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ROBERT BRESSON - PICKPOCKET (1959)

 

Le Dogme ?

Celui-là, Robert Bresson, c’est un cas. Très particulier. Un des très rares à avoir une théorie complète sur l’art qui est le sien. Parce qu’on peut trouver quantité de types devant, à côté, ou derrière une caméra, qui définissent une méthodologie de travail à laquelle ils obéissent (plus ou moins longtemps). Ça peut concerner la façon de tourner, de préparer un film, un rôle, des thématiques de scénarii, de son, d’éclairage, que sais-je …

Robert Bresson

Bresson, il a passé sa vie à ruminer sur le cinéma (oups, le cinématographe), et de ses ruminations est même sorti un bouquin, ses Tables de la Loi à lui. Le bouquin s’appelle « Notes sur le cinématographe », est farci d’aphorismes parfois remarquables mais le plus souvent hermétiques et d’explications et de démonstrations aussi oiseuses que pénibles. Ce fascicule vite lu est une purge aussi illisible que du Kant ou du Saint-Simon, mais une référence incontournable de tout le milieu universitaire du cinéma. En gros, le cinéma, c’est pas ce que vous croyez, c’est juste une activité artistique de seconde zone qui consiste à mettre une caméra devant des acteurs qui par définition font semblant. Bresson, lui, il fait du cinématographe, qui est un vrai art et il utilise pas d’acteurs, mais des modèles. Et il filme la réalité, avec lumières et sons naturels. Quelques années après la parution de son bouquin, Lars Von trier et ses potes nordiques dépressifs tenteront avec le Dogme de redéfinir assez semblablement le cinéma …

Et le cinéma de Bresson, ça donne quoi ? Une palanquée de classiques pour listes des meilleurs films (« Journal d’un curé de campagne », « Un condamné à mort s’est échappé », « Au hasard Balthazar », « Mouchette », « L’argent »), dont ce « Pickpocket » fait aussi partie. Souvent en haut de la liste, ce doit être le plus austère, le plus glacial. Déjà que le mec Bresson est catho à peu près intégriste, quand il a décidé de faire un film tristos, ça donne forcément des envies de meurtre (ou de suicide …).

A l'Hippodrome de Longchamp

« Pickpocket », ça passera jamais en prime time sur TF1. Ni plus tard d’ailleurs. Avant même la première image, il faut se farcir un texte qui défile « ce film n’est pas du genre policier, l’auteur s’efforce d’exprimer, par des images et des sons … », et déjà là tu te dis que ça va être moins marrant que « Camping 23 ». « Pickpocket », c’est une tranche de la vie de Michel, jeune parigot qui vit dans un taudis sous les toits, qui refuse toute forme de travail et décide de gagner sa vie en piquant le portefeuille des autres. Comme il débute dans le métier, il se fait assez vite gauler à l’hippodrome de Longchamp, est relâché faute de preuves (personne a porté plainte), mais se retrouve confronté à un flic qui n’aura de cesse de vouloir le coincer durant tout le film. Michel a un pote « normal », Jacques, qui fait tout pour lui dénicher un travail respectable. Il a aussi une mère grabataire qu’il détrousse sans vergogne de ses économies et qu’il laissera crever toute seule, avec juste la compagnie épisodique de Jeanne, une voisine de palier qui a les yeux de Chimène pour lui, ce dont il semble se foutre royalement. Michel est aussi un théoricien qui expose un jour dans un troquet à son pote et au flic une vision assez nietzschéenne de la vie (il fait partie des hommes supérieurs qui peuvent s’affranchir des lois, parce qu’un grand voleur n’est pas un délinquant, mais un artiste). Michel n’aura de cesse de muscler son jeu, prendra des cours auprès d’un maître pickpocket, fera équipe avec lui, partira deux ans à l’étranger parce que ça sent le roussi pour lui, reviendra avec des velléités de rédemption, trouvera un vrai boulot, donnera son salaire à Jeanne pour qu’elle puisse élever le gosse que Jacques (le mec bien) lui a fait avant de l’abandonner. Pour subsister Michel retournera à Longchamp exercer ses talents de pickpocket, se fera menotter la main dans le sac, pour finir en taule où il s’apercevra un peu tard que si Jeanne vient le visiter, c’est par amour et non par charité … Voilà, moins d’une heure et quart et « fin » s’incruste sur l’écran.

Michel et Marie au bistrot

Le scénario en soi n’est pas inintéressant, pour faire simple on dira que c’est du cinéma social (beaucoup plus qu’un polar), sauf qu’il n’y a là-dedans aucune forme de sensibilité, d’émotion, de sentiment. Les acteurs (pardon, les modèles) sont le plus souvent immobiles, inexpressifs, et débitent leur texte d’une façon monocorde et nonchalante. Et pas parce que ce sont des amateurs. Bresson est un maniaque, limite tortionnaire, qui multiplie les prises pour avoir le résultat qu’il souhaite (l’histoire – ou la légende – prétendent que certains plans ont nécessité une centaine de prises). Le rendu, c’est une succession de plans serrés, de gros plans, de champs – contrechamps (jamais de panoramiques ou de mouvements de caméra) sur des acteurs le plus souvent statiques récitant des textes inexpressifs. Si on veut être méchant on dirait que c’est du « théâtre filmé » (ce contre quoi Becker se bat) mal joué …

Sauf qu’on finit par se laisser embarquer par cette histoire et que les « modèles » limite zombies de Becker évoluent dans un monde réel (suffit de voir les figurants à qui on n’a certainement pas demandé leur avis, regarder curieusement en coin (ou carrément de face) l’objectif, au milieu du brouhaha d’un bistrot, d’une station ou d’une rame de métro, d’un champ de courses) … Et dans cette histoire qui n’en est pas une, Becker rajoute une touche de réalisme et une de ses obsessions de grenouille de bénitier, la rédemption.

Michel et Marie à la prison

Le réalisme, c’est la présence dans le rôle du maître pickpocket, d’un vrai prestidigitateur (un certain Kassagi) qui utilise toute sa dextérité pour faucher larfeuilles, montres, et autres paquets de billets. Une leçon qui sera retenue par Jean Becker (au style épuré et glacial assez proche de Bresson), lorsqu’il confiera dans le fantastique « Le trou » le rôle du chef de la tentative d’évasion à un vrai taulard multirécidiviste et multi évadé.

La rédemption, c’est lors de son retour au pays quand Michel, qui contre toutes ses convictions jusque là affichées, travaille et file tout son salaire à la fille-mère de façon toute désintéressée.

Ça va sans dire, mais ça va pas plus mal en le disant, je suis pas exactement fan du travail de Bresson. Mais force est de constater que sa rigueur limite paranoïaque, finit par donner à ses films une patine toute particulière. En gros, il fait de la cold wave avant la Nouvelle Vague, et ni ses disciples désignés ou revendiqués (Becker, Rohmer, Duras, voire Melville) n’iront jamais aussi loin dans sa démarche jusqu’au-boutiste. Et les nordiques du Dogme ne reprendront que ses contingences techniques, leurs acteurs, bien qu’amateurs, étant beaucoup plus dans le pétage de plombs hystérique que dans l’immobilisme déshumanisé.

Une anecdote pour finir. Tous les acteurs de Bresson sont des amateurs, et quasiment aucun ne retournera ou ne fera carrière dans le cinéma(tographe). Sauf celle qui ici interprète Jeanne, Marika Green. Qui se fera méconnaître en enchaînant des seconds rôles oubliables dans des films oubliés, avant de devenir belle-sœur de Marlène Jobert et tante d’Eva Green, et d’obtenir un « grand » second rôle dans « Emmanuelle » (oui, oui, bande de pervers, on parle bien du même, Marika Green c’est l’archéologue en Jeep qui va initier Sylvia Kristel à l’amour entre femmes …).

Et pour faire mon Wes Craven, un grand non-remerciement à la maison MK2, qui a sorti ce film en Dvd, d’une qualité tout juste passable, et qui malgré sa courte durée (72 minutes), n’a pas trouvé de place sur la rondelle argentée pour glisser le moindre bonus, commentaire, bande-annonce,


OTTO PREMINGER - AUTOPSIE D'UN MEURTRE (1959)


« Les dessous chics …

C’est ne rien dévoiler du tout, se dire que lorsqu’on est à bout, c’est tabou » (premier couplet de « Les dessous chics », paroles et musiques Serge Gainsbourg, sur l’album « Babe alone in Babylone » de Jane Birkin). Bon, la chanson de l’habitant de la rue de Verneuil n’avait rien à voir avec « Autopsie d’un meurtre », mais elle aurait pu …

Parce que les dessous chics de Laura Manion, lorsqu’ils vont apparaître dans le prétoire de la salle d’audience, vont avoir un rôle déterminant pour l’issue du procès.

On rembobine …

Otto Preminger

Un type à l’apparence cool, arrive de la pêche au volant d’un cabriolet un peu cabossé dans un petit bled. C’est Paul Biegler (joué par le toujours au minimum excellent James Stewart, et ici il est grandiose), ancien procureur, maintenant avocat sans conviction et sans clients. Il est célibataire, et son truc, c’est donc la pêche à la ligne (son frigo est rempli, mais vraiment rempli, de truites), jouer du piano, et boire quelques verres en compagnie de son vieux pote McCarthy (Arthur O’Connell, star des seconds rôles), avocat comme lui et n’ayant pas traité la moindre affaire depuis une éternité, ce dont il se console en étant bourré du matin au soir. Pour mettre un peu d’ordre dans le frigo, materner les deux potes alcoolisés et j’menfoutistes, et accessoirement répondre au téléphone du bureau si par hasard il venait à sonner, Maida Rutledge (Eve Arden, elle aussi des dizaines de seconds rôles à son actif).

Et justement, ce jour-là, il a sonné le téléphone. Une femme appelait l’avocat. Rendez-vous est pris immédiatement. Et là se pointe une jeune bimbo allumeuse et aguicheuse, qui trouble et met mal à l’aise Biegler. Elle a une affaire à lui proposer. Elle s’appelle Laura Banion, elle a été tabassée et violée à la sortie d’un bar, et quand son mari militaire s’en est rendu compte, il est allé vider son chargeur sur le quidam, il se retrouve forcément en taule, et de toute évidence au moins pour un bail, sinon la chaise électrique (même au pays de la NRA, faire justice soi-même est plutôt mal vu par les tribunaux). Laura Banion (Lee Remick dans ce qui est sans doute son meilleur rôle, toute en électricité sensuelle) veut que Biegler défende son mari, gagne le procès et le fasse sortir de taule, rien que ça … Comme son dernier client vient de quitter la ville en oubliant de le payer, Biegler accepte l’affaire bien qu’il la considère comme perdue d’avance.

Stewart & Remick

Les rencontres avec le mari embastillé (Ben Gazzara dans un de ses premiers rôles) ne laissent pas présager d’une excellente collaboration. Le bidasse est plutôt soupe au lait, et faut pas compter qu’il fasse profil bas. Quant à sa femme, comme si de rien n’était, elle continue d’aguicher tous les mâles dans les clubs. Biegler s’en aperçoit alors qu’il est allé taper le bœuf avec le pianiste de l’orchestre (Duke Ellington, à l’écran pour une courte scène, mais surtout compositeur de la B.O.). Mais enfin, avec l’aide de son staff (son vieux pote et sa secrétaire), Biegler va tenter le coup.

A ce moment-là, on en est à un peu moins d’une heure de film. L’heure et demie qui suit va se passer quasi exclusivement dans la salle de tribunal. Biegler devra démontrer le viol, perpétré par le gérant du bar (dont le serveur et une énigmatique gérante ne sont à priori pas là pour l’aider), et plaider le crime passionnel sous l’emprise d’une démence passagère (« impulsion irrésistible » ils disent dans le film) pour obtenir la non-culpabilité de son client. Tout en étant face à un vieux juge à qui on ne la fait pas, et à l’accusation, représentée par le procureur qui lui a succédé, assisté d’un jeune avocat déjà très renommé (un des premiers rôles de George C Scott, qui une dizaine d’années plus tard défraiera la chronique du tout-Hollywood en refusant l’Oscar qui lui a été décerné pour son rôle dans « Patton »).

« Autopsie d’un meurtre » est tiré d’un best-seller du même nom sorti l’année d’avant. Son auteur, sous le pseudo Robert Traver, est John D. Voelker, avocat passionné de pêche, et le bouquin est inspiré d’une affaire qu’il a réellement plaidée.  Etrange boucle …

Scott, le juge & Gazzara

Derrière la caméra, un atypique, Otto Preminger. Le gars a commencé comme acteur et metteur en scène de théâtre en Autriche, a fui la montée du nazisme (il considère que la mentalité viennoise en est le terreau intellectuel et idéologique), a commencé comme « employé » de Darryl Zanuck à la Fox, avant d’envoyer bouler les majors et de devenir le propre producteur de ses films. Si les thématiques de son œuvre apparaissent aujourd’hui banales, à leur sortie ses films ont divisé et souvent choqué le milieu du cinéma, « L’homme au bras d’or » sur la drogue, « Bonjour tristesse » adaptation du premier roman jugé scandaleux de Françoise Sagan, « Carmen Jones », relecture du Carmen de Bizet avec des acteurs Noirs, « Sainte Jeanne », sur la résurrection de Jeanne d’Arc, … Preminger est un directeur d’acteurs … euh, on dira très dur, sa technique de l’image est parfaite (référence majeure de Tavernier), c’est un dandy toujours tiré à quatre épingles, ne se déparant que très rarement du costard-cravate, et grand amateur d’art et de culture française (le type a plusieurs Picasso).

« Autopsie … » est un film rigoureux. Les sujets qui y sont abordés, le viol, le meurtre, la psychologie et la démence étaient jusque là bannis au cinéma (le fameux code réactionnaire Hayes), ou au mieux traités de la façon la plus elliptique possible. Dans « Autopsie … », on parle de spermatogenèse, d’acte sexuel accompli, de culottes déchirées, dans des scènes où les arguments sont développés. Preminger s’est entouré de médecins, de psychiatres, pour présenter à l’écran des discussions et interrogatoires scientifiquement crédibles. Un soin encore supérieur a été accordé à la partie purement judicaire (le procureur est un vrai juriste et le juge un vrai juge de l’Etat du Michigan, où se déroule l’action et où a été tourné le film).

Stewart, Ellington & Remick

Preminger n’ayant pas vraiment la réputation d’un joyeux boute-en-train, on pourrait s’attendre à quelque chose d’hyper pointu, hyper technique, hyper sérieux dans les thèmes abordés et le jeu des acteurs tant la trame du scénario n’incite pas à la franche rigolade. Bon, on n’est pas chez les Tuche, mais ces deux heures et demie, sans être légères, offrent des respirations bienvenues, et nombre de scènes et de situations drôles (Lee Remick est too much en allumeuse sexy, et son clébard boit de la bière avant de s’endormir), même au tribunal (le savant jeu de positionnement de Scott qui veut empêcher Gazzara et Stewart d’échanger des regards, et la désopilante gymnastique de ce dernier qui en découle).

Une fois qu’on est rodé au difficile ballet de la procédure judicaire américaine (comment, vous avez jamais vu « 12 hommes en colère » ?), on se passionne pour l’intrigue, qui est, comme le chef-d’œuvre de Lumet, un polar à l’envers, parce que l’on reconstitue l’affaire par les témoins et les propos des avocats, et petit à petit, on déroule l’écheveau de la tragique soirée. Bizarrement, et c’est assez surprenant parce qu’on n’en était pas à dix minutes près, le film fait l’impasse sur les plaidoiries de Biegler et de la partie civile, ce qui nous prive de ce qui aurait sans nul douté été un grand numéro de Stewart.

Stewart qui au titre d’acteur sera une des sept nominations du film pour les Oscars. Le film n’en obtiendra aucun, surprenant au vu de sa qualité, pas tant que ça si on repositionne ses thématiques dans la fin des années 50 américaines, trop de sujets jusque là tabous étant abordés de façon frontale. Je sais pas si dans la vénérable académie, il existe une catégorie dédiée au générique, en tout cas mention particulière à celui de « Autopsie … », signé comme souvent chez Preminger par Saul Bass, animation basée sur la déstructuration tant des formes que du lettrage, le tout accompagné par un thème de Duke Ellington.

Novateur voire avant-gardiste par ses thématiques lors de sa sortie, « Autopsie d’un meurtre » est aujourd’hui à juste titre considéré comme un immense classique …


BILLY WILDER - CERTAINS L'AIMENT CHAUD (1959)

 

J'aime pas le jazz ...

Et c’est pas ce film qui va me faire changer d’avis. Quoi que … Marilyn chantant « I wanna be loved you » dans cette robe toute en transparences cousue sur le corps, on te dirait que c’est du trash metal, tu serais sur-le-champ fan de trash metal …

Pour les trois ermites qui ont jamais vu ce film et qui se demandent ce que c’est que cette intro, je les renvoie vers le milieu du film quand Tony Curtis devenu héritier de la Shell « rencontre » Sugar Cane Kowalczyk (Marilyn Monroe, chanteuse et joueuse de ukulélé dans un groupe féminin) et lui dit « … some like it hot ». En parlant du jazz, et donc du jazz hot (le traducteur français n’a rien compris, comme d’hab, le jazz chaud, ça existe pas …).

Wilder, Curtis & Monroe

Bon « Some like it hot », beaucoup considèrent que c’est la plus grande comédie jamais tournée. Y’a des jours que je me dis que ces beaucoup ont raison (y’a d’autres jours que je me dis que c’est « Orange mécanique », mais y’en a qui croient que c’est pas une comédie). Trêve de ratiocinations. Vous avez payé pour avoir un avis ferme, incontestable, etc … sur ce film, venons-en aux faits.

An de grâce 1959. Derrière la caméra, Billy Wilder. Polak émigré aux Etats-Unis, qui débute ses succès avec une ribambelle de films noirs dont certains sont d’immenses classiques (« Assurance sur la mort », « Le poison », « Sunset Blvd », « Le gouffre aux chimères », excusez du peu). Même s’il est capable d’écrire tout seul ses scénarios, il s’est associé d’abord à Charles Brackett, puis à partir du milieu des années 50, avec I.A.L. Diamond, ce qui entraînera un changement de style. Les deux hommes collaboreront longtemps, et pour des comédies, genre auquel Wilder venait de s’essayer (« Sabrina » avec Bogart et Hepburn).

Et surtout Wilder venait de tourner le meilleur film avec Marilyn Monroe en tête d’affiche, le drolatique « Sept ans de réflexion ». Parce que la Marilyn, elle crevait toujours l’écran dans tous ses films, certes, par une présence et un magnétisme physiques plutôt hors du commun, mais était une très piètre actrice, et ça se voyait aussi. Depuis quelques années, elle suit des cours à l’Actor’s Studio, ce qui améliore son jeu, lui fait prendre encore plus le melon, et entraîne dans son sillage la pénible Paula Strasberg (actrice ratée, femme du patron de l’Actor’s Studio, confidente et gourou de Monroe, qui la suit sur tous les tournages et intervient à tout propos).

Marylin Monroe période Debbie Harry

L’équipe de « Some like it hot » devra donc se fader la star et sa mégère. Parce que plus star que Marilyn tu peux pas. Jamais sur les plateaux le matin (elle cuve ses médocs et sa gnôle de la veille), et quand elle daigne arriver, elle est capable d’amener une scène vers des sommets stratosphériques, ou a contrario de bafouiller misérablement son texte (plus de quarante prises pour qu’elle arrive à dire « Où est le bourbon ? », et qu’elle refuse que la phrase soit rajoutée lorsqu’elle est de dos, elle veut dire son texte face caméra et on discute pas …).

En plus d’être souvent bourrée et sous antidépresseurs, beaucoup de sources concordantes estiment qu’elle était enceinte (d’Arthur Miller) lors du tournage (une de ses trois ou quatre fausses-couches suivra). C’est malgré tout la star du film. Et elle se fait attendre. Il faut patienter vingt cinq minutes pour la voir arriver, toute de noir vêtue et ondulant méchamment du croupion sur le quai d’une gare (avec un clin d’œil à la fameuse scène de la bouche de métro de « Sept ans de réflexion », ici c’est un jet de vapeur de locomotive qui la poursuit).

Des clins d’œil, il y en a d’autres. Parce que « Some like it hot » est un film qui mélange les genres. L’action se situe en 1929 et dans le Chicago de la prohibition. Trafic d’alcool frelaté, fusillades, poursuites en bagnoles, tripot clandestin, parrain de la mafia locale, descente de flics, règlement de comptes. Les deux premiers personnages principaux sont le mafieux Colombo les-Guêtres (George Raft, vieux de la vieille des films de gangsters et souvent passé du côté obscur de la Force) et le flic qui essaye de le serrer (Pat O’Brien, un autre vétéran des studios). Mêlés à tout cela, deux musiciens ratés, un saxophoniste (Tony Curtis) et un contrebassiste (Jack Lemmon), qui réussissent à s’esquiver lors d’une descente de flics dans un tripot mais se retrouvent témoins d’un règlement de compte et donc traqués par les mafieux. Leur seule échappatoire sera de se travestir et de rejoindre un orchestre de jazz féminin qui part jouer à Miami (en fait à San Diego, l’hôtel et la plage où seront tournés nombre de scènes est quasiment devenu un lieu de pèlerinage).

Brown & Lemmon : dernier tango à Miami ?

C’est ce travestissement forcé qui est l’apex comique du film. Joe devient Joséphine et Jerry Géraldine. Le premier plan de Joséphine et Géraldine titubant en talons aiguilles laisse augurer d’une grande performance d’acteur. Et à ce jeu, c’est Jack Lemmon (à l’époque le moins connu des deux) qui se taille la part du lion. Avec son maquillage qui le fait ressembler au Joker dans les films de Batman, il livre dans chacune de ses scènes une performance mémorable et à mon sens très au-dessus de ceux qui se sont livrés à cet exercice (le Dustin Hoffman de « Tootsie », Terence Stamp et Guy Pearce dans « Priscilla, folle du désert », et par charité, pas de commentaire sur le De Funes de « La folie des grandeurs » ou le Serrault de « La cage aux folles ») … la drag queen ultime, c’est Lemmon … Détail archi-connu, le film devait être en couleurs. Quelques essais avec Curtis et Lemmon montraient de façon trop évidente le maquillage outrancier dont ils étaient tartinés. Il a été décidé de tourner en noir et blanc pour le rendu esthétique, et pour rendre hommage aux films de gangsters des années 30 (puisque l’action est en 1929) filmés en noir et blanc. Le plus dur fut de convaincre Monroe (et Paula Strasberg) de ce changement, Monroe voulant tourner dans un film en couleurs, c’était stipulé dans son contrat, elle a un temps menacé d’abandonner le projet et d’envoyer ses avocats …

« Some like it hot » multiplie les scènes extraordinaires (la party dans la couchette du train, le tango sur la plage, le « repas » sur le yacht, les chassé-croisé dans l’hôtel, …). On est souvent à la limite du burlesque mais ça ne dérape pas dans le n’importe quoi juste pour amener un gag ou une réplique. Et quand dans le dernier quart du film, on voit à l’entrée de l’hôtel un gros plan sur une paire de guêtres blanches, on sait que Wilder et Diamond n’ont pas perdu le fil de leur histoire, nos deux messieurs-dames vont devoir à nouveau se coltiner la mafia qui les course …

Parce que l’histoire qu’on suit quand tout semble partir en vrille, ça définit assez bien la patte de Wilder. Le bonhomme n’est pas un adepte des grands mouvements de caméra. Il se contente de les placer savamment dans l’espace, les laisse immobiles, et ce sont les acteurs, qui tout naturellement dans le déroulé des scènes, viennent se positionner dans l’axe des objectifs. Les scènes de Wilder doivent beaucoup plus à la chorégraphie des acteurs qu’à une démonstration technique de prise de vue.

Pour faire un grand film comique, il faut aussi des « gueules » (voir le cas d’école par ici des « Tontons flingueurs »). Et ça, le casting de Wilder n’en est pas avare. Il y a dans « Some like it hot » des figurants qui même s’ils n’esquissent pas le moindre geste ou ne disent pas un mot, ont le physique de l’emploi. Les mafieux sont extraordinaires, de la bande à Colombo-les-Guêtres à ceux réunis au banquet des parrains, pas besoin de scènes d’exposition, on sait à la première image qui ils sont. De ce côté-là, Wilder voulait reconstituer les castings des années 30, il voulait aligner Raft et pour lui donner la réplique Edward G. Robinson en Parrain. Il y a bien un Edward G. Robinson au générique, mais c’est le fiston (qui imite le gimmick de Raft dans ses films en jouant avec une pièce de monnaie), Robinson père ayant refusé le rôle (parce que Raft était déjà casté, les deux en étant venu aux mains sur un antique tournage). Faute d’avoir l’original Little Caesar, Wilder se contentera de Little Bonaparte …

Mais le plus pittoresque second rôle n’est pas à chercher du côté des truands. Il est endossé par Joe E. Brown dans le rôle du milliardaire qui tombe amoureux de Geraldine – Lemmon. Chacune de ses apparitions est inoubliable et c’est à lui qu’il reviendra de prononcer la dernière réplique du film, le cultissime « Nobody’s perfect » (à noter qu’initialement, elle devait être dite par Curtis dans la scène à la plage, où déguisé en héritier de la Shell, il fait tomber Monroe pour pouvoir la brancher). Et plein d’autres ont vraiment le physique l’emploi (le groom de l’hôtel, l’accompagnateur-chaperon du groupe de filles, l’impresario que vont voir au début Curtis et Lemmon, …).

Quelques anecdotes pour finir, et pour tester le robot censeur.

Elle a bien grandi, Marylin Monroe

Tony Curtis et Marilyn Monroe avaient eu une liaison. Dans la scène du yacht, une Marilyn avec sa fine robe transparente cousue sur le corps et couchée sur Curtis, tente à grands coups de baisers de le guérir de son insensibilité. Dans le film, cela prend un certain temps. Dans les faits, Curtis (c’est lui qui le dit) a très vite réagi un peu en dessous de la ceinture, if you know what I mean … La Monroe s’en est évidemment aperçu, et manière de le chauffer encore plus, lui a roulé quelques vraies pelles au gré des multiples prises …

Une des dernières scènes filmées a été celle de la baignade. Accréditant la grossesse de Monroe, celle-ci a demandé afin de masquer son embonpoint un maillot de bain plusieurs tailles au-dessus. Problème, si ça allait pour le bas, sur le haut ça débordait souvent sur les côtés, à la grande joie des figurants et des badauds à proximité, et au grand dam de Wilder qui multipliait les prises bonnes à jeter.

Monroe, en raison de sa grossesse, n’a pas fait les photos publicitaires et celles pour les affiches du film. C’est la grande blonde de l’orchestre (celle qui joue je crois du trombone) qui avait à peu près la même morphologie qui l’a remplacée. Et comme y’avait pas Photoshop à l’époque, on a rajouté tant bien que mal la tête de Marilyn sur le corps de l’autre fille et y’a des photos où le raccord se voit vraiment …

Nobody’s perfect …


HOWARD HAWKS - RIO BRAVO (1959)

 

Wayne's world ...

Trois mois après « Rio Bravo » sortirait « Hiroshima mon amour ». Pile poil un an plus tard, « A bout de souffle ». Et le cinéma n’allait pas seulement changer de décennie, il allait être totalement redéfini … En 1959, on était donc à une période charnière. Les gigantesques péplums, les productions Cecil B. DeMille, remplissaient les salles, trustaient les Oscars, mais une frange du public, de la critique, et des professionnels du cinéma (scénaristes, acteurs, réalisateurs, …), souhaitaient la fin de ce cinéma hollywoodien qui ne se faisait plus qu’à coups de dollars et de bons sentiments. Mais y’avait pas que les grosses machines dans l’œil du cyclone. Même le western, ce genre ô combien typiquement américain et hollywoodien, semblait destiné au déclin. Ses metteurs en scène et ses acteurs stars n’étaient plus de la première jeunesse. Le baroud d’honneur de ce genre à peu près aussi vieux que le cinéma était en route …

Hawks, Martin, Wayne & Dickinson

Sauf que l’art c’est pas une science exacte … rien ne se perd, rien ne se crée. Les novateurs, les révolutionnaires du jour sont les ringards de demain, et tout finit toujours par renaître de ses cendres. The best western ever, c’est (peut-être) « Il était une fois dans l’Ouest », et le plus grand péplum, c’est le « Cléopâtre » du maniaque Mankiewicz. Deux films sortis dans les années 60, alors que ce genre de productions était censé être définitivement ringardisé …

Fin des années cinquante, la légende du western, c’est John Wayne. Aucun autre acteur ne symbolise le genre autant que lui. Et encore plus quand il y a John Ford à la caméra. Mais là, pour « Rio Bravo », il délaisse son vieux complice pour Howard Hawks. Un boulimique de la caméra, passant d’un genre à l’autre, avec derrière lui au moins une douzaine de classiques du cinéma. Hawks et Wayne ont déjà fait un très bon film ensemble, « La rivière rouge ».

« Rio Bravo » sera pour John Wayne un règlement de comptes. Lui, c’est toujours le type droit dans ses bottes, le rustre qui ne fait pas concessions. Et encore moins lorsqu’il a une étoile de shérif sur le gilet. L’honneur et le devoir avant tout. Et on ne fait pas tourner n’importe quoi à John Wayne. Il refuse tout rôle qui ne convient pas à ses valeurs. Et y’a un film qui l’a fait enrager, « Le train sifflera trois fois », parce qu’à la fin, après avoir dégommé les méchants, Gary Cooper balance par terre son étoile et s’en va avec Grace Kelly. Et dans le monde de Wayne, on balance pas son étoile et on quitte pas la ville. Un avis partagé par Hawks, d’où leur collaboration pour « Rio Bravo ».

Nelson, Wayne & Martin

« Rio Bravo » est une sorte de remake « vertueux » du film de Zinnemann, les grandes lignes du scénario sont identiques. Le shérif face des types qui veulent sa peau parce qu’il a fait son job. Ça c’est le prérequis pour avoir Wayne au casting. Les discussions ont paraît-il été serrées pour le scénario et le casting. Hawks, pas exactement le premier venu, avait ses idées. Wayne ses certitudes. « Rio Bravo » fait une large place à la comédie. Et aussi à la romance, avec pour le coup, une femme qui mène la danse. Et deux chanteurs partageront l’affiche avec Wayne. En contrepartie, Wayne sera en terrain connu. Son rôle sera le plus archétypal de son personnage éternel, et ses potes, comme lui plus très jeunes seront de la partie. Wayne aurait imposé à Hawks ses amis Ward Bond et Walter Brennan.

« Rio Bravo » est a priori un western improbable. Amateurs de grands espaces et de cavalcades dans la poussière du désert, vous allez être déçus. « Rio Bravo » est à peu près un huis clos. Quasiment tout se passe dans trois lieux d’un petit bled : le bureau du shérif et la prison attenante, un hôtel-bar, et la rue principale. Le shérif, c’est évidemment John Wayne. Il vient de coffrer un type qui vient d’en buter un autre de sang-froid. Et qui auparavant, chambrait méchamment l’ancien shérif adjoint, défroqué pour cause d’histoire d’amour qui a mal fini, et de bouteilles elles bien finies consciencieusement. Ce poivrot, flingueur redoutable à jeun, c’est Dean Martin. Très à l’aise pour jouer les types bourrés, Rat Pack oblige, je sais pas à quel degré il faut prendre ce choix de casting … Autres choix aventureux (quoique) du casting, c’est des premiers rôles attribués à deux quasi débutants. Ricky Nelson, le rocker (enfin, pour faire simple) pour petites filles sages, beau gosse mais piètre acteur (nombre de ses dialogues seront réduits vu les piteux résultats des essais). Et puis Angie Dickinson, jeune et belle actrice expérimentée, mais jamais vue en haut de l’affiche jusque là …

Dickinson & Wayne

« Le train sifflera trois fois » durait moins d’une heure et demie. « Rio Bravo » fait quasiment une heure de plus. Pour en arriver à la même situation finale : l’affrontement du bon (et de ses rares soutiens) et des nombreux méchants. Alors, il y a du délayage dans « Rio Bravo », les scènes se répètent souvent, sans que l’intrigue avance vraiment. Sauf que, en vieux renard des tournages, Hawks utilise au maximum les possibilités de son casting hétéroclite.

On a un crooner et un rocker, ben tant qu’à faire on leur fera une paire de chansonnettes, et même Walter Brennan les accompagnera à l’harmonica. Mais pas John Wayne. Hawks l’a déjà fait tomber, voire sombrer, lui le shérif solitaire et renfrogné, sous le charme de la sorte d’aventurière en jupons jouée par Angie Dickinson, alors faut pas lui demander en plus de chanter …

Tous les rôles principaux ont droit à de nombreuse scènes (Dean Martin face à ses démons alcoolisés, Walter Brennan en gardien de prison boiteux et sempiternel râleur, Ricky Nelson en as de la gâchette maussade et hésitant, Angie Dickinson et ses numéros de vamp puis de femme amoureuse). Et John Wayne fait évidemment du John Wayne, il dépasse déjà tout le reste du casting d’une tête, et il est le pivot de l’histoire. C’est pas un acteur qu’il viendrait à quiconque l’idée de qualifier de grand acteur, mais dans son registre limité d’honnête redresseur de torts, y’a pas foule de rivaux …

Wayne & Brennan

Alors, même si « Rio Bravo » tourne parfois un peu en rond, on se laisse entraîner par le rythme de ce qui est autant une comédie qu’un western pur et dur. D’ailleurs la baston finale est un peu traitée par-dessus la jambe, la horde de méchants sort assez vite de sa tanière les bras levés. Parce qu’inutile de vous dire que tous les gentils finissent sans une égratignure …

Il n’empêche qu’en mettant l’accent sur la comédie, en faisant de malins choix « commerciaux » pour le casting, tandis que Wayne assure la crédibilité western, « Rio Bravo » remplit son office. Gros succès critique et commercial mérité … Pas mal pour un baroud d’honneur. Qui n’en est pas un, Wayne et Hawks vont continuer de tourner ensemble (des westerns, est-il utile de le préciser) dans les années 60. Sans retrouver cette magie particulière de « Rio Bravo » …


Du même sur ce blog : 

Les Hommes Préfèrent Les Blondes



SIDNEY LUMET - 12 HOMMES EN COLERE (1957)

 

Autopsie d'un meurtre ...

Y’a des façons de commencer plus mal derrière une caméra. « 12 hommes en colère » est le premier film de Sidney Lumet. Qui aura sa décennie de gloire dans les roaring seventies, avec Pacino (« Serpico », « Un après-midi de chien »), ou pas (« Network »), et qui, la chose est suffisamment rare pour être soulignée, terminera sa carrière cinquante ans après ses débuts par un autre grand film (« 7h58 ce samedi là »). Lumet, c’est en gros le type qui filme l’envers du décor, les histoires tout sauf glamour, où des héros en papier viennent se fracasser sur les murs des réalités. Les personnages de Lumet, c’est souvent des anti-héros Marvel …

Fonda, Lumet & Cobb

« 12 hommes en colère » est un chef-d’œuvre, un classique … avec plein de défauts, cependant emportés par le souffle épique et la tension du film. Bon, évacuons ce qui peut piquer aux yeux. Des raccords plus qu’approximatifs, ainsi des cendriers pleins avant d’être à moitié, des auréoles de transpiration grandes comme des ballons de foot qui ont disparu la scène suivante, …, c’est assez couillon quand on filme un huis-clos dans la continuité. Et puis, le revirement assez inattendu et plutôt irrationnel des derniers partisans de la culpabilité …

Bon, il aurait peut-être fallu que je sois moins bordélique et commencer par l’histoire. « 12 hommes … », c’est un film de tribunal, et pour être encore plus précis, un film sur la délibération d’un jury. Amené à se prononcer sur la culpabilité ou pas d’un minot basané accusé d’avoir poignardé son père. Il a tout contre lui, l’ado, des menaces publiques envers son vieux, un stiletto qu’il exhibait devant ses potes et qu’on retrouvera dans la poitrine du macchabée, des témoins visuels du meurtre et de sa fuite, pas d’alibi, un casier déjà épais comme un bottin, et j’en passe…

Tout ça, on l’apprend très vite après un plan d’exposition sur un Palais de Justice à New York (on situe), et un laïus du juge qui explique aux jurés comment ça se passe une délibération. Soit unanimité pour la culpabilité (et dans ce cas-ci, c’est chaise électrique), soit unanimité pour la non-culpabilité (on relâche le prévenu). Si les avis sont partagés, délibération du jury nulle et on rejugera avec un nouveau jury … Les jurés se lèvent (tous des hommes, en ce temps-là, aux USA comme ailleurs, les femmes faisaient le ménage et la bouffe et n’avaient pas à s’occuper de « choses sérieuses », pas un Black ni un « coloured » non plus, on est en 1957 dans une Amérique qui n’a pas encore « digéré » l’affaire Rosa Parks), et le regard perdu de l’ado les accompagne quand ils rejoignent la salle de délibérations (c’est la seule fois où on le verra, d’ailleurs il est même pas crédité au générique).

Premier vote du jury ...

Dès lors (et hormis la courte scène finale à la sortie du Palais de Justice, où les deux premiers à avoir mis en doute la culpabilité s’échangent leurs noms), tout le film va se passer dans cette salle de délibérations, quasiment en temps réel. Atmosphère suffocante, en plus de la tension qui très vite s’installera entre les douze, c’est aussi la journée la plus chaude de l’année, et c’est pas le gros orage qui surviendra qui rafraîchira l’ambiance …). Le temps que les débats commencent, les discussions entre jurés montrent clairement la tendance, le gosse est coupable sans aucun doute possible, et les personnalités en présence se dessinent. Pourtant, lors du premier vote, un juré se prononce pour la non-culpabilité. C’est un architecte, qui n’a aucune certitude, mais se pose des questions. Ce juré est interprété par le grand Henry Fonda, habitué des personnages « positifs » (même si son rôle le plus connu sera une décennie plus tard l’inoubliable salopard de « Il était une fois dans l’Ouest »). Son voisin de chaise, un retraité et le plus âgé du groupe, le rejoindra au vote suivant et tous deux devront affronter le mépris, l’incompréhension, voire la haine des plus virulents du groupe.

Le génie du film, en plus d’une analyse psychologique et sociologique des gens présents, sera aussi de refaire l’enquête (le coup du même stiletto acheté par Fonda, la reconstitution du trajet du témoin boiteux dans son appartement), de pointer du doigt les questions légitimes pesant sur les deux témoins oculaires du meurtre, et petit à petit, d’instiller le doute chez les autres jurés. Dès lors les tenants de la non-culpabilité deviennent plus nombreux au fil des votes, certains par leur vécu ou leur expérience, amenant de nouveaux éléments à décharge …

Reconstitution tendue entre Fonda & Cobb

L’issue est prévisible, l’intérêt étant de montrer quel va être l’argument qui fera basculer les votes successifs. Ça se complique scénaristiquement quand ils ne sont plus qu’une poignée (la versatilité du publiciste et du gars qui veut pas rater le match de baseball, ouais, un peu limite quand même). Le coup des lunettes avec l’assureur qui ne transpire jamais est discutable (si la femme témoin est presbyte et pas myope, l’argument de la « défense » ne tient pas), le speech du raciste se tient, sa « capitulation » morale beaucoup moins (quand on est raciste, c’est pour la vie, on devient pas un bisounours sous le simple poids du regard des autres), et l’effondrement du plus véhément partisan de la culpabilité (énorme prestation de Lee J. Cobb) qui transfère sur le basané accusé la haine que lui-même voue à son fils avec lequel il est plus qu’en froid, c’est quand même de la psychanalyse à deux balles …

Ce qui est aussi fabuleux, comme c’est souvent répété, c’est que si de nombreux éléments peuvent permettre de disculper l’accusé et d’installer un « doute raisonnable », rien n’indique cependant que le minot ne puisse pas être coupable … C’est aussi à ma connaissance le premier film « de tribunal » à se concentrer uniquement sur la délibération du juré.

Deux remarques pour finir. Il y a parmi les jurés un horloger qui intervient plusieurs fois sur la thématique de l’Amérique pays de la liberté et de la démocratie. Faut regarder le film en V.O. pour comprendre. Le type parle avec un accent étranger, c’est le plus tatillon pour défendre les valeurs du pays qui l’a accueilli. Dans la version française, il n’a pas d’accent, du coup ses sorties sont pas aussi clairement explicables … Ensuite le publicitaire, assez distant et imbu de sa personne. Il ne m’étonnerait pas que son look (costard-cravate, clope au bec, cheveux gominés et raie impeccable sur le côté) ait servi d’inspiration aux créateurs de la série « Mad Men » (pour les Hommes de Madison Avenue, lieu des agences publicitaires new-yorkaises au début des 60’s) pour leur personnage principal de Don Draper …

« 12 hommes en colère » est aujourd’hui reconnu et célébré comme un immense classique du cinéma. Un peu à l’image de toute l’œuvre de Lumet, la reconnaissance ne sera pas immédiate et malgré les merveilles qu’il a sorties, la « profession » ne le couvrira jamais de louanges, ne le récompensera pas beaucoup (juste un Oscar d’honneur tardif pour l’ensemble de sa carrière) …


Du même sur ce blog : 


LEO McCAREY - ELLE ET LUI (1957)

 

Remix ...

Leo McCarey est connu surtout pour ses comédies, dont quelques unes de premier plan, « La soupe au canard » avec les Marx Brothers (un de leurs meilleurs), et « Cette sacrée vérité » (déjà avec Cary Grant). Mais le bon Leo (enfin, le type est pas parfait, anticommuniste radical et fervent supporter du maccarthysme) a tendance à trop tourner, à visiter d’autres genres que la comédie, avec des fortunes diverses (quatre Oscars tout de même, dont trois pour l’oublié et oubliable « La route semée d’étoiles »). De plus, compositeur raté (c’était sa vocation initiale), il inclut souvent des scènes chantées dans ses films …

Leo McCarey

Mais là, au milieu des années cinquante, c’est un peu le trou noir pour McCarey. Cinq ans sans un film. Les aléas

de la vie (il est depuis longtemps en fauteuil roulant suite à un grave accident de voiture), et surtout il n’a plus confiance en lui (il est lucide et sait qu’il a tourné quelques furieux navets). Il va pas trop se fouler pour faire son nouveau film, il va tourner une nouvelle version d’un de ses anciens films de 1939, qu’il estimait raté, « Elle et lui » (pas vu, mais je veux bien croire que c’était pas un chef-d’œuvre, si McCarey lui-même le dit).

Ce nouveau « Elle et lui » (« An affair to remember » en V.O.) se divise en deux parties distinctes. Moitié comédie (romantique) au début, et mélodrame ensuite. Le début est très réussi, la suite beaucoup moins, et la scène la plus poussive est la dernière, ce qui n’est jamais idéal … 

Elle et Lui

« Elle et lui », c’est l’histoire de deux célibataires sur la même croisière dont la destination est New York, où leurs futures moitiés les attendent. Lui, c’est la star de la croisière. Les premières scènes nous montrent des journalistes radio ou télé annoncer le futur mariage de Nick Ferrante, playboy de renommée mondiale avec une très riche héritière américaine. Elle, c’est Terry McKay, chanteuse de cabaret, qui doit épouser un riche industriel newyorkais. Evidemment, ils vont se rencontrer sur le bateau, lui va forcément la draguer, elle va résister tant bien que mal, avant de lui céder. Ils se donnent six mois pour éventuellement expédier leurs fiancés respectifs, et si c’est le cas, se retrouver à une date et une heure bien précises au dernier étage de l’Empire State Building (celui de King Kong). Il y sera, attendant bien après l’heure prévue jusqu’au dernier ascenseur, mais elle ne viendra pas (on sait pourquoi, même si ça se passe hors champ).

Un petit champagne rosé ?

Dès lors, on va les suivre, lui obligé de travailler dans la peinture (sur toile ou en bâtiment), répondant là à sa vocation enfantine, elle donnant des cours de chant pour des gosses dans une paroisse. Tous les deux ne sont pas mariés avec leurs fiancés respectifs, ne se sont pas revus. Ils ne se retrouveront qu’à la dernière scène …

Lui, c’est Cary Grant. L’immense Cary Grant. Capable de tout jouer à la perfection, mais jamais aussi excellent que dans la comédie. Un jeu très british (il est anglais de naissance avant de s’être fait naturaliser américain vers la quarantaine), très économe de gestes, tout passe par un plissement de front, de sourcils, une esquisse de sourire, un regard, un petit mouvement de tête, …).

Elle, c’est aussi une citoyenne britannique, Deborah Kerr, grande actrice à la filmographie longue comme un jour sans pain, avec une bonne dizaine de grands films à son actif. Généralement pas dans le registre comique. Dans « Elle et lui », elle fait ce qu’elle peut, mais est quelque peu écrasée dans ce domaine par Cary Grant. Elle rétablit l’équilibre dans la seconde partie, malheureusement pas très captivante …

McCarey, pour ce que j’en ai vu, ne transcende rien. C’est juste un technicien sans imagination, qui pose une caméra et met ses acteurs devant. Même s’il arrive quand même à trouver un angle intéressant pour magnifier le superbe paysage en contre-bas à Villefranche-sur-Mer, lors d’une escale de la croisière et d’une visite de Ferrante et McKay chez la grand-mère de Ferrante, lors de la seule pause émotion d’une première partie très alerte … Par contre, la manie de McCarey des parties chantées est ici loin d’être une bonne idée. Cary Grant n’a que quelques vers, et on le sent très mal à l’aise, Deborah Kerr s’en sort mieux bien qu’étant doublée. On a droit à un chant par une chorale de gosses plutôt longuet et pathétique et qui finit par mettre mal à l’aise quand les deux seuls gosses Blacks de la chorale se livrent à quelques pas d’une danse censée être africaine mais qui fait évoque lourdement les piteuses « revues nègres » …

Scène finale

Le film est porté tout entier par Grant et Kerr, les seconds rôles sont tout juste des figurants améliorés, seule une autre anglaise, Catleen Nesbitt, dans le rôle de la grand-mère de Grant (pourquoi la grand-mère, elle n’a dans la vraie vie que seize ans de plus que lui, et on ne parle jamais des parents de Ferrante), a droit à une paire de jolies scènes. On a parfois comparé « Elle et lui » aux meilleurs films de Douglas Sirk (manque quand même les scènes épiques tire-larmes), voire à « Love Story » (??) … Bah non, « Elle et lui » est le cul entre deux chaises entre comédie et mélo, et finalement « n’imprime » pas vraiment.

McCarey a tourné pour les grands studios (longtemps sous contrat avec la Columbia, celui-ci est chez la Fox) et fait partie de ces réalisateurs aujourd’hui oubliés, une bonne partie de son œuvre n’a jamais été rééditée sur support physique. Et quand c’est fait, c’est un travail bâclé. La version Dvd du film que j’ai (pourtant de la Fox) parue en 2001 a une qualité d’image pire qu’une VHS, on passe pendant la lecture d’une version française à des scènes en V.O. sous-titrées … c’est pas avec des supports comme ça qu'on va le réhabiliter le Leo …



Du même sur ce blog :


MICHAEL CURTIZ - LES AVENTURES DE ROBIN DES BOIS (1938)

 

Les aventures d'un type en legging vert ...

Robin des Bois, un type qui apparemment n’a jamais existé a été moultes fois adapté au cinéma. Passons sur les cartoons Walt Disney, les films russes et de Bollywood, reste un gros paquet de versions anglo-saxonnes du personnage. Avec pour interpréter celui qui vole aux riches pour donner aux pauvres, quelques grosses stars, Douglas Fairbanks, Russell Crowe, Kevin Costner, Sean Connery entre autres. L’interprète le plus emblématique restera sans doute Errol Flynn. Pour deux bonnes raisons : parce que sa vie est encore plus rocambolesque que celle de son personnage, et parce que « Les aventures de Robin des Bois » laisse assez (ou très) loin derrière toutes les autres versions du noble malandrin de la forêt de Sherwood.

Olivia de Havilland & Errol Flynn

« Les aventures de Robin des Bois » est pensé pour être un gros succès. Et une prise de risque pour la Warner, société de production d’une quinzaine d’années et qui jusque-là s’était cantonnée (avec bonheur) à des comédies musicales (Prologues », « 42nd Street ») ou des films de gangsters (« L’ennemi public », « Le petit César »), et qui avait sa star, James Cagney. C’est Cagney qui est au centre de tous les projets de « diversification » de la Warner. Mais voilà, des histoires contractuelles à base de paquets de billets verts entraînent une tension entre l’acteur et les gros cigares, et il refuse systématiquement tout ce qu’on lui propose. Sauf que la Warner trouve facilement un remplaçant pour son adaptation de Robin Hood. C’est un gars qui vient de se faire remarquer dans un de ses films d’aventures, ayant dépassé populairement les attentes du studio. Le film, c’est « Capitaine Blood » et l’acteur c’est Errol Flynn.

Il y a quand même un os. Errol Flynn n’est pas le genre de gars à se mettre béatement au garde-à-vous devant ses patrons. Il est plutôt du genre ingérable, bourré en permanence à la vodka, et toujours prêt à baiser tout ce qui lui passe à portée (hommes, femmes, peu importe …). D’un autre côté, il a l’avantage d’être un charmeur né, beau gosse baraqué et sportif. A une paire de prises près, il fera les cascades du film. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne (et qui rapporte), le premier rôle féminin de « Robin des Bois » sera confié à sa partenaire dans « Capitaine Blood », la jeunette (22 ans) Olivia de Havilland. Parenthèse. Olivia de Havilland décèdera à 104 ans, sera nominée cinq fois aux Oscars de meilleure actrice, en remportera finalement deux, et entretiendra une relation compliquée, parfois haineuse avec sa sœur Joan Fontaine. Olivia de Havilland sera une actrice d’une précision de jeu diabolique, toujours d’une justesse remarquable, évitant d’en faire trop. Contrairement à Errol Flynn, qui a toujours tendance à en rajouter devant la caméra …

Cooper, Rathbone & Rains : les méchants

Les scénaristes de la Warner se mettent au boulot, piochant personnages et situations dans les versions précédentes, et en créant de nouveaux (personnages et situations). L’objectif est clairement défini : faire du film un divertissement à grand spectacle, basé sur la traditionnelle opposition entre les bons et les méchants. Et en utilisant toutes les techniques de pointe de l’époque. « Les aventures de Robin des Bois » est souvent présenté comme la première référence majeure en terme de Technicolor (format 1,37 :1) et couleurs criantes pour ne pas dire criardes. Les collants vert moule-burnes de Flynn deviendront aussi célèbres que lui, quasiment toutes les scènes en extérieur sont vraiment en extérieurs (dans un parc naturel californien).

Au centre, Curtiz & Rains
Pour l’histoire il faut faire dans le basique. Les gentils sont très gentils et un peu cons, les méchants sont très méchants et très cons. Le trio de méchants est constitué de deux grandes figures de méchants de l’époque, Claude Rains et Basil Rathbone, auquel se rajoute le méchant comique, Melville Cooper. Un peu comme dans les cartoons, le but du jeu est de capturer Robin des Bois, en utilisant des pièges invraisemblables, dans lesquels Robin se jette à pieds joints, et s’en échappe d’une façon encore plus invraisemblable (genre dans une baston à un contre cent, et pas une égratignure). Il y a dans le film tout ce qu’il faut pour faire du populaire, au sens noble du terme : de l’action, de l’amour, des trahisons, des rebondissements, pour un résultat couru d’avance … Et tant pis si rien n’est vraisemblable. Voire pire, tant pis s’il faut réécrire l’Histoire. L’action est censée se passer alors que Richard Cœur de Lion est prisonnier à son retour de croisade, et que son frère Jean Sans Terre tente de se faire proclamer roi d’Angleterre, sur fond de frictions entre Anglais (descendants des envahisseurs Normands) et Saxons (les populations originelles de l’île). Dans le film, le retour de Richard précipite le dénouement. Dans les faits, il est tué en France (siège de Châlus) et Jean sans Terre règnera une quinzaine d’années… Passons aussi sur les scènes de bataille à l’épée, celles d’époques étaient le double, et dans le film les acteurs ne frappent pas d’estoc et de taille, ils font de l’escrime …

Par contre, sur d’autres points, le réalisme est poussé à l’extrême. Robin de Bois est censé être un archer d’exception et Flynn est doublé au tir à l’arc par Howard Hill, plus grand archer de son temps (c’est lui que l’on voit opposé à Robin dans le concours de tir à l’arc). Plus fort, c’est Hill qui tire sur les figurants (une plaque en fer surmontée de balsa dans lequel de vraies flèches se plantent est sous leurs vêtements) … Sacrés risques, ils devaient serrer les fesses, les figurants …

Grands décors (en carton) et costumes

Il n’y a pas que des scènes de baston qui en foutent plein les yeux. La scène du sacre de Jean (beaucoup de figurants en costume d’apparat) est grandiose et réglée au millimètre. Le prestige du film rejaillira sur son réalisateur. Sauf que si Michael Curtiz voit son nom écrit en gros, c’est un peu comme pour « Autant en emporte le vent » l’année suivante, un film auquel plusieurs réalisateurs ont mis la main à la pâte. Un habitué de la Warner, William Keighley commence le tournage, prend son temps, lambine, et finit par se faire éjecter au profit de Curtiz. Qui n’avance pas assez vite, et une partie des scènes d’action sera tournée par un troisième réalisateur qui n’a pas vu son nom passer à la postérité (un petit contractuel de la Warner ?). En fait, « Les aventures de Robin des Bois », beaucoup plus qu’un projet de scénariste et de réalisateur, c’est un projet de studio avec cahier des charges très écrit préalable…

Résultat au-delà des espérances (gros succès populaire planétaire à la clé), et film d’un charme et d’une qualité kitsch remarquables. Sans parler de ses remakes et déclinaisons, un modèle et une référence pour des décennies de films d’action et d’aventure …