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DARREN ARONOFSKY - MOTHER! (2017)

 

Highway to Hell ?

Aronofsky est un pointilleux, et un réalisateur qui tourne peu (huit films en vingt cinq ans). Gage de rareté, et de moins en moins malheureusement pas gage de qualité pour autant. Après un quart de siècle, il reste quoi qui vaille le détour ? L’étrange « Pi », le défoncé « Requiem for a dream » (soit ses deux premiers), un peu de « The Wrestler » et « Black swan » … Quand aux autres, le pensum biblique « Noé », le mystique « The Fountain », le lourdingue, forcément lourdingue « The Whale », on peut les zapper. Et « Mother ! » ? Voilà, voilà, j’y viens …

Jennifer Lawrence & Darren Aronofsky

Premier plan : un visage en gros plan au milieu des flammes. Second plan : Lui (Javier Bardem, il n’a ni nom ni prénom dans le film) pose une sorte de gros bijou cristallin sur son socle, et un vaste manoir où tout est calciné se reconstruit à neuf (merci le numérique). Troisième plan : Elle (ni nom ni prénom également) se réveille dans un lit, se tourne et appelle : « Bébé ? », mais il n’y a personne à côté d’elle dans le lit.

Elle, c’est la future « Mother », interprétée par Jennifer Lawrence. Certes fort mignonne, et au milieu des années 2010 l’actrice la mieux payée du monde, mais dont les succès filmographiques se résument à une litanie de navrantes daubes à suites (« Hunger games », « X-Men »). Autant préciser que cette incursion dans le cinéma plus ou moins d’auteur de Aronofsky en lieu et place des superproductions hollywoodiennes a certainement beaucoup à voir avec le fait qu’elle partage depuis quelques mois la vie du Darren … Fin de la parenthèse people …

Et donc, Elle part à la recherche de son Bébé dans le vaste manoir octogonal au milieu de la nature. Ce qui nous vaut quelques plans de sa jolie anatomie grâce à la transparence de sa nuisette en contre-jour. Un conseil, faut savourer chaque instant de ces plans parce que la suite sera beaucoup moins glamour … Et quand Bébé se pointe, il s’agit de Javier Bardem, qui rentre d’une ballade champêtre à la recherche de l’inspiration. On apprend assez vite qu’il fut écrivain à succès mais qu’il n’arrive plus à aligner trois mots sur une page blanche. On voit aussi que c’est Elle qui fait tout dans la gigantesque baraque (la menuiserie, la plomberie, la peinture, la bouffe, le ménage, la lessive, …), préservant son mec des basses besognes matérielles afin qu’il se consacre entièrement à sa création littéraire en panne. Une femme comme on aimerait tous en avoir une (ou plusieurs, ayons de l’ambition) à la maison. Bon, les meufs, on se calme avant d’envoyer les hashtags dénonciateurs et de lâcher les avocats, je blague … quoique l’idée me paraisse bien intéressante … Faut bien alléger l’atmosphère avec des vannes lourdingues, parce que « Mother ! » est un film où on va pas trop se bidonner…

Ed Harris & Michelle Pfeiffer

Parce que passées quelques scènes de la joie de vivre bucolique et amoureuse du couple, les choses ne vont pas tarder à se gâter. La nuit tombée, un type (Ed Harris) se pointe. On sait pas trop ce qu’il vient foutre là, il prétend qu’il est chirurgien, mais Lui l’accueille fort bien et lui propose de passer la nuit chez eux, malgré la gêne qu’Elle affiche. D’autant que le mec semble pas aller très fort, il fume, semble prêt à cracher ses poumons, bouffe des médocs, et la nuit semble près de claquer. Lui s’est levé pour l’aider et Elle aperçoit fugitivement une plaie béante dans son dos. Elle aussi est en proie à des malaises, des angoisses, et ressent parfois une sorte de présence dans le manoir, qu’elle calme en prenant une poudre soluble orange. Déjà, là, arrêt sur image. Pourquoi nous montrer ça, alors qu’on ne saura jamais d’où vient cette blessure (stigmate ?) du type ni quelle est cette poudre orange et pourquoi à moment donné elle s’en débarrasse dans la cuvette des WC …

Bon, c’est le genre de questions qu’on a pas vraiment le temps de se poser, parce très vite tout part en vrille. Au petit matin, la femme du toubib (Michelle Pfeiffer) débarque. Plutôt flippante et très intrusive. Lui semble ravi de la venue de ces visiteurs, Elle beaucoup moins. L’avenir lui donnera pas tort, quand arrivent les deux fils du couple, qui font comme s’ils étaient chez eux, se disputent pour des histoires d’héritage, puis se foutent salement sur la gueule, jusqu’à ce qu’un des deux tue l’autre en lui fracassant le crâne avec un pommeau de porte. Autre arrêt sur image. Pour certains, Harris et Pfeiffer, c’est Adam et Eve, et la rixe des deux enfants, c’est Caïn qui tue Abel.

Arrêt sur image (ter). Dans au moins trois de ses films (« The Fountain », « Noé » et donc « Mother ! ») Aronofsky met le mystique, l’ésotérique, au cœur du scénario. En gros, y’a du « message » derrière les images. A condition d’être très ouvert d’esprit pour suivre les circonlocutions, les ellipses, les allusions cryptiques du Maître. Bon, en ce qui me concerne, j’aime pas regarder un film avec une palette de Doliprane à portée, et me forcer à me flinguer mes derniers neurones valides pour comprendre quel est le message, la signification profonde … Entre les Tuche et Aronofsky y’a certes un monde, mais à quoi bon en rajouter dans le cryptique ?

Javier Bardem, Jennifer Lawrence et quelques invités

Parce que la suite du film est un maelstrom irréversible. Ça commence avec la veillée funèbre du fiston à Harris et Pfeiffer, plein de gens arrivent, il commence à y avoir un sacré boxon dans la baraque et entre Elle et Lui. Une brève réconciliation fait qu’Elle se trouve en cloque et Lui, galvanisé par cette paternité inattendue, traverse une frénésie créatrice qui lui fait écrire un chef-d’œuvre, succès immédiat le jour de sa sortie. Qui coïncide avec le départ prévu pour la maternité. L’éditrice, les journalistes, des lecteurs, toute une foule genre secte adoratrice venue interviewer et voir le génie littéraire envahissent la maison. Dès lors, on se pose une question : est-ce qu’il va encore y avoir une surenchère dans le glauque, le sordide, la violence ? La réponse est claire, les scènes cauchemardesques s’enchaînent graduellement, saccage, bagarres, émeutes, exécutions sommaires, explosions de têtes, démembrements, cannibalisme, apothéose en feu d’artifice terminal, et arrachage de cœur sur moribond. Et le final recycle les trois premières scènes qui prennent dès lors tout leur sens.

Je vais vous dire, ce film m’a gonflé, avec toute cette escalade apocalyptique, cette hyperviolence gratuite au service d’un scénario somme toute bien rachitique. Au crédit de « Mother ! », une superbe mise en images. Tout le film est en huis-clos dans cette grande bâtisse où beaucoup de pièces communiquent, et Aronofsky tire tout le parti des plans à travers les embrasures de porte et suit au plus près les acteurs dans ce train fantôme hystérique de violence inarrêtable. Jennifer Lawrence s’en sort bien voire plus. Et Bardem est flippant à souhait, un mix nihiliste entre ses rôles de tueur glacial dans « No country for old men » et de méchant dans James Bond (« Skyfall »).

« Mother ! » mérite d’être vu, bien que fortement desservi par son aspect scénaristique primaire (« ils osent tout, c’est à ça qu’on les reconnait »). On est quand même assez éloigné d’une œuvre majeure …


Du même sur ce blog :

The Fountain





PAUL VERHOEVEN - LE QUATRIEME HOMME (1983)

 

Veuve noire et instinct basique ...

« Le quatrième homme » est le dernier film exclusivement néerlandais de Paul Verhoeven. Le suivant (« La chair et le sang ») sera un financement européen, lui vaudra un petit succès controversé (tout est dit dans le titre) et lui ouvrira les portes d’Hollywood avec des succès souvent accompagnés d’un arrière-goût de soufre au box office.

Paul Verhoeven, Jeroen Krabbé & Renée Soutendijk

Bon, soufre et Verhoeven, c’est un classique de la rime cinématographique. Quasiment tous ses films prêtent à controverse(s). Sauf un, « Le choix du destin » en français (« Soldaat van Oranje » chez les Bataves). Souvent considéré comme le plus grand film néerlandais de tous les temps, on a au contraire plutôt reproché à cette fresque sur la Seconde Guerre Mondiale vue et vécue par un groupe de jeunes potes néerlandais, d’être trop lisse, trop convenue, trop consensuelle (ce qui ne sera pas le cas presque trente ans plus tard de son quasi jumeau – du moins par la thématique – « Black book »). Parce que Verhoeven, à ses débuts, c’était des films provos, plus ou moins drôles, en tout cas loin du consensuel. Et donc le Paulo, pour ce qui allait constituer ses adieux cinématographiques au pays qui l’avait vu naître, va pas y aller avec le dos de la cuillère … If you want blood et full frontal nudity (des mecs, des nanas, des mecs et des nanas, des mecs ensemble, …) vous allez être servis.

Si vous voulez des rapports impies avec la religion, aussi. Tiens, vous vous souvenez du clip de Madonna « Like a prayer » (gros succès et gros scandale en 89) ? On y voyait la Louise lécher les pieds d’un Christ (noir par-dessus le marché) avant de se livrer à une danse peu catholique tout nombril en avant. Si vous voulez mon avis, elle a dû voir « Le quatrième homme », où l’on voit l’acteur principal, embrasser dans une église les jambes en bois sombre du Christ crucifié, jambes qui deviennent celles d’un éphèbe en slip, slip qui va vite finir sur ses chevilles, et comme le héros est un homo, je vous raconte pas la suite (non, vous risquez d’être surpris, c’est pas ce que vous croyez …).

« Le quatrième homme » commence par un écran noir de presque une minute, sur fond de musique synthétique glaciale. Les premières images nous montrent une araignée (une veuve noire) prendre et tuer trois moucherons dans sa toile avec en surimposition le générique qui défile en lettres rouge sang. Quand le générique est terminé, la caméra va un peu plus bas sur la droite, où trône sur un meuble une petite statue de la Vierge, et poursuivant son chemin, vers un lit où se réveille un type. Qui se réveille super gueule de bois, mains tremblantes et bite pendante, descend au rez-de-chaussée où un blondinet joue du violon. Le gars étrangle le violoniste. Seconde scène, le gars est en bas de l’escalier, on comprend qu’il est en couple avec le violoniste, et il lui annonce qu’il est à la bourre pour partir donner une conférence. La première scène de l’étranglement était donc un cauchemar. Et des rêves, des cauchemars ou des visions prémonitoires, tout le film en est farci, et tout est fait pour que le spectateur ne sache pas s’il s’agit de rêves ou de réalités, c’est généralement la scène suivante qui nous l’indique. Le procédé n’est évidemment pas nouveau, c’est sa multiplication qui en fait l’originalité.

Le mec à la gueule de bois (sacré picoleur, ça lui jouera des tours) est un écrivain, Gérard Rêve (inspiré d’un vrai écrivain néerlandais controversé, forcément controversé tout comme Verhoeven qui s’appelle Gerard Reve ouais, Verhoeven a fait – volontairement - un jeu de mots sur le nom et un des axes majeurs du film que seuls les Français peuvent comprendre). Le Gérard prend un journal au kiosque de la gare, et en bon homo à la recherche d’un p’tit coup, tourne autour d’un éphèbe en train de mater un mag porno (féminin), monte dans son train, où une blonde avec un nourrisson lui inspire d’autres visions sanglantes. Pour vous dire que Verhoeven a fait profond dans la réflexion, cette blonde qui retrouvera son Jules à la descente du train, c’est la Vierge Marie (elle servira plusieurs fois de guide et/ou d’ange gardien à Gérard), son mari c’est Dieu et son bambin, of course Jésus (c’est Verhoeven qui le dit, l’ange gardien j’avais compris, la Trinité, ça m’avait échappé). Faut dire que Verhoeven multiplie plein d’allusions, souvent de l’ordre du subliminal ou de l’ésotérique (que ceux qui pigent toutes les symboliques du film au premier coup se fassent connaître, y’a rien à gagner), comme une réponse à ceux qui l’avaient accusé de faire du cinéma « léger ».

Les choses deviennent plus simples lorsque le Gerard se fait vamper à sa conférence par Christine (là encore, étymologie du prénom, alors que c’est elle le personnage diabolique – ou pas – du film) une sublime blonde androgyne en rouge (forcément en rouge, c’est la couleur dominante du film) silhouette et coiffure à la Sylvie Vartan des années 80, 90, ou plus tard, je sais pas, j’ai jamais été fan des voix bulgares, surtout chantées faux … Elle l’amène chez lui, il réussit à la sauter (difficilement, mais il est un peu bi à ses heures perdues). Elle est veuve, riche, propriétaire d’un institut de beauté (le Sphinx, doté d’une enseigne en néons, mais y’en a qui marchent pas, on lit Spin, faut avoir fait néerlandais en première langue pour savoir que spin, ça veut dire araignée). Et elle fume des Dunhill International. Et là vous vous demandez pourquoi je cause des Dunhill Inter ? Ben facile, c’est les clopes que moi je fume … A partir de cette nuit passée ensemble, whisky aidant, les rêves ou pas, cauchemardesques ou prémonitoires vont se multiplier pour le Gérard. Avec un enchaînement croquignolet de trois vaches encore saignantes pendues dans un mausolée au-dessus de jarres contenant leur sang, avec une quatrième jarre en attente. La scène suivante, Gerard se réveille, commence à caresser Christine, qui saisit une grosse paire de ciseaux et … ben oui, vous avez deviné …

Evidemment, toutes ces visions prendront sens quand Gerard découvrira que Christine a été mariée trois fois et s’est retrouvée veuve trois fois. Des bobines de Super 8 trouvées dans un secrétaire laissent à penser qu’elle est peut-être bien pour quelque chose dans la mort de ses trois époux. Dès lors, Gérard serait-il le quatrième ?

A ce stade, y’a un titre de film qui clignote, celui de « Basic instinct », de, tiens comme c’est bizarre, Paul Verhoeven. Ben oui, d’ailleurs il s’en cache pas, le personnage de Cathy Tramell est un décalque de celui de Christine dans « Le Quatrième Homme », Verhoeven a toujours eu tendance à se plagier …

« Le Quatrième Homme » plutôt concis (une centaine de minutes), n’en reste pas moins un pavé. Et comme tous les pavés, quand tu le prends dans la gueule, tu trouves que c’est lourd. Il embrasse plein de genres (le polar, le thriller, le psychologique, l’érotique) multiplie des symboliques parfois absconses et donc pas faciles à suivre. Les deux acteurs principaux (Jeroen Krabbé et Renée Soutendijk) font partie des habitués de la période européenne de Verhoeven. Ils tenteront eux aussi une carrière américaine, avec nettement moins de succès (pour être gentil) que leur metteur en scène.

« Le Quatrième Homme » au vu de ce que je connais de la filmo de Verhoeven, est certainement son plus glauque. Mais pas son meilleur, tant le hollandais violent semble se bonifier dans ses vieux jours. « Black book », « Elle » et « Benedetta » sont pas mal du tout, mais désolé Paulo, j’ai jamais été fan de tes succès intergalactiques genre « Robocop », « Total recall » ou « Basic instinct » …


JOHN CARPENTER - HALLOWEEN LA NUIT DES MASQUES (1978)

 

Eloge de la lenteur ...

Ça tombe raccord, c’est la période de cette fête à la con que les Amerlos nous ont refilé. L’occasion ou jamais de dire tout le bien que je pense du meilleur film de Carpenter et de l’inégalé chef-d’œuvre du slasher. « Halloween », c’est le film auquel on se doit de mesurer quand on veut jouer dans la même catégorie, et depuis 1978, c’est pas les candidats qui ont manqué …

Quand il met « Halloween » en chantier, Carpenter a trente ans, un way of life de babacool, mais un background « classique » pour qui veut faire carrière dans le cinéma (des études dans la plus prestigieuse fac de cinéma de Los Angeles). Un court-métrage de fin d’études, « Dark star » (qu’il rallongera plus tard pour le sortir en salles) et un premier film underground (« Assaut sur le Central 13 ») constituent sa carte de visite pour démarcher les producteurs. Evidemment, les chèques avec plein de zéros vont pas se multiplier, d’autant qu’il a avec sa compagne de l’époque, la scénariste Debra Hill, envie de tourner un film d’horreur. Irwin Yablans, un petit producteur indépendant lui file trois cent mille dollars avec une condition, il doit s’agir de meurtres de baby-sitters. Carpenter et Hill se mettent à écrire, sans résultat satisfaisant, jusqu’à ce que le décidément très inspiré Yablans leur suggère que l’action se passe le soir d’Halloween. Déclic de Hill et Carpenter (qui pose une condition, le film devra s’appeler « John Carpenter’s Halloween », ce qui sera le cas lors de sa sortie) couchent dès lors rapidement sur papier un scénario.

John Carpenter & Jamie Lee Curtis

Pas très épais le scénario. Un gosse qui sans raison apparente à tué sa sœur à coups de couteau un soir d’Halloween est interné et soigné comme une bête féroce. Il s’évade et retourne dans sa ville semer terreur et cadavres à nouveau un soir d’Halloween, coursé par le psychiatre qui s’occupait de son cas. En fait, beaucoup plus qu’une histoire, c’est un univers que Carpenter va créer.

Tout d’abord celui du serial killer fantomatique, qu’on aperçoit à peine, qui joue du couteau de cuisine et avec les nerfs de ses victimes. Ses victimes sont jeunes, priorité aux jeunettes délurées et peu farouches, et donc forcément leurs amoureux ont aussi bien du souci à se faire. Instant critique, quand on est sous la couette et qu’on vient de s’essayer à perpétuer l’espèce. Seul espoir de peut-être salut, être une jeune fille vierge et ne pas céder à la gaudriole facile. Tous ses éléments scénaristiques jetés dans « Halloween » un peu au hasard finiront par devenir des axiomes de base dans tous les films qui s’en inspireront, témoin le plus marquant, le quasi-plagiat qu’est « Vendredi 13 ». Autre passage obligé du genre, la naïveté confondante des futures victimes, qui une fois le danger aperçu, font tout pour se faire désosser, en dépit de toute prudence et bon sens …

Le génie de Carpenter qui le hisse au-dessus de tous ses suiveurs n’est pas seulement d’avoir rédigé les Tables de la Loi du slasher (d’ailleurs les historiens de cette sous-catégorie de film d’horreur citent comme premiers du genre « La baie sanglante » de Mario Bava et « Black Christmas » du Canadien Bob Clark), mais d’avoir réussi à faire un vrai film avec un scénario de court-métrage (tout « Halloween » tiendrait maintenant en dix minutes d’un film gore au montage épileptique). Plutôt que le choc des images, Carpenter joue sur l’ambiance, le suspense.

Tout petit, il aimait les grands couteaux ...

Par bien des aspects, « Halloween » est un film au ralenti. Et Carpenter l’avoue sans ambages, il a étiré toutes les scènes à la limite du raisonnable pour arriver à l’heure et demie syndicale. Et c’est ce qui fait fonctionner le film. Un seul exemple, lorsque l’héroïne Laurie traverse la rue pour aller à la maison voisine, on sait que ses copains y ont été tués et que le psychopathe y est. On la suit pas à pas dans la semi-obscurité, les synthés de Carpenter commencent à entrer en action (signe qu’il va se passer quelque chose, ils annoncent jusque là l’apparition du tueur), et pour parcourir vingt ou trente mètres la scène dure plus d’une minute. Pas d’effet jump scare facile, pas d’ouragan de violons, juste l’angoisse sourde qui monte inexorablement …

Et tout le long du film, c’est cette lenteur qui entretient la pression. Le tueur avance à la vitesse d’un zombie de Romero (dont le film éponyme vient de sortir), et semble aussi inarrêtable dans son allure léthargique qu’un Terminator. Carpenter peut se permettre les longues scènes parce qu’il utilise beaucoup (voire abuse) de la Panaglide, une caméra portée ancêtre de la Steadicam, qui permet des plans-séquence en mouvement, témoin la mythique scène d’ouverture en caméra subjective qui dure plusieurs minutes (même s’il y a un raccord, quand la main attrape le couteau dans un tiroir).

... et plus grand aussi.

L’inconvénient de cette lenteur, et qui quelquefois dessert le film selon ses détracteurs, les lentes montées en tension laissent le temps de tout observer minutieusement, et là on voit tout, les faux raccords, les effets spéciaux fauchés, les incohérences à tous les étages. La liste est longue. Quelques exemples. Des arbres bien verts à Halloween (normal, le film a été tourné au printemps 78, et pour faire couleur automnale, quelques feuilles mortes volent devant la caméra, sauf que quand le cadre s’élargit, il n’y a des feuilles mortes qu’au pied des acteurs), un interné classé extrêmement dangereux qui a dû apprendre à conduire dans sa cellule capitonnée parce qu’il fauche et conduit sans problème des bagnoles, le même qui a vachement de mémoire pour aller déterrer la pierre tombale de sa sœur mais qui reconnaît pas son toubib quand il lui passe à côté en voiture, des poignées de portes à droite à l’intérieur et à gauche à l’extérieur, des nuits qui tombent très vite (deux filles discutent en plein jour en roulant, changement de plan, elles ont fait quelques mètres et c’est nuit noire, de plus jamais personne regarde dans les rétros pour voir qu’on est suivi, on fume un joint portières fermées et quand on baisse la vitre devant le papa flic, il s’aperçoit de rien ; le tueur poursuit sa victime, il est à quelques pas derrière elle, et le plan suivant dans la continuité de l’action il est au moins à trente mètres, dans quelques scènes on voit l’ombre de la caméra sur les murs, … et que dire des face à face avec ce tueur dans le dernier tiers, tueur à qui on laisse toutes les chances de se remettre des coups portés (faut dire que les bestiau est solide, un chargeur de revolver en plein buffet ne suffit pas à le dézinguer, ce qui laisse une fin ouverte et la possibilité des multiples suites qui n’ont pas manqué d’apparaître, alors que c’était pas du tout le but au départ, là le coup de génie est involontaire, Mike Myers ne peut pas être tué, parce que selon Carpenter, il incarne le Mal )…

Jamie Lee Curtis

L’histoire de « Halloween » est certes simple pour ne pas dire simpliste, mais surtout parce qu’elle est exposée très méthodiquement. Premier acte, le jeune Michael Myers déguisé en clown espionne puis poignarde sans raison apparente sa sœur alors qu’elle vient de se faire sauter par son petit ami, et sort de la maison totalement hébété son gros coutelas à la main. Séquence suivante, son psychiatre le docteur Loomis part avec une infirmière le chercher dans son asile pénitentiaire pour l’amener devant les juges des années plus tard. L’occasion de nous montrer l’extrême dangerosité du Michael, qualifié de « mal absolu » par son toubib. Orage, pluie, éclairs, tonnerre, une entrée d’hôpital avec des types en camisole qui errent dans la nature. L’un d’entre eux malmène l’infirmière et pique sa bagnole (facilement identifiable grâce à son logo sur la portière). On devine qu’il s’agit de Myers. Troisième séquence, présentation de la jeune Laurie Strode et de ses copines, lycéennes le jour et baby-sitters le soir. Soit l’origine de la folie meurtrière du personnage, son évasion, et la présentation de ses victimes. D’une clarté scénaristique imparable, pas besoin de flashbacks, de personnages tiers qui racontent, lorsque apparaît Laurie, on connaît tous les tenants et aboutissants.

Et malgré ses trois cent mille dollars, Carpenter réussit à avoir une star, enfin un type connu, en la personne de Donald Pleasance (rôle principal dans un Polanski mineur, et un des Blofeld de la saga James Bond). Lequel Pleasance (c’est Carpenter qui le dit) a trouvé son personnage nul, le scénario navrant et n’a accepté le rôle que parce que sa fille avait adoré « Assaut … » et qu’elle l’a littéralement harcelé pour qu’il rejoigne ce casting d’inconnus. L’autre star du film est une débutante, Jamie Lee Curtis, fille du Tony du même nom et de Janet Leigh (l’inoubliable Marion Crane de « Psychose »). Rien ne laisse supposer que c’est grâce à la notoriété de ses parents que Jamie Lee a eu le rôle (d’ailleurs comme toute l’équipe, pinceau en main, elle a participé à la décoration et au blanchiment à la chaux de la maison des Myers pour la première scène). Et elle l’a accepté faute de mieux, parce qu’elle déteste les films d’horreur, et des années plus tard, alors qu’elle commente le film avec Carpenter elle est encore très effrayée par les scènes qu’elle a portant tournées, ce qui déclenche l’hilarité du réalisateur. Par contre elle avoue que malgré l’énorme succès du film (plus de 200 fois la mise) elle a eu beaucoup de mal à trouver d’autres rôles devant se contenter de la suite « Halloween II », de quelques autres rôles dans des nanars d’horreur avant la réorientation à succès vers la comédie topless (« Un fauteuil pour deux ») puis en soutifs (« Un poisson nommé Wanda »).

Donald Pleasance

Le succès de « Halloween » repose sur la lisibilité du scénario, la création du personnage de serial killer implacable et indestructible, et toutes les astuces narratives qui deviendront incontournables de tous les slashers qui ont suivi. « Halloween » doit être le film le plus cité nommément ou subliminalement dans « Scream », et il me semble bien que la scène dans la penderie de « Blue Velvet » est un copier-coller de celle de « Halloween », c’est dire si le film de Carpenter a rayonné bien au-delà de la classification étroite dans laquelle on a tendance à le cantonner.

L’autre touche de génie de Carpenter c’est la bande-son. Lors des premières projections du montage final sans partition musicale, juste les images et le dialogue aux distributeurs (la Twentieth je crois), Carpenter s’est entendu dire que son film était trop lent et surtout ne faisait pas du tout peur. Comme il avait pas les moyens de se payer un orchestre, (merci Papa Carpenter qui était prof de musique et a initié son fiston au maltraitage de gammes), Carpenter s’est fait son petit délire à la Tangerine Dream (ou plus vraisemblablement Mike Oldfield pour le thème de « L’exorciste »), tout composé avec des synthés lents et sinistres qui s’amplifient à mesure que la menace et la tension à l’écran augmentent. Un procédé certes pas inouï mais qui deviendra un incontournable des B.O. de tout film à suspens … A noter que maintenant, à un âge désormais vénérable, Carpenter a depuis longtemps renoncé à tourner des films, mais par contre il a enregistré des disques et monnaye très cher ses concerts pour un public de fans venus écouter le thème de « Halloween » …

Pour terminer, les cinéphiles savent certainement que le film préféré de Carpenter est « Rio Bravo », et que ceux que l’on voit sur la télé dans « Halloween » sont « The Thing » de Howard Hawks (dont Carpenter réalisera un assez bon remake), et « Planète interdite », honnête série B d’anticipation de l’oublié Wilcox (pas vraiment là par hasard je suppose, c’est un des premiers films sinon le premier à être doté d’une musique entièrement électronique … en 1956 !).

Si « Halloween » est un must absolu, assez logiquement ses très nombreuses suites ne vaudront pas tripette, même si par intermittences, Carpenter, Pleasance et Jamie Lee Curtis y reprendront du service …


WES CRAVEN - SCREAM (1996)

 

Slasher 2.0 ... ou la somme de toutes les peurs ...

Wes Craven est déjà une star avant même qu’il réalise « Scream ». Tous les fans de films un peu tordus et glauques, de genre, d’horreur, enfin quel que soit l’épithète dont on les qualifie, le connaissent depuis ses débuts dans les années 70 et sa doublette déjà marquante « La dernière maison sur la gauche » et « La colline a des yeux ». Sa notoriété et sa reconnaissance ont encore fait un bond en avant dans les années 80 avec « Les griffes de la nuit » qui met en scène le croquemitaine Freddy Krueger, qui vient tuer ses victimes dans leurs rêves. Tout ça a un peu rempli le portefeuille de Craven, mais qui voudrait faire autre chose, marquer son temps par un film indiscutable, qui soit à la fois un sommet et un renouvellement d’un sous-genre du cinéma d’horreur dont il est déjà le maître, le slasher.

Wes Craven & Drew Barrymore

Il a bien essayé, mais sans succès, beaucoup de ses films n’ont pas, comme on le dit pudiquement, rencontré leur public, et il en a été réduit (obligé ?) à tourner des suites guère convaincantes de « La colline … » et des « Griffes … ». Et au milieu des années 90, Wes Craven est un peu au fond du trou. Il a bien reçu en primeur et exclusivité un scénario d’un certain Kevin Williamson, débutant fauché, intitulé « Scary Movie ». Il a accroché mais ne sait pas trop quoi en faire, et surtout où trouver du pognon pour ce film. C’est sans compter sur l’obstination de Williamson, qui balance son scénar chez tous les producteurs susceptibles d’être intéressés. Deux manifestent leur intérêt, la Miramax et une de ses sous-divisions, Dimension Films. C’est cette dernière qui emportera l’enchère (à la baisse, le temps presse pour les finances de Williamson).

Parenthèse. Dimension Films est dirigée par les frères Weinstein. Qui avec le succès mondial phénoménal de « Scream » vont entamer la constitution de leur empire, qui une vingtaine d’années plus tard s’effondrera avec « l’affaire » Harvey Weinstein (une quarantaine d’années de taule à ce jour, plus des dizaines d’affaires à suivre, pour harcèlement sexuel sur des actrices). Fin de la parenthèse.

Ulrich, Barrymore, Campbell, McGowan, Lillard, Cox & Arquette 

Le scénario de Williamson va être étoffé, rebaptisé « Scream » (le titre « Scary Movie » ne sera pas perdu pour tout le monde) et confié à Wes Craven qui retrouve quasi miraculeusement cette histoire qui l’avait séduite quelques mois auparavant. Ce n’est pas pour autant qu’il se retrouve avec un budget sans limites. Et il va faire des choix a priori déroutants. Une oubliée des castings depuis ses débuts dans « E.T. » va trouver dans « Scream » un second rôle qui va relancer sa carrière. Drew Barrymore, à peu près disparue des radars, mais pas des tabloïds (son amitié avec Courtney Love et Linda Perry, dans une sorte de version féminine cocaïnée et alcoolisée du Rat Pack), va retrouver une crédibilité cinématographique (et encore plus de fric pour picoler férocement). Autre choix « étrange » de Craven, Courteney Cox qui commence à être très connue pour son rôle dans la série pour ados attardés « Friends », et qui va jouer une journaliste envahissante et déterminée. Le rôle principal sera donné à une quasi inconnue, Neve Campbell, tout comme la plupart des rôles secondaires (Rose McGowan, David Arquette, Skitt Ulrich, Matthew Lillard, Jamie Kennedy). Un ami de Craven, le Fonzy de « Happy days » (Henry Winkler), jouera le proviseur du lycée, et une autre disparue des radars, Linda Blair (la gamine possédée de « L’Exorciste ») fera une paire de caméos (une journaliste). Tout comme sa référence Hitchcock, Wes Craven fera aussi une apparition (l’agent d’entretien du lycée, habillé avec la tenue de Freddy Krueger).

Tiens, j’ai placé le nom d’Hitchcock. De toutes façons, il aurait été difficile de ne pas le citer. D’abord par qu’il fait des caméos dans ses films. Ensuite parce qu’on y retrouve souvent du comique qui vient se greffer au suspense. Et ensuite parce qu’il a tourné « Psychose », dont le début de « Scream » sera très inspiré.

En effet les premières scènes de « Scream » sont fabuleuses. On y voit celle qu’on suppose être l’héroïne (Drew Barrymore) se faire harceler au téléphone pendant qu’elle est seule chez elle, avant qu’elle se fasse étriper et pendre à un arbre. Une douzaine de minutes d’abord amusantes, puis glaçantes … A peu près le même sort que Marion Crane (Janet Leigh) dans « Psychose » (pas le seul point commun, le copain de Neve Campbell – choisi pour une vague ressemblance avec Johnny Depp – dans « Scream » s’appelle Loomis, comme John Gavin dans le film d’Hitchcock).


On l’aura compris (enfin, ceux qui ne l’ont pas vu, mais qui ne l’a pas vu) « Scream » est placé sous les signes de l’hommage, de la comédie et du slasher. Niveau slasher, Craven a dû faire face à la censure (plusieurs scènes ont dû être raccourcies ou certains plans retirés, sous peine d’interdiction aux mineurs), ça y va fort dans « Scream », les coups de couteau et les giclées de sang pullulent. Le tout sur fond de vengeance et de malédiction familiale (pas le meilleur aspect du scénario, on s’en fout un peu de l’histoire de la mère de Sydney Prescott – Neve Campbell). Mais « Scream », c’est aussi une comédie genre college movie (et les réalisateurs ricains font pas dans la demi-mesure quand ils traitent le sujet, à grands coups de gags et de personnages lourdauds). Là aussi quelques débutants (y compris Rose McGowan) en rajoutent me semble-t-il maladroitement des tonnes. Et puis, et surtout, « Scream » s’adresse aux amateurs « du genre », multipliant références, commentaires, et allusions à des films marqueurs de leur temps (ceux entre autres de Craven, mais surtout à « Halloween », diffusé et commenté lors de la party sanglante finale, et à Jamie Lee Curtis et sa poitrine généreuse). Avec dissertations orales (la plupart des jeunes protagonistes sont des fans d’horror movies et théorisent à la moindre occasion sur ce qu’il convient de faire et surtout de ne pas faire : no sex, ne jamais ouvrir les portes, ne jamais dire qu’on va revenir, …) en fonction des situations …

Le début de « Scream » est exceptionnel, et le final d’anthologie (vingt minutes avec un twist scénaristique et des jump scares toutes les minutes). Le cœur du film est traité façon enquête policière (un coupable est démasqué d’entrée, mais n’est-il pas innocent ?), avec fausses pistes (le gros plan sur les chaussures du shériff, les mêmes que celles du tueur dans les toilettes du lycée, la piste du père disparu, l’air louche du cameraman de Courteney Cox, voire David Arquette), pendant que Neve Campbell passe son temps à s’échapper des griffes du tueur qui la poursuit partout où elle va (le plus souvent en dépit du bon sens et de la prudence la plus élémentaire).

Ce tueur mystérieux deviendra iconique, avec son masque de fantôme (Ghostface) et sa grande cape noire. A noter que ce masque, après bien des essais non convaincants de bien d’autres, était fabriqué en quantités artisanales par une petite boîte pour les fêtes d’Halloween. Ils en ont vendu des millions dans le monde depuis, merci « Scream » …

Cox, Kennedy & Campbell : If you want blood ...

Contrairement à la plupart de ses « concurrents » (les films avec Freddy, les Vendredi 13, Halloween) « Scream » ne laisse pas une fin « ouverte », l’histoire est terminée. Ce qui n’empêchera pas « Scream », comme les autres déjà cités de devenir une franchise et d’avoir des suites (avec les rescapés du film, et aussi quelques morts qui réapparaîtront). J’ai un jour essayé le 2 ou le 3, je sais plus, c’était tellement con que je suis pas arrivé seulement au milieu … En cela « Scream » a suivi la rhétorique numérotée de tous ces films de slasher, sans s’en démarquer qualitativement …

« Scream » a aussi une autre particularité. C’est selon Wes Craven le premier film à ouvrir dans son générique final une section de « non-remerciements ». Ces non-remerciements sont adressés à un collège et une municipalité (Santa Rosa en Californie), où devait se tourner le film. Apprenant que c’était un film violent avec beaucoup de meurtres qui allait être mis en boîte, et par peur de « contamination » de la jeunesse locale, toutes les autorités locales sont revenues sur leurs autorisations et ont contraint toute l’équipe à déménager vers des contrées plus accueillantes, mettant par là en danger le timing du film et son financement. Epilogue assez connu et que Wes Craven ne manque pas ironiquement de rappeler à toute occasion : le principal opposant au tournage de « Scream », un prof, a quelques temps après sa « croisade » été condamné lourdement pour violences conjugales …

Bon, et ton avis ferme, définitif et incontestable, il vient ou quoi ? Voilà, voilà …

« Scream » est un film culte, pas de problème, avec son alternance entre comique et ultra violence gore. La partie slasher, avec son scénario malin, est très réussie, par contre ces blagues d’ados surjouées (surtout les rôles tenus par Matthew Lillard et Jamie Kennedy) empestent trop cette surenchère grassement comique et typiquement américaine des college movies …

Pour moi, le must du slasher, ça reste « Halloween » (le premier, évidemment), le film qui a réellement établi tous les codes du genre. Ne restait plus pour avancer qu’à transgresser ces codes, ce que Craven (et Williamson) ont malignement su faire …


JONATHAN DEMME - LE SILENCE DES AGNEAUX (1991)

 

Deux en un ...

Jonathan Demme avait tout pour être un réalisateur de seconde zone. Quasiment vingt ans passés derrière la caméra, une dizaine de films, au mieux sympathiques. Et puis au début des années 90, alors que pas grand monde aurait mis une piécette sur lui, il va sortir deux incontournables. En 93, le quelque peu surestimé « Philadelphia », mélo larmoyant avec le SIDA et ses conséquences comme thème. Et avant, en 91, le film dont au sujet duquel je vais causer, « Le silence des agneaux ».

Demme, Foster & Hopkins - Oscars 1992

« Le silence … » est un polar, ou un thriller psychologique, s’il faut lui coller une étiquette. En fait, « Le silence … » est beaucoup plus que ça. Comptablement, une affaire qui tourne, très gros succès commercial et critique. Et en 92, le film rafle les cinq Oscars les plus convoités (meilleur film, acteur, actrice, scénario et mise en scène). Sans qu’on puisse de quelque façon crier au scandale (c’est pas toujours le cas), même s’il y avait en lice pour ce millésime des choses pas vraiment mauvaises, genre « Thelma et Louise » ou le second « Terminator ». Remporter le colifichet devant Ridley Scott et James Cameron, Demme avait même pas dû en rêver lorsqu’il mettait « Le silence … » en chantier. Faut dire qu’il avait de la matière au niveau du scénario, copie parfaite rendue par Ted Tally (son seul vrai fait de gloire), d’après une série de bouquins de Thomas Harris, centrés sur le personnage (fictif) d’Hannibal Lecter, éminent psychiatre et serial killer cannibale.

Le film se resserre sur l’histoire qui est narrée. On n’a jamais droit, et c’est assez rare pour être souligné, à l’exposition familiale des héros. Pas de petit ami qui a des états d’âme, pas de parents larmoyants ou qui justifient les actes de leur progéniture. Les trois personnages principaux sont des solitaires, tout repose sur leur interaction dans les faits et leur déroulement, pas de digression … Clarice Starling a-t-elle un mec (ou une nana) ? Hannibal Lecter était-il battu par sa mère ? Buffalo Bill a-t-il été marié et a-t-il des gosses dépressifs ? On n’en sait rien et c’est tant mieux, les deux heures du « Silence … » racontent une histoire et pas ses à-côtés …

Et pour le même prix, on a deux thrillers pour le prix d’un … la confrontation Starling – Lecter et la traque de Buffalo Bill, Lecter étant le point d’articulation des deux histoires.

Clarice de l'autre côté du miroir ...

Jodie Foster (Clarice Starling) est la plus cotée du casting. A même pas trente ans, elle a déjà vingt ans de métier, un second rôle très remarqué dans « Taxi driver », et un Oscar pour l’oublié « Les accusés ». Anthony Hopkins est un type connu dans le monde des acteurs (surtout au théâtre), beaucoup moins du grand public. Son interprétation du terrifique Hannibal Lecter en fera une star du grand écran. Ted Levine (Buffalo Bill), Scott Glenn (le supérieur de Starling), ou Anthony Heald (le toubib responsable de l’hôpital-prison où est enfermé Lecter), n’auront pas cette chance, ils resteront à peu près confinés au seconds rôles …

Ce qui impressionne dans « Le silence … », c’est la limpidité des histoires racontées. Alors que l’analyse, la psychanalyse et la psychiatrie en sont le moteur, c’est accessible pour le blaireau lambda comme moi (ceux qui ont essayé de suivre les arcanes des « héros » de Night Shyamalan après « Sixième sens » savent de quoi je parle …). Clarice Starling, diplômée en psychologie et criminologie, est une stagiaire du FBI qui ne ménage pas sa peine (Jodie Foster n’est pas doublée dans la scène d’introduction, l’entraînement dans la forêt) et attire l’attention de son supérieur qui lui confie une mission-bizutage : aller essayer d’obtenir d’Hannibal Lecter des indices qui pourraient mener sur la piste de Buffalo Bill, sérial killer qui enlève, tue et dépèce des jeunes femmes bien en chair. Sauf que Lecter a envoyé sur les roses et ridiculisé tous les spécialistes qui ont essayé d’établir un dialogue avec lui …

La jeune stagiaire est une proie facile pour l’intelligence supérieure de Lecter. Il n’a pas besoin de la déstabiliser, elle est dans ses petits souliers lors de la première rencontre. Lecter va jouer avec elle, se servir de son « innocence », lui donner quelques indices sous forme de jeu de pistes pour trouver Buffalo Bill (il fut un de ses patients qu’il a identifié grâce à son « mode opératoire »), avoir toujours un ou plusieurs coups d’avance psychologiques avec un but : s’évader … ce qu’il réussira d’une façon aussi spectaculaire et angoissante (pour le spectateur) que morbide … Et Clarice, grâce aux indices de Lecter, va traquer seule le psychopathe, pendant que ses collègues du FBI sont sur une fausse piste …

David Lee Roth ? Non, Buffalo Bill ...

Starling, comme tous les héros sympathiques, est courageuse par défaut, donc une trouillarde refoulée. Forcément mal à l’aise devant l’esprit très supérieur de Lecter, elle n’en mène pas large lorsqu’elle doit affronter dans l’obscurité un Buffalo Bill équipé de lunettes infrarouges. Ce sont ses faiblesses et la somme de ses peurs qui en font une héroïne populaire dans le bon sens  du terme. Hopkins est magistral dans le rôle de Lecter, une des plus grandes interprétations de serial killer portées à l’écran. Il domine tout ceux qui lui sont confrontés (la rencontre de Lecter, sanglé et muselé, des dizaines de flics arme au poing autour de lui, sur le tarmac d’un aéroport avec une sénatrice, mère de la dernière fille kidnappée par Buffalo Bill, résume assez bien le personnage). Il s’amuse avec Clarice, proie trop facile pour lui, (elle essaye de le piéger en lui promettant une amélioration de ses conditions de détention, il lui fait raconter son enfance, fille d’un flic descendu par un petit braqueur et ensuite élevée chez un oncle à la campagne, qui explique ses angoisses récurrentes et le titre du film). Ajoutez quelques répliques culte (« j’ai dégusté son foie avec des fèves au beurre et un excellent chianti », « j’ai un vieil ami pour le dîner ») et pas étonnant que Hannibal Lecter se soit retrouvé au centre de suites ou de préquels de son personnage (loin cependant d’égaler la qualité du « Silence … »).

Même Jonathan Demme qu’on n’attendait pas à un tel niveau se surpasse, jouant à la perfection avec les nerfs des spectateurs, insistant sur la fausse piste du cocon de papillon trouvé dans la gorge des victimes (qui donne lieu à la seule scène légère dans le labo de deux entomologistes) et réussissant un génial montage alterné sur des troupes du FBI s’apprêtant à lancer un assaut contre la supposée maison de Buffalo Bill, pendant que celui-ci effectue un numéro de danse transsexuelle. Les robocops du FBI sonnent à la porte, Buffalo Bill va ouvrir, et là, surprise garantie …

On a rarement l’occasion de voir un film où pas une scène n’est de trop, dans lequel toutes les pièces du puzzle mis en place s’imbriquent de façon parfaite … j’envie ceux qui le visionnent pour la première fois …

GEORGE A ROMERO - ZOMBIE (1978)

 

Lost in the supermarket ...

« Zombie » (« Dawn of the dead » en V.O.) est le plus gros succès commercial de George Romero, quasiment un blockbuster. Pas un mince exploit pour un film interdit aux moins de dix-huit ans dans certains pays dont la France (on y reviendra).

Romero, c’est évidemment un film culte en noir et blanc, « La nuit des morts-vivants », tourné à vingt huit ans avec un peu plus de cent mille dollars de budget. D’après Romero lui-même, un film par défaut, il aurait bien voulu faire un film « normal », mais il en avait pas les moyens. Sauf que le choc des images et le succès du film, vont engendrer un effet domino encore (et de plus en plus) présent aujourd’hui. Le zombie va devenir une des références des films d’horreur, une figure majeure de la pop culture. Même si Romero n’a pas créé le « personnage » mort-vivant (on a déjà vu depuis les années 30-40 sur grand écran Frankenstein, Dracula, et le « I walked with a zombie » de Jacques Tourneur, …)

George Romero

Mais Romero dans les seventies, s’en fout un peu des zombies. Il a été agacé par le sens caché que certains ont trouvé dans son film, la référence à la guerre du Vietnam, le machisme (la beigne foutue par un Noir à une femme blanche), le racisme (le seul survivant dans la baraque se fait dégommer quand il sort parce que c’est un Black). Autant d’allégations que Romero a toujours démenties mais les ragots ont la vie dure. De ce fait, il s’est toujours refusé à tourner une suite à « La nuit des morts-vivants », surtout quand ces propositions venaient des majors, il savait qu’il serait totalement bridé par les dollars, la bienséance, les impératifs commerciaux, … En plus Romero voulait faire « autre chose », s’attaquer à d’autres genres. Il a bien essayé, a tourné quelques films descendus unanimement par la critique et que personne n’est allé voir … Pour faire simple, vers 77, Romero est un has-been total.

Jusqu’au jour où il rencontre à New York Dario Argento. Romero adore les films d’Argento et l’Italien vénère « La nuit … ». Argento à son tour suggère à Romero de tourner une suite. Romero, qui commence à penser que cette fameuse suite sera sa seule porte de sortie s’il veut continuer à faire son métier n’est plus radicalement opposé au principe, mais il a pas une thune. Qu’à cela ne tienne, Argento, son frère et quelques amis ont une maison de production en Italie. Le temps de passer quelques coups de fil, et le deal est sur la table : Argento va amener cinq cent mille dollars, Romero se débrouillera pour en amener autant et la suite de « La nuit  … » pourra se faire. Romero gérera la distribution du film en Amérique et en Océanie, les Italiens auront la mainmise sur l’Europe et l’Asie (et l’Afrique, questionne l’expert en géographie ? Tout le monde s’en fout, y’a pas de ronds à se faire là-bas …). Ce partage du monde pour la gestion du film ne sera pas sans conséquences, on en reparlera aussi … A noter pour la petite histoire que si les Ritals ont bien amené le pognon prévu (et même un peu plus), Romero n’a pas trouvé grand-chose à mettre dans l’escarcelle. Par contre, il a un pote à Pittsburgh où il vit, qui vient de construire et gère un immense centre commercial. Chose inenvisageable de nos jours (pour des raisons de sécurité, d’assurances, …), il autorise Romero à y tourner toutes les nuits et le dimanche.

Ça tombe bien. Cette fois-ci, derrière l’histoire de zombies, Romero veut faire un film politique, engagé, et lâcher des vivants et des zombies dans un supermarché gigantesque, symbole même du consumérisme, ça coche plein de cases à la fois.

Les grandes lignes du scénario sont tracées. Une introduction dans les coulisses d’une émission de télé, foire d’empoigne face à la situation : une pandémie ressuscite les morts qui se mettent à traquer les vivants pour les bouffer. Deux personnages principaux (un type et sa femme qui bosse à la télé) sont présentés. Un assaut par des flics d’élite contre un immeuble occupé par des Porto-Ricains, dont certains sont des truands et d’autres des zombies (pas de détail, tout ce qui est dans la baraque va prendre du plomb) nous présente deux flics (ou militaires, on sait pas trop et on s’en fout) qui seront les deux autres personnages principaux. On va pas s’embarrasser de leurs noms, personne les a retenus …

La bande des quatre

Les quatre fuient la menace du centre de Pittsburgh en hélicoptère, survolent la cambrousse où s’affrontent (sur)vivants et zombies avant de se poser sur le toit d’un centre commercial qu’il va falloir conquérir aux zombies qui y traînent, y créer un « périmètre de sécurité » et attendre que les choses s’arrangent. Sauf que les choses ne s’arrangent pas vraiment, et l’arrivée d’une bande de bikers pillards va faire salement dégénérer la situation … Et pour faire simple (mais aussi à cause d’une histoire elle compliquée sur la propriété de l’expression « living dead »), le film s’appellera « Zombie » partout dans le monde (aux States on rajoutera « Dawn of the dead »)

On le voit vite, mis à part la présence des zombies, aucun point commun avec le film de 68. Les zombies sont cette fois-ci en couleur (gris de peau en fait), sont pas très vifs, mais toujours aussi affamés de chair humaine vivante, et pour s’en débarrasser faut les re-tuer (une balle dans la tête, ailleurs ça marche pas toujours …). « Zombie » est une fausse suite de « La nuit des morts-vivants ». Les zombies ne sont qu’un prétexte à une surenchère de gore et Romero va pousser le bouchon beaucoup plus loin que tous ceux qui ont voulu faire peur sur grand écran. Ne pas croire que le George est en roue libre totale. Principe de base : une scène choc toutes les six minutes, et le film durant au moins deux heures, (là aussi on reviendra sur la durée), ça va en faire des litres de faux sang utilisés.

Plus des trois-quarts du film se passe dans le centre commercial. Les zombies y traînent par habitude, par réflexe conditionné (des extraits d’une émission télé nous l’affirment), les quatre vivants après une opération survival (on récupère le vital et l’essentiel) s’y enferment, se servent dans tous les rayons de façon de plus en plus futile (coiffure, maquillage, restaus, champagne, vêtements, tennis, jeux vidéo, armes, voitures et j’en passe). Critique féroce pour l’appétence des deux mondes (zombies et vivants) obnubilés par le besoin de consommer, et de faire siennes des choses qui ne leur appartiennent pas. C’est cette notion de propriété (on défend notre chez-nous, alors que rien n’est à eux, ils se sont tout accaparé) qui poussera les quatre « héros » (enfin, les trois qui restent à ce moment-là) à affronter les pillards, avec les zombies comme arbitres …

Bon appétit ...

Ce qui a marqué voire traumatisé les spectateurs à la sortie de « Zombie », c’est son hyperviolence. Rien n’est suggéré, tout est montré plein champ. Les impacts de balle pleine tête, les giclées de sang, les décapitations, démembrements, éviscérations diverses, les scènes de cannibalisme. Malgré des trucages forcément d’époque (la couleur rouge vif du sang, les mannequins pas très humains, …) frissons garantis (les boyaux sont de vrais boyaux récupérés dans une boucherie, mais non, les figurants vont pas jusqu’à les bouffer réellement …). Les interdictions, avertissements et classements divers vont fleurir partout dans le monde lors de la sortie du film en salles. Mention particulière pour la France giscardienne où le film sera carrément interdit par la Commission de censure. Argento, distributeur de « Zombie » pour l’Europe, attendra l’élection de Mitterrand trois ans plus tard, pour le représenter et là, il pourra être diffusé sans problème, juste une interdiction au moins de seize ans (et ça fait du grain à moudre pour ceux qui pensent que la Droite et la Gauche c’est pareil) …

Il devrait pas avoir mal, il est déjà mort ...

En trois mois, de fin 77 à février 78, « Zombie » est tourné. Mais de quel « Zombie » parle-t-on ? Il y a quatre versions du film. Une dont le final n’a jamais été tournée, mais qui était écrit dans le scénario de Romero (elle prévoyait la mort des quatre réfugiés dans le supermarché). Une version genre « director’s cut » de deux heures et quart, jamais diffusée en salles. Et puis ensuite deux montages différents. Un de Romero destiné aux salles américaines (et autres, voir sa « zone » plus haut) de deux heures et demie. La version la plus radicale, la plus sauvage, la plus violente, jamais diffusée en Europe. L’autre montage est celui d’Argento pour l’Europe. Il a mis du pognon dans le film et espère bien que plein de gens iront le voir, et envisage aussi les passages télé et les ventes sur support physique. Il supprime une bonne part des scènes les plus gore, ce qui donne une idée de ce qui a été filmé, parce qu’on est pas vraiment dans la bluette sentimentale avec la version européenne.

Il y aura de la friture sur la ligne entre Romero et Argento. Rien de grave ou de définitif. Les divergences majeures ne porteront pas sur le montage, mais sur la musique du film. Romero, dans sa B.O. a quasi exclusivement utilisé des synthés anxiogènes. Argento ne va quasiment rien garder de cette B.O. et confier la bande-son au groupe italien de hard progressif Goblin, partenaire habituel de ces films à lui. A l’écoute de la version d’Argento, Romero va récupérer la partie très hard rock qui rythme les passages avec les scènes où figurent les bikers pillards et l’inclure dans sa version. Les deux ont soutenu mordicus que leur bande-son était la meilleure …

Quoi qu’il en soit, « Zombie » est un must. Le meilleur film de zombies jusqu’à la sortie de « Bienvenue à Zombieland » et un classique du cinéma d’horreur-épouvante-gore. Romero s’est même laissé aller à en tourner des « suites » (trois ou quatre), qui seront loin de renouveler le coup d’éclat du millésime 78 …

Pour terminer, une anecdote inattendue. Il y a un point commun entre « Barry Lyndon » et « Zombie ». Allez, je vous laisse deviner. La bonne réponse gagne le dernier Cd d’Aya Nakamura, ou une place pour aller voir Astérix version Canet. Voire même les deux, je sais me montrer généreux …


TAKASHI MIIKE - AUDITION (1999)

 

Télénovela et scie à fil …

Takashi Miike, japonais de son état, fait partie de ces cinéastes culte, vénéré par les adorateurs de films de séries B à Z. Signes distinctifs de Miike : une propension pour le gore et le sexe, et bien souvent les deux ensemble ; une cadence infernale : entre trois et six films par an. Donc assez loin des thématiques et du rythme de travail d’un Terence Malick, si vous voyez ce que je veux dire.

Takashi Miike

Miike sera au sommet de sa créativité et de sa carrière au tournant des années 2000. Notamment grâce à deux films, « Itchi the killer » en 2001 et « Audition » deux ans plus tôt. En trois ans (de 1999 à 2001), Wikipedia recense 20 sorties de films signés Miike, et il a tout juste quarante ans à cette époque… tous ces chiffres définissent obligatoirement des préalables, à savoir ne pas chercher chez Miike des scénarios minutieusement ficelés, des mouvements vertigineux de caméra, et de grands acteurs dans des performances inoubliables … Même si c’est pas bâclé … on n’est pas dans le format film de 80 minutes, mauvais raccords, micros visibles à l’image … Miike, c’est mieux travaillé, mieux « fini » que Ed Wood par exemple …

« Audition » dure presque deux heures et peut être séparé en trois parties à peu près égales. Au début, une mièvrerie romantique calamiteuse, une partie centrale où malaise et tension s’installent tout doucement, avant un final d’une sauvagerie ahurissante. « Audition », c’est un peu « Love Story » dont les dernières bobines seraient filmées par le Wes Craven de « La colline a des yeux ».

Alors au début on s’emmerde ferme à suivre Aoyama à l’hôpital où sa femme est en train de claquer, à le voir seul élever son gosse de sept ou huit ans, tout en continuant de gérer avec le moral en berne sa société de production … Accélération temporelle, on retrouve le même type sept ans plus tard, le moral toujours autant dans les chaussettes, toujours avec sa boîte de prod, et son fiston ado qui est intéressé par les dinosaures et les flirts avec les petites collégiennes en jupette … Un des potes d’Aoyama directeur de casting lui suggère de se remarier pour reprendre goût à la vie en se servant de leurs métiers : suffit d’organiser un faux casting féminin pour un machin qui se tournera jamais, et là, devant ces tas de chair jeune et fraîche qui va défiler, y’aura forcément la femme idéale … Evidemment, on le voit arriver de loin le coup tordu, la jeunette choisie sera pas vraiment la femme idéale …

Un casting ...

D’autant plus qu’Aoyama aurait dû se méfier : elle a le total look de la gamine de « Ring », filiforme, toute de blanc vêtue, même longue chevelure noire (mais là coiffée au cordeau), et même mutisme. Cette fille est jouée par Eihi Shiina, top model chez Elite, qui débutera avec ce film une carrière au cinéma très oubliable … Dans « Audition », c’est une orpheline qui a dû abandonner la danse classique suite à une blessure, a tenté une carrière dans la chanson, et qui bosse de temps en temps dans un bar des quartiers mal famés de Tokyo, c’est du moins ce qu’il y a sur son CV. Coup de foudre immédiat du producteur qui se lance dès lors dans une campagne de séduction romantique (on boit un verre ensemble, puis un restau, puis un weekend au bord de la mer où là, ils finiront dans le même pieu), malgré les mises en garde de son copain directeur de casting qui a vérifié que l’école de danse a fermé, que son agent dans la maison de disques a disparu sans laisser de traces depuis des mois, et que la bar a mauvaise réputation …

Là, commence à s’installer une ambiance anxiogène. Aoyama, dingue amoureux de la midinette, mène cependant sa petite enquête, apprend et voit plein de choses qui devraient l’inciter à la prudence : son ancien prof de danse est en fauteuil roulant avec des prothèses de pieds faites maison, le bar où elle est censée bosser est fermé depuis longtemps, sa propriétaire ayant été retrouvée découpée en petits morceaux, et qu’en plus il y avait des morceaux en trop (genre langue, oreille, doigts, pieds, …). Et pendant ce temps, la brunette attend prostrée à côté du téléphone à même le plancher dans son appartement vide (y’a juste un grand sac à patates dans un coin) le coup de fil du producteur amoureux …

Pour un truc tourné à l’arrache, c’est quand même pas si mal foutu que ça : cette historiette d’amour insignifiante qui devient intrigante, puis inquiétante, puis carrément malsaine. Bon, évidemment, c’est trop long, filmé à la va-vite, le jeu des deux protagonistes principaux est hyper stéréotypé, mais Miike fait bien sentir qu’on va basculer vers autre chose. Un jumpscare assure la transition lorsque le téléphone sonne chez la belle, elle relève lentement la tête et derrière ses cheveux se dessine sur ses lèvres quelque chose qui tient plus du rictus que du sourire et … je vous dis rien, mais effet choc garanti …

... qui va mal finir

Dès lors c’est parti pour une dernière demi-heure où faut quand même s’accrocher. On a droit à tous les clichés et fantasmes de BDSM, la robe d’infirmière blanche avec tablier de boucher en cuir par-dessus, gants et bottes en latex, les petits cris de jouissance suraigus, et tout l’attirail pour jouer au Dr Mengele (les seringues, les longues aiguilles d’acupuncture, les ustensiles de bricolage divers, et scie à fil pour couper les quartiers de viande). Heureusement que c’est fauché, que les effets spéciaux ont vingt ans de retard, qu’on voit bien les trucages et le latex … mais enfin, lors de la première, étaient fourni aux spectateurs des sacs à vomi floqués avec l’affiche du film, et paraît-il que de nombreux ont été les sacs qui ne sont pas sortis vides de la salle de projection.

Y’a quand même des trous dans la raquette … à mesure que les séquences limite soutenables s’enchaînent, Miike perd les pédales de son histoire, multiplie flashbacks et fantasmes, rêves et réalité (censés « expliquer » l’histoire), comme si l’ultra violence n’était là que pour faire passer un scénario, de toutes façons de quatre lignes, au second plan. Et c’est pas le double twist final qui sauve l’affaire …

« Audition », c’est le film de genre par excellence. Avec tous les codes qui ravissent les fans, et font grincer les dents de tout le reste de l’humanité. N’étant pas spécialement porté sur ce genre de trucs, j’ai du mal à le situer dans sa catégorie. Il me semble quand même que Gaspar Noé doit le connaître. La boîte homo de « Irréversible » (Le Rectum, no comment …) est en sous-sol et toute éclairée de lumière rouge. Tout comme le bar où était censée travailler la fille de « Audition » … et ce qui s’est passé dans les deux y est assez similaire …