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THE WHO - WHO'S NEXT (1971)

 

Projet Lifehouse ...

S’il ne fallait garder qu’un disque des Who, pas besoin de réfléchir longtemps, c’est celui-là … Parce que c’est leur meilleur, bien loin au-dessus de tous les autres (des leurs, et aussi de pas mal de leurs concurrents). La faute aux années 60, qui privilégièrent longtemps les singles, et bien que les Who en aient sorti de fameux, comme ils ne se retrouvaient pas sur les 33 T, ceux-ci en pâtissaient … la faute à Tommy, cet opéra-rock mythique, mais boursouflé par des prétentions symphoniques et pompières (au moins une heure à jeter sur cette foutue rondelle), que le groupe s’entêtait à rejouer le plus souvent en intégralité sur scène …

La scène où pourtant ils étaient les meilleurs … mais le fulgurant « Live at Leeds », dont il existe autant de versions que de rumeurs sur ses lieux et conditions d’enregistrement a été partiellement « arrangé » en studio, et les Who ont manqué le rendez-vous avec l’Histoire à Woodstock, où se sont construites tant de légendes (« Woodstock est le pire concert que les Who ont donné de toute leur carrière » dixit Daltrey)… et tout cela, Townshend le sait et veut que son groupe frappe un grand coup. Il a un concept, un projet, une idée, celle de faire le disque de rock ultime. Qui ne serait que la partie émergée d’un iceberg où il est question de spectacle total, le groupe sur scène, une troupe de comédiens, et un film en arrière-plan centré également sur le groupe. Nom de travail du projet : Lifehouse. Qui sera a minima un double album.

Les Who à l'apéro chez Keith Moon

Dans le groupe personne moufte. Ni Daltrey, qui n’est que le chanteur des mots du Pete au grand nez, ni Entwistle, bassiste par définition taiseux, ni Keith Moon, trop occupé à bambocher pour s’occuper d’autres choses. Y’a juste un souci, enfin deux. Leur manager Kit Lambert, veut exploiter le filon « Tommy » jusqu’au trognon. Son but est d’en tirer un film, que modestement il compte réaliser. Faut juste trouver le pognon et les acteurs, pas grand-monde se bouscule, mais lui y passe tout son temps et veut que les Who s’impliquent toutes affaires cessantes dans son projet. Second problème, Townshend lui est complètement obnubilé par « Lifehouse », a la tête remplie des concepts fumeux, forcément fumeux de son précepteur-gourou indien Meher Baba, et l’estomac rempli de Rémy Martin qu’il ingurgite à doses pantagruéliques, ce qui n’aide pas à avoir les idées claires.

Contre l’avis de Kit Lambert, les Who investissent en Février 1971 un petit théâtre londonien (le Vic Theatre), où, trois soirs durant, ils vont jouer live les deux douzaines de titres de nouveau répertoire de Townshend, « Lifehouse », première approche du projet multimédia global conçu par Townshend. Lequel, détruit physiquement par la bibine, finit par sombrer psychologiquement. Lambert en profite pour reprendre la main, dresse le constat que ni « Tommy » le film, ni « Lifehouse » l’opéra-rock, n’avançant, il serait peut-être sage de revenir à quelque chose de plus simple, un disque des Who. Les meilleurs titres écrits par Townshend et déjà joués au Vic Theatre constitueront le nouveau Who. Durant le printemps 71, le groupe est envoyé au Record Plant de New York en compagnie de l’ingé-son et producteur Glyn Johns. Même si sur les crédits, il n’assure que la co-production avec les Who, Pete Townshend reconnaîtra plus tard que c’est Glyn Johns qui a fait la plus grosse partie du boulot. Et quel boulot !


S’il fallait définir comment doit sonner un groupe de rock sur disque, c’est « Who’s next » qui doit servir de référence. Une rythmique à deux têtes, la rigueur caoutchouteuse d’Entwistle vient en contrepoint du tabassage insensé de ses fûts par Moon, Townshend se multiplie aux guitares, tant électriques (Gibson Les Paul, Fender Stratocaster, Gretsch), qu’acoustiques. Car souvent perçu comme un disque violent, « Who’s next » comporte beaucoup de parties acoustiques, faisant encore plus ressortir lorsqu’ils surgissent les riffs dévastateurs. Et par-dessus tout ça, la voix de Daltrey qui n’a jamais aussi bien chanté et qui pose des parties vocales extraordinaires sur chaque titre.

La musique de « Who’s next » est en quasi-totale rupture avec ce que le groupe a enregistré jusque là. Finis les embarrassants errements opératiques de « Tommy », et au placard également tout l’attirail mod des débuts. Townshend ne se limite plus à l’Angleterre (les fringues et guitares floqués de l’Union Jack, de toutes façons sur ce segment difficile de faire plus british que les rivaux Kinks), pas plus qu’à la soul et au rhythm’n’blues américains qui avaient donné lieu sur leurs premières rondelles à quelques reprise pas toujours heureuses. Pour « Who’s next », Townshend se situe dans la lignée de ses plus grands titres (« My generation », « Substitute », « Pictures of Lily », « The kids are alright », « Happy Jack », …).

Février 71 : The Who live at Young Vic

Townshend a un vice caché. Il est estomaqué par les performances de Terry Riley, un des maîtres de la musique sérielle (ou répétitive selon l’angle selon laquelle on l’envisage). Il a tartiné à un doigt sur un synthé (l’ARP) une « pièce » de 9 minutes. Une partie de ce titre sera l’intro du disque sur le premier morceau « Baba O’Riley », référence transparente à ses deux « maîtres » Meher Baba et Terry Riley. Première minute plus qu’audacieuse pour les Who et pour l’époque, mais quand la batterie de Moon surgit suivie par une partie chantée fabuleuse de Daltrey, le tout servi par un son colossal, on sent que pendant presque trois quart d’heure il va se passer un truc … « Bargain » suit. Les Who ont enregistré 9 versions finalisées de ce titre. C’est la prise la plus électrique qui est retenue. Les gros riffs de Townshend sont joués sur une Gretsch, cadeau de Joe Walsh (du groupe proto hard James Gang, et futur Eagles). Démarche inverse pour « Love ain’t for keepin’ », où les grosses guitares hardos de la maquette sont remplacées par des parties acoustiques (comme du Led Zep celtique et lyrique, période « III »). Quatrième titre et « intermède » signé Entwistle « My wife », où le massif bassiste se taille la part du lion (piano, basse, trompette et chant). Un titre à des années-lumière du reste de l’album qui bizarrement s’y intègre parfaitement, respiration légère après un une première triplette tonitruante. La première face du vinyle original s’achève avec « The song is over », à mon sens le titre le plus ambitieux jamais écrit par Townshend (on oublie les bouses symphoniques de « Tommy »). Le groupe est renforcé par Nicky Hopkins au piano. Avec sa dizaine de « sections » tout au long de ses six minutes, c’est un titre injouable sur scène (les Who ne s’y sont jamais essayé), et c’est par sa construction le plus grand titre de prog jamais gravé, un monument dans la lignée du « 21st Century Schizoid Man » de King Crimson (ou du « Pet sounds » des Beach Boys).

Projet de pochette pour Who's Next

En retournant la galette, on débute par « Getting in tune » (avec toujours Hopkins au piano) qu’on pourrait prendre pour une gentille ballade quelconque avant que Moon défonce ses fûts et change radicalement l’optique du titre. « Going mobile » est le plus mauvais titre du disque (bon, il en faut un), il est juste excellent, avec ses airs de rave-up brouillonne. Et comme un grand disque doit tenir la route d’un bout à l’autre, les Who vont faire encore mieux. Deux de leurs quatre ou cinq meilleurs titres jamais gravés concluent « Who’s next ». « Behind blue eyes » est une balade ultime, commencée acoustique puis transfigurée par les riffs dévastateurs de Townshend. Au départ, ce titre devait être le premier single extrait. Ce single précurseur du disque sera finalement une version raccourcie de « Won’t get fooled again ». Single qui n’arrive pas à la cheville de la monstrueuse version de huit minutes et demie qui clôt « Who’s next ». « Won’t get fooled again » pour moi c’est peut-être bien le plus grand morceau de rock ever. Ecrit comme le contrepoint du mythique « My generation », c’est le dernier clou sur le cercueil des années soixante, on voulait tout changer, on s’est fait entuber, mais gaffe, vous nous baiserez plus. Une autre partie du titre sériel à l’ARP l’introduit, genre réplique-miroir de « Baba O’ Riley », avant que Moon et Townshend du haut de son meilleur riff viennent installer une puissance de feu croissante et inexorable pendant plus de six minutes. Quand les notes d’ARP reviennent, ne pas entretenir l’espoir qu’on se dirige vers un final pianissimo. La batterie herculéenne de Moon, le riff suramplifié de Townshend et un chant littéralement hurlé de Daltrey explosent à nouveau les haut-parleurs. Remarque toute perso, tant par sa durée que sa construction (même si le propos n’est pas le même), « Paradise City » des Guns N’Roses est le titre qui se rapproche le plus de « Won’t get fooled again ». Pas un hasard si ce titre est aussi de très loin le meilleur de la bande de à Axl Rose et Slash.

« Who’s next », évidemment il fallait l’avoir en vinyle. Enfin, pour ceux qui avaient la chance d’être ados dans les seventies, et donc le malheur d’avoir les cheveux blancs aujourd’hui (pour ceux à qui il en reste, des cheveux). Evidemment, outre les multiples rééditions en format d’origine (la mienne est un vinyle honteux de 78, pressage en 80 grammes), l’ère Cd a aussi pondu ses litanies de versions de « Who’s next » (bizarrement à ma connaissance, pas de « reconstitution officielle » intégrale du projet « Lifehouse », il vaut peut-être mieux, voir le cas d’école « Smile » suite mythique du « Pet sounds » de Beach Boys, qui quarante ans après sa parution initiale avortée, n’a pas bouleversé grand-monde). Une des meilleures rééditions Cd (gros son, bonus, livret instructif que j’ai pillé sans vergogne pour rédiger cette notule) est celle de 1995. Sept titres supplémentaires (du live au Vic Theatre, les premières versions de titres qu’on retrouvera sur des compilations et que les Who ont joué en public dans les seventies, des maquettes de travail) ont le mérite de prouver que le projet « Lifehouse » a bien fait d’être abandonné, un double ou un triple album à la place de « Who’s next » n’aurait pas eu le même impact …

Ethan Russell & The Who

Un mot sur la pochette. Initialement, ce devait être une photo de Keith Moon, pas à une pochade douteuse près, en travesti SM. Cette photo existe, elle a servi de support à des pubs dans la presse annonçant la sortie du disque. La photo retenue est quasiment accidentelle, et relève aussi d’un projet abandonné. Celui d’un pont devant supporter un axe routier, seules quelques bases de pilier avaient été érigées en pleine nature du côté de Durham (nord-est de l’Angleterre). Repéré lors d’un retour de concert, le groupe y est revenu avec le photographe Ethan Russell (l’auteur des quatre portraits de la pochette de « Let it be »). Beaucoup d’interprétations de cette photo ont circulé. Il semblerait in fine que personne n’ait uriné sur cette sorte de monolithe (juste de l’eau versée « artistiquement ») et que l’allusion à Kubrick et à « 2001, Odyssée de l’Espace » soit purement fortuite. L’idée de base était de retranscrire l’étrangeté de ce bloc de béton au milieu d’une cambrousse désertique … les idées venues lors de la séance de shooting ont fait le reste …

« Who’s next » sera le plus haut fait d’armes des Who. Et surtout leur dernier, les années 70 auraient pu leur appartenir, elles ne seront que le témoin de leur inexorable dégringolade artistique. Si « Who’s next » n’est pas a minima dans votre Top Ten, on risque de pas être d’accord …


Des mêmes sur ce blog :

Sings My Generation

A Quick One 





CANNED HEAT - BOOGIE WITH CANNED HEAT (1968)

 

Ascenseur pour l'échafaud ?

Canned Heat … J’ai arrêté de compter le nombre de fois où je les ai cités (souvent en compagnie de Status Quo) pour décrire d’une façon compréhensive par tous quelque chose de pénible et répétitif. Un truc bien ianch, quoi … Les Canned Heat, c’est malheur et misère à tous les étages. Les deux leaders et fondateurs du groupe claqués bien jeunes, ce qui n’empêche pas Canned Heat de bientôt entamer sa sixième décennie d’existence. Au répertoire, une litanie immuable de boogies monotones (dans tous les sens du terme), étirés pendant une demi-heure (voire plus) sur scène. Le tout d’un rigorisme et d’un ascétisme virant à l’idée fixe, à la trademark…

Vestine, Wilson, Hite, Taylor, De La Parra : Canned Heat 1968

Vous imaginez sans peine ce qui va suivre avec ce « Boogie with Canned Heat » …

Bon, vous vous trompez. Derrière le titre pléonastique, se cache un bon disque. Qu’il ne viendra certes à l’idée de personne de classer parmi les grandes œuvres des 60’s-70’s, mais s’il fallait en retenir un du Heat, c’est celui-là. Parce que durant leur période « royale », le groupe n’en a sorti qu’une poignée, et celui-ci dépasse de loin tous les autres. Et aussi et surtout, parce qu’il n’y a pas que des boogies, il y a aussi des blues (du boogie, du blues, il doit plus rester grand-monde, la plupart des lecteurs sont à ce stade retournés jouer en ligne, où voir si une blonde vulgaire, la quarantaine pas farouche, n’était pas venue consulter leur profil Tinder). Mais pas que. « Boogie … » est le disque le plus varié, le plus subtil de Canned Heat.

L’histoire commence à Westwood, quartier (celui de l’UCLA entre autres) de Los Angeles. Dans un magasin de disques consacré aux vieilles rondelles de blues, bosse le dénommé Bob Hite, pilosité néanderthalienne et carrure massive (son surnom « The Bear » n’a pas nécessité beaucoup d’imagination). Hite en plus d’être vendeur, est un collectionneur compulsif de ces préhistoriques galettes rustiques (mais pas un gestionnaire, il se séparera de ses dizaines de milliers de vinyles pour cause de faillite personnelle). Un de ses clients est Alan Wilson, redoutable bigleux (pour lui aussi, le surnom « Blind Owl » sera une évidence) toujours à la recherche d’une pièce rare en 78T ou en acétate. Le binoclard emmènera un jour sa guitare, le gros poussera la chansonnette, et après le long périple habituel des va-et-vient de personnel, des galères et des premiers concerts et enregistrements, une formation se stabilise, se professionnalise plus ou moins sous le nom de Canned Heat (en référence à une chanson d’un antique bluesman dont j’ai pas envie de rechercher le nom).

Bob Hite

Un premier album éponyme (quand je vous disais que Canned Heat et imagination ça rime pas) voit le jour début 67, et il est uniquement composé de reprises (de blues) et comme on le dit en termes diplomatiques, ne trouve pas vraiment son public. La rotation du personnel continue, et au trio en lice au début d’année (Hite, Wilson et le bassiste Larry Taylor), viendront s’ajouter le guitariste Henry Vestine (venu de la galaxie Frank Zappa) et le batteur Fito De La Parra rejoindra le groupe en studio qui enregistre ce qui deviendra « Boogie with Canned Heat ».

Sauf que … accident industriel. Durant l’été, le groupe en tournée (et en goguette) s’est fait serrer par les keufs, poches lestées d’herbe qui rend nigaud. En ces temps-là, période psychédélique ou pas, flics et justice rigolent pas avec la drogue, surtout quand ça concerne des corniauds de seconde zone. Le type qui leur sert vaguement de manager (Dick Taylor, rien à voir avec le bassiste) profitera de l’occasion. Il payera la caution pour faire sortir du poste (Vestine, qui jouait avec Zappa - lequel virait immédiatement tout musicien en possession ou ayant consommé des substances – avait esquivé la rafle) les quatre nigauds, moyennant la moitié des droits d’auteur sur leurs chansons et disques à venir. Autrement dit, fini les albums 100% reprises, le groupe allait devoir composer. Conséquence immédiate, une demi-douzaine de reprises déjà mises en boîte seront écartées, et paraîtront plus tard en bonus sur des rééditions (j’y reviendrai plus bas … si j’y pense). Mais, comme beaucoup à l’époque (Led Zeppelin sur son premier album), Canned Heat va enregistrer des reprises dont ils « oublieront » de créditer les auteurs.

Alan Wilson

Cas d’école, le dernier titre de l’album, « Fried Hockey Boogie », onze minutes au chrono. Ecoutez l’intro. Note pour note la même que celle de … « La Grange » de ZZ Top, sorti cinq ans plus tard. Etonnant ? Ben non, le Heat et les Texans ont pompé sans vergogne le « Boogie Chillun » de John Lee Hooker, qui lui-même avait repiqué un riff que son beau-père lui avait appris, et qui venait de la tradition musicale du fin fond du Delta blues … Pour éviter de se fâcher avec le Hook, le même titre live sera rebaptisé « Woodstock Boogie » (vingt-sept minutes) lors du fameux festival, ou « Refried Boogie » (quarante et une minutes (!) sur « Playing the blues »). Banqueroutes mutuelles en vue, Canned Heat et John Lee Hooker laisseront leurs avocats au vestiaire pour enregistrer ensemble « Hooker & Heat », renflouant momentanément leurs carrières. Le morceau litigieux sera évidemment de la partie, cette fois intitulé « Boogie Chillun n°2 » (un auto-plagiat de Hooker, version électrique de l’original acoustique) et crédité à Hooker. Fin de l’histoire ? Non, car une variation du riff sert d’ossature à « On the road again » …

« On the road again », c’est le titre le plus connu du Heat. Un morceau à la trajectoire étrange. Enregistré en version blues de sept minutes et écarté avec d’autres de « Boogie … ». Avec au chant, la voix aigue et fluette d’Alan Wilson. Une nouvelle version, plus courte (cinq minutes), au tempo plus rapide et introduite par un drone de tampura (sorte de sitar) persistant figurera sur « Boogie … » (premier titre enregistré avec le nouvel arrivé De La Parra). Et parce qu’avant que l’album soit dans les bacs, il faut sortir du vinyle, la version de l’album amputée des solos d’harmonica et de guitare, sera la face B d’un 45T avec en face A un – toujours cette imagination dans les titres – « Boogie music » (disparu du tracklisting de « Boogie … » et même des bonus tracks, c’est dire que ça devait pas être un titre terrible). Peu captivé par cette face A, un DJ retournera la galette et passera « On the road again » à l’antenne … on connaît la suite, le titre a traversé les décennies …

« Boogie … » c’est pas seulement des histoires de plagiat, et faces B qui deviennent des hits planétaires. C’est un disque qui sans être forcément captivant par son originalité n’est pas une enfilade de titres siamois. N’en déplaise aux puristes qui ne jurent que par St Wilson et St Hite lorsqu’il est question du Heat, le grand bonhomme de « Boogie … » pour moi c’est Vestine. Grand guitariste sous-estimé, balançant des solos pleins de wah-wahs hendrixiens (sur l’introductif « Evil woman ») et de pédale fuzz (un peu partout ailleurs). Parce que sans être de mauvaise foi (et je m’y connais en mauvaise foi), on peut pas dire que niveau compositions et niveau instrumental, ce soit stratosphérique. Alan Wilson (un peu d’harmonica, de piano de guitare et de slide) ne laisse pas pantois par sa technique, la rythmique Taylor – De La Parra fait son job sans plus (leurs solos respectifs sur « Fried hockey … » ne sont pas entrés dans la légende des grandes démonstrations virtuoses), et Bob Hite pourtant physiquement imposant ne marque pas spécialement son territoire au chant. Le vrai bonus du disque, c’est Vestine, d’ailleurs il a un titre instrumental (ou plutôt un solo de cinq minutes) rien que pour lui. « Marie Laveau » qu’il s’appelle ce titre, en référence à une figure mythique de la culture vaudou du bayou louisianais. « Marie Laveau », traditionnel que l’on retrouvera (avec des paroles) chez Dr John. Admirez la transition … parce que le bon toubib, on voit pas son nom sur la pochette (une histoire de contrats, de droits, un truc du genre), mais il a bien participé à ce « Boogie … » et ça s’entend. Le piano swinguant et les arrangements de cuivres sur « Marie Laveau » et « An Owl song », c’est lui, et ça rompt carrément le ronronnement monotone des boogie blues.


« An Owl song », c’est l’autre titre de la galette écrit et chanté par Wilson, un rhythm’n’blues léger avec cuivres en avant et le piano new-orleans style du Toubib. Si ce titre démontre que Wilson avait les moyens de faire évoluer le monolithisme du Heat, pas seulement à cause de sa voix de falsetto, mais surtout parce qu’il pouvait écrire dans un autre registre que les douze immuables mesures, le groupe n’aura pas vraiment le temps d’exploiter ses talents (l’autre gros succès du Heat, « Going up the country », c’est aussi lui), il en sera le premier macchabée (ingestion de trop de barbituriques, sans que la thèse du suicide puisse être validée). Il n’en tirera aucune gloire posthume (il est celui du « Club des 27 » qu’on ne cite jamais), c’était un gars au tempérament discret voire mutique, il n’avait rien du rocker flamboyant …

Canned Heat était un groupe sympa, accessible, et du moins à ses débuts plutôt « positif » (point trop de drogues dures, ça viendra plus tard). Témoin sur « Boogie … » le titre anti-drogue « Amphetamine Annie » boogie mâtiné de rhythm’n’blues. Episode connu de la coolitude du groupe, lors du festival de Woodstock, pendant que le groupe joue, un zombie raide def monte sur scène, titube vers le colossal Hite, et vient le taxer d’une clope. Hite sort son paquet de la poche de son polo Prisu, file une clope au gars qui fouille ses poches, il a pas de briquet. Hite sort le sien, donne du feu au quidam, qui entame la causette, puis repart en zigzaguant, le tout sans que Hite se départisse de son sourire et de sa bonhommie. Lors du même festival, l’activiste et plus ou moins organisateur Abbie Hoffman, monte sur scène à la fin d’un titre des Who, et commence à entamer un speech militant au micro. Speech dont on ne saura rien, Pete Townshend lui administre un magistral coup de pied au cul et l’éjecte de la scène …

Bon, revenons à « Boogie … ». Quelques machins bluesy (« Whiskey headed women », « Turpentine moan ») de circonstance, bien dans la ligne du parti, n’apportent pas grand-chose, tout comme le boogie-rock de « World in a jug ». La rondelle ne serait pas complète sans un autre titre à la John Lee Hooker, « My crime ».

En tout cas, la version réaménagée de « Boogie … » est meilleure que ce que le disque aurait pu donner avec les premières reprises mises en boîte, avec ses reprises empruntées au répertoire de (of course) Hooker (« Whiskey & wimmen », T Bone Walker (« Mean old world »), Albert King (« The hunter »), Buster Brown (« Fannie Mae »), ou Big Joe Turner (« Shake rattle & roll »). Pour les deux dernières, ça souffre quand même un peu beaucoup de la comparaison respectivement avec les versions de Presley ou des Stones.

Voilà, voilà, j’ai dit pas mal de bien d’un disque de Canned Heat …


LOU REED - TRANSFORMER (1972)

 

Englishmen in New York

Cela va sans dire, mais ça va pas plus mal en le disant. Le Velvet Underground, groupe crucial s’il en fut, c’est Lou Reed et les autres. Que ces autres s’appellent Andy Warhol, John Cale, Sterling Morrison, Nico, Moe Tucker, Doug Yule ou qui on voudra, ce n’est pas leur faire injure que d’affirmer que c’est Lou Reed qui a fait le plus gros du boulot, et que tous ces titres, devenus mythiques du Velvet, c’est lui qui les a écrits.

Reed & Bowie 1972

Lou Reed a eu beau démontrer qu’il avait du talent – beaucoup – il a aussi prouvé que c’était un mec pas très sympa, voire un sale con. Après son départ du Velvet (trois disques et les compos du quatrième), il a volé de ses propres ailes, signé en solo par RCA. Un premier disque éponyme sera une des pires ventes de la vénérable firme. Faut dire que le Velvet vendait très peu, quelle que soit son influence sur ses contemporains (« le premier Velvet s’est vendu à mille exemplaires, mais tous les types qui l’ont acheté ont monté leur groupe » dixit plus tard Brian Eno), Lou Reed n’était qu’un musicien pour musiciens, selon la formule consacrée.

Parmi ses fans, l’Anglais David Jones, rebaptisé Bowie. Qui dans l’été 72, triomphe (après des années de vaches soit maigres soit faméliques), avec son double extra-terrestre Ziggy Stardust, et porte au sommet des charts le concept musical de glam rock. Et maintenant qu’il a les moyens, il se propose pour donner un coup de main à tous les gens dont il est fan. Premier servi, Ian Hunter et son groupe Mott the Hoople à qui Bowie offre ce qui sera leur seul grand hit, « All the young dudes ». Par l’intermédiaire de sa maison de disques (RCA, ça tombe bien), Bowie propose de travailler avec Lou Reed sur son prochain disque. Va savoir pourquoi, le misanthrope Lou accepte (enfin, il a dû y avoir des pressions « amicales » du management et de RCA), et Bowie s’envole pour New York avec le titre de producteur de « Transformer », le prochain Lou Reed, non sans avoir glissé dans ses bagages son guitariste Mick Ronson (crédité comme coproducteur), et Ken Scott (assistant de George Martin période Beatles, producteur de « Ziggy Stardust », il sera seulement crédité du mixage de « Transformer », mais nul doute qu’il s’est beaucoup plus impliqué que ce que disent les crédits de pochette).


Il y a du boulot. A même pas trente ans, Lou Reed est déjà un has been. Il a certes des chansons en réserve, mais voir des rosbifs débarquer et s’occuper de sa « carrière », ça le fait pas sauter de joie. On imagine l’ambiance en studio et les séances houleuses. D’ailleurs, une fois le succès de « Transformer » certifié, il ne se privera pas pour épancher son fiel sur Bowie et son équipe. La routine …

Il est peut-être sorti pour le cinquantenaire du disque une version en quinze CDs et huit Blu-ray sur les sessions de « Transformer » (quand il s’agit de vendre pour la énième fois aux fans une rondelle mythique, tous les prétextes et arguments foireux sont bons) mais il suffit de la version Cd de 2002 avec juste deux « inédits » (les démos acoustiques de « Hangin’ ‘round » et « Perfect day ») pour voir qu’on était très loin du résultat final. Incontestablement, Bowie, Ronson et Scott ont énormément apporté.

Certains titres sont stricto sensu du glam-rock (« Hangin’ ‘round », calqué sur la reprise du « Round & round » de Papy Chuck Berry par Bowie, « Make up » traité comme les ballades du même Bowie, « Satellite of love » et son crescendo à la « Rock’n’roll suicide », « I’m so free » glam-rock ou plutôt rock-glam avec la guitare de Ronson très en avant). D’autres par contre sont du pur Lou Reed, le boogie monolithique de « Vicious », « Perfect day », réminiscent des balades du 3ème Velvet, la courte rigolade (enfin, rigolade et Lou Reed, vous imaginez le tableau, c’est juste souriant) « New York telephone conversation », et Goodnight ladies », voyage au bout de la nuit newyorkaise, comme une version interlope du « Il est cinq heures Paris s’éveille » de Dutronc. Ce dernier titre comme une sorte de contrepoint à « Walk on the wild side ».

Ah, « Walk … », le genre de titres comme on en écrit pas quatre dans sa vie (quand on s’appelle Lou Reed, pour quasiment tous les autres, ça relève du rêve …). Portraits croquignolets de tous les oiseaux de nuit qui hantent les rues mal famées de New York, les transsexuels (Holly et Candy Darling), les prostitués défoncés (Joe) ou les défoncées tout court (Jackie), une ligne de basse unique de Herbie Flowers (que Bowie recrutera lors de sa carrière américaine de 75-76), les mythiques vers « but she never lost her head, even when she was givin’ head », le tout pour un des plus improbables titres à avoir jamais atteint le haut des charts.


Ronson est très présent (plus même que chez Bowie), lui et le Ziggy font les chœurs, et le grand bonhomme du disque est la révélation Herbie Flowers qui magnifie « Walk … » certes, qui dirige « Andy’s chest » (hommage du bout des lèvres à Warhol), et joue de l’improbable tuba sur « Make up ».

« Transformer » est un disque quasiment parfait (un seul titre faible, « Wagon wheel »), avec sa pochette devenue iconique tant son recto (la photo « ratée » de Mick Rock, égarée parmi toutes celles qu’il présentait pour la pochette, c’est évidemment celle que le Lou a choisie) que son verso du photographe Karl Stocker (la mannequin anglaise Gala Mitchel et le pote de Reed Ernie Thormahlen avec sa banane dans le jean).

« Transformer » boosté par « Walk … », lancera la carrière internationale de Lou Reed, fera reconnaître tardivement le Velvet (le concert français de « reformation » avec Nico et John Cale l’année suivante). En 73 paraîtra l’autre grand classique de Reed, « Berlin », beaucoup plus sombre et glauque qui assiéra définitivement son statut de figure tutélaire du rock. Dès lors à l’abri du besoin, Reed pourra laisser libre cours à sa mauvaise humeur (pour être gentil) légendaire, faire paraître une litanie de disques où le très bon côtoie le sans intérêt, avant un ultime chef d’œuvre (« New York ») à la fin des 80’s …


FOO FIGHTERS - ONE BY ONE (2002)

 

La folie des grandeurs ...

Qu’est-ce qu’on fait quand on s’appelle Dave Grohl, qu’on sait pas quoi faire et qu’on est plein aux as ? C’est simple, on claque un million de dollars en séances de studio qui durent un an (merci Arista-BMG qui ont sorti le chéquier) pour préparer son prochain disque. Et puis, quand à tête reposée on écoute le résultat, on se dit que c’est de la daube, on efface tout et on recommence en trois semaines. Le résultat c’est « One by one », quatrième rondelle des Foo Fighters, kolossales ventes, quatre singles dans les charts … et quelques années plus tard, le Grohl lui-même dit que ce disque est pas du tout réussi. I agree …


Rembobinons. Grohl, c’est le meilleur batteur des années 90 (et forcément suivantes, maintenant c’est des machines qui remplacent la batterie, en attendant que l’AI nous ressuscite Bonham, Moon, Watts et d’autres …). C’est Grohl qui tient la baraque sonore chez Nirvana, qui fait de « Songs for the deaf » de son pote Josh Homme le meilleur disque des Queens of the Stone Age, qui rend écoutable Them Crooked Vultures (les Led Zep du pauvre). Dans les Foo Fighters, il a décidé qu’il jouerait de la guitare (rythmique, le Dave c’est quand même pas Hendrix six-cordes en main) et chanterait (comme il peut, c’est pas vraiment Sam Cooke, Jaaaaames ou Otis). Bon, après tout, il fait ce qu’il veut, c’est son groupe et il en est le Leader Maximo.

Avec ses trois premiers disques, les Foo Fighters étaient devenus un nom qui compte et fait tinter les tiroir-caisse, au moins aux States … D’où le million claqué en studio … Et même si leur troisième était jugé un peu inférieur à la doublette introductive … « One by one », c’est l’accident industriel, même si au pays des bouffeurs de burgers, ça s’est précipité par centaines de milliers chez les disquaires et dans les stades. Parce que « One by one », c’est le disque typique du stadium rock. Du gros son, de grosses guitares, de gros roulements de toms, des chansons comme des hymnes avec chœurs virils, des trucs à brailler tous ensemble dans les arenas …


Axiome vieux comme le rock : un mauvais disque a une pochette toute moche. Et de ce côté-là, Grohl et sa bande ont fait fort. Pourtant ce gribouillis cardiaque infect est signé Raymond Pettibon, maître plasticien et pointure dans le monde le l’art contemporain (pochette la plus marquante : celle de « Goo » de Sonic Youth), à se demander si on lui avait pas suggéré de la faire gratos celle-ci. Le livret est pas mieux foutu, quasiment zéro information, juste quatre photos signées par Anton Corbjin.

« One by one » offre un tracklisting facile, les quatre premiers titres sont sortis en singles, et le reste, ma foi, on a fait avec les moyens (musicaux) du bord. Par ordre d’apparition « All my life », considéré par les sourds comme le morceau emblématique des Foo Fighters. Ultra prévisible, on sent dès les premières mesures acoustiques et cool que ça va pas durer, que ça va bientôt bastonner. Et effectivement ça bastonne, une mélodie asthmatique noyée sous une pluie de décibels, le truc typique du rock mainstream pour stades. Suit « Low » sous influence assez évidente Nine Inch Nails – Ministry. Sauf que tout est policé, rien ne dépasse, c’est très linéaire, le titre pourrait durer trente secondes ou trois heures qu’il se passerait rien. « Have it all », c’est de la power pop bruyante, et s’il ne devait en rester qu’un de ces singles, c’est celui que je retiendrai. Parce que le suivant, « Times like these », intrinsèquement point trop moche, souffre en revanche des lacunes criantes de Grohl au chant.

Foo Fighters live at Reading 2002

On n’en a pas fini avec « One by one », loin de là, il reste encore sept titres (l’ensemble atteint quasiment l’heure, ça délaye beaucoup, aucun titre à moins de quatre minutes, et le dernier culmine à plus de sept).

De cette longue litanie de titres dispensables, je sauve « Lonely as you », la mélodie la plus marquante, la progression de gentille power pop à un final hurlant et saturé. Le reste est bien trop souvent problématique, du quasi-plagiat (dans la construction) de « Still loving you » des Scorpions (ici ça s’appelle « Tired of you »), ou de « Synchronicity Pt II » de Police (« Halo »). Une poignée de titres braillards avec un son qui fissure l’émail des dents complètent la rondelle, juste là parce qu’ils sont taillés pour éventuellement être repris en chœur par des gugusses dans des stades.

Quant on sait que c’est ce disque qui a fait passer les Foo Fighters du rang de gros groupe d’indie-rock à celui de tête d’affiche des festivals, on en arrive à se poser des questions sur le bons sens auriculaire de nos amis d’Outre-Atlantique …

En équilibre sur le bord de la poubelle … allez, repêché, parce que le Dave, en plus d’être un grand batteur (quand il daigne s’installer derrière un kit), ça m’a l’air d’un gars plutôt sympa, capable de reconnaitre que ce « One by one » il est vraiment pas terrible …


Des mêmes sur ce blog :

Foo Fighters
Sonic Highways





THE JIMI HENDRIX EXPERIENCE - ELECTRIC LADYLAND (1968)

 

Citius, Altius, Fortius ...

Alors qu’on commence à nous les briser menu avec les J.O. exceptionnels (si si, ils seront exceptionnels, c’est Micron qui le dit) de Paris 2024, qui verra une meute de blindés de tous les continents applaudir mollement entre deux coupes de champagne rosé et un shopping Place Vendôme, des sportifs ultra-professionnels et dopés jusqu’aux yeux, causons un peu d’un type et de son disque qui sont eux vraiment allés plus vite, plus haut et plus fort que tous les autres.

C’était en 68, année des eux vraiment mythiques Jeux Olympiques de Mexico. Pendant que Bob Beamon et Tommi Smith sautaient plus loin et couraient plus vite que tous les autres (records qui ont tenu des décennies), et que le même Tommi Smith et John Carlos levaient un poing ganté de noir lors de la cérémonie de remise de médailles du 100 mètres (la photo la plus connue de toute l’histoire des J.O., en dénonciation de la ségrégation raciale dans leur pays, les Etats-Unis), à un peu plus de trois mille kilomètres au Nord-Est du Stadio Olimpico Universitario de Mexico, à New York, un type également pas très blanc de peau, enregistrait un disque qui lui aussi placerait la barre à un niveau infranchissable.

Pochette Linda Eastman

Avant « Electric Ladyland », Hendrix est perçu chez lui, aux States, au mieux comme un phénomène de foire. Ceux qui l’avaient embauché à ses tout débuts dans leur backing band (Isley Brothers, Little Richard, Ike & Tina Turner, …) et qui, soit parce qu’il n’en faisait qu’à sa tête, soit plus vraisemblablement, parce qu’il leur faisait de l’ombre, l’ont viré sans ménagement, l’ont copieusement dénigré auprès de la « profession ». A preuve, Hendrix a dû s’exiler, en Angleterre et en France, faire ses preuves en Europe. Avant de revenir chez lui, où, s’il a cette fois conquis la « profession » (sa prestation à Monterey avec sa guitare embrasée n’est pas passée inaperçue), le « grand public » n’en a pas fait quelqu’un qui compte commercialement parlant.

Là, en 68, il veut marquer les esprits. Toujours avec Mitchell et Redding, il commence des répétitions à Londres, mais commence à regarder vers l’Amérique. Ses premières royalties (enfin, celles qui ne sont pas converties en dope et plaisirs futiles) sont investies dans un club miteux à Greenwich Village, New York. Il a tout d’abord l’idée d’en faire un endroit branché de la nuit new yorkaise, avant, semble t-il sous l’impulsion de la Warner (qui distribue ses disques aux States via le label Reprise) et de son avisé manager Chas Chandler, d’y créer un studio d’enregistrement. Hendrix veut un endroit à sa (dé)mesure, qui s’appellera l’Electric Lady. Il va y laisser tout son fric, les retards vont s’accumuler et l’endroit ne verra le jour que grâce à Warner qui signe le dernier chèque (et récupère plus ou moins l’endroit).

Pochette UK

C’est donc dans l’Electric Lady que Hendrix compte enregistrer son prochain disque. Sauf que vu les circonstances, la quasi-totalité de l’enregistrement se fera au Record Plant, la production sera signée Jimi Hendrix, avec quand même une participation non négligeable de l’ingé-son Eddie Kramer (qui deviendra un producteur connu, on trouvera son nom dans le sillage de Kiss et Led Zep, avant d’être désigné par Janet Hendrix, héritière de son demi-frère Jimi, comme une sorte de légataire sonore de toute œuvre portant le nom de Jimi Hendrix). Pour la petite histoire (la légende ?), Kramer refusait d’enregistrer quoi que ce soit si les musiciens arrivaient sous substance et/ou en consommaient en studio … le quotidien a pas dû être simple pour lui … Et le studio Electric Lady ne sera terminé qu’au cours de l’été 70, et inauguré quelques semaines avant la mort d’Hendrix, qui n’y aura enregistré que très peu de choses, dont aucune parue de son vivant …

« Electric Ladyland », le disque, est évidemment baptisé en référence à son projet de son studio. C’est un disque de rupture, par rapport aux deux disques précédents, qu’on pourrait qualifier de « chansons ». C’est aussi un double vinyle, denrée plutôt rare à l’époque (« Blonde on blonde », « Freak out ! », il m’en vient pas guère d’autres à l’esprit, le Double Blanc et un machin de Canned Heat sont sortis quelques jours ou semaines plus tard il me semble). Faut avoir des choses à dire (Dylan), ou à délayer (Zappa) pour s’attaquer à ce genre de format. Ça tombe bien, Hendrix a plein de choses à dire, et est aussi capable de les délayer.

Pochette Alain Dister

Pour ceux qui auraient pris un siècle de vacances sur une autre planète, il est utile de préciser que Jimi Hendrix en studio, compose, produit, chante, joue de la basse quand ça lui prend, et surtout de la guitare, furieusement électrique de préférence. C’est pas mon genre de m’extasier devant un mec les yeux tournés vers le ciel, les cheveux et le nez dans le manche, toutes grimaces dehors, en train de s’exciter sur le manche d’un objet à forme phallique relié au secteur. Les plaisirs solitaires, c’est faute de mieux quand t’es ado, et plus tard ça relève quand même un peu (et de plus en plus avec l’âge) de tout un tas de sciences dont le nom commence par « psy » … Mais bon, tous les types connus (et même si ça en coûte à certains) ou pas, ayant gratté une six-cordes vous le diront, il y a Hendrix qui caracole loin devant et tout le reste du troupeau qui essaye de suivre (et les pires du troupeau étant bien souvent ceux qui s’en réclament le plus, voir les cas d’école Marino, Trower et SR Vaughan, copistes sans imagination …).

« Electric Ladyland » se retrouve toujours cité parmi les plus grands disques de tous les temps, tous genres confondus, et toujours vers le sommet des palmarès. Bon, pour le coup, ceux qui font qui des listes et des classements numérotés n’ont dans ce cas pas tort.

Un grand disque, ça doit commencer par une pochette qui marque les esprits. On dira que « Electric Ladyland » est a priori l’exception qui confirme la règle. La pochette officielle (celle de Reprise -Warner US) est un gros plan du visage d’Hendrix, de trois-quarts face en légère contre-plongée, figure jaunâtre et cheveux rouge incendie (photo prise lors d’un concert londonien). Hendrix n’aimait pas cette pochette, il voulait une photo de l’Experience prise avec des enfants à Central Park par Linda Eastman (qui contrairement à une légende urbaine n’est pas de la famille Eastman-Kodak, c’est une grande bourgeoise fille d’avocats, qui commence à fréquenter - et ne va pas tarder à se marier avec - un obscur bassiste gaucher anglais, un certain Paul McCartney). On retrouvera cette photo sur des rééditions tardives et expended de « Electric Ladyland ». Au pays d’Aurore Bergé, la pochette mythique est celle du pressage anglais et européen, un parterre de dix-neuf femmes nues sur fond noir. Pochette anglaise et européenne ? Non, car comme dans Astérix, Français et Béneluxois résistent aux infâmes anglo-saxons et se verront gratifiés d’une photo de pochette signée du Français Alain Dister, plutôt collector. Fouillez dans les greniers, la pochette anglaise en édition originale et état mint vaut une blinde, le pressage français chez Barclay avec la pochette Dister peut quand même se négocier plusieurs centaines d’euros … Et s’il y en a que ça intéresse (je viens juste de m’en rendre compte), j’ai une K7 de 1968 de Polydor International (pochette avec les femmes nues) destinée au marché français (avec texte en français) avec les faces des vinyles chamboulées (1.4.2.3), une K7 répertoriée nulle part, même pas dans les 441 versions du disque listées par Discogs. Faire offre (à plus de trois chiffres avant la virgule minimum, collector garanti) …

La pochette préférée d'Hendrix ?

Voilà voilà … mine de rien plus de douze centaines de mots sans un seul pour causer de la musique de cette double rondelle de plastoc …

Venons-en donc aux faits. « Electric Ladyland » est un disque fou. N’importe quel être doué de raison entame son disque par un voire plusieurs morceaux accrocheurs, de la chair à single de préférence. Hendrix non. « … and the Gods made love » est un charabia d’effets électroniques et de voix trafiquées. Il a beau ne durer qu’un peu plus d’une minute, y’a de quoi rester perplexe devant entame aussi ratée … « Have you ever been (to Electric Ladyland ») est à peine meilleur, courte ballade acoustique doucereuse, qu’on s’attendrait plutôt à trouver sur une rondelle signée Donovan, que chez le Maître es Stratocaster et Flying V. « Crosstown traffic » fut le second single extrait du disque. Pop psychédélique aux arrangements fous, réminiscent du trente précédent « Axis : Bold as love », et toujours pas de guitare folle. Cependant le premier titre « sérieux » du disque. Et ensuite, sans vraiment prévenir, premier voyage stratosphérique. « Voodoo chile », jam sur un slow blues. Quinze minutes apparemment enregistrées sans filet, live en studio (on entend des types commenter et applaudir). Et ils applaudissent pas seulement Hendrix qui livre une paire de solos cosmiques, mais aussi le prodigieux Steve Winwood, tout juste vingt ans (et déjà plus que remarqué dans le Spencer Davis Group, Blindfaith et Traffic, excusez du peu). Le minot livre un duel homérique au vieux (25 ans) Hendrix, le poussant dans ses derniers retranchements à coups de duels Hammond B3 – Stratocaster (un procédé qui sera usé jusqu’à la corde chez Deep Purple, sur « Child in time » en particulier). « Voodoo chile » marque aussi un des premiers coups de canif de Hendrix au strict trio Expérience, puisqu’outre Winwood en pièce rapportée, on note la présence de la basse vrombissante de Jack Casady, en RTT de chez la Jefferson Airplane Ltd … Une première face de vinyle encore plus mal commencée que celle de « Tommy » (et pourtant je déteste leur « Overture ») et qui finit par tutoyer les étoiles.

La seconde face est la plus « facile », accessible du disque. Pour faire simple, on dira que c’est la face chansons. Certes plus ou moins barrées, farcies de psychédélisme, et de décharges électriques d’Hendrix. Comme pour se faire pardonner de ne l’avoir pas pris sur « Voodoo chile », Hendrix laisse Noel Redding chanter une de ses compos, « Little Miss Strange », titre classique par sa forme, mais rehaussé par la guitare d’Hendrix, qui commence vraiment à marquer son territoire. « Long hot summer night », les Beach Boys auraient pu en faire un titre de chanson, mais il ne leur serait certainement pas venu à l’idée (et pourtant, niveau « ailleurs », Brian Wilson était pas mal non plus) de le servir dans une interprétation aussi nerveuse, aussi méchante. « Come on » reprise à Earl King suit (en fait au dernier moment, le titre a été avancé d’une piste, il était prévu en quatrième position sur la tracklisting rédigée par Hendrix lui-même). C’est un rhythm’n’blues tirant sur le rock’n’roll, très classique par sa structure, mais distillant une paire de solos qui sont la matrice de tous les guitar héros dispensables pensant que jouer le plus de notes possibles suffit à faire un bon morceau (ce que n’a jamais compris un Alvin Lee, exemple au milieu de tant d’autres). « Gypsy eyes », c’est de la pop envapée, cosmique, et ça aussi ça assure la transition avec « Axis … ». « Burning of the midnight lamp » clôture cette seconde face, offre une approche toute particulière de la soul music, avec une voix farcie d’effets de studio, notamment du phasing.

Faire offre ...

La troisième face vinyle nous offre un Hendrix voyageur cosmique, jouant sur les ambiances plutôt que sur la violence électrique. Personne à ma connaissance n’avait encore exploré cette voie sonore, fusionnant structures rock et murmures jazzy. « Rainy day, dream away » élargit la formule trio (ils sont six crédités, un organiste, un sax très jazzy, un percussionniste et le très massif - mais plus swing que Mitch Mitchell - batteur Buddy Myles, qui accompagnera Hendrix sur le très éphémère Band of Gypsys), on dirait au début du Nat King Cole, avant un hallucinant final strident de guitare. « 1983 … » est l’autre titre épique de « Electric Ladyland ». Il dure lui aussi presque un quart d’heure, débute comme une balade psychédélique, puis évolue vers de longues séquences apaisées, bruissements jazzy que seuls viennent sortir de leur torpeur de courts solos de batterie, de basse, de guitare, et vers le final la flûte de Chris Wood (compère de Winwood dans Traffic). On peut zapper la minute de « Moon, turn the tides … » qui reprend les mêmes ingrédients inaudibles que « … and the Gods made love ». Dont à mon sens, il sert de miroir, manière de montrer que la boucle est bouclée, et le disque terminé.

Parce que la dernière face vinyle est une arnaque, du remplissage. Quatre titres, dont trois relectures de morceaux issus des faces précédentes, et une reprise d’un machin bien connu de Dylan. C’est un peu le problème des doubles albums, tu as davantage de musique que pour un simple, mais c’est dur d’arriver au bout, alors tu délayes. Sauf que ces quatre délayages d’Hendrix, c’est à peu près la meilleure face vinyle des années 60, décennie qui en a pourtant alignées de grandioses, des faces vinyles. « Still raining, still dreaming » est une relecture de « Rainy day, dream away ». Qui laisse au placard les ambiances jazzy et voit les mêmes six musiciens se lâcher dans une débauche électrique avec les fameuses phrases zigzagantes de Telecaster qui ont traumatisé des générations de gratteux. « House burning down » est une extrapolation de la mélodie de « Crosstown traffic », beaucoup plus syncopée, violente et toute guitare en avant. Et dès lors, alors que les deux premiers titres de « Electric Ladyland » sont les plus faibles, on en arrive à cette totale incongruité, les deux meilleurs se retrouvent à la fin. « All along the watchtower », c’est tellement devenu un morceau d’Hendrix qu’on en oublierait presque que c’est un single (assez succesful d’ailleurs) récent de Dylan. La tonalité est changée, la trame country folk noyée sous un rock qui serait classique s’il n’y avait pas ces deux solos extraterrestres. L’anecdote, que j’ai déjà placée (peut-être même plusieurs fois), c’est que c’est la version d’Hendrix qui est devenue la version « officielle » de la chanson et quand Bob Dylan a été intronisé au Rock and Roll Hall of Fame, lors du bœuf final, tout un tas de people plus ou moins potes ont rejoint Dylan pour jouer « All along … ». Dylan a forcément joué sa version, tous les autres celle d’Hendrix, dont notamment George Harrison, qui partageait le micro avec Dylan et a chanté le premier couplet. Quand est venu le tour de Dylan, il a bafouillé les deux premiers vers avant de se caler sur le « tempo Hendrix », tout en continuant de jouer « sa » version à la guitare (y’a les vidéos, tout ça se voit et s’entend). « All along … » sera le premier single du disque (sans grand succès d’ailleurs, les « vrais » amateurs de musique préféraient à l’époque le format album). La conclusion de « Electric Ladyland » va encore plus marquer les esprits. Décliné de « Voodoo chile » ce « Slight return », ce n’est rien de moins que la codification définitive du hard rock (après le prototype « You really got me » des Kinks et les lourdeurs psychédéliques des Blue Cheer et autres Vanilla Fudge). Il y a les Tables de la Loi dans « Voodoo chile (slight return) ». L’intro addictive, le gros riff central saturé, et les solos pentatoniques descendus sur le manche, cinq décennies de hard rock découlent de ce titre …

Stop. Ça suffit … il y aurait encore beaucoup à dire sur la production d’Hendrix (proche celle de Syd Barrett sur le premier Floyd, ces sons tourbillonnants qui passent du fond au mix au premier plan, ces effets stéréo très psychédéliques), sur son approche unique de la guitare (disséquée par des milliers de gratteux, mais jamais dupliquée), sur des textes qui au milieu d’un fatras acide expérimental restent en phase avec l’actualité (les émeutes raciales, le Vietnam, …), sur l’évolution musicale d’Hendrix (« Electric Ladyland » c’est le point d’orgue et final de la musique psychédélique, on va maintenant passer à plein d’autres choses, tout en continuant à se défoncer copieusement…), sur l’impact d’Hendrix sur la culture populaire (quarante mois entre la sortie de « Are you experienced » et sa mort, et son nom toujours cité à tout bout de champ), …

Citius, altius, fortius, j’avais dit au début … Je persiste et signe …


Du même sur ce blog :

Are You Experienced



THE ROLLING STONES - THE ROLLING STONES, NOW ! (1965)

 

Overseas Telegram ...

Pfff … tu nous causes encore d’une vieille rondelle des Stones ? ‘tain, comme s’il y avait pas des trucs intéressants qui sortent ces jours-ci, comme euh … attends, y’en a plein des super trucs récents, comme … bof, tout compte fait, allons-y pour un disque des Stones …

Donc, à l’usage des jeunes générations, les Stones, Rolling de leur prénom, étaient un orchestre de jeunes anglais au début de la sixième décennie du siècle dernier. Orchestre qui eut un certain succès dès ses débuts et qui a compris, dès le départ, que recycler plein de vieux machins de nègres américains c’était bien, remplir des salles de concert londoniennes de fillettes en extase, c’était bien aussi, mais qu’il y avait un truc, tout rond, tout noir, qui s’appelait un disque vinyle, et que si on en vendait à plein de gens, eh bien on gagnerait plein de fric …

Bon, je suis pas en train de dire que les Stones étaient un groupe qui louchait vers le commercial, juste qu’eux (ou plutôt à cette époque-là ceux qui géraient ou accompagnaient leur carrière) ont vite entrevu l’importance de l’aspect commercial, parce qu’on était dans un monde aux infinies possibilités, mais qui restaient à inventer. Cas le plus marquant, Elvis le pas encore bouffi et le Colonel Parker, du commerce façon rouleau compresseur. Cas qui montrait que du pognon de dingue comme dirait l’autre tanche, te tombait dans les poches rien qu’en s’intéressant qu’au marché américain (par la force des choses, voir la bio du Colonel).


Les Stones avaient un manager, et pas un mauvais, Andrew Loog Oldham. Qui grâce à une communication maline (« laisseriez-vous votre fille sortir avec un Rolling Stone ? »), avait démarqué ses poulains du reste du troupeau anglais. Les Rolling Stones étaient les mauvais garçons, comparés aux gentils Beatles. Et même si l’histoire a démontré que les Beatles avaient beaucoup plus « vécu » (les concerts dans les boîtes de strip-tease de Hambourg, ça forme le caractère, mais pas que …) alors que les Stones n’avaient pas commencé d’enregistrer. Les Stones étaient le groupe transgressif, agressif, méchant, le son bordélique de leurs disques renforçant leur aspect bad boys. De plus avec leur leader l’angelot blond Brian Jones et leur chanteur Mick Jagger, ils remportaient haut la main le trophée des beaux gosses photogéniques. Enterrés tous les groupes jouant dans le même registre, tous ces Animals, Pretty Things, Them, Kinks, Who, … pourtant pas moins sauvages musicalement, et vulgairement débraillés pour leur époque.

Une fois les jalons et la suprématie posés dans la perfide Albion, les Stones, à l’instar des Beatles, sont partis à l’attaque du juteux marché américain. Dont les paramètres ne sont pas ceux de l’Europe. Coup de bol, autant Beatles que Stones n’avaient dans leur genre musical au début des 60’s, soit pas de concurrents (Beatles), soit pas d’équivalent (Stones). Les Beatles inventaient un idiome (la pop), les Stones, reprenaient l’affaire côtés blues et rock’n’roll sur un champ de ruines désertiques. Tous les bluesmen historiques qui les avaient inspirés, tous les pionniers du rock, étaient soit déjà morts, soit retirés des affaires, soit pas au mieux. Et bien que les sources de leur musique soient noires, les Stones allaient évidemment viser le marché des jeunes blancs. Il fallait pour cela mettre sur pied communication et logistique, en gros dégotter leur Colonel Parker. L’homme des Rolling Stones aux USA sera Allen Klein, au moins aussi bon vendeur de ses artistes et aussi bon escroc que le Colonel. C’est Allen Klein qui va hériter de ce « Rolling Stones, now ! ».


Pour ne rien simplifier, les disques américains des Stones sont différents des disques anglais. Pour plusieurs raisons. Le format roi du vinyle de l’époque, c’est le 45 tours quatre titres. Quand on en a sorti trois, on les met à la suite et ça donne un trente-trois tours. Toutes ces rondelles, il faut en assurer la promo. Et à cette époque-là, y’avait pas internet pour permettre le don d’ubiquité, fallait décaler les dates de sortie Europe-US, pour pouvoir faire partout le service après-vente. Sauf qu’entre-temps, d’autres titres étaient sortis et les nouveautés étaient bien évidemment prioritaires sur les 33 T. D’où des disques qui ne portent pas le même nom et n’ont pas exactement les mêmes titres sur un continent ou l’autre … « … Now ! », c’est le petit frère américain de « Rolling Stones N°2 » en Europe.

Les deux disques ont sept titres en commun, et côté hits, « …Now ! » fait l’impasse sur « Time is on my side » pour inclure son quasi siamois « Heart of Stone » (qui plus est, les deux font partie des rares titres signés Jagger -Richards, parce qu’il faut penser en termes de vente mais aussi en retombées de droits d’auteur).

Comme tous les disques de leurs débuts, les reprises sont majoritaires. Et « … Now ! » commence par « Everybody needs somebody to love », le classique de Solomon Burke, alors référence ultime de Jagger pour le chant et le jeu de scène (il y aura ensuite James Brown et Tina Turner, avant que le Mick s’émancipe et fasse du Jagger depuis plus de cinquante ans). Version plus enlevée, plus « blanche » que l’original (mais moins accrocheuse que celle des Blues Brothers). Les Stones de la fin 64 sont surtout un groupe de reprises, livrent des versions brouillonnes, à l’arrache, dans une bouillasse sonore caractéristique. C’est cette approximation (renforcée par un mixage volontairement « sale ») qui sera leur marque de fabrique pendant des décennies.

Octobre 64, Ed Sullivan Show, 1ère télé américaine

Ils reprennent dans «  … Now ! » du Chuck Berry (« You can’t catch me ») et leur version contraste avec la netteté des enregistrements originaux du grand Chuck. De toutes façons, même s’ils le reprennent pas directement, ils ne manquent pas de s’en inspirer. Surtout Keith Richards pour ses parties de guitare (d’où la fameuse anecdote du bourre-pif reçu par l’Anglais lors de leur première rencontre). Le même traitement sonore est réservé à une reprise du « Mona » de Bo Diddley, avec le si caractéristique Diddley beat noyé sous les couches « sales » de guitares. Les Stones peuvent remonter encore plus loin dans le temps en reprenant « Down the road apiece » qui fut un Top Ten (américain, of course) dans les années 40. A contrario, ils peuvent reprendre des choses toutes récentes, ici le « Pain in my heart » un des premiers titres du débutant Otis Redding. C’est pas la peine d’en rajouter, mais ça va mieux en le disant, Jagger n’a pas le coffre soul du grand Otis. Last but not least, on a aussi droit à la cover d’un des classiques du blues, le « Little red rooster » de Willie Dixon popularisé par Howlin Wolf, ici plus up-tempo et sans l’aspect sépulcral de la voix du Loup.

A côté de ça, les compos originales de Jagger / Richards font un peu piètre figure, hormis le « Heart of stone » déjà évoqué. Ces « What a shame », « Off the hook » et « Surprise, surprise », sont loin de faire partie de ce que les futurs Glimmer Twins ont écrit de mieux. Mais c’est en se forçant à écrire (bien aidés par la pression que leur mettait en permanence Andrew Loog Oldham), qu’ils finiront par trouver leur voie et l’originalité de leur démarche. Même pas six mois après ce « Rolling Stones Now ! » sortira « Satisfaction » et leur histoire et celle du rock prendra une tout autre tournure.

En attendant, « Rolling Stones Now ! » nous montre un groupe ambitieux, cherchant la reconnaissance des deux côtés de l’Atlantique. Intéressant mais pas indispensable …


Des mêmes sur ce blog : 

The Rolling Stones
Aftermath 
Between The Buttons
Beggars Banquet
Let It Bleed
It's Only Rock'N'Roll 
Blue & Lonesome