le moins étrange, morceau en hommage à un inventeur malade (Peter Reich) du cloudbuster, machine censée faire pleuvoir en utilisant des particules orgasmiques présentes dans l’atmosphère. Un titre qui suit une progression d’accords inexorable, et il me semble bien assez similaire au « Boléro » de Ravel. Pour moi de loin la masterpiece de toute la carrière de Kate Bush, avec un clip « expended » scénarisé par Terry Gillian, avec Donald Sutherland dans le rôle du maboule professeur et Kate Bush dans celui de son fils. Apparemment un titre trop bon pour les charts de l’époque, où il ne fit qu’une carrière modeste.


Sont également sortis en singles le morceau-titre « Hounds of love » (grosse batterie hyper compressée, musique linéaire, tout repose sur la voix de Bush) et « The big sky », ballade emphatique, lyrique avec des schémas complexes, qui évoque fortement le son de « So » le disque de Peter Gabriel qui sortira l’année suivante (normal, les deux s’appréciaient, échangeaient beaucoup, et Kate Bush participera à plusieurs morceaux du Gab, qu’elle ne sauvera pas toujours de la médiocrité, voir ou plus tôt écouter « Don’t give up »). Dernier titre de la face « Hounds of love », la belle ballade « Mother stands for comfort » qui ne dépare en rien le niveau très élevé de cette première partie du disque.

La suite (car la plupart des titres sont enchaînés) « The ninth wave » réussit à agglomérer tout et son contraire, des épures au piano à de l’expérimental total. Surprenante au premier abord, cette « suite » se mérite. Du piano-voix inaugural (« And dream of sheep »), à la légèreté finale de « The morning fog » (on boucle la boucle, c’est très proche du son, de l’ambiance et des rythmes de la première face). En utilisant des bandes accélérées et/ou passées à l’envers, des dialogues de films, des brisures de rythmes (« Waking the witch » en est le meilleur exemple, avec en plus un sample des hélicos qu’on entend sur « The Wall » du Floyd). Autant le vague concept de la première partie a du sens avec ses ambiances ou paroles mystiques ou ésotériques (elle devait s’appeler au départ « A deal with God », l’expression n’a été conservée que comme sous-titre de la chanson « Running up that hill »), autant j’ai jamais compris cette histoire de neuvième vague tant elle rassemble des titres hétéroclites. Alors c’est expérimental (dans la mesure où c’est pas des choses qu’on entend généralement dans un disque « grand public », et surtout pas le temps d’une face vinyle entière), mais c’est facilement abordable, très écoutable (sinon, Kate Bush ou pas, j’aurais dit que c’était de la daube). Deux titres sont plus « faciles » de prime abord, le très celtique « Jig of life » (enjoué, entraînant, qui ne déparerait pas le répertoire des Chieftains et rendrait tous nos bardes chevelus bretons plus supportables), et la pièce majeure de cette face « Hello Earth ». Ce bonjour à la Terre est le morceau le plus long du disque (plus de six minutes, commencé comme une ballade, le chant grégorien d’une chorale en partie centrale, des voix murmurées et des synthés pour finir).


Lors de sa sortie, « Hounds of love » renforcera si besoin était la crédibilité et l’originalité artistique de Kate Bush. Malgré ses quatre singles, ce sera une bonne vente sans plus. Très certainement en dessous des objectifs d’EMI, qui n’attendra que quelques mois pour sortir une compilation (« The whole story », un seul inédit, pas extraordinaire), mettant un terme à la première partie de l’œuvre de Kate Bush. Qui dès lors, se fera beaucoup plus rare discographiquement (quatre albums en vingt deux ans). Bizarrement, alors que dans le « métier » on fait tout pour faire parler de soi et perdurer pour rester en haut de l’affiche, plus Kate Bush se fera discrète, plus elle sera citée comme référence (et pas seulement dans le milieu musical) …

« Hounds of love », c’est classique et novateur en même temps … comme les meilleurs Godard …



De la même sur ce blog : 

The Kick Inside


THE JIMI HENDRIX EXPERIENCE - ELECTRIC LADYLAND (1968)

 

Citius, Altius, Fortius ...

Alors qu’on commence à nous les briser menu avec les J.O. exceptionnels (si si, ils seront exceptionnels, c’est Micron qui le dit) de Paris 2024, qui verra une meute de blindés de tous les continents applaudir mollement entre deux coupes de champagne rosé et un shopping Place Vendôme, des sportifs ultra-professionnels et dopés jusqu’aux yeux, causons un peu d’un type et de son disque qui sont eux vraiment allés plus vite, plus haut et plus fort que tous les autres.

C’était en 68, année des eux vraiment mythiques Jeux Olympiques de Mexico. Pendant que Bob Beamon et Tommi Smith sautaient plus loin et couraient plus vite que tous les autres (records qui ont tenu des décennies), et que le même Tommi Smith et John Carlos levaient un poing ganté de noir lors de la cérémonie de remise de médailles du 100 mètres (la photo la plus connue de toute l’histoire des J.O., en dénonciation de la ségrégation raciale dans leur pays, les Etats-Unis), à un peu plus de trois mille kilomètres au Nord-Est du Stadio Olimpico Universitario de Mexico, à New York, un type également pas très blanc de peau, enregistrait un disque qui lui aussi placerait la barre à un niveau infranchissable.

Pochette Linda Eastman

Avant « Electric Ladyland », Hendrix est perçu chez lui, aux States, au mieux comme un phénomène de foire. Ceux qui l’avaient embauché à ses tout débuts dans leur backing band (Isley Brothers, Little Richard, Ike & Tina Turner, …) et qui, soit parce qu’il n’en faisait qu’à sa tête, soit plus vraisemblablement, parce qu’il leur faisait de l’ombre, l’ont viré sans ménagement, l’ont copieusement dénigré auprès de la « profession ». A preuve, Hendrix a dû s’exiler, en Angleterre et en France, faire ses preuves en Europe. Avant de revenir chez lui, où, s’il a cette fois conquis la « profession » (sa prestation à Monterey avec sa guitare embrasée n’est pas passée inaperçue), le « grand public » n’en a pas fait quelqu’un qui compte commercialement parlant.

Là, en 68, il veut marquer les esprits. Toujours avec Mitchell et Redding, il commence des répétitions à Londres, mais commence à regarder vers l’Amérique. Ses premières royalties (enfin, celles qui ne sont pas converties en dope et plaisirs futiles) sont investies dans un club miteux à Greenwich Village, New York. Il a tout d’abord l’idée d’en faire un endroit branché de la nuit new yorkaise, avant, semble t-il sous l’impulsion de la Warner (qui distribue ses disques aux States via le label Reprise) et de son avisé manager Chas Chandler, d’y créer un studio d’enregistrement. Hendrix veut un endroit à sa (dé)mesure, qui s’appellera l’Electric Lady. Il va y laisser tout son fric, les retards vont s’accumuler et l’endroit ne verra le jour que grâce à Warner qui signe le dernier chèque (et récupère plus ou moins l’endroit).

Pochette UK

C’est donc dans l’Electric Lady que Hendrix compte enregistrer son prochain disque. Sauf que vu les circonstances, la quasi-totalité de l’enregistrement se fera au Record Plant, la production sera signée Jimi Hendrix, avec quand même une participation non négligeable de l’ingé-son Eddie Kramer (qui deviendra un producteur connu, on trouvera son nom dans le sillage de Kiss et Led Zep, avant d’être désigné par Janet Hendrix, héritière de son demi-frère Jimi, comme une sorte de légataire sonore de toute œuvre portant le nom de Jimi Hendrix). Pour la petite histoire (la légende ?), Kramer refusait d’enregistrer quoi que ce soit si les musiciens arrivaient sous substance et/ou en consommaient en studio … le quotidien a pas dû être simple pour lui … Et le studio Electric Lady ne sera terminé qu’au cours de l’été 70, et inauguré quelques semaines avant la mort d’Hendrix, qui n’y aura enregistré que très peu de choses, dont aucune parue de son vivant …

« Electric Ladyland », le disque, est évidemment baptisé en référence à son projet de son studio. C’est un disque de rupture, par rapport aux deux disques précédents, qu’on pourrait qualifier de « chansons ». C’est aussi un double vinyle, denrée plutôt rare à l’époque (« Blonde on blonde », « Freak out ! », il m’en vient pas guère d’autres à l’esprit, le Double Blanc et un machin de Canned Heat sont sortis quelques jours ou semaines plus tard il me semble). Faut avoir des choses à dire (Dylan), ou à délayer (Zappa) pour s’attaquer à ce genre de format. Ça tombe bien, Hendrix a plein de choses à dire, et est aussi capable de les délayer.

Pochette Alain Dister

Pour ceux qui auraient pris un siècle de vacances sur une autre planète, il est utile de préciser que Jimi Hendrix en studio, compose, produit, chante, joue de la basse quand ça lui prend, et surtout de la guitare, furieusement électrique de préférence. C’est pas mon genre de m’extasier devant un mec les yeux tournés vers le ciel, les cheveux et le nez dans le manche, toutes grimaces dehors, en train de s’exciter sur le manche d’un objet à forme phallique relié au secteur. Les plaisirs solitaires, c’est faute de mieux quand t’es ado, et plus tard ça relève quand même un peu (et de plus en plus avec l’âge) de tout un tas de sciences dont le nom commence par « psy » … Mais bon, tous les types connus (et même si ça en coûte à certains) ou pas, ayant gratté une six-cordes vous le diront, il y a Hendrix qui caracole loin devant et tout le reste du troupeau qui essaye de suivre (et les pires du troupeau étant bien souvent ceux qui s’en réclament le plus, voir les cas d’école Marino, Trower et SR Vaughan, copistes sans imagination …).

« Electric Ladyland » se retrouve toujours cité parmi les plus grands disques de tous les temps, tous genres confondus, et toujours vers le sommet des palmarès. Bon, pour le coup, ceux qui font qui des listes et des classements numérotés n’ont dans ce cas pas tort.

Un grand disque, ça doit commencer par une pochette qui marque les esprits. On dira que « Electric Ladyland » est a priori l’exception qui confirme la règle. La pochette officielle (celle de Reprise -Warner US) est un gros plan du visage d’Hendrix, de trois-quarts face en légère contre-plongée, figure jaunâtre et cheveux rouge incendie (photo prise lors d’un concert londonien). Hendrix n’aimait pas cette pochette, il voulait une photo de l’Experience prise avec des enfants à Central Park par Linda Eastman (qui contrairement à une légende urbaine n’est pas de la famille Eastman-Kodak, c’est une grande bourgeoise fille d’avocats, qui commence à fréquenter - et ne va pas tarder à se marier avec - un obscur bassiste gaucher anglais, un certain Paul McCartney). On retrouvera cette photo sur des rééditions tardives et expended de « Electric Ladyland ». Au pays d’Aurore Bergé, la pochette mythique est celle du pressage anglais et européen, un parterre de dix-neuf femmes nues sur fond noir. Pochette anglaise et européenne ? Non, car comme dans Astérix, Français et Béneluxois résistent aux infâmes anglo-saxons et se verront gratifiés d’une photo de pochette signée du Français Alain Dister, plutôt collector. Fouillez dans les greniers, la pochette anglaise en édition originale et état mint vaut une blinde, le pressage français chez Barclay avec la pochette Dister peut quand même se négocier plusieurs centaines d’euros … Et s’il y en a que ça intéresse (je viens juste de m’en rendre compte), j’ai une K7 de 1968 de Polydor International (pochette avec les femmes nues) destinée au marché français (avec texte en français) avec les faces des vinyles chamboulées (1.4.2.3), une K7 répertoriée nulle part, même pas dans les 441 versions du disque listées par Discogs. Faire offre (à plus de trois chiffres avant la virgule minimum, collector garanti) …

La pochette préférée d'Hendrix ?

Voilà voilà … mine de rien plus de douze centaines de mots sans un seul pour causer de la musique de cette double rondelle de plastoc …

Venons-en donc aux faits. « Electric Ladyland » est un disque fou. N’importe quel être doué de raison entame son disque par un voire plusieurs morceaux accrocheurs, de la chair à single de préférence. Hendrix non. « … and the Gods made love » est un charabia d’effets électroniques et de voix trafiquées. Il a beau ne durer qu’un peu plus d’une minute, y’a de quoi rester perplexe devant entame aussi ratée … « Have you ever been (to Electric Ladyland ») est à peine meilleur, courte ballade acoustique doucereuse, qu’on s’attendrait plutôt à trouver sur une rondelle signée Donovan, que chez le Maître es Stratocaster et Flying V. « Crosstown traffic » fut le second single extrait du disque. Pop psychédélique aux arrangements fous, réminiscent du trente précédent « Axis : Bold as love », et toujours pas de guitare folle. Cependant le premier titre « sérieux » du disque. Et ensuite, sans vraiment prévenir, premier voyage stratosphérique. « Voodoo chile », jam sur un slow blues. Quinze minutes apparemment enregistrées sans filet, live en studio (on entend des types commenter et applaudir). Et ils applaudissent pas seulement Hendrix qui livre une paire de solos cosmiques, mais aussi le prodigieux Steve Winwood, tout juste vingt ans (et déjà plus que remarqué dans le Spencer Davis Group, Blindfaith et Traffic, excusez du peu). Le minot livre un duel homérique au vieux (25 ans) Hendrix, le poussant dans ses derniers retranchements à coups de duels Hammond B3 – Stratocaster (un procédé qui sera usé jusqu’à la corde chez Deep Purple, sur « Child in time » en particulier). « Voodoo chile » marque aussi un des premiers coups de canif de Hendrix au strict trio Expérience, puisqu’outre Winwood en pièce rapportée, on note la présence de la basse vrombissante de Jack Casady, en RTT de chez la Jefferson Airplane Ltd … Une première face de vinyle encore plus mal commencée que celle de « Tommy » (et pourtant je déteste leur « Overture ») et qui finit par tutoyer les étoiles.

La seconde face est la plus « facile », accessible du disque. Pour faire simple, on dira que c’est la face chansons. Certes plus ou moins barrées, farcies de psychédélisme, et de décharges électriques d’Hendrix. Comme pour se faire pardonner de ne l’avoir pas pris sur « Voodoo chile », Hendrix laisse Noel Redding chanter une de ses compos, « Little Miss Strange », titre classique par sa forme, mais rehaussé par la guitare d’Hendrix, qui commence vraiment à marquer son territoire. « Long hot summer night », les Beach Boys auraient pu en faire un titre de chanson, mais il ne leur serait certainement pas venu à l’idée (et pourtant, niveau « ailleurs », Brian Wilson était pas mal non plus) de le servir dans une interprétation aussi nerveuse, aussi méchante. « Come on » reprise à Earl King suit (en fait au dernier moment, le titre a été avancé d’une piste, il était prévu en quatrième position sur la tracklisting rédigée par Hendrix lui-même). C’est un rhythm’n’blues tirant sur le rock’n’roll, très classique par sa structure, mais distillant une paire de solos qui sont la matrice de tous les guitar héros dispensables pensant que jouer le plus de notes possibles suffit à faire un bon morceau (ce que n’a jamais compris un Alvin Lee, exemple au milieu de tant d’autres). « Gypsy eyes », c’est de la pop envapée, cosmique, et ça aussi ça assure la transition avec « Axis … ». « Burning of the midnight lamp » clôture cette seconde face, offre une approche toute particulière de la soul music, avec une voix farcie d’effets de studio, notamment du phasing.

Faire offre ...

La troisième face vinyle nous offre un Hendrix voyageur cosmique, jouant sur les ambiances plutôt que sur la violence électrique. Personne à ma connaissance n’avait encore exploré cette voie sonore, fusionnant structures rock et murmures jazzy. « Rainy day, dream away » élargit la formule trio (ils sont six crédités, un organiste, un sax très jazzy, un percussionniste et le très massif - mais plus swing que Mitch Mitchell - batteur Buddy Myles, qui accompagnera Hendrix sur le très éphémère Band of Gypsys), on dirait au début du Nat King Cole, avant un hallucinant final strident de guitare. « 1983 … » est l’autre titre épique de « Electric Ladyland ». Il dure lui aussi presque un quart d’heure, débute comme une balade psychédélique, puis évolue vers de longues séquences apaisées, bruissements jazzy que seuls viennent sortir de leur torpeur de courts solos de batterie, de basse, de guitare, et vers le final la flûte de Chris Wood (compère de Winwood dans Traffic). On peut zapper la minute de « Moon, turn the tides … » qui reprend les mêmes ingrédients inaudibles que « … and the Gods made love ». Dont à mon sens, il sert de miroir, manière de montrer que la boucle est bouclée, et le disque terminé.

Parce que la dernière face vinyle est une arnaque, du remplissage. Quatre titres, dont trois relectures de morceaux issus des faces précédentes, et une reprise d’un machin bien connu de Dylan. C’est un peu le problème des doubles albums, tu as davantage de musique que pour un simple, mais c’est dur d’arriver au bout, alors tu délayes. Sauf que ces quatre délayages d’Hendrix, c’est à peu près la meilleure face vinyle des années 60, décennie qui en a pourtant alignées de grandioses, des faces vinyles. « Still raining, still dreaming » est une relecture de « Rainy day, dream away ». Qui laisse au placard les ambiances jazzy et voit les mêmes six musiciens se lâcher dans une débauche électrique avec les fameuses phrases zigzagantes de Telecaster qui ont traumatisé des générations de gratteux. « House burning down » est une extrapolation de la mélodie de « Crosstown traffic », beaucoup plus syncopée, violente et toute guitare en avant. Et dès lors, alors que les deux premiers titres de « Electric Ladyland » sont les plus faibles, on en arrive à cette totale incongruité, les deux meilleurs se retrouvent à la fin. « All along the watchtower », c’est tellement devenu un morceau d’Hendrix qu’on en oublierait presque que c’est un single (assez succesful d’ailleurs) récent de Dylan. La tonalité est changée, la trame country folk noyée sous un rock qui serait classique s’il n’y avait pas ces deux solos extraterrestres. L’anecdote, que j’ai déjà placée (peut-être même plusieurs fois), c’est que c’est la version d’Hendrix qui est devenue la version « officielle » de la chanson et quand Bob Dylan a été intronisé au Rock and Roll Hall of Fame, lors du bœuf final, tout un tas de people plus ou moins potes ont rejoint Dylan pour jouer « All along … ». Dylan a forcément joué sa version, tous les autres celle d’Hendrix, dont notamment George Harrison, qui partageait le micro avec Dylan et a chanté le premier couplet. Quand est venu le tour de Dylan, il a bafouillé les deux premiers vers avant de se caler sur le « tempo Hendrix », tout en continuant de jouer « sa » version à la guitare (y’a les vidéos, tout ça se voit et s’entend). « All along … » sera le premier single du disque (sans grand succès d’ailleurs, les « vrais » amateurs de musique préféraient à l’époque le format album). La conclusion de « Electric Ladyland » va encore plus marquer les esprits. Décliné de « Voodoo chile » ce « Slight return », ce n’est rien de moins que la codification définitive du hard rock (après le prototype « You really got me » des Kinks et les lourdeurs psychédéliques des Blue Cheer et autres Vanilla Fudge). Il y a les Tables de la Loi dans « Voodoo chile (slight return) ». L’intro addictive, le gros riff central saturé, et les solos pentatoniques descendus sur le manche, cinq décennies de hard rock découlent de ce titre …

Stop. Ça suffit … il y aurait encore beaucoup à dire sur la production d’Hendrix (proche celle de Syd Barrett sur le premier Floyd, ces sons tourbillonnants qui passent du fond au mix au premier plan, ces effets stéréo très psychédéliques), sur son approche unique de la guitare (disséquée par des milliers de gratteux, mais jamais dupliquée), sur des textes qui au milieu d’un fatras acide expérimental restent en phase avec l’actualité (les émeutes raciales, le Vietnam, …), sur l’évolution musicale d’Hendrix (« Electric Ladyland » c’est le point d’orgue et final de la musique psychédélique, on va maintenant passer à plein d’autres choses, tout en continuant à se défoncer copieusement…), sur l’impact d’Hendrix sur la culture populaire (quarante mois entre la sortie de « Are you experienced » et sa mort, et son nom toujours cité à tout bout de champ), …

Citius, altius, fortius, j’avais dit au début … Je persiste et signe …


Du même sur ce blog :

Are You Experienced