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MINISTRY - THE LAND OF RAPE AND HONEY (1988)

 

Métal urbain …

J’ai une tendresse toute particulière pour Ministry … parce que je suis bien cinglé ? ouais, certainement …

Situons le machin. Ministry est un faux vrai groupe. Le leader, c’est Al Jourgensen. Un type dont le CV et le way of life sont plutôt croquignolets. En gros, du punk et du métal dans leurs versions les plus radicales, et une addiction à l’héroïne à faire passer tous les déglingos du music business pour des amish … Keith Richards et Lemmy Motörhead, et tous leurs disciples, c’est petit bras à côté … Evidemment, ça peut donner lieu à quelques, comment dire, errements, tant musicaux que mentaux …

Ministry

Al Jourgensen a créé Ministry au début des 80’s. Avec les moyens du bord, c’est-à-dire pas grand-chose. Lui et quelques synthés d’occase. Dans ses débuts (pas écoutés), Ministry se situait dans la mouvance sonore de la pop synthétique anglaise. Petit à petit, des types viendront rejoindre Jourgensen (quelques fois des passages éclair), Ministry ressemblera au moins sur scène à un groupe de rock « classique », et parallèlement le son évoluera. La radicalité à tous les niveaux va s’imposer, et de ritournelles au synthé, on va passer à des choses beaucoup plus excessives, dans une surenchère sonore et comportementale apparemment sans limite. En une demi-décennie, Ministry va devenir la figure de proue (et plus ou moins l’inventeur) de ce que l’on appelle communément le métal industriel. Tout en végétant sur de micro-labels indépendants, et en voyant Jourgensen s’impliquer dans d’autres projets (Revolting Cocks) à peu près similaires et tout autant radicaux. Musique et prestations scéniques apocalyptiques généreront le buzz, les gros labels et les majors pointeront leur nez. Généralement, quand les gros cigares se pointent, la folie s’estompe. Chez Ministry, c’est le contraire. Plus il y a de fric, plus il y a de la coke et de l’héro, et plus il y a de boucan. Radicalisation totale …

« The land of rape and honey » (en voilà un titre qui claque, mais ne me demandez pas le pourquoi du comment, j’en sais rien) est le disque qui a fait passer Jourgensen et Ministry à l’étage supérieur, question notoriété. Il y a le nez creux de Seymour Stein le patron de Sire (filiale de la Warner, ça aide à diffuser de la rondelle argentée) qui vient de les signer, Sire est un label capable de dénicher les grosses ventes de demain (Pretenders, Cure, Madonna, Alanis Morissette, …) tout en gardant une certaine crédibilité artistique.

Al Jourgensen

Bon, classiquement comme tous les toxicos forcenés, Jourgensen a claqué la thune avancée pour le studio en substances chimiques diverses, et il a fallu faire du remplissage. Une paire de titres sont vite expédiés (« I prefer », « Flashback », tempo punk bourrin pour le premier, bouillasse sursaturée pour le second). Les trois premiers (et les trois meilleurs, on y reviendra) proviennent de singles et d’Eps déjà parus. Un fonds de tiroir est rajouté, c’est le dernier titre « Abortive », résultat de sessions antérieures londoniennes, produit sous pseudo par le célèbre remixeur Adrian Sherwood, et très différent du reste de la rondelle (basses slappées funky, sonorités très synthpop, et dialogues samplés de films qui remplacent le chant).

Tiens, j’ai cité le mot chant. J’aurais pas dû. Parce que ce qui tient lieu de ramage à Jourgensen ferait passer le chanteur de Rammstein pour Roberto Alagna. Et qui plus est, le raclement de gosier qui lui tient lieu de voix, est passé soit par un mégaphone, soit par tellement de consoles d’effets qu’on distingue pas un traître mot de ce qu’il gueule … ce qui est peut-être dommage (Jourgensen a passé huit ans à baver en interview sur W. Bush, c’est donc a priori un type intéressant) … ou pas (l’héro, l’alcool à doses monumentales, ça donne pas toujours des propos sensés…).

Pour ce disque, Ministry c’est Jourgensen et Paul Barker (on a longtemps pensé que Ministry était un duo, jusqu’à ce que Barker finisse par mettre les voiles après des années de bons et loyaux services), qui composent et produisent, sous les pseudos de Hypo Luxa (Jourgensen) et Hermes Pan (!) (Barker). Deux musiciens additionnels complètent l’attelage de base.

Ministry live

L’essentiel des titres, ou du moins les plus intéressants, balance un punk rock porté par des programmations tachycardiques, des riffs de guitare dévastateurs, et le râle scandé de Jourgensen. Il y a des trucs terrifiants d’efficacité, le single (afin, façon de parler, le titre a pas fini en haut des charts) « Stigmata » qui ouvre le disque, et les extraits de l’EP « Deity » (le morceau du même nom et « The missing »). « Deity » c’est aussi efficace que du Motörhead de la bonne époque, et « The missing », on dirait bien que la mélodie (si, si, y’en a une) est repiquée sur le jeu d’arcade « Space Invaders » (les grabataires sauront de quoi je parle, ceux qui connaissent le 1er Pretenders aussi).

En gros, la première partie du disque repose sur les titres les plus frénétiques, ensuite ça se calme un peu, il y a même quelques mid-tempo, certes énergiques. « Destruction » on dirait de la synthpop jouée par des zombies, « Golden Dawn », lourd, menaçant et atmosphérique (?), parle certainement de la secte du même nom. « Hizbollah » (je préfère pas savoir de quoi ça cause en détail, ce que Jourgensen a à raconter sur les islamistes libanais), c’est le « Kashmir » de Ministry avec son ambiance forcément arabisante. Le morceau-titre est lui un truc très martial, et me semble une référence musicale évidente aux assez équivoques belges de Front 242, influence revendiquée de Ministry (Jourgensen bossera pour un projet parallèle avec l’un des membres du groupe).

Musicalement, outre Front 242, on pense à Métal Urbain ou aux Bérurier Noir (la boîte à rythmes frénétique), ou au hard-rock le plus extrémiste (les riffs monstrueux, la voix glapie). Avec « The land of rape and honey », Ministry se met en route pour la reconnaissance « grand public », un des fers de lance américain de la scène indé américaine (participation au festival Lollapalooza). Leur chef-d’œuvre reste à venir (« Psalm 69 » en 92), et leur « enfants » les plus évidents seront Nine Inch Nails, Marilyn Manson, tout le métal indus …

Pas mal pour un défoncé sans aucun plan de carrière …


PUBLIC IMAGE - PUBLIC IMAGE (1978)


 Bad Religion ?

Tout commence avec les Sex Pistols … ou plutôt tout commence avec la fin des Sex Pistols. Le plus célèbre – provocateur – vendu (rayer la ou les mentions inutiles) orchestre punk, une fois paru son manifeste « Nevermind the bollocks » part vite en sucette (merci au crétin ingérable Sid Vicious, et aux divagations managériales de Malcolm McLaren), de toute façon, comment aurait-il pu en être autrement, les Sex Pistols par définition et essence n’étaient pas faits pour durer …

Walker, Levene, Wobble & Lydon : Public Image 1978

Le premier à claquer la porte (il ne supportait pas McLaren) et signer de fait la mort du groupe est Johnny Rotten. Qui reprend son état-civil (John Lydon), et entend montrer à la Terre entière que son génie n’a pas besoin d’un groupe de bras cassés et de McLaren pour éclater à la face du monde … Lydon étant quelque peu connu, il n’a pas trop de mal à monter un groupe. Et tant qu’à faire, il choisit pour l’accompagner des gens qu’il connaît depuis longtemps. Keith Levene à la guitare. Pote de Vicious et ayant fait partie d’une des formations du Clash avant qu’ils enregistrent leur premier disque pour CBS. Jah Wobble tiendra la basse. Lui et Lydon se connaissent depuis des années, il a appris la basse de façon autodidacte parce qu’il est fan de reggae et de dub, et n'a pas la réputation d’un type commode, ses poings étant son principal outil de communication … Le batteur (Jim Walker) sera recruté via une petite annonce.

Au départ et encore plus une fois la machine Public Image en marche, il sera évident que c’est le groupe de Lydon. Il faut des envies de généalogiste pour recenser tous ceux qui participeront au groupe, censé être encore en activité, même si ses parutions sont très épisodiques depuis le début des années 90. La première formation n’échappe pas à la règle du turn-over. Le batteur ne fera qu’un album, Jah Wobble se fera virer en 1980, et Keith Levene en 83, ces deux-là gardant une rancune certaine à Lydon …

« Public Image » le single inaugurera la carrière de Public Image le groupe. Et assure la transition avec les Pistols. On est en terrain sonore connu (la voix de Lydon, la pulsation rock brute de décoffrage), avec un petit côté grinçant et répétitif en plus. Ce titre ouvrira la seconde face du vinyle original.


Qui atteint pile les quarante syndicales minutes. Au prix de quelques délayages. Faut dire que le budget alloué par Branson et Virgin a surtout servi en « remontants » divers et variés, et que cette bande d’ingérables n’est pas forcément la bienvenue dans un studio d’enregistrement (la légende – mais en est-ce une – prétend que Jah Wobble démolira un ingé-son tatillon et pas convaincu de sa technique à la quatre-cordes). D’où des titres à rallonge (quatre titres sur huit flirtent où dépassent les six minutes, voire les neuf pour « Theme »), assez loin des formats punks de 2’30 alors de rigueur, des mixages étonnants (« Attack » beaucoup plus mat et étouffé que ce que l’on avait entendu jusque-là, ou « Fodderstompf » le reggae-dub expérimental et mutant final) montrent que du personnel qualifié et compétent n’est pas inutile en studio, surtout quand le trio a eu l’idée saugrenue de produire la rondelle …

Il n’en reste pas moins que « Public Image » constituera une déflagration non négligeable dans le landernau musical londonien. Par facilité linguistique, on appellera ce nouveau son post-punk, étiquette facile et qui permettra de ranger tous ceux qui s’en inspireront (… ou pas, il suffira qu’ils ne respectent pas les « règles » originelles du punk pour s’en trouver affublés).

« Public Image » n’invente rien, mais pioche et assemble des choses que l’on n’avait pas l’habitude de voir frayer ensemble (un peu de musique industrielle, de rock, de krautrock, de punk-rock, de prog même, le Johnny est très fan de Peter Hammill le chanteur de Van der Graaf Generator, et ça s’entend parfois). Technique musicale rudimentaire oblige, on est dans le lancinant, le crissant, le grinçant et le répétitif. Hormis des schémas de batterie saccadés, l’approche musicale est assez souvent celle du reggae, avec basse en avant et guitare à contre-temps (mais jouée façon tronçonneuse). Maintenant on a entendu des millions de groupes (pas forcément les plus doués) jouer comme ça, mais force est de reconnaître qu’en 1978, c’était plutôt novateur.

Et puis, ne surtout pas oublier que Lydon, en plus d’une technique de chant assez particulière, genre muezzin qui appelle les fidèles à la prière, est un type qui n’a pas la langue dans sa poche (avoir affaire à lui en interview ou en conférence de presse était un exercice attendu – et redouté – par tous les journaleux rock), et un certain sens des punchlines qui dépasse largement les capacités de Praud, Bouleau, Salamé ou Polony.


Sur « Public Image » le thème central est la religion (chrétienne en l’occurrence, mais Lydon les déteste toutes). Le Paradis est appelé à aller se faire foutre dès le premier titre (« Theme »), titre noirâtre sur la mort (le verbe « to die » revient bien une vingtaine de fois). C’est encore pire sur les deux « Religion ». Le « Religion I » est juste un court speech ultra-violent (1’25) contre l’Eglise catholique. Et manière d’enfoncer le clou dans les paumes des mains ou la plante des pieds de ceux qui auraient pas saisi, les mêmes paroles sont mises en musiques sur « Religion II ». Et cerise confite sur l’hostie rance, « Annalisa » sur une trame de rock assez simple et basique, donne le point de vue de Lydon sur Anneliese Michel, jeune allemande prétendument possédée et exorcisée 67 (!) fois, jusqu’à ce qu’elle meure la vingtaine à peine dépassée …

Pour être tout à fait exhaustif, mentionnons « Low life » qui ne vaut que pour les psalmodies nasillardes de Lydon.

Lequel, quoi qu’il ait pu en dire, n’a pas atteint avec Public Image l’aura naturellement indépassable des Sex Pistols. Livré à lui-même, avec des comparses extatiques aux ordres, Public Image (qui s’appellera selon les circonstances Public Image, Public Image Ltd, ou P.I.L.) deviendra vite une carricature de son premier disque (« Metal Box » est aussi bon, la suite ne sera que dégringolade artistique), n’obtenant son seul vrai succès qu’avec le single bâclé et (donc forcément) répétitif « This is not a love song » …


BASEMENT 5 - 1965-1980 (1980)

 

Punky reggae party ...

Basement 5 est un groupe météoritique. En comptant large, deux ans d’existence, de 1978 à 1980. Avec de plus une instabilité remarquable. Le groupe a été fondé par Don Letts, un nom qui doit bien dire quelque chose aux connaisseurs du Clash. C’est lui qui aura souvent en charge la partie visuelle de la bande à Strummer et Jones (photos, vidéo-clips, reportages), avant de co-fonder Big audio Dynamite avec Mick Jones, une fois celui-ci viré du Clash …

Letts fonde donc et est le leader de Basement 5. Rôle qu’il abandonnera assez vite, jusqu’à ce qu’il soit remplacé par un autre gars à dreadlocks, Dennis Morris. Pas vraiment une superstar, mais pas un inconnu non plus. Il fut pendant des années le photographe officiel de Bob Marley (on lui doit de nombreuses pochettes de disques du Bob) avant d’être celui des Sex Pistols. Il suivra immédiatement Lydon dans l’aventure PIL (c’est Morris qui réalisera le logo du groupe, ainsi que le célèbre packaging de la « Metal Box »).

Dennis Morris

Morris est un Anglais d’origine jamaïcaine, arrivé en Angleterre en 1965 (d’où le titre du disque, censé (re)présenter la société anglaise et son évolution de son arrivée à la date de réalisation de la rondelle). Morris ne succèdera pas seulement nominativement à Letts, il prendra également la direction totale du groupe : conception du graphisme et du logo de Basement 5 (pas sa meilleure création), définition de la direction musicale et du thème des titres, participation à l’écriture de tous les titres et chant lead. Bon, Morris n’est pas à la base Otis Redding, et les grosses quantités de weed inhalées n’aident pas à éclaircir sa tessiture vocale. Au résultat, le chant (ou plutôt les déclamations) ressemble assez à celui de Joey Starr. D’autant qu’au niveau phrasé, on est chez Morris entre reggae et rap …

Musicalement, on a toujours en filigrane des structures reggae. Les colleurs d’étiquette vous diront que Basement 5 c’est du post-punk. Chronologiquement, on peut pas leur donner tort, même si l’aspect post punk se borne à recopier le son de PIL, les Basement 5 n’ont pas vraiment fait avancer quelque schmilblick que ce soit … Mais le groupe a pu compter durant sa courte activité discographique (un simple, ce « 1965-1980 », et « In dub » un maxi 45-T reprenant quelques titres de « 1965-1980 » en version dub, comme son intitulé l’indique) sur un joker. Et pas n’importe quel joker, Martin Hannett himself. Qui est comme tout le monde (?) sait, le producteur des deux mythiques disques de Joy Division. Et on retrouve sur ce « 1965-1980 » toutes les caractéristiques de la production de Hannett, et cette noirceur sonore oppressante, que le tempo soit lent ou rapide. Et son travail avec Basement 5 a le mérite de mettre les choses au clair : le son de Joy Division, qui allait inspirer des générations de déprimés tendance suicidaire, il a bel et bien été inventé par Hannett, la bande à Curtis n’y est pour pas grand-chose …

Dès lors, l’écheveau est facile à dérouler : Basement 5, c’est à l’exacte intersection de PIL et Joy Division aux prises avec un reggae lent et lourd … et avec le cousin de Joey Starr au chant. En clair amateurs de fanfreluches, fioritures et guipures sonores flatteuses pour l’oreille, passez votre chemin. Pour les textes, le militantisme marxiste de Strummer semble être la référence évidente (en encore plus agressif et mordant dans le ton, Morris ayant la malchance (?) de ne pas être blanc. Les lignes de convergence avec le Clash sont nombreuses. Si vous voulez savoir d’où viennent les sirènes de police utilisées en rythmique sur « Police on my back » (sur « Sandinista » fin 80), écoutez le premier titre de « 1965-1980 », « Riot » (certainement en référence au « White riot » de Vous-Savez-Qui).


Bizarrement, Basement 5 réussit à transformer un handicap, soit une rythmique reggae qui swingue comme un duo d’enclumes (et on parle même pas du batteur, qui dans un parfait scénario spinaltapien a quitté le groupe le premier jour d’enregistrement), en une machine de guerre tribale et énervée (un peu comme le feront les Bad Brains, eux aussi cousins sonores, de l’autre côté de l’Atlantique). Le disque sonne forcément monolithique tout en restant plutôt efficace, avec quelques titres qui surnagent, même si les influences sont assez transparentes le Clash pour « Hard work » et « Last white Christmas », PIL pour « No ball games » ou « Union games »). Plus rarement, des trouvailles qui semblent propres à Basement 5 se distinguent. « Immigration », sinueux avec guitare jazzy, ou l’ultime « Omegaman », annonciateur du raggamuffin (mix de reggae, de rap et d’effets électroniques), et doté d’un remarquable (?) et interminable fading de deux minutes.


Le plus bizarre dans cette affaire étant le boulot de Hannett. Peu de monde devait l’attendre sur un truc reggae. Il poussera avec Basement 5 le bouchon encore plus loin, produisant leur disque suivant, un maxi 45-T de cinq titres reprenant des titres de « 1965-1980 » en version dub. Des dubs lourds, lents et menaçants, assez éloignés dans l’esprit et le résultat des merveilles de – au hasard – Lee Perry revisitant les titres de Marley. Ces deux disques, qui représentent la quasi-totalité des enregistrements de Basement 5, devenus rares au fil des années, ont été réédités sur le même Cd par les gens du label belge Play It Again Sam au début des années 90.

Pour l’anecdote le look assez improbable que les Basement 5 affichent sur nombre de photos, vient d’une sorte de blague. En majorité noirs et en goguette dans une rue commerciale, ils sont rentrés dans un magasin londonien de sport dédié au ski, pour acheter les démesurées lunettes de soleil alors en vogue sur les pistes de poudreuse, et en sont ressortis équipés de pied en cap avec les combinaisons de ski flashy de l’époque …

Chacun est libre d’apprécier (ou pas) le résultat visuel …

Par contre, au niveau sonore, malgré quelques réserves, ça envoie bien le bois …




THE STRANGLERS - NO MORE HEROES (1977)

Deux pour le prix de deux ?

Les Stranglers ont débuté leur discographie sur les chapeaux de roues. En à peine plus de cinq mois en 1977, ils ont sorti deux trente-trois tours. « No more heroes » est le second. La moitié des titres avait déjà été enregistrée lors des sessions du précédent « Rattus Norvegicus », sessions d’enregistrement qui avaient duré 6 jours !! Autant dire que ça traînait pas…

Burnel, Greenfield, Black & Cornwell

Parce que l’époque voulait ça, pourrait-on croire … 77, c’est l’année punk, do it yourself, et fuck tout le reste … sauf que les Stranglers n’avaient à la base que peu à voir avec les tribus à crête iroquois et à épingles à nourrices … Les Stranglers étaient vieux (pour l’époque), Jet Black allait avoir 40 ans (le plus vieux punk du monde ?), Greenfield et Cornwell approchaient la trentaine, seul Burnel du haut de ses 25 ans faisait figure de minot dans cet équipage. Et puis, contrairement à l’immense majorité de leurs voisins de palier, les Stranglers savaient composer, ne se contentent pas du boucan de base alors de mise. Et accessoirement savaient se servir de leurs instruments. Musicalement et dans l’absolu, leur point faible s’appelle Hugh Cornwell qui n’est ni un guitariste virtuose ni un chanteur à voix (mais pourtant quand il quittera le groupe en 1990, les autres embaucheront deux types pour le remplacer). Cependant Cornwell ne sera pas un membre au rabais des Stranglers, au contraire ses lacunes seront le marqueur sonore du groupe, cette voix entre parlé et chanté, et les solos de guitare seront remplacés par des parties de claviers de Greenfield (médiatiquement le plus en retrait, mais celui qui donnera sa signature sonore au groupe). Les Stranglers sont un tout, un vrai groupe, et pas une juxtaposition de quatre types.

Les Stranglers seront un groupe imprévisible, et pas seulement musicalement. Autant présents dans les rubriques faits divers que dans les pages de critiques de disques. Multipliant bagarres, appels à l’émeute, déclarations ou actes sexistes, théories fumeuses, … sans que l’on ait jamais su si tout ça était spontané ou savamment mis en scène, toujours en équilibre sur le fil du rasoir. Et une bande de furieux, eux au premier degré, les Finchley Boys, qui les suivaient partout et contribuaient à entretenir l’image ultra-sulfureuse du groupe …


Déjà rien que le titre du disque témoigne de l’ambiguïté des Stranglers. « No more heroes ». Trois options : soit un coup de pompe dans les dents de Bowie dont le « Heroes » (titre et album) s’entendaient beaucoup à l’époque ; soit un regret nostalgique des temps passés et des grands personnages qu’ils abritaient ; soit un postulat punk, fuck off vos idoles seventies, on va les remplacer … Logiquement, en profitant des doubles sens, les trois à la fois, mon capitaine …

Autant à l’époque on ne savait pas trop sur quel pied danser avec les Stranglers, le temps n’a rien précisé. Musicalement, les Stranglers sont à la croisée de beaucoup de genres musicaux passés ou présents (du pub-rock, du garage, du psyché, du old rock ‘n’roll, du reggae, …) et leur son et leurs titres contiennent les germes de futurs courants en vogue dans les 80’s (new wave, post punk, pop à synthés, gothique, …). Tout ça dans le même disque, parfois dans le même morceau …

Bon je m’en vas vous dire que mis à part le très atypique « Feline », leur absolu chef-d’œuvre de 1982 (et un tournant dans leur carrière, après « Feline » ce ne sera jamais plus comme avant), je ne suis en extase devant aucun de leurs disques. Trop décousus, trop désinvoltes, trop hermétiques, abstraits, voire abscons, développant des idées et des thématiques que seuls les membres du groupe me paraissent maîtriser … Ce qui n’empêche pas leurs rondelles de contenir quelques morceaux fabuleux, généralement le plus simples, le plus abordables. Les Stranglers sont capables de merveilles mélodiques imparables.

Dans cette case, on trouve ici « Bring on the nubiles » (appel à l’orgie ?), avec un riff qui me semble un démarquage de celui de « All day and all of the night », un titre des Kinks qu’ils reprendront des années plus tard. « Something better change », emmené par Farfisa sautillant genre tex-mex, laboure les mêmes terres que le porte-parole des prolos Ian Dury. « No more heroes » le morceau-titre, sur la base d’un name dropping baroque, Shakespeare, Néron, Sancho Pança, Trotsky (sur la tombe duquel pose alangui Burnel au verso de la pochette), sera un incontournable de leurs concerts … Ces trois titres se succèdent au milieu du disque.


Qui commence par « I feel like a wog », comme du Doors en accéléré (le jeu de Greenfield évoque là très fortement celui de Manzarek, d’où la comparaison entre les deux groupes, mais qui ne vaut que pour quelques titres sur l’ensemble de leur carrière), et se termine, comme sur leur précédent « Rattus Norvegicus » par un long titre (« School mam »), perclus de synthés indigestes. Et on voit défiler tout au long des onze titres tout l’éclectisme des Stranglers, le sautillant « Bitching » (tout un programme, paroles classées X), les quasi pub-rock « Burning up time » et « Dagenham Dave », le (prémonitoire au niveau sonore) post punk « English towns », « Dead ringer » qui évoque Talking Heads et Television … le tout avec plus ou moins de réussite.

« No more heroes » est avec le temps un des trois ou quatre meilleurs Stranglers. S’ils avaient opté pour la concision en cet an de grâce 1977, et extirpé le meilleur de celui-ci et de « Rattus … », cette compilation serait fantastique. Séparément, ces deux disques sont trop inégaux, le dispensable côtoyant l’essentiel …


Des mêmes sur ce blog : 

Rattus Norvegicus
The Raven
Feline


HÜSKER DÜ - ZEN ARCADE (1984)

 

Te souviens-tu ...

Parce que Hüsker Dü ça veut à près dire ça dans une de ces langues nordiques (norvégien ?) avec plein de trémas et de o barrés … Hüsker Dü est un de ces groupes maudits, parce qu’à peu près oublié, par les livres d’Histoire. Pourtant il est reconnu que ses enfants musicaux (par les intéressés eux-mêmes) qui sont par ordre d’apparition les Pixies, Nirvana, et tous les suiveurs-successeurs de ces deux-là ce qui fait quand même pas mal de monde, doivent beaucoup à Hüsker Dü…

La « carrière » de Hüsker Dü est contenue dans les années 80 (discographiquement de 82 à 87, huit disques dont deux doubles en 6 ans, copieux …) et leurs contemporains, alors qu’ils commençaient à être connus, aimaient à les englober dans cette litanie de losers magnifiques de cette décade « maudite », comme au hasard, les Replacements. Avec lesquels ils partageaient une proximité géographique certaine (Saint Paul pour Hüsker Dü, Minneapolis pour les Replacements, les deux villes principales du Minnesota, de part et d’autre du Mississippi).

Norton, Hart & Mould : Hüsker Dü

Hüsker Dü, c’est un trio. Bob Mould, guitariste en apprentissage de calvitie et d’embonpoint (tiens, comme Black Francis des futurs Pixies), Greg Norton, bassiste taiseux dont le seul point notable est d’arborer une grotesque moustache très Second Empire, et Grant Hart, batteur chevelu et défoncé notoire. Mould et Hart se partagent à parts à peu près égales compositions et chant, et sur la fin de leur parcours, on verra leurs différences (Mould plutôt rentre-dedans, Hart beaucoup plus mélodique). Sur ce « Zen Arcade », ils ont écrit chacun à peu près un tiers des titres et cosigné les autres.

A ses débuts, le groupe est influencé par la scène punk hardcore locale, et par les « célébrités » nationales du genre comme Black Flag et les Dead Kennedys. C’est d’ailleurs sur SST le label formé par Greg Ginn guitariste de Black Flag, que paraîtront quelques-uns de leurs disques, dont ce « Zen Arcade ». Pour situer leur « gloire » et les moyens qui vont avec, les 23 titres de ce double vinyle seront enregistrés en quelques dizaines d’heures de studio pour un budget de quelques centaines de dollars. Tout est capté live en studio, auto-produit, autant dire qu’on est pas dans la fioriture sonore. L’objectif optimiste du groupe était d’en presser (et d’en vendre) entre trois et cinq mille copies. En vinyle évidemment, d’où un découpage sonore rattaché aux quatre faces. Les deux premières plutôt (très) rêches, la troisième plus mélodique, et la quatrième disons, … expérimentale. Parenthèse : plutôt qu’au niveau dynamique et qualité sonore, c’est avec ce genre de disques que le Cd montre ses limites par rapport au vinyle, ici tout s’enchaîne sans pause physique ou temporelle (plus besoin de se lever pour changer le disque ou le retourner) … Autant dire que pour s’enquiller les soixante-dix minutes de « Zen Arcade », faut laisser de côté tout ce qui a trait à la hi-fi de luxe. « Zen Arcade » est un disque qui se mérite … et se subit. Des lustres plus tard, des revues ayant pignon international sur rue en feront un des disques majeurs de la décennie, Rolling Stone (il me semble) le citant même comme un des cent disques les plus essentiels du rock … Mouais …

Pour les puristes (intégristes ?) « Zen Arcade » est la quintessence, la substantifique moelle de Hüsker Dü. Perso, je préfère ceux qui suivent, avec mention particulière pour leur dernier (un autre double vinyle « Warehouse : Songs ans Stories ») que les fan(atique)s du groupe détestent (paru sur une major, commercial, Mould et Hart se parlent quasiment plus, …).

Parce « Zen Arcade » est d’une sauvagerie austère (l’enregistrement en direct guitare-basse-batterie sans overdubs). Beaucoup de titres arrivent juste à deux minutes, et sont généralement des brûlots de punk hardcore (un tempo frénétique, une guitare tronçonneuse, et des vocaux glapis dont s’inspirera très fortement Black Francis aux débuts des Pixies). Dans cette rubrique on remarquera particulièrement « What’s going on » (rien à voir avec Marvin Gaye), « Beyond the treshold », « Indecision time » (à faire passer le Nirvana de « In Utero » pour du Pink Floyd), ou la doublette introductive « Something I Learned today » / « Broken home, broken heart », le dragster sonore « Masochism world » ... On trouve aussi l’ébauche des fameux quiet-loud qui feront la fortune (et la malheur) de Kurt Cobain, même si chez Hüsker Dü on serait plutôt dans le loud-encore plus loud. Témoins « The biggest lie » ou l’instrumental « Dreams reocurring ». Tous ces titres concentrés sur ce qui était le premier vinyle.


Sur la seconde partie de « Zen Arcade », on voit émerger (bien planquées cependant sous la gangue bruitiste) les mélodies et les chansons. Et à ce titre « Somewhere » ou « Pink turn to blue » pourraient être qualifiés de titres radiophoniques (le tempo se ralentit, on distingue nettement couplets et refrains, y’a même des harmonies vocales). Et puis, y’a même le batteur qui a trouvé quelque part un vieux piano pas très bien accordé et qui nous joue à un doigt une paire de courts instrumentaux, qui on s’en doute, ne vont pas attirer les connaisseurs de Chopin. On peut aussi rattacher à cette partie l’avant-dernier titre, le punk mélodique de « Turn on the news » dont Offspring (pour ne citer que les plus connus des copieurs) fera son fonds de carrière en le dupliquant à l’infini.

Deux titres sont plutôt à part. « The tooth fairy and the princess » est une sorte de déclamation sur fonds de trafics sonores à la « Revolution n°9 » de Lennon. Heureusement, il dure moins longtemps. On peut pas en dire de « Reoccuring dreams » qui clôture le disque pendant quatorze minutes. Basé sur une relecture instrumentale du précédent « Dreams reocurring », il en recycle la structure rythmique pendant que Mould se livre à un concerto de feedback. On touche là quasi au supplice chinois sonore …

Ah, et j’ai oublié, « Zen Arcade » est censé être un concept album narrant les pérégrinations d’un quidam dans ce monde qu’il ne comprend pas et qui n’est pas fait pour lui. Comme les paroles des morceaux sont plutôt de l’école Ramones (cinquante mots maxi), c’est moins plombant au niveau littéraire que d’autres pensums du même genre (de « Tommy » aux funestes rondelles prog …).

Je ne préconise pas une écoute quotidienne de « Zen Arcade », mais le disque méritait vraiment de sortir de l’obscurité pour laquelle il semblait être destiné …


EZRA FURMAN - TWELVE NUDES (2019)

Say it loud ?

Comme une sorte d’effet Trump dans le rock américain … Il sort tous les jours des rondelles de types qui montent au front pour dénoncer l’aggravation de la misère sociale, morale, intellectuelle, etc…, etc…, au pays de Donald …Comme si ce crétin avait à lui tout seul inventé le foutu système … comme si tout ça n’existait pas depuis des décennies, voire des siècles … comme si un disque pouvait changer le monde, ou quoi que ce soit … C’est pas le discours d’un vieux con désabusé que je tiens (enfin, pourquoi pas, si ça peut vous faire plaisir), juste un constat … Et j’ai écouté les disques, lu les bouquins, vu les films, tous ces machins « engagés », censés éveiller ou réveiller les consciences. Et j’ai vu les modèles politiques, russes, chinois, yougoslaves, cubains, nord-coréens, dans leur quête du monde idéal socialiste … j’ai aussi vu ce qu’ils sont devenus … Alors aujourd’hui quand je vois la rébellion et les bons sentiments affichés comme une posture, juste comme une posture, désolé, je marche plus …  

J’ai rien contre Ezra Furman, y’a quelques jours je savais même pas qu’il existait … par contre, ce qu’il dit et la façon dont il le dit, je l’ai entendu des centaines de fois. Bien souvent en mieux, d’autres fois en pire …
Ezra Furman se balade en robes imprimées, comme avant lui Bowie (sur la pochette de « The man who sold the world »), Brian Molko de Placebo ou Martin Gore de Depeche Mode (pour faire comme Bowie), Robert Smith (pour emmerder Michel Drucker), Kurt Cobain (pour emmerder les organisateurs de festivals). Ezra Furman revendique sa bisexualité, comme Lou Reed (dont il est paraît-il fan), Bowie, Molko, Gore, et des centaines d’autres dans le music-business (qui en font pas forcément un point voyant de ralliement). Ezra Furman a décidé de faire un disque de punk-rock … faut-il vraiment détruire des hectares de forêt amazonienne pour imprimer les noms de types qui ont déjà fait ça avant lui ?
Conclusion : un discours et un format musical entendus jusqu’à l’écœurement.
Je pourrai dégommer cette rondelle sans rémission, appuyer là où ça fait pas du bien … le pompage éhonté des chœurs de « Sympathy for the devil » sur « Calm down » (pour te mettre de mauvaise humeur d’entrée, c’est le premier titre) … le coup de la voix dédoublée (comme sur « Ziggy Stardust » le morceau, ici sur « Evening prayer » sauf que Furman est pas synchro, incapable de chanter deux fois exactement la même chose) … tous ces gimmicks pompés sur Black Flag, ou pire, Green Day, Offspring et FIDLAR … cette calamiteuse chute en forme d’aveu d’impuissance (le dernier titre s’appelle « What can you do but rock’n’roll ») … ces mauvais décalques de Frank Black – déjà dans ses meilleurs moments en retrait de ce qu’il faisait avec les Pixies – (« Transition from nowhere to nowhere »), du Cobain « In Utero » (les cinquante-cinq secondes chrono, larsen final compris de « Blown »)…

Ça fait déjà une bonne moitié de la rondelle problématique. Le reste (et il en reste pas beaucoup, les onze titres de « Twelve Nudes » n’atteignent même pas la demi-heure), ma foi, pourquoi pas, en le jouant bien fort (y’a une autre façon d’écouter de la musique ?) … Et je me rends compte que « Calm down » et « Evening prayer » dont j’ai déjà causé sont supportables, de même que « In America » (plus posé et construit que le reste, même si un peu trop linéaire), ou l’excellente (la seule à ce niveau) « I wanna be your girlfriend », qui avec un peu de chance pourrait devenir un hymne queer avec ses gimmicks accrocheurs (le titre référence aux Ramones, le rythme de valse doo-wop, et la mélodie qui emprunte par moments au « Rock’n’roll suicide » de  – who else – Bowie).
De toutes façons, dans notre monde de mormons bien-pensants (et très mal-agissants), dire du mal de ce disque, c’est se retrouver avec une fatwa signée par quarante ministres, soixante secrétaires d’Etat, et six cents douzaines d’associations …
Ceci étant, maintenant que Freddie Mercury et Elton John sont morts (on a fait des biopics révisionnistes sur eux, c’est dire s’ils sont morts … qu’est-ce que tu dis toi, pas tous … ah bon …), y’a une place à prendre … Votez Furman … Ou Villani, tellement « étrange » qu’il doit être un genre à lui tout seul, improbable croisement entre Bozo le Clown et Tryphon Tournesol … 
Mais que vient faire Villani là-dedans, dans une notule sur un disque de punk-rock large d’idées et bas du front ? Bof, au point où on en est …



METAL URBAIN - LES HOMMES MORTS SONT DANGEREUX (1981)

Metal Punk Machine
Pour situer ce dont au sujet duquel de quoi il va être question, il suffit d’aller dans les notes (faméliques) de la réédition Cd dans la section « remerciements ». On peut y lire : « Métal Urbain tient à remercier absolument personne. Merci. ». Et c’est tout. Version sans décodeur : « On vous emmerde tous. »
Métal Urbain est un groupe punk. Français. Et que cette appartenance géographique suffit à générer des problématiques que tous les Gaulois qui ont eu un jour l’idée saugrenue de relier une guitare à un ampli ont connu. En gros, soit tu passes pour un immonde copieur des anglo-saxons, soit tu fais n’importe quoi …

Et les Métal Urbain n’ont pas échappé à la règle. Groupe clivant, c’est le moins qu’on puisse dire, et un des rares de par ici à cette époque, à être cité très loin de ses terres. Des exemples : le célébrissime Dj et animateur de radio John Peel s’est démené pour les faire connaître dans la très perfide Albion. Le premier single de Métal Urbain « Panik », fut la première référence du label anglais Rough Trade (avec comme figure de proue punk les Irlandais de Stiff Little Fingers, une myriade de 45T à la fin des années 70, et plus tard des cadors des ventes comme les Smiths ou Arcade Fire …). Et un fan intarissable d’éloges, le producteur bruitiste Steve Albini (Pixies, Nirvana, PJ Harvey, Stooges, Page et Plant, rien que ça …). Et des quasi jumeaux sonores nommés Bérurier Noir (quasi, on y reviendra si j’y pense …).
Le concept de Métal Urbain, c’est qu’il n’y en a pas. Des potes de lycée qui suivent l’actu musicale montent un groupe. Sans section rythmique. Pas un souci, ils aiment bien Suicide, et une boîte à rythmes pourrie suffira. Et comme ils aiment aussi les Stooges et ces groupes de morveux arrogants qui pullulent Outre-Manche dans le sillage des Sex Pistols, ils vont pas donner dans le disco ou le prog.
Dans ce domaine, tout est à inventer en France. Hormis Little Bob au Havre et le poète bab Higelin reconverti dans le rock à guitares (« BBH 75 »), c’est la misère. Métal Urbain sera électronique (la boîte à rythmes), électrique (une guitare saturée), et agressif (les textes d’Éric Débris). Métal Urbain est aussi parisien et ce sera aussi son problème. Dans cette scène microscopique mais bouillonnante, les amitiés se font et se défont, et parmi tous ces gens qui s’appliquent à copier les punks anglais à la sauce parigote, les mouvements et aller-retours d’un groupe à l’autre se multiplient. Métal Urbain en fera les frais, voyant partir son guitariste Rikki Darling pour rejoindre l’Asphalt Jungle de Patrick Eudeline. Débris n’utilisera pas de circonlocutions absconses pour dire tout le mal qu’il pense de son « rival », ainsi que de Philippe Manoeuvre qui avait descendu les premiers enregistrements et concerts du groupe. Le poétique « Crève salope » leur est dit-on dédié.

Bon, même si on a John Peel dans sa manche et Rough Trade derrière, ça suffit pas pour devenir une star intergalactique. Les Métal Urbain sont trop … trop tout, en fait pour faire un consensus quelconque autour de leur nom. Ultraradicaux par leurs propos, ultra-sauvages par leur son (on parle là d’une époque qui ne connaissait ni les gangsta rappers ni Rammstein ou autres crétins gueulards sur gros riffs hardos), et ultra amateurs (ils ne sont pas comme Jam, Pistols ou Clash signés par des majors).
Résultat : la liste des gens ayant joué dans Métal Urbain est plus longue que la liste de leurs parutions discographiques. La formation « royale » (on ne rit pas) du groupe enregistrera en tout et pour tout trois singles avant de disparaître dans les projets plus ou moins parallèles (Metal Boys, Doctor Mix and the Remix), des tentatives avortées de carrière solo, et guère plus convaincantes de reformation (Métal Urbain, c’est son ADN, est tout sauf bankable, y’a pas un financier pour risquer une pépette sur leur nom …).
Les trois 45T sont parmi ces œuvres sans intérêt mais rigoureusement indispensables qui émaillent la grande chanson française. Peut-être pas du niveau de l’insurpassable « Fier de ne rien faire » des Olivensteins, mais pas loin … « Panik » est quasiment un classique, avec son rythme punk’n’roll et ses synthés dissonants, « Crève salope » ne fait pas exactement dans la dentelle musicale et verbale, et « Hystérie connective » est le meilleur des trois avec son manifeste sonore (synthés et grosses guitares) et sa mélodie (si, si, …). Mais pour moi, le titre qui surnage du lot est une face B (celle de « Panik »), elle s’appelle « Lady Coca Cola » et derrière ses synthés anxiogènes et sa voix déclamée reprend un thème identique à celui du « In every dream home a heartache » de Roxy Music (le type amoureux de sa poupée gonflable).
Ah ouais, je vous ai pas dit, « Les hommes morts … » est une compile, sortie en vinyle au début des années 80 (après la disparition du groupe donc), et rééditée en Cd il y a une quinzaine d’années. Aux trois singles originaux, elle rajoute quelques titres destinés à un album jamais paru, ou d’autres dispatchés sur diverses compilations étiquetées grosso modo punk. En fait le seul disque « officiel » paraîtra lors d’une reformation dans les années 2000 sous le délicat intitulé « J’irai chier dans ton vomi », ce qui montre bien que les Métal Urbain n’ont pas vraiment évolué, ou ont refusé d’évoluer …

Et le rapport avec Bérurier Noir ? Filiation évidente au niveau sonore (les Bérus ne s’en sont jamais cachés, et reprenaient parfois un de leurs titres en concert), avec la boîte à rythmes et les guitares-tronçonneuses. Ensuite, la philosophie des projets est totalement différente. Métal Urbain n’a jamais eu la moindre once d’approche festive. Et surtout, Métal Urbain est aux antipodes de l’approche que pour faire simple on qualifiera de politique des textes. Métal Urbain c’est le no future complet, rien à foutre de rien, alors que les Bérus ont une approche bordélique certes, mais issue des milieux anarchisants, qui dénonce mais propose. Les Bérus, on n’ira pas jusqu’à dire que c’est un mode de vie, mais ils s’adressent à un public de parias, de rejetés, d’exclus (volontaires ou pas) …
Métal Urbain, c’est un peu la vie et la musique version Hara-Kiri (le mag de Choron des années 70, je dis ça pour les vieillards de mon âge). C’est souvent très con, très en dessous de la ceinture, mais ça fait rigoler cinq minutes … Que demande le peuple ?


BERURIER NOIR - CONCERTO POUR DETRAQUES (1985)

Alternatif ...

La coutume, et le raccourci facile utilisé jusqu’à plus soif, consiste à dire qu’entre le punk (1977) et le grunge (1991), la musique qui rocke et parfois rolle a traversé un désert sans rien de nouveau à se mettre sous la dent. Plus ou moins vrai si on se place du point de vue anglo-saxon. Sauf qu’il y a sur la mappemonde un petit pays, meilleur pour faire du pinard que du rock, comme l’aurait soi-disant dit perfidement Lennon, où il s’est passé un truc.
France, milieu des années 80. Pays qui commence à s’engluer dans une longue litanie de plans de rigueur (entendez par là qu’on commence à dire à ceux qui n’ont quasiment rien de se préparer à n’avoir plus rien du tout), d’autant plus mal perçus qu’ils sont mis en place par une gauche au pouvoir depuis 1981 qui avait suscité d’immenses espoirs de renouveau et de renouvellement social. Parallèlement, autant par jeu politique du machiavélique Mitterrand que par un certain désarroi social, l’extrême-droite profite électoralement de la situation. Et comme dans les années hippies post soixante-huitardes, une frange de la population choisit de se situer en-dehors du système. Contrairement aux babas qui avaient quitté les villes pour aller fabriquer du roquefort dans le Larzac, les exclus et laissés-pour-compte des années 80 restent dans le milieu urbain. Bien avant les cités des dealers de crack, ce sont les squats qui seront le dortoir de cette génération.

Il y a dans les villes toute une partie de la jeunesse mise à l’écart, ou ce qui revient  au même, ne veut pas rentrer dans le rang, qui a ses codes, ses modes de fonctionnement. En gros, les punks à chien. Sauf que musicalement, cette jeunesse-là n’en a rien cirer des punks. Rappelons que malgré le salutaire coup de pied au cul que les punks avaient donné à une industrie musicale chloroformée par des dinosaures de quasiment trente-cinq ans (Clapton, le Floyd, les Stones, Who, Zeppelin, et toute la sinistre cohorte des progueux et jazz-rockeux), tous les orchestres punk dont le nom est rentré dans les livres d’histoire ont vu leurs rondelles publiées par les majors. Record, les têtes de gondole Sex Pistols qui furent signés par trois majors (EMI, A&M, Virgin) tout en n’ayant réussi à sortir qu’un seul disque …
Tout ça pour contextualiser l’affaire Bérurier Noir. Qui peuvent pas être qualifiés de punk parce que la place a été prise par d’autres avant eux, et surtout parce qu’ils sont … autre chose. Et rarement le terme d’alternatifs qui leur sera attribué aura été aussi bien choisi. Parce que les Bérus ont tout refusé dès le départ, n’en faisant qu’à leur forte tête. Ligne de conduite : ne rien faire comme les autres, ne compter que sur soi et ne dépendre de personne. Un projet autant utopique qu’idéaliste, voire irréaliste. Les Bérus y sont parvenus un temps, à tenir en équilibre perpétuel sur tous les fils de rasoirs qui se dressaient sous leurs pas …
Les Bérus ont réussi à faire de la musique  et des disques en dehors de toutes les conventions (fuck la technique, le son, le « bon goût », le look, l’attitude, et surtout majeur gigantesque à « l’industrie » du disque). Les Bérus, on les résume à une paire de disques et à une apothéose en forme de rock’n’roll suicide lorsqu’en 1988 ils remplissent le Zénith de Paris à moins de neuf (oui, j’ai bien écrit neuf) euros l’entrée.

Les Bérus, ça reste la formation la plus à géométrie variable qui soit. L’affaire a commencé par un duo (qui n’ a rien enregistré et dont tout le monde a oublié les noms), pour devenir connue sous la forme d’un autre duo et d’une archaïque boîte à rythmes, pour finir par une raya (le collectif, c’est pour ceux qui font de la musique chiante, et le crew pour les rappeurs) d’une quinzaine de personnes dont quelques-unes juste à but décoratif ( ? ).
Le formation « officielle » à l’époque de ce « Concerto pour détraqués » c’est Loran et François aux guitares et au « chant », Pascal au sax. Plus Dédé la boîte à rythmes. Plus les potes qui passent au studio pour faire du bruit avec ce qui leur tombe sous la main ou beugler dans un micro.
Construction typique d’un titre des Bérus : des riffs de guitare tronçonnés, lointains descendant de ceux de Chuck Berry (ou de Keith Richards ce qui revient à peu près au même), des textes-slogans plus déclamés que chantés, des chœurs de hooligans pour les appuyer, et un sax corne de brume pour achever d’épaissir la sauce. Les thématiques développées dans les lyrics tournent autour de la marginalisation (on joue et chante pour les types comme nous), le rejet des systèmes et des élites politiques et sociales, la haine de la carcéralisation notamment psychiatrique. De l’engagé et du rentre-dedans à coup de slogans mitraillés sur des rythmes tachycardiques. Et puis, quelques titres « festifs », enlevés, à l’humour noir ravageur (marxistes tendance Groucho). Et c’est cette partie de leur répertoire (minoritaire) qui mènera les Bérus vers une notoriété qui dépasse largement le cadre du public a priori concerné, la « gloire » médiatique, et son corollaire inévitable pour la bande, l’inévitable implosion.

« Concerto pour détraqués » le premier 33T des Bérus, c’est aussi un quasi best-of (surtout si l’on prend en compte les bonus de la réédition Cd de 2016 incluant les deux maxis qui encadrent chronologiquement « Concerto … », à savoir « Nada 84 » et « Joyeux merdier »). Sommets de « Concerto … » rondelle sur laquelle il n’y a rien à jeter, « Conte cruel de la jeunesse » et sa sordide histoire de beauf à carabine, « Hélène et le sang » sur le viol avec la relecture du « Wop bop a loo bop a lop bom bom » de Little Richard, la marche funèbre « Les éléphants », le cantique asocial « Il tua son petit frère ». Et mention particulière aux deux titres les plus connus « Porcherie » avec son intro samplée d’un discours de Le Pen (le borgne papa de la blondasse), dont la variante du final en live sera de faire scander au public « La jeunesse emmerde le Front National ». Et puis le rigolo « Commando Pernod » qui aura pour effet involontaire et malheureux d’engendrer toute la cohorte de ces groupes alternatifs en bermudas et rangers donnant dans le ska festif crétin, et polluant plus sûrement tous les festivals d’été que les effluves des baraques à merguez …
Le succès de « Concerto … » sera bien réel. Et totalement underground, le groupe n’autorisant pas les passages radio de ses titres, fuyant toute forme de promotion et refusant de figurer dans les statistiques plus ou moins trafiquées de ventes de disques genre Top 50 …
La situation deviendra « politiquement » intenable avec le disque suivant (« Présente Abracadaboum ») qui fera de grosses ventes et dont le pognon généré révèlera et réveillera l’appât du gain de quelques-uns (surtout dans l’entourage de la bande), une guéguerre des labels indépendants (avec Boucherie Productions, la maison des « rivaux » Garçons Bouchers), et une débandade pleine de rancœurs et de rancunes tenaces vers la fin des années 80.
Depuis, tout un tas d’imposteurs (pour la plupart) essayent de renouveler  ou reproduire la déflagration sonique et sociale des Bérurier Noir. Sans comprendre que la pertinence des Bérus était le fruit d’une époque et d’un état d’esprit et n’est pas duplicable …



JAMES WHITE & THE BLACKS - OFF WHITE (1979)

No Wave ...

Ce type, James Siegfried / Chance / White, il faisait figure d’alien à une époque (la fin des 70’s) et un endroit (New York) qui pourtant voyait surgir à tous les coins de rue des types plus bizarres les uns que les autres. Déjà, avec sa tronche de Simpson, ce grand échalas ne passait pas inaperçu. Son entourage non plus… Dans sa mouvance et son sillage, on trouve quelques noms qui font grincer les dents à tout fan de Julien Doré normalement constitué. Les deux plus célèbres potes de James White sont Lydia Lunch (performeuse hyper féministe genre sado maso punk bondage) et Robert Quine (guitariste chauve et grinçant des Voidods de Richard Hell et qu’on retrouvera plus tard sur des disques de Lou Reed, John Zorn ou Tom Waits).
James White
L’alors dénommé James Siegfried (son vrai blaze) traîne sa jeunesse dans le Lower East Side de New York dans le milieu des seventies. Il fréquente tous les rades minables dans lesquels des gens « différents » se produisent. Et prend une grosse claque en voyant (et accessoirement écoutant) les Ramones au CBGB. Problème, comment faire ce qu’on n’appelait pas encore punk quand le seul instrument dont tu sais jouer est un putain de sax ténor et que t’as bouffé du jazz toute ta jeunesse ? D’autant que rayon sax, y’ a un type qui commence à faire parler de lui dans les milieux branchés new yorkais, un certain John Lurie au sein de son groupe les Lounge Lizards.
James Siegfried devient James Chance, et après un bref passage  dans Teenage Jesus & The Jerks (où il croise Lydia Lunch), monte un groupe, les Contortions, et commence à mélanger punk, funk, jazz, et d’une façon générale tout ce qui lui passe par la tête pourvu que ça sonne comme rien de déjà entendu. Les habituelles galères de contrats, de disques qui attendent une éternité avant de sortir, et de toute façon mal distribués, de 45 T supposés essentiels qui font un bide monstrueux seront le quotidien des Contortions. Même si la grande carcasse de James Chance force le respect. D’ailleurs il n’hésite pas à descendre dans le public pour secouer ceux qui ne semblent pas apprécier sa musique …
Le déclic pour Chance viendra de rencontres. Celle d’Anya Philips, qui deviendra sa muse (et manager) et celle de deux Européens venus humer l’air sonore de New York, l’Anglais Michael Zilkha et le Français Michel Esteban, qui viennent de fonder ZE Records, petit label qui essaye de signer la fin de la comète punk. Ils se contenteront de Dr. Buzzard’s Savannah Band (futurs Kid Creole & The Coconuts), de la copine d’Esteban, la frenchie Lizzy Mercier Descloux. Et du nouveau groupe de Chance (rebaptisé White ), les Blacks, assemblage de musiciens (mais pas toujours) croisés au gré de ses pérégrinations …
The Blacks live
C’est ZE records qui donnera sa meilleure chance à Chance / White. En lui permettant de sortir un album digne de ce nom (entendez par là qu’il a eu l’occasion de passer quelques jours en studio). Les influences majeures de ce « Off White » s’épèlent à ce moment-là Lounge Lizards et DNA (autre groupe inclassable mené par la figure forcément underground Arto Lindsay), et comme le résultat est assez … déroutant, au lieu de classer ça sous le générique new wave fort en vogue en cette fin des années septante, on l’appellera no wave.
« Off White » part dans tous les sens et parfois même ailleurs.
Seuls points communs à tous les titres, une basse très en avant (George Scott) très groovy et très funk ; le sax strident de White (influences revendiquées Albert Ayler et Lester Young) ; et quand il se hasarde à euh … chanter la voix grave et gutturale de White. Le disque se situe à la confluence du free jazz, du funk et de son avatar populacier le disco, et du punk envisagé par son aspect vitesse et énergie.
Généralement, ça fait plutôt mal aux oreilles. Volontairement, car contrairement aux punks, les types savent jouer, sont d’un niveau technique supérieur à la norme. Parfois même, on s’approche du radiophonique, enfin, d’un truc qui pourrait passer tard à la radio quand tout le monde dort (« (Tropical) Heat wave »). D’autres fois, la structure squelettique de ces funks mutants renvoie aux Talking Heads (les décharnés « Almost black (Pt I & II) »). « Contort yourself » oscille entre funk décapant et punk strident, alors que sa version remix (par August Darnell futur leader maximo de Kid Creole) est beaucoup plus élastique, funky, et dotée d’une intro techno qui annonce les joueurs de disquettes des années 90. « Stained sheets » fait alterner beuglements de sax free jazz et gémissements (de souffrance ? de plaisir ?) d’une femelle en rut (Lydia Lunch). « White savages » ajoute au boucan habituel des sonorités quasi industrielles, la guitare stridente de Bob Quine est très en avant sur le morceau-titre, « Bleached black » conclue la rondelle avec son tempo plus lent et plus lourd…
James White et Deborah Harry, une copine new yorkaise
La section bonus de la (belle) réédition de 2004 comprend quatre longs titres. « Christmas with Satan » passe du côté obscur de la farce et du coq à l’âne, et fait se confronter et se succéder une intro piano sax à la Tom Waits, des dissonances krautrock tendance Can, du jazz-funk et du jazz de voleurs de poules façon Emir Kusturica … amusant, même si usant … Trois titres live enregistrés en 1980 dans un club de Rotterdam font se succéder (pas dans l’ordre indiqué sur la pochette) une reprise punk de Michael Jackson (« Don’t stop till you get enough »), une sorte de blues mutant (« Exorcise the funk ») et un machin rêche et rigide très (mal) barré (« Disposable you »).
Ce « Off White » ne rencontrera pas son public (en termes clairs, ce sera un bide commercial monumental). Il sera cependant considéré par beaucoup comme la pièce essentielle du courant no wave. Bizarrement, on n’a pas trouvé à ce jour d’audacieux (tant mieux ?) pour se lancer dans un revival de ce courant éphémère dont les figures « marquantes » furent au début des 80’s des gens comme Defunk ou les Bush Tetras …
« Off White » est étrange et ambitieux. J’écoute pas ça tous les jours, mais une fois en passant, why not ?