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ORNETTE COLEMAN - BODY META (1976)

Why not ?
‘tain, ça va mal là … En être réduit à écouter du fuckin’ jazz … Va falloir se ressaisir pour pas finir l’été à Antibes Juan-les-Pins.
En plus, poissard comme pas deux, ça tombe sur Ornette Coleman. Un des derniers grands noms de la funeste musique à être encore en vie, concasseur de routines établies, avant-gardiste allumé notoire, le free-jazz et toute cette sorte de choses,  … Même si pour ce « Body Meta », il serait plutôt à la traîne, ce disque étant aux débuts d’une série dont je ne connais rien de sa période dite électrique. Comme Miles Davis et tant d’autres quelques années plus tôt. Arriver après la bataille peut présenter certains intérêts, notamment ne pas refaire les mêmes bêtises que les prédécesseurs (le jazz-rock issu des formations « électriques » est avec le prog la pire abomination qui soit arrivée à la musique le siècle passé).

Derrière Coleman et son sax, on trouve donc une section rythmique (avec une guitare basse électrique, mais qui sonne le plus souvent comme une contrebasse) et deux guitaristes. Et les quatre sont vraiment derrière le boss, dont le sax est mixé très très en avant. Par la suite, cette formation deviendra (avec moult changements de personnel) Prime Time.
« Body Meta », c’est même pas insupportable, même si … bon, vous m’avez compris. Ça démarre (« Voice poetry ») sur un rythme saccadé et des cocottes funky (il paraît que « Body Meta » est un disque funky … euh faut pas déconner …) à la guitare, le sax de Coleman arrive à 2’30 et dès lors ne quittera plus le devant de l’espace sonore jusqu’à la fin du disque.
Autant dire qu’on en bouffe du sax. Heureusement pour moi pas trop de façon exagérément couinante, dont Coleman est adepte. Techniquement, ça a l’air d’être très fort, mais c’est de toute façon un peu l’axiome de base du jazz. Ça semble joué live, tous ensemble dans le studio, on entend même assez distinctement sur deux morceaux les « 1,2,3,4 » de rigueur au début. Deux titres, « Home grown » et « Macho woman » ( ?? Ornette Coleman et Village People même combat ?) où la section rythmique flirte avec le rouge niveau tempo (du hardcore jazz ?), les deux guitares et le sax partent en loopings d’entrée, on est quand même content quand ça s’arrête.
Les deux derniers titres, « Fou amour » (??) et « European echoes » sont plus classiques (enfin classiques, faut le dire vite), le premier donnant lieu à des solos asynchrones de guitare et de sax qui donnent l’impression de se poursuivre, et le second entamé par un motif  de valse tanguante de fête foraine qui reviendra à la fin, après que ça ait longuement mouliné du free-jazz.
Je suis plutôt preneur, mais avec une liste de réserves longues comme le bras, faut pas déconner non plus, même si c’est barré (dans le bon sens), ça reste évidemment du fuckin’ jazz.

SLY & THE FAMILY STONE - THERE'S A RIOT GOING ON (1971)

The Sly Stone Funk Explosion …
Il y a des disques sur lesquels il n’y a rien à dire. Qu’ils soient bons ou mauvais n’est pas le problème. Il y a derrière eux des personnages falots, discrets, des monsieur Tout-le-monde dont on ne sait rien ou presque, et dont on n’a pas envie d’en savoir plus (Plastikman a t-il des enfants, sort-il en club, mange t-il bio ? on s’en cogne …). Et puis il y en a d’autres qui sortent des disques (bons ou mauvais), mais qui ont une aura, une flamboyance, l’art de ne pas passer inaperçus, et dont le parcours entretient la saga mythique (donc souvent enjolivée) qui donne tout son intérêt, toute sa substance à la musique qu’écoutent les djeunes (ou les vieux djeunes) depuis des décennies. Des gens dont les disques sont indissociables de leur vie, de leur histoire.
Sylvester Stewart alias Sly Stone fait sans conteste partie de la seconde catégorie. « There’s a riot going on’ » est son chef-d’oeuvre. Qui n’est pas là par hasard. Il y a toute une histoire, toute une façon d’aborder la vie derrière. Alors bougez-pas, asseyez-vous, Tonton Lester  va vous raconter tout çà …
Il était une fois …
Sly Stone et ses tenues de scène austères ...
Woodstock, dans la nuit du 16 au 17 Août 1969. Après le Grateful Dead, Creedence, L’Airplane et Janis Joplin (qui viennent tous de se vautrer devant 500 000 hippies), et avant les Who (le pire concert de leur carrière dixit Daltrey), Sly et sa Famille Stone montent sur scène. Cinquante minutes plus tard, le meilleur concert du festival est terminé. Le Cd de l’intégralité du show bouillant, avec un Sly Stone complètement « high » en chef d’orchestre d’une folle sarabande de groove total sortira quarante ans plus tard (« Sly & The Family Stone - The Woodstock Experience »). Par leur prestation mémorable à ce festival, certains vont débuter une carrière de superstar : l’ancien plombier Joe Cocker, le basané Carlos Santana et son groupe du même nom, Ten Years After avec les solos supersoniques d’Alvin Lee. Mais pas Sly & the Family Stone.
Dont le disque qui est sorti avant le festival (le très excellent « Stand ! ») se vendra correctement mais sans plus. Le groupe est atypique, pour Woodstock et l’époque. Construit autour de la famille Stewart (Sly, Freddie, la petite sœur Rosie), il est mixte et multiracial (plutôt rare à l’époque), et n’œuvre pas dans le folk / rock qui était la tendance majoritaire et de Woodstock et du rock. Et puis son leader ne passe pas inaperçu. Ses fringues flamboyantes, sa démesurée coupe afro, sa consommation effrénée de femmes et de drogues en font quelqu’un « dont on parle ».
Sly & The Family Stone
Et « Stand ! » et les concerts de la Family Stone vont peu impressionner le « grand public », mais fortement un certain nombre de musiciens. Hendrix, qui traînera un peu avec Sly, mais surtout Miles Davis. Le peu modeste joueur de trompette (que certains ont qualifié de meilleur musicien du siècle, ce qu’il a fini par croire) s’aperçoit que la musique de Sly groove et swingue mille fois plus que la sienne. Il va dès lors littéralement assiéger le studio transformé en lupanar (ou le contraire, on y trouve people, alcool, drogues, groupies, putes, dealers, le tout en grandes quantités) dans lequel se terre Sly qui tente tant bien que mal (plutôt mal, il ne se nourrit que de cocaïne et de filles consentantes) d’enregistrer le successeur de « Stand ! ». Cette fréquentation de Sly aura pour Davis deux conséquences non anodines, dont les effets sont liés. Il va négliger sa femme, la longiligne et bouillante Betty. Hendrix la réconfortera, c’est du moins ce que prétend la rumeur, avant qu’elle divorce. Musicalement, Miles Davis va prendre une claque dont il ne se remettra pas, l’univers sonore de Sly étant un peu plus coloré et chatoyant que le sien. Davis va laisser tomber ses stricts costards de blaireau new-yorkais, s’habiller flashy (comme Sly), se coiffer afro (comme Sly), se défoncer démesurément (comme Sly), tenter d’inventer un univers sonore en prise directe avec le rock au sens large (comme Sly). Le premier disque de Davis après la fréquentation de Sly Stone s’appelera « Bitches brew », c’est une daube, mais une daube qui a compté à l’époque. De même, Davis va penser pouvoir devenir avec sa bouillasse jazz-rock une superstar du rock’n’roll circus, et il figurera comme tête d’affiche au festival de l’Ile de Wight en 1970, avant que les chevelus de tout bord finissent par se rendre compte de l’imposture. Que pense Sly de tout çà ? Que Miles Davis est juste un putain de nègre qui le gonfle grave, et il ne tardera pas à l’éjecter de son antre. Sly, complètement à l’Ouest, ne respecte rien ni personne.
Un autre, qui ne fréquentera pas Sly (il est totalement straight, enfin pour encore dix ans, il se rattrapera par la suite), mais qui prendra son aura en pleine poire, c’est Jaaaaames Brown. Le Parrain jusque là incontesté, avec ses antiques JB’s, de la black music qui groove se voit très nettement dépassé sur sa gauche par les prestations étincelantes de la Family Stone. Ce que Brown commençait à entrevoir (la pulsation rythmique démesurée au centre de la musique), c’est Sly Stone qui le concrétise. Conséquence : Brown va virer l’essentiel de ses vieux fonctionnaires en costard, et monter un nouveau groupe, autour de deux jeunes frangins flamboyants, Catfish et Bootsy Collins ; premier disque de ce nouveau groupe, « Sex machine », et James Brown relance sa carrière. Enfin, et pour en terminer avec l’influence colossale qu’exercera au tournant des années 70 Sly Stone sur la musique, il convient de citer Prince, qui sera un de ses plus doués suiveurs et qui n’a de cesse depuis le début de sa carrière de mélanger toute les formes de musique répertoriées.
Parce que Sly Stone, très vite calciné par son excessif train de vie, va perdre les pédales. Il se voit en incontesté leader musical de son époque, et pourquoi pas, en gourou-leader de tous les Noirs américains. Le costume est un peu trop large pour ses épaules. Ce qui ne l’empêche pas de s’attaquer dans une incohérence totale à son nouveau disque, qui doit transmettre à son « peuple » LE message politico-mystique que celui-ci est censé attendre, tout en proposant la meilleure musique de la planète. Et en réglant au passage leur compte à tous ces roitelets de la black music qui sont au sommet des hit-parades. Sur bien des points, cette tâche démesurée sera un naufrage.

Sly va se mettre à dos l’essentiel de son groupe, surtout la section rythmique. Le batteur Greg Errico (un Blanc) sera jugé incapable d’assurer le groove, Sly le remplacera souvent lui-même à la batterie. Idem pour le bassiste, et là on parle pas de n’importe qui, mais de Larry Graham, l’autre plus grand bassiste du funk avec Bootsy Collins. Seuls échapperont aux colères homériques de Sly Stone son frère le guitariste Freddie, et sa sœur la trompettiste-chanteuse Rosie. A tel point qu’au bout de deux ans de sessions, les intéressés eux-mêmes ne savent plus qui joue et qui joue quoi sur ce disque, les pistes ayant été sans cesse effacées et réenregistrées. Certains prétendent même que Lennon et Clapton (qui ont traîné et jammé un temps avec-chez Sly) seraient présents sans le savoir ni être crédités sur ce disque.
Qui au bout d’un marathon de séances studio de presque deux ans assorti de millions d’anecdotes, s’intitule « There’s a riot going on’ », en forme de réponse cinglante au gentil et insignifiant (du moins jugé comme tel par Sly) « What’s goin’ on » de Marvin Gaye. Enième provocation de Sly, le morceau-titre dure quatre secondes et ne contient que du silence (si le « morceau » figure toujours sur le tracklisting des rééditions, il n’a souvent plus de piste attribuée, son titre est juste accolé au précédent « Africa talk to you … »).
Au vu de sa gestation, on se doute bien que « There’s a riot … » n’est pas un disque « normal ». Il y a des choses absolument géniales et du total n’importe quoi. Bizarrement (l’inverse aurait été logique), c’est le génial qui domine très largement. Il y a des trouvailles rythmiques fabuleuses qui redéfinissent l’essence même de la musique noire qu’il s’agisse de soul, de funk, de jazz, de rhythm’n’blues. Tous les genres sont engloutis, malaxés, triturés dans chaque titre, pour finalement donner naissance à des objets sonores dont la qualité et la cohérence surprennent, eu égard à la santé mentale de leur auteur. « There’s a riot … » réussit l’exploit d’être à la fois dans l’air du temps (on pense à Marvin Gaye, Isaac Hayes, Curtis Mayfield, …) et totalement futuriste pour son époque.
Les deux pièces essentielles du disque se situent à la fin de chaque face de vinyle. Ce sont les deux titres les plus longs. « Africa talks to you (The asphalt jungle) » et « Thank you for talkin to me Africa » se répondent comme les talkin’ drums de la musique traditionnelle africaine. C’est l’appel à la Terre Nourricière d’Afrique, ce sont deux tourneries hypnotiques, la première plus barrée (free soul-funk ?), la seconde reposant sur un groove pachydermique de basse. La basse qui est au cœur de tout « There’s a riot … », lente, lourde, sinueuse, c’est elle qui dirige tout.
Sylvester Stewart aka Sly Stone
Ensuite, l’enrobage, ça dépend de l’humeur hautement versatile de Sly Stone. Tous les genres se mélangent. La couleur jazz peut dominer, comme sur le fabuleux (et ça me coûte de trouver fabuleux un machin de fuckin’ jazz) « Just like a baby ». Ça  peut être beaucoup plus soul que ce soit la soul suave de ce début des seventies (« Family affair »), la soul énergique des sixties (l’introductif « Luv n’ haight », avec un duo vocal de Sly et Rosie), la ballade soul intemporelle (« Time »). Le rhythm’n’blues pointe le bout de son nez  (« Brave & strong », comme si James Brown avait pris du LSD), une ritournelle sunshine pop arrive sans prévenir (« Runnin’ away »), le funk lourd et lent domine « Poet ».
Et puis, de temps en temps, parce qu’il y a chez Sly des fils de la même couleur qui se touchent (ou pas), on a droit à des morceaux totalement explosés et délirants. Mention particulière dans ce registre à « You caught me (Smilin’) » où traînent les carcasses de structures soul, jazz et pop dans un joyeux foutoir. Et médaille d’or du titre le plus barré à « Space cowboy », dans lequel la famille Stone vire country à grand renfort de yodels tyroliens. Niveau trous dans le cerveau, ce titre est parfait, mais comparé aux autres, c’est juste un assez mauvais gag de défoncé …
L’accueil critique de « There’s a riot … » sera bon, celui du public mitigé. Il faut dire que Sly, qui a claqué une fortune en enregistrement (et en substances et « accessoires » divers) commence à voir sa côte baisser auprès de son label. Les gros cigares d’Epic n’apprécient que très modérément ses extravagances de génie auto-proclamé. La façon dont Sly traite son entourage lui sera encore plus préjudiciable. Larry Graham le premier quittera le groupe, un paquet des musiciens de ce conglomérat quasi anonyme qu’est devenu la Family Stone (sur « Stand ! » ils étaient six, tous crédités, ici plus personne sauf Sly, auteur, arrangeur et producteur) feront de même. Seuls lui resteront fidèles encore quelque temps son frère Freddie et sa sœur Rosie. Bon et pour en finir, parce que ça commence à durer, cette chro, signalons que la Rosie en question épousera le manager (enfin, celui qui essaie de gérer cette débandade permanente) Bubba Banks, enlèvera une lettre à son prénom et sous le nom de Rose Banks, sortira au milieu des seventies un disque funky devenu culte et jamais réédité en Cd, l’excellent « Rose ».

Quand au groupe Sly & The Family Stone, malgré d’autres sorties de disques régulières pendant quelques années, il ne retrouvera jamais le niveau de « Stand ! » et « There’s a riot … ». Sly, lui, toxico au dernier degré, louvoiera à partir du milieu des années 70 entre les métiers de dealer et de clochard, tâtera du pénitencier, réapparaissant épisodiquement à l’improviste pour annoncer au monde qu’il va bientôt sortir un disque d’exception. A ce jour, il n’est pas encore paru …

Du même sur ce blog :
The Woodstock Experience 


CAPTAIN BEEFHEART & HIS MAGIC BAND - TROUT MASK REPLICA (1969)

Au-delà du délire ...
Un jalon, une barrière, une frontière … le prototype même du disque « difficile », à réserver à un public « averti » … en tout cas l’enregistrement le plus jusqu’au-boutiste de Don Van Vliet, alias Captain Beefheart, pas vraiment réputé pour faire dans le sonore consensuel …
« Trout mask replica » dépasse le domaine musical pour rentrer dans celui de l’Art (notez l’immodeste majuscule, on y reviendra …). Pareil disque ne pouvait paraître que dans les années 60. A l’origine, bien sûr, Beefheart, venu à la musique par hasard. Son vrai truc, c’est la peinture, genre dans lequel il ne fait pas vraiment preuve d’académisme. Quand il écoute un disque, c’est soit du jazz, soit du blues, et il est grand pote avec Frank Zappa, autre maltraiteur de gamme notoire …
« Trout mask replica », c’est le disque du grand n’importe quoi. Que l’on peut trouver absolument génial ou totalement inécoutable … pour les mêmes raisons. En gros un sabotage et une déstructuration sonores. Un disque bâclé, fou, cafouilleux, souvent en totale roue libre, beaucoup plus que la plupart des disques de l’époque vendus comme « improvisés ». On ne compte pas sur « Trout mask … » les choses approximatives, les redites, les dérapages totalement incontrôlés. Ce disque est une photographie. Pas retouchée par Photoshop. Plutôt un vieux polaroïd d’un instant où une bande de types se lâche, le résultat d’un invraisemblable processus créatif. Un processus qui compte au moins autant que son résultat …

A l’origine, évidemment, le Captain. Qui aménage dans une villa, rameute quelques minots qui traînent dans son sillage. Et toute cette troupe gavée d’acides et de narcoleptiques divers va jammer. Chef d’orchestre, Beefheart esquisse tous les titres au piano. Problème, il ne sait pas jouer de piano. Les autres reçoivent l’ordre de se lâcher totalement. Ils doivent tout oublier pour « renaître » artistiquement, jusqu’à leur état-civil. Beefheart (aux méthodes de travail criticables et d'ailleurs critiquées par ceux qui furent de cette aventure) va les rebaptiser de pseudos totalement loufoques (Zoot Horn Rollo, Mascara Snake, Drumbo, …). A l’instar d’un Miles Davis qui dira à McLaughlin d’oublier qu’il sait jouer de la guitare pendant les séances de « Bitches brew », Beefheart veut que sa troupe se laisse totalement aller et réinvente sa façon d’appréhender ses instruments et la musique en général. D’une base blues-rock initiale, la plupart des titres vont muter en vers une sorte de free-jazz-rock psychédélique …
Le pote Zappa vient enregistrer le groupe dans sa villa, genre « Campfire sessions », appellation brevetée depuis par quelques folkeux qui ont balancé avec un son pourri leurs premières maquettes. Il doit bien rester, si l’on en juge par le son très très approximatif de certaines séquences de « Trout mask … » quelques bribes de ces enregistrements. Mais Beefheart à l’écoute du résultat, s’énerve, pas convaincu du tout. Il se considère comme un  artiste majuscule, et quand tout le monde va enregistrer ses petites rengaines dans les studios high-tech, lui doit chanter dans sa salle de bains ? No way … Direction un studio d’enregistrement. Les parties musicales (on parle de 28 titres pour 80 minutes de musique tout de même) sont couchées sur bande en demi-journée, les voix, la production et les arrangements ne prendront que deux jours supplémentaires. Autant dire que la première prise a souvent été la bonne …
Il serait vain d’essayer de décrire le résultat, c’est tellement unique et inouï qu’il faudrait inventer un vocabulaire qui ne vaudrait que pour ce disque. De « performances » au sens théâtral du terme, à des allusions au énième degré (« Sugar ‘n spikes », référence ou pas au « Sugar and spice » des Searchers ?), à des pastiches de blues roots (« China pig », comme un inédit de Robert Johnson), à des déclamations hésitantes a capella du Captain, tout le registre du bizarre mis en sons y passe.
Le succès ne sera, on s’en doute, pas au rendez-vous. Mais l’impact sera colossal, des cohortes de gens qui veulent faire de la musique « différente » et corollaire, confidentielle, puisent depuis plus de quarante ans dans « Trout mask replica » (que vient faire ce masque de truite, mystère). La voix de Beefheart, essentiellement dans les très graves (son idole, c'est le colosse blues Howlin' Wolf, ceci explique cela), mais couvrant plusieurs octaves marquera au moins autant que sa musique. Quelqu’un comme Tom Waits dans sa période « magique » du début des années 80, sonnera plus que de raison comme le Captain de « Trout mask … ». Cependant, la plupart des imitateurs-suiveurs n’arriveront à ressembler à leur modèle que par un travail minutieux de déconstruction. Beefheart et sa troupe hallucinée avaient fait ça en quelques heures de studio … toute la différence entre un maître et ses disciples …

DASHIELL HEDAYAT - OBSOLETE (1971)


Culte ...
«  Obsolète » est un objet sonore à peu près unique par chez nous. Peut-être bien le seul disque culte de France et de Navarre. Bonne question et merci de me l’avoir posée, c’est quoi un disque culte ? En gros un machin enregistré il y a très longtemps par des inconnus et qui fait le bonheur d’une poignée de maniaques qui le vénèrent, persuadés de tenir là l’œuvre géniale ignorée de tous. Sauf que nous on fait rien comme tout le monde avec le rock …
Dashiell Hedayat
« Obsolète », même s’il en traîne pas un exemplaire dans chaque grenier, s’est assez bien vendu à sa sortie, a été réédité à maintes reprises, et il continue bon an mal an, à s’en écouler des copies. Des inconnus derrière ce disque ? Pas vraiment. Dashiell Hedayat, c’est un pseudo (composé à partir des noms et prénoms de Dashiell Hammett, auteur américain de polars, et de Sadegh Hedayat, écrivain iranien) derrière lequel se cache une seule personne, mais hydre à plusieurs têtes essentiellement connu pour ses bouquins (Jack-Alain Léger, Melmoth, Paul Smail, Eve Saint-Roch sont ses autres pseudos). Et derrière Hedayat, également planqués sous des pseudos étranges, Gong au grand complet. Largement de quoi détaler ventre à terre pour tout être muni de raison et d’oreilles en état de marche… Pensez, la troupe de babas progressifs anglais accompagnant les délires littéraires d’un schizophrène. On peut difficilement imaginer pire …
Et pourtant il y a de bonnes, voire de très bonnes choses dans ce « Obsolète ». Et des trucs beaucoup plus pénibles aussi. En fait une œuvre typique de tous ces disques faits par des foncedés. Des fulgurances géniales qui se mélangent à un gloubiboulga psychédélique avachi, des délires écrits qui côtoient des impros datées. La balance penche du bon côté, essentiellement grâce au titre d’ouverture, le génial « Chrysler », hit underground de son temps, où sur un rock psyché, Hedayat décrit me semble t-il une sorte de déliquescence et d’effondrement du mythe américain, à travers la vision d’une épave de Chrysler dans le fond de son jardin.
Evidemment, il y a des efforts requis pour saisir les paroles. D’abord parce qu’elles sont un peu plus élaborées que chez Barbelivien, et ensuite parce que le disque est produit « à l’anglo-saxonne », et ne met pas, comme dans les productions françaises, la voix très en avant. Et puis, faut reconnaître aussi que Hedayat c’est pas Otis Redding, d’ailleurs il parle (ou aboie !) plus qu’il ne chante. Beaucoup de similitudes dans l’esprit avec le disque de Houellebecq accompagné par AS Dragon …
Gong 1971
« Fille de l’ombre » est un titre heureusement court qui n’intéressera que ceux qui ont trouvé géniaux les bruits domestiques d’« Alan’s psychedelic breakfast » du Floyd. « Long song for Zelda » commence très mélodique, évoque Polnareff, avant de tourner psyché sous l’influence d’un solo « cosmique » d’Allen et de se conclure par un talk-over et des aboiements d’Hedayat. Si j’ai bien saisi, il fantasme sur une fille (Zelda) qui a un chien, mais les interprétations de ce titre assez barré peuvent être différentes …
Dernier morceau (il n’y en a que quatre) qui occupait toute une face de vinyle, une tournerie entre prog et impro en roue libre (c’est l’impression que ça me fait, mais la conception du disque a pris une paire d’années, c’est pas si improvisé que ça …), commencée avec des accords de basse qui tournent en boucle, avant de finir en ballade planante.
En résumé, un disque qui mérite mieux que sa relative confidentialité (ça vaut bien les Triangle ou Zoo de l’époque, les Variations étant hors concours), un super titre (« Chrysler »), les autres assez loin voire très loin derrière … Certainement beaucoup plus efficace dans le contexte de l’époque, disque sous substances (y’a Burroughs qui vient marmonner sur un titre, c’est tout dire) à l’attention de gens sous substances … Un space cake, quelqu’un ?

ROBERT WYATT - ROCK BOTTOM (1974)


Le summum ...

« Rock bottom » est un disque qui ne ressemble à rien … de connu. Qui ne s’inspire d’aucune rondelle déjà parue, et auquel personne n’a eu l’outrecuidance de se référer par la suite. Qui n’est pas un obscur disque culte vénéré par quelques relous se la jouant musicologues avertis, ni non plus un de ces best-sellers sonores qui marquent leur temps sans qu’on sache très bien si c’est parce qu’ils sont bons ou parce qu’on les a trop souvent entendus.
« Rock bottom » est un genre à lui tout seul. Indissociable de son auteur Robert Wyatt. Dont le parcours était jusque là assez symptomatique de son époque. Révélé à la fin des sixties avec le prog-jazz-pop-rock-etc-etc- pataphysique de Soft Machine, groupe déjanté vite devenu chiant dès lors que les chevilles de ses membres ont commencé à enfler. Un groupe qui se vautre très vite avec l’insupportable « Third », délire égomaniaque pompeux et pompier, qui ne vaut que par un seul de ses quatre titres, le « Moon in June » du batteur (on y arrive) Robert Wyatt. Le disque suivant (audacieusement nommé « Fourth ») sera pour Wyatt celui de trop, qui laissera le reste de cette pénible  bande de branquignols se vautrer jusqu’à la nuit des temps dans des horreurs jazz-rock. Et même si Wyatt est plutôt un joyeux, il en a gros sur la patate et monte un groupe, Matching Mole (que ceux qui n’ont pas compris la vanne se fassent connaître, ils gagnent un almanach Vermot dédicacé par Bigard et Dubosc), qui donne dans le prog communiste, ce qui fait quand même beaucoup de tares pour qu’on puisse décemment en dire du bien. Et Wyatt écrit des chansons, hésitant à les confier à Matching Mole ou à en faire un disque solo. Le destin va régler le problème. Soir de cuite, chute d’un troisième étage, six mois d’hosto, paraplégique. Le genre de soirée qui te laisse une sacrée gueule de bois …
Robert Wyatt & Alfreda Benge 1974
Et parce qu’il faut bien continuer à vivre, Wyatt va s’accrocher à ses ébauches de chansons, les peaufiner, et en faire un disque en battant le rappel de quelques potes, la plupart issus de la scène prog ou assimilée (Mike Oldfield, Fred Frith, Hugh Hopper, Richard Sinclair, Nick Mason à la production). Sans oublier sa compagne et muse Alfreda Benge, dont une illustration sert de pochette, qui a participé à l’écriture de quelques textes et a inspiré des morceaux (« Alfie », « Alifib »).
Plusieurs choses scotchent d’entrée avec « Rock bottom ». C’est un disque très peu axé sur les structures percussives (Wyatt par la force des choses ne peut plus jouer de la batterie, et on n’en trouve que sur deux titres, due au sessionman Laurie Allan), le format chanson est banni (tous les titres autour de six minutes), les voix (particulièrement celle de Wyatt, si fluette, si particulière, si immédiatement reconnaissable) sont utilisées comme des instruments (des onomatopées, des borborygmes, des chœurs remplacent souvent les textes).
Il y a dans « Rock bottom » une succession de climats oniriques où s’entrechoquent la poésie sonore de Wyatt, mais aussi une certaine tristesse (la vie en fauteuil roulant, c’est pas très marrant). Là où la plupart se seraient étalés dans la déprime et l’introspection cafardeuse, lui s’évade dans la poésie, crée son propre monde, certes pas bigarré et multicolore, mais plutôt dans les tons sépia, à l’image de la pochette.
« Rock bottom » est un disque qui s’écoute d’une traite, les morceaux sont d’ailleurs enchaînés, forment des suites qui forment un tout (les similitudes des titres), tout en gardant une unité et une homogénéité individuelle. « Sea song » fait figure de comptine impossible, la trompette bouchée de Wyatt sonne lugubre et jette des ponts vers le free-jazz (« Little Red Riding … »), ailleurs elle se fait sourde et menaçante (« Alifie »), et il faut attendre le dernier titre (« Little Red Robin … »), le plus « difficile » d’accès pour trouver des choses « connues », des bribes de funeste prog-rock noyées dans une fuite en avant mélangeant musique sérielle, classique, baroque, arrangements de cordes, …
Evidemment, arrivé à ce stade de perfection originale, il ne fallait pas espérer une suite aussi bonne. « Rock bottom » est un jalon indépassable, et même Wyatt ne s’est pas risqué à lui donner une suite. Ce n’est pas pour autant un coup d’éclat sans lendemain, le barbu au regard malicieux de Père Noel égrillard, a tout au long de sa carrière, retrouvé par moments sur disque (sur « Shleep » par exemple) l’état de grâce artistique qui était le sien vers le milieu des seventies …

Du même sur ce blog :
Shleep


SPIRIT - TWELVE DREAMS OF Dr. SARDONICUS (1970)


Spirit in the material world ...

Un disque quelque peu ignoré et surestimé d’un groupe quelque peu oublié et sous-estimé … l’équation n’est pas simple.
Le groupe d’abord. Spirit, c’est un peu la queue de la comète psychédélique américaine de la fin des années 60. Alors déjà que les dinosaures de San Francisco sont quasiment passés de mode ou ont du plomb dans l’aile, eux commencent leur carrière avec un temps de retard. « 12 dreams … » est en 1970 leur 4ème disque en deux ans, et le groupe peine à se trouver une audience. Un peu le groupe pour « spécialistes », somme toute assez confidentiel, une confidentialité qui durera toute son existence et se poursuivra depuis.
Même si son nom est revenu avec insistance quand certains ont décelé des similitudes plus que troublantes entre les arpèges d’intro de « Stairway to heaven » et celles de « Taurus » sur leur premier disque éponyme. Et puis Spirit a souvent été confondu et réduit à son guitariste Randy California. Un des très rares vrais « héritiers » d’Hendrix. Aussi un des très rares à avoir joué de la guitare avec le gaucher de Seattle. C’était en 1966, dans un des premiers groupes d’Hendrix, Jimmy James & The Blue Flames, et le tout jeune Randy Wolfe (15 ans !) y gagnera son nom de scène donné par Hendrix lui-même. Et le laissera traumatisé à vie par cette rencontre. Car contrairement à la plupart des techniciens lourdauds présentés ou s’autoproclamant « héritiers » d’Hendrix (de Robin Trower à Stevie Ray Vaughan, litanie interminable et en cours), Randy California (et Uli Jon Roth des Scorpions, et là la liste est close) avait compris … Que l’approche d’Hendrix sur le jeu de guitare était avant tout cosmique et mystique, la technique pour la technique étant le dernier de ses soucis. Et le jeu de California n’a rien à voir avec celui d’Hendrix, ce n’est pas comme les autres un imitateur, mais plutôt un disciple. Le principal problème pour Randy California étant qu’il a aussi opté pour une way of life très hendrixienne, et que toutes les drogues qu’il a absorbées en quantités déraisonnables en ont fait un type assez étrange, lunaire et imprévisible.
Déjà, la structure même de Spirit est curieuse, car le groupe compte en son sein un batteur, Ed Cassidy, qui a la triple particularité d’être un batteur de jazz, le beau-père de California et certainement le plus vieux rocker du monde en 1970 (presque cinquante ans). S’ajoutent à la doublette familiale, un bassiste, un chanteur et un organiste. Un conglomérat fait de fortes individualités, et opiacées diverses aidant, prises de becs, querelles d’egos, brouilles et embrouilles seront le quotidien du groupe.
Dans ce contexte, la musique part logiquement dans tous les sens (trois composent, avec une petite prédominance pour California), ce qui n’aidera pas à la « lisibilité » de Spirit. On passe de la pop au folk, des tourneries psyché au strict rhythm’n’blues, des atours jazz aux riffs heavy, parfois à l’intérieur du même titre. « 12 dreams … », déjà le titre et le visuel empestent le concept-album psyché-barré. Mais contrairement à la plupart des œuvres semblables, « 12 dreams … » se tient, les titres sont courts, « cohérents », pas de délires ou d’impros de demi-heure, tout est ramassé, précis, concis (la présence de David Briggs, par la suite producteur attitré de Neil Young explique peut-être cela). Tout dans ce disque n’est pas indispensable, mais des choses comme « Prelude – Nothing to hide » (ballade folk qui vire heavy metal avec ses grosses stridences de guitare), le petit hit pop « Animal zoo » (que les Clash de « Clapmdown » ont dû écouter, là aussi c’est assez troublant), le rhythm’n’blues cuivré à la Chicago – Blood Sweet & Tears de « Mr Skin » (référence au surnom du chauve Ed Cassidy), le rock psyché de « When I touch you » avec son orgue tournoyant, … méritent le détour.
Après ce disque au succès d’estime, la carrière de Spirit deviendra assez chaotique et erratique, le groupe se séparant et se reformant plusieurs fois au cours des années 70 et 80. Aujourd’hui trois de ses membres originaux sont morts (California,  le claviers Locke, et Cassidy), la saga Spirit est définitivement terminée …

GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR - YANQUI U.X.O. (2002)


Du post-rock trotskiste ?

Hum … Y’a des clients pour un concept-album de trois titres et d’une heure et quart ? ‘tain, ça fout les jetons sur le papier. D’autant plus que rien n’est clair dans cette histoire.
Godspeed … est un groupe canadien à géométrie très variable. Ils sont une bonne demi-douzaine sur ce disque, certains avec des noms qui sonnent « réel », d’autres sous des sortes de pseudos énigmatiques. On sait pas très bien qui joue de quoi, ni d’ailleurs s’ils jouent tous de quelque chose. Quelques-uns font partie d’un projet parallèle, A Silver Mt. Zion, qui œuvre à quelque chose près dans le même registre… le genre de conglomérat abstrait qui te prend bien le chou avant d’avoir écouté la moindre note …
Les Godspeed You ! Black Emperor vont-ils sortir de l'ombre ?
Surtout que faut faire des efforts. « Yanqui U.X.O » est présenté comme un concept-album. Qui parle de quoi ? Ben faut deviner, c’est totalement instrumental et … il reste quelqu’un là ? Bon, faut se contenter du titre du disque (parce que ceux des morceaux, « 09-15-00 », « Rockets fall on rocket falls » et « Motherfucker = Redeemer », ils sont comme qui dirait pas très parlants de prime abord). « Yanqui », c’est de l’espagnol pour Yankee, OK, et « U.X.O. » pour unexploded ordnance, mines antipersonnel ou munitions n’ayant pas explosé. D’où ce largage de bombes sur le visuel … Au recto, une sorte d’organigramme indiquant les liens entre les plus grands groupes multinationaux et les firmes d’armement, et en farfouillant bien sur le Net, on trouve que le 15 septembre 2000 du premier titre correspond au début de la seconde Intifada palestinienne … donc pour faire simple, les zozos de Godspeed se situent politiquement entre José Bové et les Brigades Rouges, et côté musical « impliqué », ce serait Amon Düül (I ou II, arrivé à ce stade, on va pas chipoter …) ou Neu !. Le genre de prise de tête que même après un brainstorming de trois ans, les Radiohead ils y arrivent pas … 
Et la musique, alors ? En gros, du post-rock, c’est-à-dire des types qui veulent faire du prog mais qui n’y arrivent pas (pas assez de fuckin’ technique, pas assez de sens de la « progression » remplacée par « l’évolution »). On commence doucement, gentiment, parce qu’on a le temps, en gros vingt minutes ou plus (même si le premier le dernier titre sont divisées en deux « parties »), on accélère, on rajoute des instruments, on monte dans les tours, puis on replonge dans les murmures sonores … c’est pas pénible, y’a de bons passages, même si à la longue ça finit par ressembler à un film d’Ozu au ralenti question ambiance.
Sinon, rien de révolutionnaire là-dedans, de quelque point de vue qu’on appréhende la chose … des influences guère mystérieuses, remontent au fil de l’écoute des titres Tangerine Dream, Tortoise, Mogwai, Spiritualized, le Pink Floyd de « Echoes », Hawkwind, les Cure de « 17 seconds », la trilogie berlinoise de Bowie, le « Machine Gun » d’Hendrix (en plus sage, moins fou) pour « Rockets fall … » , le « Red » de King Crimson pour certains passages de « Motherfucker … ». Le tout entrecoupé de longues « préparations » plus minimalistes, bourdonnements de basse, notes économes des guitares.
Globalement intéressant, même si finalement assez peu original, le genre de machins qui semblent ravir les forcenés qui veulent à tout prix écouter « autre chose ».
Une remarque quand même, valable également pour Neil Young et quelques autres. Je comprends pas bien que ces Canadiens s’évertuent à pointer systématiquement du doigt les USA. Ils auraient aussi pas mal à faire (et à dire) chez eux, le Canada étant depuis des décennies rigoureusement aligné dans tous les domaines (économique, militaire, douanier, …) sur la politique des Etats-Unis …

ROBERT WYATT - SHLEEP (1997)


Intouchable ...

Et Robert Wyatt, s’il est dans un fauteuil à roulettes, c’est pas pour tourner une comédie pleine de bons sentiments téléthonesques. Et même s’il a un solide sens de l’humour absurde, c’est pas marrant tous les jours …
Lui le batteur-star des par ailleurs vite devenus pénibles Soft Machine (et encore plus pénibles une fois qu’il les a eu largués au bout de trois disques) qui un soir de biture a confondu porte et fenêtre d’un troisième étage et s’est retrouvé avec les jambes bétonnées pour le restant de sa vie. Y’a des jours, et surtout des nuits, quand bien même compte t-il les moutons, il ne peut pas dormir … d’où le titre de ce disque.
Donc « Shleep » est une œuvre inspirée par l’insomnie et la souffrance morale. Je reconnais que présenté comme de la sorte, ça plombe un peu l’ambiance. Bon, fuyez pas tous. Parce que là, attention grande œuvre, voire chef-d’œuvre. Et une musique pas déprimante pour deux sous … Il y a même des fois où l’on se croirait face à des inédits de « Rock bottom », cet OVNI sonore qui avait illuminé de sa classe l’assez pénible milieu des seventies. Particulièrement flagrant sur un titre comme « Was a friend », où l’on retrouve tout ce qui ce qui a fait le génie de Wyatt en 1974 : les synthés mélancoliques, la trompette plaintive, la voix aiguë et fluette … Faut dire que l’infirme a un joli carnet d’adresses de fans que l’on retrouve sur la plupart des titres (Brian Eno, et pas seulement comme co-producteur), ou sur quelques-uns (l’ex Roxy Music Manzanera, l’ancien Jam Paul Weller, le jazzeux Philip Catherine, …). Sans oublier évidemment sa compagne-muse Alfreda Benge (« Alfie » pour les intimes et ceux qui en seraient restés à « Rock bottom »), responsable comme souvent de la jolie pochette naïve de « Shleep ».
Derrrière son éternel look de Raspoutine au regard malicieux, Wyatt est un poète. Et il n’a pas besoin de mots, avec des instruments de musique il y arrive, voir la comptine bouillonnante « Maryan », le concassage sonore de « The duchess » qui renvoie tous les « déstructurateurs » de musique à leurs chères études, « Free will and testament », titre lyrique au feeling ahurissant, et après lequel les pompiers Arcade Fire passeront toute leur existence à courir sans jamais rattraper ce niveau, l’inaugural « Heaps of sheeps », on dirait au début du Blondie ou du Talking Heads, avant que la voix de Wyatt propulse ce titre dans une stratosphère où bien peu ont réussi à aller. Et parce que Wyatt est fan de jazz et de classique (nobody’s perfect) « September the ninth » est  tout imprégné des funestes musiques, et ça ressemble à ce que les ridicules progueux devraient faire depuis quatre décennies, s’ils avaient une once de bon goût musical. Et puis, au cas ou un fan d’electro passerait par là le spatial et monstrueux « Alien » superpose synthés et boîtes à rythmes, et on a envie de suggérer aux joueurs de disquettes qu’ils prennent de la graine de ces schémas-là, leur bousin en serait moins pénible … Devant par la force des choses se contenter de donner le rythme par des percussions, Wyatt abuse parfois des claviers (piano et synthés), et quand il les combine à sa trompette lugubre (qui d’accessoire rigolo à ses débuts est devenue, infirmité oblige, très importante dans sa palette sonore), ça donne un truc bien plombant (« Out of season »), heureusement isolé dans ce disque et de moins de trois minutes, ça va on supporte.
C’est ça aussi la magie des disques de Wyatt, ce ne sont pas des œuvres sombres d’infirme qui cherche la compassion ou le réconfort, ça respire quelles qu’en soient les motivations la joie et l’envie de vivre, sans pour autant sonner comme la Compagnie créole ou des chansons à boire. Il y a une humanité, une subtilité et une finesse toujours présentes (ce qui n’est pas toujours le cas de sa production discographique, peu sont aussi réussis que « Shleep »). A la fin du disque, il y a même un hommage (tongue-in-cheek, comme souvent avec Wyatt) à Bob Dylan (« Blues in Bob minor ») qui comme le « Song for Bob Dylan » de Bowie n’a pas grand-chose à voir musicalement avec le barde de Duluth, même si ça fait parfois penser (la diction gaguesque de Wyatt sur ce titre), à la période « Highway 61 – Blonde on blonde » ; c’est le titre le plus direct, le plus rock du disque, le seul où les guitares sont mises en avant.
Wyatt est assez rare discographiquement, et pas souvent à ce niveau. Avec l’insubmersible et indépassable « Rock bottom », « Shleep » fait pour moi partie de ses pièces maîtresses.

Du même sur ce blog :
Rock Bottom


Dr. JOHN - GRIS-GRIS (1968)


Born on the bayou ...

Selon la légende, le brave Ahmet Ertegun, pourtant un type qui faisait plus que bien son boulot de big boss de la major Atlantic, après avoir écouté le premier disque de ce Dr John qu’il venait de signer aurait dit : « How can we market this boogaloo crap? ». Il avait pas tout à fait tort, au moins sur un point. De ce « Gris-gris », il en a vendu que dalle. Par contre, ce disque, c’est pas de la merdouille boogaloo, c’est quand même un sacré truc …
Malcolm John Rebennack alias Dr John est en 1968 un musicien professionnel depuis 14 ans (il en a 28), un multi-instrumentiste, avec une prédilection pour le piano, et qui touche à tous les genres musicaux (on le trouve en studio avec plein de gens, de Sonny & Cher à Canned Heat). Il vient de la Nouvelle-Orléans, mais bosse surtout à Los Angeles.
Amulettes, colifichets, gris-gris et autres pendentifs : Dr John
C’est là qu’il enregistre « Gris-gris », jouant surtout de la guitare à cause d’une blessure à la main qui l’empêche de se servir du piano. Et comme si sa lointaine Louisiane lui manquait, il va la mettre partout sur son disque. Mais pas une Louisiane de carte postale. La musique de Dr John empeste l’odeur fétide des marais, leur moiteur étouffante, et toutes ces vieilles légendes colportées par des générations d’esclaves, le vaudou en particulier. Dr John est accro à toutes ces histoires de sorcières, d’amulettes, de poudres, de filtres, et le doctorat que suggère son pseudo tient plus des rebouteux, charlatans et autres guérisseurs que d’une quelconque faculté de médecine. Il est aussi accro à toutes sortes de poudres blanches, venant plus de Colombie que de pratiques plus ou moins magiques.
Il s’en explique d’ailleurs dès le 1er titre « Gris-gris gumbo ya ya » dans lequel il se présente comme « Dr John, the Night Tripper », et les autres sont farcis d’allusions à des messes noires ou des pratiques religieuses « déviantes », des zombies, des vieilles sorcières (« Mama Roux »), des croquemitaines (Coco Robicheaux dans « I walked on guilded splinters »). Voilà pour les réjouissantes visions cauchemardesques du Dr.
Quant à la musique, on comprend qu’elle ait pu déstabiliser Ertegun qui n’avait pourtant pas les oreilles dans sa poche. Parce qu’à une époque, LSD et autres substances aidant, la musique partait dans tous les sens, celle de Dr John semblait venir d’un autre monde, où personne ne s’était encore aventuré. Une synthèse de tout ce que l’on pouvait entendre à La Nouvelle-Orléans, le jazz bien sûr (avec l’ombre tutélaire de Professor Longhair, mentor de Dr John), le blues, les fanfares dixies et de Mardi-Gras, le swing ou le rhythm’n’blues si particuliers de Fats Domino ou Lee Dorsey, tout ça passé à la moulinette Rebennack, avec ces rythmes chaloupés et feignasses, et ce chant grommelé, quelque part entre Captain Beefheart et Tom Waits. Un Tom Waits dont les 40 ans de carrière sont déjà en filigrane d’un titre comme « Dance Kalinda Ba Doom » et ses incantations barrées.
Les pièces essentielles du disque sont « Gris-gris gumbo ya ya » comme un mix de « Sympathy for the Devil » et « Midnight Rambler » des Stones, l’espèce de calypso chaloupé « Mama Roux » sur la sorcière du bayou, et le définitif morceau hanté « I walked on guilded splinters », qui nous entraîne direct au milieu des alligators du bayou, peuplé de bruits étranges, de croquemitaines, de goules perfides et de zombies errants. Tous les gimmicks d’un Screamin’ Jay Hawkins à la puissance mille.
Ce « Gris-gris » est sans doute le disque le plus jusqu’auboutiste de Dr John. Par la suite, il affinera son style tout en le rendant moins aventureux, plus « accessible », et s’il ne sera jamais un gros vendeur de disques, il deviendra une des références les plus citées par les autres musiciens … Encore en activité aujourd’hui, et d’une façon beaucoup plus intéressante et digne que la plupart de ses contemporains encore en vie …

Du même dans ce blog :
In The Right Place
The Very Best Of Dr John 
Locked Down



CHARLES MINGUS - THE BLACK SAINT AND THE SINNER LADY (1963)


Very Bad Trip (3712)

On dira que cela avait été une soirée arrosée (par plein de boissons d’hommes, des vraies, rustiques, pas des machins coupés avec des jus de fruits exotiques pour cocktails lounge). Et le lendemain matin, un chantier dans la baraque à rebuter les plus motivés de chez Loulou Nicollin. Et donc séance de ménage avec combats de preux chevaliers en armure au milieu du crâne. On commence d’abord le rangement par l’essentiel, le vital, les disques. Et on trouve ce machin « The black saint … » sous des piles de Cds de rock. J’ai beau être inculte, je connais le nom de Mingus et je sais que c’est pas à moi, jamais je m’abaisserai à acheter pareille chose. Quelqu’un a dû l’oublier hier soir ou un autre jour. J’ai gobé quelques Aspro, et posé la rondelle dans le lecteur, du jazz, ça ne pouvait être que relaxant, et accompagner en douceur le remplissage de sacs poubelles.
Erreur, funeste erreur. Ça fait des trous dans les tympans, ce truc. Et comme je ne connais rien au jazz et encore moins à Charlie Mingus, je n’ai donc aucune référence de ce disque dans son œuvre. C’est un foutoir sonore savamment organisé ou désorganisé (free jazz ?), et tout un tas de plans et de sons agressifs que j’avais entendu « ailleurs » (les envolées crissantes de sax sur le « Fun house » des Stooges, les instrumentations dissonantes chez le Velvet Underground, Sonic Youth et tous leurs disciples, …).
Et donc, ce que j’en pense ? Ben rien, autant demander à une oie de Guinée ce qu’elle pense du confit de canard.
Je sais seulement que quand le disque a été fini, j’ai repris de l’aspirine.
Que je l’ai plus écouté.
Et que personne me l’a jamais réclamé …

PASCAL COMELADE - L'ARGOT DU BRUIT (1998)


L'Enfance de l'Art ...

Pascal Comelade, il jouerait sur des Marshall à onze, peut-être qu'en tendant l’oreille depuis chez moi, je l’entendrais. Même s’il vit à quelques dizaines de kilomètres, et quasiment dans un autre pays (la Catalogne, c’est pas vraiment la France, et encore moins l’Espagne). En tout cas Comelade vit dans un autre monde, inaccessible pour qui n’a pas gardé quelque part une âme d’enfant. Avec ses instruments-jouets, accompagné ou pas de son Bel Canto Orchestra, il compose de petites comptines surréalistes dont il remplit ses disques.
Il a débuté dans la galaxie des Vierges, groupe punk radical de Montpellier à la fin des années 70, avant de progressivement se concentrer sur son propre univers baroque et poétique. Ce fan ultime (entre autres) du Captain Beefheart, mais aussi des Cramps et du krautrock, produit une musique à mille lieues de ses idoles. Quelques fois en collaborant avec elles comme ici Jean-Hervé Peron ou PJ Harvey. Mais en s’entourant aussi de musiciens beaucoup plus anonymes (ceux du Bel Canto), d’amis, de gens rencontrés par hasard, …
La musique de Comelade, ce sont ces symphonies de poche désuètes, d’apparence simples et légères, le plus souvent sans paroles. Mais qui en disent quand même beaucoup, comme du Nino Rotta qui arrive à se suffire sans les images de Fellini.
Il y a dans « L’argot du bruit », des effluves de choses entendues mille fois (tiens, le morceau-titre, il me semble bien que c’est la même mélodie que la honteuse scie pré-disco « El Bimbo » des années 70), des sons qui viennent du fond des âges et des traditions locales. Il y a des titres avec des voix en catalan (du moins il me semble), des sons qui remontent en droite ligne des folklores andalous ou catalans, de la tristesse des incantations gitanes (ceux du quartier Saint-Jacques à Perpignan, mais aussi ceux des Balkans), il y a du rock basique à guitares, des embardées pataphysiques que ne renieraient pas Soft Machine ou Gong, il y a … tout un monde en fait, celui de Pascal Comelade.
Dont la musique est une des plus imagées qui soient. Défilent dans la tête les scènes absurdes d’un Fellini, le jazz manouche de voleurs de poules d’un Kusturica, la solennité funèbre d’un Tim Burton … mais c’est pas réalisé en cinémascope et Dolby surround, juste avec des morceaux de plastique ou de ferraille achetés pour une misère dans des brocantes, des objets détournés (quoi de plus logique qu’une batterie - de cuisine – pour donner le rythme).
« L’argot du bruit » fait alterner petites saynètes sonores (« Via-Crucis del Rocanrol » mélange riffs garage et accordéon de bal des pompiers, « Domisiladoré » comme du Calexico repris par Charlie Oleg, « Si » aurait pu figurer tel quel sur un disque de Tom Waits), détournement de sonorités locales (« Toti al Soler », (allusion au petit patelin de la banlieue perpignanaise ?), est un boléro minimaliste renforcé par un orgue à deux euros, « Sardana del desemparats » fait un sort à la guillerette danse folklorique du cru, la sardane, qui devient ici une marche quasi funèbre), …
Et puis il y a les collaborations avec les « stars », Peron (le Français de la légende kraut Faust), pour une reprise du « Sad skinhead » (à l’origine sur « Faust IV »), et PJ Harvey qui chante sur deux titres (« Love too soon », lente ballade crépusculaire et le meilleur des deux titres, mais aussi sur « Green eyes » qui évoque les univers glauques d’un autre inclassable, Scott Walker).
Et une fois achevé le dernier titre « Maruxina », pourtant un tango minimaliste d’une infini tristesse, on se retrouve les yeux brillants, comme un gosse qui croit que ses illusions vont se réaliser. Plus que de la musique, Comelade fabrique une machine à rêver …

DEAD CAN DANCE - THE SERPENT'S EGG (1988)


Religieux, médiéval, ...

Signés sur un label réputé pour son originalité (4AD), Dead Can Dance est un duo original (un Irlandais Brendan Perry et l’Australienne à la voix d’or Lisa Gerrard, tous deux chanteurs et multi-instrumentistes), produisant une musique originale et inclassable.
Leurs disques sont généralement chroniqués dans la presse musicale rock, mais inutile de leur chercher des similitudes avec leurs voisins de magazines.
Dans « Serpent’s egg », on trouve des cantiques (« Orbis de ignis » apparemment en latin), du chant grégorien ici ou là, et un grand nombre de sonorités qui évoquent l’atmosphère moyenâgeuse de chants religieux, liturgiques ou baroques. Un parfum mystique, vaporeux, médiéval enrobe l’ensemble (« Severance » est le morceau après lequel les Simple Minds ont couru en vain durant toute leur carrière). D’autres fois (« Echolalia ») on a l’impression d’écouter Magma période « Mekanik Destruktïv Kommandöh ».
Ce Cd est étrange, dépaysant, déroutant souvent mais beau. Le genre de musique qui aurait trouvé sa place et relevé par exemple le niveau du navet sanguinolent de Mel Gibson sur la Passion du Christ, tant « The serpent’s egg » semble inspiré par la religion et le mysticisme.

THE 13th FLOOR ELEVATORS - THE PSYCHEDELIC SOUNDS OF THE 13th FLOOR ELEVATORS (1966)


Vous reprendrez bien un peu d'acide ?

Les 13th Floor Elevators étaient au mauvais endroit au mauvais moment. Trop en avance et trop ingérables.
Les 13th Floor Elevators se sont formés à Austin, Texas, le Lone Star State des rednecks. Ils ont commencé par du rock’n’roll garage, et ils n’étaient pas les seuls, que ce soit au Texas ou dans l’Amérique des mid-sixties. Ils ont pris du LSD (alors en vente libre). Beaucoup. Beaucoup trop. Et alors que tous ceux qui en prenaient, et notamment à San Francisco, viraient pop, clochettes, encens, et country mollassonne, et n’avaient pas encore sorti de disques (le Dead, l’Airplane), les 13th Floor Elevators sortaient dès 1966 ce « Psychedelic sounds ». Pour la 1ère fois dans l’histoire de la musique plus ou moins populaire était mentionné le terme psychédélique, pour un disque qui se démarque totalement de tous ceux que l’on rangera ensuite sous cette dénomination.
Les 13th Floor Elevators sont un groupe de rock, de rock violent, même, chez lequel la ballade et la rengaine mièvre n’ont pas leur place. Le groupe joue fort, vite, méchant, les guitares sont saturées à l’extrême (fuzz), flirtant dangereusement avec une sorte de bourdon perce-tympans. Le groupe est une entité unie, soudée, tous sont totalement rétamés à l’acide.
Roky Erickson 1966
Très vite, dès qu’une petite notoriété se dessinera, deux choses capteront plus particulièrement l’attention. La cruche électrique de Tommy Hall, supposé leader et gourou. What, cruche électrique ? Ben oui, une cruche en terre cuite contre laquelle est collée un micro, une cruche qui peut contenir de l’eau dans laquelle Tommy Hall souffle, siffle, crache, chantonne, ou alors qu’il tapote au gré de l’ « inspiration ». Et qui produit ce lancinant bruit bizarre glougloutant de fond que l’on entend sur la plupart des titres. Mais très vite, celui qui deviendra le point de convergence de tous les regards, c’est le chanteur (et aussi guitariste) Roky Erickson. A la base un bon et grand chanteur, braillard quand il faut, technique quand ça s’impose, et qui « habite » tous les titres … Il se murmure qu’il aurait fortement impressionné Jim Morrison. C’est lui le frontman, c’est lui qui deviendra l’image qui symbolisera les 13th Floor Elevators. Mais comme Syd Barrett ou Brian Wilson, le LSD qu’il consomme en quantités industrielles causera vite chez lui des dégâts irréversibles, et il partira dans un trip très spatial et spécial, encombré de visions de Martiens chelous, de vrais séjours en hôpital psychiatrique avec séances d’électrochocs, et de disques solos (le groupe ne fera pas de vieux os, Tommy Hall partira le premier, les rescapés sortiront un insignifiant « Easter everywhere » en 1968 avant la débandade finale) erratiques. C’est Roky Erickson qui inaugurera à partir de 1967 le célèbre look de gourou psychopathe (barbe et cheveux en bataille et à la longueur démesurée, regard de fou), repris par Sky Saxon des Seeds et tristement rendu célèbre par Charles Manson.
Roky Erickson plus tard ...
Coup de bol pour les 13th Floor Elevators, leur premier 45T « You’re gonna miss me » sera un petit succès sur tout le territoire américain, avant de devenir ensuite un classique du rock garage US, et un des piliers de la fameuse compilation « Nuggets » de Lenny Kaye qui a réhabilité dès le début des 70’s tous ces groupes américains quelque peu délaissés par l’histoire officielle durant la seconde moitié des années soixante.
Mais « Psychedelic sounds » ne se résume pas à ce seul titre, loin de là. On est là avec un disque de rock dur, qui plus est sans la faute de goût datée ou le titre neuneu qui encombreront la plupart des disques psychédéliques de l’époque, y compris ceux des stars célébrées. Ici pas de mantras, de comptine stupide, de titres planants interminables … Onze titres en un peu plus de demi-heure.
Derrière une pochette devenue emblématique du genre (le troisième œil, la fascination pour les pyramides, les taches huileuses mouvantes, les couleurs flashy, …), ça bastonne plus souvent que ça s’écroule. Des titres sans ambiguïté, « Roller coaster », voix planante et riff fuzzy mouliné sans fin, « Reverberation », mur de guitares crasseuses sur lequel on devine l’ombre à venir de la fraction dure du krautrock (Amon Düül II, Faust), ou du space rock d’Hawkwind … « Fire engine », intro de twang guitar comme si les Shadows avaient gobé des acides, un morceau qui très vite devient moite, caverneux, et qui réveillera le fan des Cramps qui devrait sommeiller en chacun. Rayon lourd, également « Thru the rhythm » et l’ultime « Tried to hide ». Psychédélisme oblige, la ritournelle pop affleure (« Splash 1 »), l’animalerie hallucinée se pointe (ici « Monkey island », à mettre en parallèle avec le « White rabbit » du Jefferson Airplane, les analogies sonores à venir avec les Californiens sont évidentes), « You don’t know » annonce l’univers barré de Barrett dans le Floyd …
Le rayonnement du disque ira beaucoup plus loin que ce que perdurera la vague psyché, et de temps à autre, des gens bien esquintés par la dope citeront les 13th Floor Elevators, le plus représentatif des dernières décennies étant sans doute Jason Pierce (Spacemen 3, Spiritualized), dont l’œuvre se trouve déjà en filigrane dans le gospel violent de « Don’t fall down », ou le titre écroulé, tête lourde dans le buvard de « Kingdom of heaven » …
La dernière ( ? ) réédition du disque propose en bonus des titres live (ils ont bien fait de le préciser, c’est totalement inaudible, niveau qualité sonore, une des pires choses que j’ai jamais entendues) du groupe reprenant sauvagement des classiques (« You really got me », « Roll over Beethoven », « Everybody needs somebody to love », « Gloria », …), plus le 45T des Spades (1er groupe de Roky Erickson) avec la version originale cuivrée de « You’re gonna miss me », complètement dispensable …