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ENDLESS BOOGIE - LONG ISLAND (2013)


Spinal Tap boogie ?
Non, sérieux, y’a des gens qui font encore ce genre de trucs, là, aujourd’hui ? Ce genre de trucs, c’est (facile à deviner, tout est dit dans le nom du groupe) un boogie rustique à faire passer Canned Heat pour Beyoncé (ou Culture Club, on n’en est plus à çà près …).
Endless Boogie donc. Baptisés ainsi en hommage à un titre de John Lee Hooker. Pour moi un des trois plus grands du blues (pour ceux que ça intéresse, comment ça, personne ? les deux autres sont Robert Johnson et Muddy Waters) et une source d’inspiration dont il peut sortir des merveilles (« L.A. Woman » des Doors). Un Hooker qui a plus ou moins inventé le boogie aussi, certes. Bon, le boogie, c’est pas le truc le plus captivant et original qui soit, mais là, avec Endless Boogie, on touche le fond … ou le sublime, ce qui revient au même.
Les types (quatre ? cinq ? c’est assez fluctuant) de Endless Boogie doivent considérer Status Quo comme des hérétiques (Status Quo, c’est pas difficile, je vous explique, faut être deux guitaristes, les cheveux longs, des jeans pattes d’eph, écarter les jambes à 60-70°, se serrer l’un contre l’autre, secouer la tête d’avant en arrière, mouliner le même accord pendant cinq minutes en répétant ad lib « whatever you want, whatever you want, whatever you want … »). Endless Boogie, j’y mets ma main à couper, leur morceau de référence c’est le « Refried boogie » de Canned Heat. Onze minutes et des brouettes en version studio, quarante en public (sur « Living the blues ») et vingt-huit à Woodstock (rebaptisé pour l’occasion « Woodstock boogie »). Mais le Heat, à côté de Endless Machin, c’est du fuckin’ rock progressif. Endless Boogie, ils sont vomis d’une faille spatio-temporelle, horloges bloquées en 1968. Ça fait foutrement penser aux furieux répétitifs de l’époque, les Iron Butterfly de « In-A-Gadda-Da-Vida », les Vanilla Fudge de « You keep me hangin’ on », les Blue Cheer pour l’ensemble de leur œuvre, tous les ancêtres du hard-rock et du stoner en somme…
Vous avez dit rustiques ?
Endless Boogie, on imagine une bande de rustiques venus d’un coin paumé d’Arizona, Nouveau-Mexique ou Texas et se prenant pour les ZZ Top de leur trou du cul du monde. Sauf qu’ils sont de New York (Long Island ?) qui est bien un des derniers endroits où l’on imaginerait des ploucs, le museau dans le buvard d’acide, jouer leurs machins primitifs. Parce que les Endless Boogie, ils doivent jamais avoir vu un Cd. Ils raisonnent encore en terme de 33T. Sur ce « Long Island », huit titres (entre 6 et 14 minutes), groupés par deux en tranches de 20 minutes pour faire une face de vinyle. J’en vois un qui suit et qui me fait remarquer que donc, « Long Island » est l’équivalent d’un double 33T… c’est bien petit, si les gorets te prennent pas pour un topinambour, t’as de l’avenir.
Ce disque serait excellent si … la pochette était belle. Elle est horrible.
Ce disque serait excellent si … il y avait un bon chanteur. Y’en a bien un qui de temps en temps grogne ou parle. Mais chante jamais. Un éclair de lucidité lui fait apercevoir ses carences et y’a une paire de titres instrumentaux (« Occult banker » et « On cryology »).
Ce disque serait excellent si … y’avait des musiciens techniques qui t’en foutent plein les oreilles. La section rythmique swingue comme un super tanker par calme plat, les fans (t’imagines, un fan de Endless Boogie, moi j’y arrive pas) vous diront qu’elle est sobre mais efficace. Les guitaristes, quand ils partent en solo (ben à peu près tout le temps, qu’est-ce que vous voulez foutre pendant dix minutes sur un titre, à part un solo ?), entre deux notes, t’as le temps d’aller pisser, boire un café et fumer une clope. Autant dire que c’est pas des virtuoses, découvreurs de talents à la recherche du prochain Hendrix, vous êtes pas à la bonne adresse. Les types tartinent des trucs psyché-baveux plein de distorsion sur une rythmique imperturbable. Du boogie de chez boogie quoi. Plutôt niveau maternelle que Sciences Po …
En pleine réflexion : je tire ou je pointe ?
Quand c’est très mal joué (à moins qu’ils aient de l’humour et qu’ils fassent semblant de jouer encore plus mal que ce dont ils sont capables), cette bouillasse sonore s’apparente un peu aux Stooges de « Funhouse » (le premier titre « The savageist »). D’autres fois, on a l’impression qu’ils essayent d’imiter ZZ Top (« Taking out the trash »), voire AC/DC période Bon Scott (pourquoi, y’en a une autre ?) (« General admission »). Toutes ces similitudes fonctionnent jusqu’à ce qu’ils se mettent à « jouer », en gros le temps de l’intro, qui vu la durée des titres, peut durer pas mal …
Soyons fous et optimistes, ce genre de rondelle absurde pourrait plaire aux fans de tous les soporifiques jam bands dont le Sud des USA se délecte, des Allman Brothers à Gov’t et sa Mule. « Long Island », c’est tellement mauvais que ça en devient génial, l’idée fixe stupide qu’on pousse dans ses derniers retranchements, le jeu de mots pourri qu’on place toutes les cinq minutes. Il faut donc l’acheter. En plusieurs exemplaires. Pas pour les écouter, surtout pas malheureux, mais c’est le genre de crétinerie qu’on trouvera originale dans vingt ans, et que des nigauds s’arracheront à coups d’enchères délirantes sur eBay.

Du coup, je le fous pas à la poubelle ce « Long Island ». Je le garde et commence ma carrière de futur rentier rock’n’roll, tendance boogie … Mise à prix : trente euros … Faire offre …

BLACK SABBATH - 13 (2013)

Too old to sabbath ?
Dans la série des improbables come-backs, ces jours-ci le cas Black Sabbath se pointe, et pas vraiment en loucedé, mais plutôt assorti d’une agitation médiatique comme d’hab exagérée. Mais ça va peut-être fonctionner. Enfin, ça va sûrement fonctionner, Universal met le paquet, promo, interviews des vieillards, et tournée mondiale.
Le Sab, c’est quand même un truc qui me dépasse un peu, ou me passe par-dessus la tête, comme on veut. Jamais été en admiration devant eux. Une paire de skeuds intéressants en 70, idiots et crasseux, faits par une bande d’idiots crasseux (from Birmingham), mais c’est ça qui faisait leur charme (son de caverne humide, culte de la lourdeur et de la lenteur, vague aura satanique). Et une audience très nettement supérieure à ce que les quatre pouvaient rêver, et qui n’est pas près de se tarir (l’essentiel du métal « différent », surtout le doom et le stoner leur doit tout). Deux ou trois autres disques plus « finis », très pros, parce que le groupe a du succès, et qu’il s’essaye à jouer dans la cour des grands de l’époque, le Zep et le Purple. Et puis la saga vire au grotesque. Complètement défoncés, les gars se balancent des procès à la face, et pendant des décennies l’à peu près seul Tony Iommi, guitariste de la formation originale maintient ce qu’il reste du groupe en activité. Tandis que de son côté, son chanteur Ozzy Osbourne, total déglingo, se fait plus remarquer par ses décapitations de colombes vivantes avec les dents que par la qualité de sa production discographique. Avant de devenir la vedette de son show voyeuriste de télé-réalité familiale, entre sa femme-manager Sharon et ses deux crétins de gosses de riches. Et puis, là, en 2013, on voit se pointer des gens sous l’intitulé Black Sabbath, alors qu’ils ne se parlaient plus sinon par avocats interposés depuis presque quarante ans. A propos d’avocats, et pour signaler le caractère bassement matériel de ce barouf, manque à l’appel le batteur Bill Ward, pour des problèmes de … contrat, ben voyons … Heureusement que Iommi et Osbourne ont récupéré le bassiste d’origine Geezer Butler, parce que c’est quand même lui le vrai dépositaire du Black Sabbath sound, vu qu’il écrivait l’essentiel des paroles et participait à la  musique, ce qu’il continue de faire aujourd’hui.
Iommi, Osbourne, Geezer : Black Sabbath 2013
Tout ça pue le racket du fan, la sale magouille de la major. Faut quand même signaler que Iommi s’est fait bouffer par le crabe et n’est que provisoirement sorti d’affaire, que l’Ozzy est complètement barge, désintoxiqué un nombre incalculable de fois, supposé parkinsonien, et qu’il aurait à l’occasion des séances studio et du début de la tournée replongé dans la picole et la défonce. Détail non négligeable, les trois revenants ont tous la soixantaine bien sonnée …
Bon, maintenant que les présentations annexes à ce « 13 » (pourquoi « 13 », c’est pas le treizième sous l’intitulé Black Sabbath, bon, on s’en fout …) sont faites, venons-en à la rondelle argentée. Qui aurait (faut toujours trouver un prétexte), le sieur Rick Rubin à son origine. Le barbu new-yorkais est fan de Black Sabbath, a quand même rayon production un sacré CV, et souhaitait être aux manettes d’un éventuel album de reformation, à laquelle il aurait œuvré en sous-main. Pour l’enregistrement, les trois Sabbath originaux ont embauché Brad Wilk (excellent sur ce « 13 »), le batteur des feu Rage Against The Machine et Audioslave (c’est un autre dont le nom m’échappe qui assure la tournée mondiale).
Le résultat, j’aurais bien aimé le décortiquer méchamment, sauf que ce « 13 », il est même pas si mauvais que ça … Bon, c’est pas celui que l’on citera dans vingt siècles pour évoquer Black Sabbath, mais c’est cohérent, assez plaisant même. Les trois gonzos ont résolu facilement comment faire du Black Sabbath aujourd’hui. Ils ont fait des quasiment copier-coller de quelques trucs pris dans leurs premiers disques. Le net fourmille de détails et d’analyses exhaustives de ces auto-plagiats recensés sur ce « 13 ». Le son du Sabbath original gonflé par la production actuelle de Rick Rubin, c’est évident, bête comme chou, et ça fonctionne.
Black Sabbath & Rick Rubin
 Le son est monstrueux, il y a ces tempos ralentis et enfumés, ces solos malsains de Iommi, cette voix de gargouille d’Ozzy qui déblatère ses textes sans s’occuper de ce que jouent les autres, toutes ces choses déjà connues et mille fois entendues que l’on croyait disparues à jamais. La basse de Butler est colossale, les accélérations de Iommi meutrières, il joue très lourd, très fort, sa guitare est mixée à la limite de la saturation, c’est sans conteste le roi de ce disque …
Il y a quand même lieu d’émettre quelques réserves. Même si les titres s’étirent  (plus de cinquante minutes pour les huit titres de base, y’a des éditions DeLuxe avec trois bonus), on a vite fait le tour de « 13 », c’est un peu toujours pareil, de toute façon on a déjà entendu tout ça sur les vieux skeuds. Ensuite si on nous vend comme d’hab les types qui jamment en studio et on enregistre ce qui sort, ça donne plutôt l’impression d’un disque fait à grands coups de clics informatiques, patient assemblage numérique de séquences laborieusement répétées. Sauf si je suis en train de devenir déficient auditif, j’ai comme l’impression que la voix d’Ozzy (sur ce disque le plus problématique des mousquetaires sabbathiques) est au moins doublée voire triplée avec un infime décalage pour donner cette ampleur sombre et nonchalante qu’il avait en 70, mais a perdue manifestement aujourd’hui, tant ses parties vocales sonnent bidouillées.

La moitié des titres (« End of the beginning », « God is dead ? », « Zeitgeist » et « Damaged soul ») surnagent à mon sens du lot, le restant fait un peu remplissage. Le résultat est globalement moins mauvais que ce à quoi je m’attendais, et fait bonne figure comparé à ce que sortent les grabataires de la même génération. Conclusion logique, ouais, c’est pas mal, mais c’était évidemment mieux avant …

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Paranoid


ELVIS PRESLEY - FROM ELVIS IN MEMPHIS (1969)

Retour aux sources ...

1968. Elvis est cuit, fini … Tourne trois films par an qui n’intéressent plus personne. Faut dire que si Elvis est pour toujours le King, c’est certainement plus du rock’n’roll. Le rock’n’roll n’a pas attendu son fondateur pour évoluer, et Elvis a dans les sixties raté … tout en fait, tous les courants et les modes qui se sont succédés.
Un miracle a cependant lieu. Elvis retrouve ses premiers accompagnateurs (Scotty Moore et D.J. Fontana) lors d’un show télé, l’énergie et le répertoire de ses débuts, et le disque en partie issu de ces retrouvailles (« NBC TV Special ») va réconcilier et reconquérir et critique et public. Et là, peut-être pour la première et dernière fois de sa vie, Elvis va ruer dans les brancards de l’escroc qui lui sert de manager, l’inamovible Colonel Parker. En gros, Elvis en a marre de chanter des niaiseries qu’il déteste, et il compte bien reprendre les choses en main et chanter des choses qu’il aime. Une seule solution : retourner là où pour lui tout a commencé, à Nashville, Tennessee. Et Elvis, contre tous les avis de son entourage, part enregistrer à Memphis.
Presley & Chips Moman
Petit problème : Sam Philips n’est plus là, et Nashville depuis le milieu des années 60 est devenu un haut lieu de la soul, siège d’un des plus importants labels du genre, Stax (Otis Redding, Booker T. & The MG's, Eddie Floyd, Sam & Dave, Isaac Hayes, ...) et d'un autre  dont la réputation commence à grandir (Hi Records , avec à son catalogue notamment Al Green et Ann Peebles). La country et le blues des années 50 ont quasiment disparu, balayés par le rock au sens le plus large. Mais bon, quand Elvis est en ville, tout ce que celle-ci compte de musiciens de studio répond présent. Le producteur Chips Moman, plutôt spécialisé dans la soul réunit une équipe pléthorique comprenant force cuivres et choristes. Dans ce même genre de configuration orchestrale, Elvis sombrera quelques années plus tard sur les scènes de Las Vegas. Là, à Memphis, grâce au travail remarquable de Moman et un choix judicieux de morceaux, ça fonctionne. Bien. Très bien même.
Parce que le King a envie d’en découdre, est concerné. Et chante des choses qu’il aime, parfois de vieux standards qu’il rêvait d’interpréter depuis des années. Et puis aussi, parce qu’à la base, Presley est un grand chanteur, et là, il se concentre quasi exclusivement sur des ballades, des tempos lents ou médians, et c’est là qu’il est le meilleur. De toute sa carrière, il me semble qu’il n’a jamais aussi bien chanté. Et fait des merveilles avec un répertoire sur lequel on ne l’attendait pas forcément. Il y a dans ce « From Elvis in Memphis » (à rapprocher, évidemment d’un disque très similaire dans l’esprit, le fabuleux « Dusty in Memphis » de l’anglaise Dusty Springfield), de la soul (« Only the strong survive », géant), du rhythm’n’blues (« Wearin’ that loved on look »), une grosse part de country (« It keeps right … », « I’ll hold you in my heart » enregistrée en une seule prise, ça s’entend, y’a du flottement instrumental, compensé par du feeling à la tonne), des ballades terminales (« Long black limousine »), même du blues (« Power of my love ») et de la pop très orchestrée mais très digeste (« Gentle of my mind », la fauleuse « Any day now » signée Burt Bacharach).
Elvis Presley 1969
Certains titres me convainquent moins, la roucoulade un peu trop lyrique de « After loving you », et le traitement quasi pompier de « True love travels … », mais sur cette dernière, j’aimerais bien entendre la seule piste vocale de l’Elvis qui doit valoir son pesant de beurre de cacahuète. Une relative faiblesse sur ces deux titres largement compensée par le final, le magique « In the ghetto ». Un des titres les plus atypiques du King, qui par définition, n’a jamais vraiment fait dans le social. Là, il chante la misère des quartiers pauvres, ce morceau fait de l’ombre à tous les autres, et tant sur le fond que la forme, n’est pas très éloigné du « Inner City blues » de Marvin Gaye.
La réédition Cd de 2000 a la bonne idée d’ajouter aux douze titres originaux six bonus-tracks issus des mêmes sessions dont deux singles faramineux, « Kentucky rain » et « Suspicious minds », un des derniers numéro un de Presley …
Cette reprise en main de sa carrière et de son destin sera sans suite. Qui sera une longue descente dans les enfers de la guimauve, des amphétamines, et des strass de Vegas. Ne restera plus qu’une voix, à peu près intacte jusqu’à la fin, qui aura du mal à retrouver un répertoire digne de ses possiblités …

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Loving You 


THE ROLLING STONES - THE ROLLING STONES (1964)


Le début ...

Il était attendu ce disque … mais pas plus que d’autres. En 1964, les Rolling Stones n’étaient qu’un des noms de cette scène anglaise luxuriante obnubilée par les pionniers du rock’n’roll américain et les bluesmen de Chicago.
Les Stones n’ont jamais été les « Elus », ceux dont le succès était écrit d’avance. La concurrence était rude, Animals, Pretty Things et Them en tête. Les Beatles étaient déjà hors concours, avaient déjà sorti des disques, eu des 45T en haut des charts. Et puis le rock, c’était pas un métier. Peut-être une mode qui durerait avec un peu de chance une poignée d’années, autant que le skiffle, mais c’était pas « sérieux », pas « raisonnable », et le centriste Cliff Richard faisait déjà figure d’ancêtre. Le rock, c’était pour des jeunes un peu sauvages, un peu rebelles, ça ne durerait pas, et encore moins dans un pays aussi traditionaliste que l’Angleterre.
On peut rêver mieux comme fonds baptismaux. Sauf que les Stones, autant par hasard que par géniale anticipation, ont mené leur barque totalement à contre-courant pour finalement être ceux qui allaient réussir (si, si, un peu quand même …).
Une bande hétéroclite, ces Rolling Stones. Un batteur (Charlie Watts) déjà fan de jazz, un bassiste (Bill Wyman) obsédé sexuel et beaucoup plus vieux que les autres, deux ados (Jagger et Richard) qui avaient fait connaissance dans les transports en commun parce qu’ils se trimballaient avec les disques de blues qu’ils venaient d’acheter. Et puis deux cas à part, un beau gosse (Brian Jones), petite frappe, déjà marié et père de famille qui tapera dans l’œil du manager (Andrew Loog Oldham) de cette équipe hésitante, et un moche gosse (Ian Stewart), au physique jugé peu avenant pour les photographies et qui ne sera que jusqu’à sa mort le « sixième » Stones.
Hé là, pourquoi parler de photos, on parle de musique là, non ? Pas seulement, parce que, très vite, les Stones vont comprendre qu’il y a des choses au moins aussi importantes que les disques, que l’image, la réputation (ancêtre du buzz), sont également primordiaux. La pochette de ce 1er 33T est révélatrice. Seul Brian Jones, le beau gosse, est vêtu avec du blanc, est dans la lumière. C’est lui le leader, le point vers lequel doivent converger les regards. Mick Jagger est un peu avant aussi, c’est le chanteur, et Oldham pense que son côté lippu sympa pourrait également faire son effet… les trois autres sont dans l’ombre, trop communs.
Les Stones du tout début doivent tout à Oldham, c’est lui qui rédige les notes de pochette du disque, et sur celle-ci la fameuse sentence : « Les Rolling Stones sont plus qu’un simple groupe … ils sont une façon de vivre ». Une façon de dire « les enfants, la révolution est en marche, choisissez votre camp ». les Stones, qui dans la vraie vie ne le sont pas encore vraiment, seront les bad boys, les voyous de l’affaire.
Ce premier disque éponyme n’a rien d’exceptionnel, la concurrence fait au moins aussi bien. Tout au plus peut-on noter au niveau sonore ce fatras bordélique, ce bourdonnement crasseux qui les fera se distinguer puis s’émanciper de la meute. Les Stones jouent sale, primitif. Des reprises chaotiques, brinquebalantes de ces titres qu’ils ont écouté en boucle. Venant de l’autre côté de l’Atlantique. Les Stones ne sonneront jamais autant « américain » que sur cet opus inaugural. Leurs idoles sont de la revue, Muddy Waters, Jimmy Reed, Chuck Berry, Bo Diddley, Rufus Thomas, Bobby Troup, … Le groupe est en surchauffe, parfois à la peine (flagrant sur « I need you baby », « I just want ot make love to you », ou « Walking the dog », les versions originales sont meilleures), compense ses lacunes en jouant vite (« Route 66 », « Carol », ce dernier pour moi le meilleur titre du disque). Brian Jones bâcle ses tentatives de solo, Mick Jagger braille avec conviction, soufflant parfois dans un harmonica. Seule composition originale, « Tell me », signée Jagger-Richard, est une ballade un peu bancale, annonciatrice de leur bien meilleure « The last time », mais loin de laisser apercevoir les merveilles que ses auteurs écriront plus tard.
Le succès ne sera guère au rendez-vous, malgré une flatteuse et très éphémère première place au Top albums anglais. Le groupe et Oldham s’entêteront, Jagger et Richard s’efforceront d’écrire des titres, les Stones seront ambitieux en allant tourner aux Etats-Unis alors qu’ils ne sont même pas plébiscités chez eux. Cette volonté de mener une carrière « américaine », fera que jusqu’à « Beggars banquet » (1968), tous leurs disques sortiront sous deux versions différentes, « l’anglaise » et « l’américaine ». Au pays d’Elvis, ce « The Rolling Stones » se nommera « England’s newest hit makers », le « Not fade away » (qui deviendra leur premier hit en Angleterre) de Buddy Holly remplaçant dans le tracklisting le « I need you baby » de Bo Diddley.

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JOHNNY CASH - AT HIS MIGHTY BEST VOL. 3 (1992)


De bric et de broc ...

Une compilation française, oui Monsieur … et comme tout ce qui touche au rock au sens large dans ce pays, un truc étrange et assez mal foutu … Sorti à une époque, où des épiciers du disque, auto-proclamés « agitateurs culturels » avaient monté un label, originalement nommé FNAC Music, sortant des compilations de vieux trucs dont plus personne voulait, distribuant  également quelques labels indés français, tout ça pour surfer sur la vague d’un support Cd en pleine croissance.
Et parmi tous ces machins antiques un peu ringardisés à l’époque, Johnny Cash. Totalement out, l’Homme en Noir, au début des années 90. Pas encore pacsé avec Rick Rubin, Cash enregistrait au jour le jour des disques chez qui voulait bien le signer. C’est sans doute sans trop de difficultés et à bon prix que la FNAC a récupéré les autorisations sur son fonds de catalogue. Et sorti trois compilations « At his mighty best » de vingt titres chacune.
Mighty best si on veut. Des titres piochés certes dans sa bonne période des débuts chez Sun de 58 à 64 (mais Cash sortait aussi en même temps des disques chez Columbia à partir de 1960), jetés sur des rondelles brillantes en dépit de tout ordre chronologique ou de toute thématique, avec un livret qui assure tout juste l’essentiel des informations légales. Alors on se retrouve avec quelques morceaux connus et puis d’autres titres beaucoup plus anecdotiques, même si les ingrédients de base sont là : la structure rythmique quasi inamovible, la voix de baryton à tendance sépulcrale, l’atmosphère austère et dépouillée typique de l’époque Sun. Au fil des ans, l’accompagnement s’étoffe un peu, des chœurs sont présents (Les Tennessee Riders ou la Carter Family).
Le matériau essentiel de cette compilation est de la good old country, sous forte influence Hank Williams (de toutes façons, de tous ceux de l’écurie Sun, Cash est celui qui a le moins donné dans le rock’n’roll). L’ensemble des vingt titres est correct, rien de rare ou d’inédit tant les compilations ou rééditions avec bonus des disques de l’Homme en Noir sont innombrables. Meilleurs titres du lot : les plus ou moins « classiques » « Rock island line », « I love you because », « I could never be ashamed of you », « Next in line », « It’s just about time ».
Le label Fnac Music n’ayant duré que quelques années, ces Cds n’ont jamais été réédités, mais se trouvent encore d’occase pour quelques euros (ça vaut pas plus) sur les sites spécialisés.

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American IV The Man Comes Around


THE EVERLY BROTHERS - EB 84 (1984)


Brothers in arms ...

Fin des années 50, début des années 60, Don et Phil Everly étaient des stars aux States. Deux voix célestes qui chantaient à l’unisson. Vocalement, Beatles et Beach Boys leur doivent beaucoup, Simon & Garfunkel leur doivent tout, pour ne citer que les plus célèbres et les plus évidents …
Et puis, comme ça arrive à tous, le sweet smell of success a fini par les fuir jusqu’à ce que les deux frangins s’embrouillent et se brouillent à mort au début des seventies. Le temps passant et l’acharnement de quelques fans (anglais principalement) à recoudre les plaies les feront se rabibocher. Et en 1983, les deux frères réconciliés donneront leur « Reunion concert » dans le cadre du prestigieux Albert Hall de Londres. Un tour de chant magique où les deux voix toujours intactes revisitent classiques de leur répertoire et classiques des 50’s tout court …
Et tant qu’à faire, le sorcier des manettes, l’ambulance des héros cabossés du vintage, le sieur Dave Edmunds va les traîner en studio pour donner une suite au « Reunion concert ». Et alors que toutes les vieilles gloires sont dans le meilleur des cas soit passables et le plus souvent pathétiques dans ces reformations nostalgiques, les frangins Everly ont sorti un bon disque. Qui certes ne fera pas oublier un de leurs bons « Best of ». Mais qui a obtenu beaucoup de louanges justifiées à sa sortie. Et qui pour un disque paru dans ces maudites années 80 au son si daté aujourd’hui, a plus que bien résisté à l’épreuve du temps. Bon, c’était pas un disque « à la mode » lors de sa sortie, ceci explique sans doute cela.
Parce que les briscards réunis par Edmunds, des vieux de la vieille biberonnés au classic rock, allaient pas se vautrer dans les empilages de synthés analogiques alors de mise. Même si des claviers high tech, il y en a, mais ils sont là pour accompagner, pas pour occuper le cœur de l’espace sonore. Le rappel des fans a été battu. Sir Paul McCartney a offert un de ses plus beaux titres des quarante dernières années, ça s’appelle « On the wings of a nightingale », c’est une sucrerie pop comme lui seul sait les écrire, et ça ouvre le disque. Le sieur Jeff Lynne (un des dix « cinquième Beatles ») a mis dans la corbeille « The story of me », c’est une ballade un peu gluante, mais Don et Phil la sauvent de la noyade dans la soupe. La bluette de Dylan et Johnny Cash sur « Nashville skyline » (« Lay Lady Lay ») subit un traitement bien poppisant et  retrouve une seconde jeunesse.
Tout n’est pas stratosphérique dans ce disque. Don Everly a même composé quelques titres que l’on est bien obligés de qualifier de remplissage avec par exemple un « You make it seem so easy », sorte de reggae qui laisse assez dubitatif, les deux frangins étant faits pour les rythmes jamaïcains comme David Douillet l’est pour la lecture de Kant … « Asleep » qui clôt le disque, c’est un peu la ballade de trop (même si l’ensemble ne dépasse guère la demi-heure), d’autres sont plus réussies (« The first on line »). Sinon on alterne gentiment titres lents (pas les meilleurs) et titres plus enlevés (le bon pop-rock de « Danger danger », le mignon rockabilly « I’m takin’ my time »).
« EB 84 » n’était de toutes façons pas fait pour disputer le sommet des hit-parades à Michael Jackson ou Bruce Springsteen. C’était l’œuvre d’un groupe de fans (remarquable - comme presque toujours - Albert Lee à la guitare) qui « payaient leurs dettes » à un couple de vieilles gloires (bon, c’était pas des croulants non plus, ils avaient pas cinquante ans) qui les avait fait rêver. Le résultat aurait pu être juste passable, le talent vocal intact des deux frangins emporte quand même l’adhésion …
Et puis, vous en connaissez beaucoup, au bout de trente années passées dans le pop-rock-machin-tout-ce-que-vous-voulez, capables de sortir un disque correct ?  … Parlez pas tous en même temps …

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The Definitive Everly Brothers 

CHESS PIECES - THE VERY BEST OF CHESS (2005)


Echec et mat ...

Quand on remonte aux origines de ce qu’on appellera plus tard d’une façon générique le rock, on cite quelques poignées d’artistes, blancs ou noirs, qui ont tout déclenché au milieu des années 50 par leurs premiers disques. Si on affine encore plus, il ne reste que trois noms à l’origine de tout : ceux de Sam Philips et des frères Chess, Leonard et Phil. Pas des chanteurs, pas des musiciens, pas des compositeurs. Juste les propriétaires de minuscules studios d’enregistrement qui créeront des labels pour sortir leurs disques.
John Lee Hooker
Pour le premier, ce sera Sun Records à Memphis (Presley, Cash, Perkins, Orbison, Lewis, …), pour les frères Chess ce sera Chess Records à Chicago. Et là la liste de leurs signatures est encore plus imposante.
Cette compilation en deux Cds et 48 titres propose un aperçu de leurs artistes à travers quelques-unes de leurs œuvres marquantes. Partie émergée de l’iceberg, tant le gens signés chez Chess se sont révélés prolixes. Les deux frangins émigrés de Pologne à la fin des années 20 vont par leurs premières signatures à partir de 1947 représenter un nom magique pour tous les bluesmen. Lesquels sont généralement issus du Mississippi (le Delta blues) et vont dès lors se lancer dans une transhumance vers l’Illinois. Un mouvement déjà entamé depuis le début du siècle, Chicago et ses établissements tenus par la mafia étant à peu près le seul endroit des States où ils pouvaient se produire. Avec les frères Chess, il y avait en plus le mirage de l’enregistrement, du fameux contrat, et de la fortune supposée qui va avec.
Howlin' Wolf
Si j’ai parlé de mirage, c’est que les frères Chess étaient tout sauf des philanthropes, mais beaucoup plus les prototypes des requins de la finance qui plus tard ont jeté leur dévolu sur le milieu musical. D’ailleurs la plupart de leurs artistes majeurs n’ont eu d’autre choix que de leur coller des avocats aux fesses pour pouvoir se défaire de contrats léonins et espérer toucher de l’argent et vivre de leur art sous d’autres cieux … Phil et Leonard Chess étaient gosso modo des escrocs, mais qui ont eu un flair assez impressionnant pour dénicher au milieu des cohortes de va-nu-pieds qui les sollicitaient les futures légendes de la musique noire. Car à l’opposé de Philips et de l’écurie Sun, les frères Chess n’ont pratiquement signé que des artistes noirs.
Chuck Berry
Les bluesmen dans un premier temps. Howlin’ Wolf d’abord à travers une licence de distribution, son premier disque étant estampillé … Sun Records (le monde musical était alors tout petit), mais Sam Philips, avec ses artistes et son public quasi exclusivement blancs, ne savait trop que faire de ce nègre à la grosse voix sépulcrale. Très vite, le catalogue s’enrichira de noms aussi importants que John Lee Hooker, Little Walter, Elmore James, Lowell Fulsom, Sonny Boy Williamson, Jimmy Whiterspoon, et, cerise sur le gateau de Muddy Waters et de son alter ego de l’ombre, l’immense Willie Dixon (peut-être le moins connu du lot, mais de fait l’homme essentiel de cette scène blues de Chicago, auteur de l’essentiel du répertoire de Waters, d’une bonne partie du répertoire de quelques autres, producteur, et chef d’orchestre des musiciens du studio Chess). Soit la plus belle brochette de métèques dont se réclameront tous ceux qui depuis 50 ans font des choses avec du rythme et du blues.
Bo Diddley
Mais c’est pas tout. Chez Chess à la fin des années 50, y’a un autre nom qui clignote, et pas qu’un peu. Celui de Chuck Berry. Le pervers pépère du rock’n’roll, celui qui a défini l’usage et le rôle de la guitare électrique dans cette drôle de musique syncopée, et auteur à lui tout seul, allez je vous le fais à la louche, de la moitié des hymnes les plus connus de ce nouveau genre. Et pas très loin du Chuck, on trouve sur l’échiquier artistique du label d’autres adeptes des rythmes chaloupés, comme Bo Diddley et dans une moindre mesure Dale Hawkins (celui de « Susie Q », titre tant de fois repris). Et certains historiens vont même jusqu’à trouver dans le catalogue Chess le premier morceau de rock’n’roll jamais gravé, le « Rocket 88 » de Jackie Breston, dans le groupe duquel on trouvait à la guitare un certain Ike Turner …

Tous ces gens ont écrit suffisamment de classiques pour remplir plusieurs Cds. Ils ont présents sur le premier disque de cette compile avec un ou deux morceaux parmi leurs plus connus. Et si les frères Chess exploitaient sans vergogne leurs artistes, ils prenaient soin de leur (plus très) petite entreprise, et sentant bien que cet engouement pour les formes de musique qu’ils produisaient ne durerait pas, se sont « diversifiés ». Tout en restant cohérents sur la « ligne » du label, ils se sont tournés vers du rhythm’n’blues canaille et festif (Clarence « Frogman » Henry), le doo-wop avec l’approche originale qu’en faisaient Harvey & The Moonglows ou les Jaynetts (« Sally go ‘round the roses », dont l’oubliée Carmel se souviendra pour son gros hit « Sally » du début des 80’s), voire le son tex-mex à base d’orgue (Dave « Baby » Cortez).

Laura Lee
La roue de l’Histoire tournant vite à cette époque-là, Chess s’en remettra dès le début des années 60 au rhythm’n’blues, toutes les figures blues du label étant soit parties sous d’autres cieux présumés plus hospitaliers, soit en net déclin artistique. Ce sont essentiellement ces nouveaux noms que l’on trouve  sur le second Cd, et il faut bien reconnaître, que sans être totalement anecdotique, il y a une sacrée baisse de régime. Les machos diront que c’est logique, le tracklisting étant majoritairement féminin … sauf que ce sont elles qui s’en sortent le mieux. Il y a de sacrées clientes chez Chess dans les 60’s : Etta James, Mitty Collier, Sugar Pie DeSanto, Fontella Bass, Koko Taylor, Laura Lee. Le label s’oriente vers ce que font toutes les maisons de disques de l’époque en matière de black music, exit le blues et place au rhythm’n’blues, à la soul (d’abord orchestrée puis plus dépouillée), et finalement vers des sonorités plus pop et vers la fin de la décennie plus funky.
Petite parenthèse. Il y deux titres sur cette compilation qui font partie de ceux cités comme étant à l’origine du rap. Le « Say man » de Bo Diddley, dont une de ses amies, Sylvia Robinson, qui avec son duo rhythm’n’blues, Mickey & Sylvia (Mickey, c'est Mickey Baker, guitariste de légende tout récemment disparu) reprendra un de ses titres, avant de devenir au tout début des années 80 la patronne de Sugarhill Gang, premier label rap del’Histoire. L’autre titre est encore plus étonnant, c’est carrémént du rap old school. Il s’appelle « Here comes the judge » et est l’œuvre en 1968  d’un comique de télévision, Dewey « Pigmeat » Markham signé par les frangins Chess.
Mais l’âge d’or de Chess est terminé, ce n’est plus le label qui régnait sans partage, et il a dans les années 60, malgré d’indéniables réussites, fort à faire avec des concurrents comme Tamla-Motown, Stax, Atlantic. Lesquels, en plus d’avoir un catalogue d’artistes beaucoup plus étoffé, ont les hits et l’argent qui va avec pour entretenir la machine. Et plutôt qu’artistique, la chute de Chess sera financière, le label sera vendu une première fois en 1972, et à la suite de rachats successifs, fait aujourd’hui partie de la major Universal. Seul le fonds de catalogue est exploité, Chess n’a plus sorti un disque sous son étiquette depuis quarante ans … 

JACKIE WILSON - Mr EXCITEMENT ! (1992)


Jackie Wilson said ...

J’ai des disques dont je ne sais pas ou je ne sais plus pourquoi je les ai achetés. Celui-là, j’ai la traçabilité totale …
Ça a commencé en 82 avec une chanson sur « Too-Rye-Ay » des Dexys Midnight Runners qui s’appelait « Jackie Wilson said », festive et entraînante, que j’écoutais souvent. Et comme y’avait pas Google, je me demandais si ce Jackie Wilson était quelqu’un de réel. J’ai tout juste réussi à atterrir sur Van Morrison qui avait écrit ce titre, et à claquer des billets de cent balles pour acheter ses disques, parce que Van the Man quand on prend ça en pleine poire sans être averti, c’est quand même quelque chose … Puis j’ai appris que Jackie Wilson, c’était un truc phénoménal, mais pas moyen de foutre la main sur un de ses disques dans ma cambrousse …
Et puis, le Jackie Wilson, il a claqué, un de ses titres avec un clip tout en pâte à modeler passait partout, et il sortait des compiles vite faites et mal foutues, tout juste assez bonnes pour se faire une idée du bonhomme. Et je me suis promis, tant les listes de disques à acquérir en priorité devenaient exponentielles, qu’une fois fortune faite, j’achèterais des trucs qui tiennent la route de lui …
Et donc, une fois fortune faite (rire grinçant), j’ai un jour craqué sur un coffret de trois Cds du Jackie Wilson. Et euh, comment dire … j’aurais peut-être dû y réfléchir à deux fois avant de faire chauffer la carte bleue … Pour des raisons communes à tous, d’abord. Un coffret qui se veut rétrospectif et exhaustif, ça laisse forcément passer des choses plus ou moins anodines. Et pour une raison particulière à Jackie Wilson, c’est que plus qu’un autre, il a fait n’importe quoi plus souvent qu’à son tour.
Pas forcément sa faute. Dans la grande tradition des artistes noirs truandés par des managers et un show-biz véreux, il peut viser le podium. A tel point que quand il sera fusillé sur scène par un AVC ou un truc de ce genre en 1975, qui le laissera pendant dix ans dans un état végétatif, sa famille n’aura pas les moyens de payer les soins, alors que sans être quelqu’un qui avait monopolisé les sommets des charts, il avait eu des hits significatifs aux States. Ses soins, c’est Elvis (et ensuite Priscilla, parce que Elvis va mourir avant Wilson) qui les payera. Et pourquoi le King, qui n’est pas vraiment considéré comme un des philanthropes du rock a raqué ? Ben, parce que le King, que certains considèrent un peu trop facilement comme le plus grand chanteur de rock de tous les temps, il avait un jour vu Jackie Wilson sur scène, et comment dire, ne s’en était jamais remis …
Jackie Wilson et un fan de Graceland, Memphis, Tennessee
Parce que techniquement parlant, Jackie Wilson, ce doit être la voix la plus impressionnante à s’être aventurée dans le monde, au sens large, du rock. A tel point qu’il a envisagé à plusieurs reprises durant sa carrière de se réorienter vers le chant lyrique ou l’opéra (figurent sur cette compile quelques titres, airs de classique revisités soul, sur lesquels la démonstration en est faite, mais ce sont loin d’être les plus intéressants). Et quand on sait qu’au début des années 60, James Brown a été poussé sur scène dans ses derniers retranchements et a vu sa suprématie menacée par un Jackie Wilson explosif, grand adepte aussi d’agenouillements, génuflexions et déchiquetant devant des fans transis sa veste trempée de sueur, il faut reconnaître, qu’en plus de la meilleure voix, Jackie Wilson, c’est aussi le meilleur gâchis de carrière jamais vu …
Une carrière entamée adolescent comme lead singer du band jazzy et doo-wop des Dominos de Billy Ward, puis une carrière solo débutée sur les chapeaux de roue avec « Reet petite » (1957), petit hit franchement orienté vers le rock’n’roll, sur lequel il rivalise, juste avec sa technique pure avec l’hystérie d’un Little Richard. Wilson gravite alors dans le sillage de Berry Gordy, co-auteur du titre, un Gordy dont Wilson s’éloignera alors que celui-ci commence à monter Motown, inaugurant par là une série de mauvais choix qui s’avèreront chroniques tout du long de sa carrière.
Wilson cherchera le hit, il en obtiendra bien un sans suite (« Lonely teardrop »), avant de se laisser trimballer, au gré de managers roublards et incompétents, vers du doo-wop lourdement orchestré, des ballades lacrymales pré-soul, du rhythm’n’blues aux orchestrations pharaoniques, tentant de se raccrocher à toutes les tendances, tous les sons à la mode, faisant des duos avec d’éphémères chartbusters ou des gloires sur le retour (Linda Hopkins, LaVern Baker, …), incendiant le temps de quelques titres avec un  orchestre de Count Basie sur la pente descendante des classiques soul (« Chain gang » mais la version de Wilson ne vaut pas l’originale de Sam Cooke), se contentant de prestations vocales irréprochables servies par un cadre musical ultra-prévisible et sans originalité.
Alors que dans le même temps (les années 60) un James Brown radicalisait à chaque disque un peu plus son propos musical, Jackie Wilson se laissait imposer un cadre sonore centriste.
Donc forcément, sur les 72 titres de cette compilation, y’a à boire et à manger, et aussi beaucoup de choses à pousser sur le côté de l’assiette. Ne surnage que la voix de Wilson, comme on n’en trouve qu’une petite poignée par siècle, capable de chanter n’importe quoi. Ce qu’il ne s’est malheureusement pas privé de faire …

WANDA JACKSON - QUEEN OF ROCKABILLY (2000)


Little Wanda ...

Appeler une compilation « Queen of rockabilly », ça peut paraître gonflé … d’un autre côté, la concurrence est pas énorme … Mamie Van Doren ? Mis à part sa forte capacité pulmonaire, elle avait pas trop marqué les esprits. Janis Martin, « The Female Elvis » ? Ouais, bof … Brenda « Miss Dynamite » Lee, ses jupes plissées et ses gros mollets ? Euh, soyons sérieux, là … Donc, titre mérité pour Wanda Jackson. Et pas par défaut …
Wanda Jackson et le jumeau de Jesse Garon
Car ce petit bout de femme impressionna tout le monde à ses débuts dans le rock’n’roll en 1956, y compris le King lui-même qui la prit souvent en première partie. La rumeur (et pas seulement légendaire) prétend même que Wanda Jackson aurait partagé la couche royale, c’est dire si elle était au cœur de la tourmente rock’n’roll qui mettait l’Amérique à ses pieds.
Le rock (accessoirement ’n’roll), n’étant pas un milieu à l’ouverture d’esprit renommée, Wanda Jackson est beaucoup moins célèbre et célébrée que la plupart de ses contemporains masculins. Et pourtant, believe me, Wanda Jackson, ça déménage. Il se dégage de cette miniature (sur la – sublime, ce regard, cette attitude – photo de pochette de cette compilation, la guitare est « normale », c’est vraiment elle qui est petite) une voix d’une animalité, d’une sauvagerie peu commune, mais qui sait rester au plus près de la mélodie, de la chanson. L’égale, ni plus ni moins, d’un Little Richard (qui est, je le rappelle pour ceux qui ont des déficiences auditives, le plus grand chanteur de rock’n’roll de tous les temps). D’ailleurs il n’est qu’à écouter les reprises qu’elle fait de titres figurant au répertoire de Petit Richard (« Rip it up », « Whole lotta shakin’ goin’ on », « Slippin’ & slidin’ », et une phénoménale version de « Long tall Sally ») pour voir qu’on a là affaire à un gosier d’exception.
Wanda Jackson n’a qu’un point faible. Elle écrit peu, et se « contente » de reprises ou de morceaux écrits sur mesure pour elle. Dommage, serait-on tenté de lire, car un des rares titres dont elle est l’auteur (« Mean mean man ») est une tuerie totale, qui par bien des sonorités annonce les Cramps, et le plus sauvage d’un tracklisting dans lequel la ballade n’est pas de mise.
Les deux titres les plus connus de la dame sont bien là (« Fujiyama Mama » et « Let’s have a party ») dans cette compilation irréprochable, et le second qui reviendra comme un leitmotiv dans sa carrière décliné-décalqué-dupliqué (« There’s a party goin’ on », « Man, we had a party », …). Wanda Jackson avait, comme bien d’autres de son époque (Perkins, Lewis), débuté dans la country, et le premier morceau qui l’a fait connaître dans le monde du rock’n’roll est un curieux et unique mix de country et de rockabilly (« I gotta know »). Pour le reste, dans les trente titres de ce disque, on trouve des classiques 50’s (« Searchin’ », « Kansas City », « My baby left me », « Brown eyed handsome man », « Honey don’t »), certains dans des versions incroyablement furieuses et violentes (« Riot in cell block #9 », « Tongue tied »).
Wanda Jackson ne réussira pas à se hisser au niveau des plus grands (en terme de notoriété) dans le monde macho du rock’n’roll et retournera dès le début des années 60 à une carrière strictement country, avant, comme également beaucoup d’autres, de se vautrer dans la religion (elle est christian reborn il me semble) et de se consacrer au gospel à partir des années 70. A peu près disparue de la circulation depuis longtemps, elle a effectué un come-back assez étonnant (et également assez surestimé, mais la dame a bien plus de soixante dix ans, faut pas trop en attendre non plus), avec Jack White (qui d’autre ?) comme Pygmalion, et l’album s’appelle évidemment … « The party ain’t over », comme quoi c’est bien la période rockabilly de Wanda Jackson qui est à retenir …

JOHNNY HALLYDAY - JOHNNY, REVIENS ! LES ROCKS LES PLUS TERRIBLES (1964)


Ah que oui !

Il serait trop facile de dézinguer la vieille idole. Sauf que plein de gens talentueux avec des arguments solides comme ça l’ont déjà fait, depuis plus de cinquante ans. Tout le monde les a oubliés et Jean-Philippe Smet est toujours là, Statue du Commandeur inébranlable du rock français. Du rock français ? J’en vois qui rient aux éclats, que le rock français ça existe même pas, et que l’autre là, le Johnny, déjà il est pas Français il est Belge ou Suisse, allez savoir, et il est encore plus con en vrai que sa marionnette des Guignols … Ben z’avez tort … enfin pas sur tout, mais z’avez tort quand même.
D'où viens-tu Johnny ?
Je m’explique. La concurrence, Johnny les a tous enterrés. Au propre, souvent, et encore plus au figuré, suffisait pour ça qu’il monte sur les planches, aujourd’hui comme il y a cinquante ans, que ce soit devant cent personnes ou cent mille, et là, tous, même Didier Wampas, ils sont tout petits. Tous ceux qui dans la musique ou la chansonnette ou les deux en France ont eu leur quart d’heure ou leur décennie de gloriole sont venus en rampant lui apporter une chanson (généralement très mauvaise, mais c’est pas, ou c’est plus le problème) qu’il leur avait demandée. Et ceux qui n’ont pas encore eu ce privilège seraient prêts à bouffer les varices de leur grand-mère et feraient sous eux de joie si une voix au téléphone leur disait : « C’est le management de Johnny, il aimerait bien bosser sur un truc avec vous … ».
Parce que Hallyday est une légende. Surévaluée comme toutes les légendes. Au moins les trois-quarts de ses disques sont des daubes infectes. Mais il y a très longtemps, au siècle dernier, dans les années 60, et malgré quelques bêtises sonores retentissantes, il a sorti des disques qui ont forcé le respect de tous et généré des hordes d’admirateurs béats. Des disques en public, certes le plus souvent (les séries à l’Olympia, au Palais des Sports), mais aussi quelques sacrées rondelles en studio avec Mick Jones et Tommy Brown. Jones et Brown … deux Anglais. Parce que très vite Johnny (ou ceux qui géraient sa carrière) a voulu avoir les meilleurs musiciens pour l’accompagner. Et il valait mieux laisser de côté la plupart des Français, soit baltringues incompétents, soit requins de studio ultra-techniques ne rêvant que de jazz-fusion. Totalement incompatibles avec le rock’n’roll que voulait faire Hallyday.
Les zicos qui l’accompagnent sur ce disque, baptisés Joey & the Showmen constituent un assemblage cosmopolite (frenchies, ricains, british), mais envoient le bois grave, et c’est ce qui importe. Le concept du disque est simple, voire simplet : adapter en français des standards du rock’n’roll américain. Comme d’hab et comme toujours, Johnny ne fait que suivre ce qui a déjà été fait. Notamment l’année précédente par son rival mais néanmoins ami Eddy Mitchell (« Eddy in London »). Bon, on peut comparer les deux, trouver Schmoll plus subtil, plus cultivé, plus drôle, plus tout ce qu’on veut, mais dès qu’il s’agit de chanter le rock’n’roll, y’a plus photo, victoire par KO de Jojo …
Joey (Greco) & the Showmen
Ce « Johnny, reviens ! » compte quatorze titres, quatorze standards des pionniers du rock, aujourd’hui connus et célébrés de tous mais à l’époque (1964), seuls quelques rares maniaques en France causaient Elvis, Chuck Berry, Little Richard, ou Gene Vincent. Les adaptations (la plupart dues à Manou Roblin), mêmes si elles ne visent pas le Nobel de littérature, ne sont pas plus neuneues que les versions originales. Musicalement, c’est exécuté pied au plancher en 2’30, produit en stricte mono (il existe évidemment et malheureusement des rééditions stéréo à fuir) pour que tu  prennes ça droit dans ta face, et ça s’embarrasse évidemment pas de solos de xylophone ou de violoncelle. Guitares, basse, batterie, un peu de piano, quelques cuivres au fond du mix, et roulez petits bolides … Hallyday, quiconque doté d’une paire d’oreilles en état de marche s’en est aperçu, est un grand chanteur, et là, dans un registre hyper-basique, il est impressionnant.
Joey Greco, Claude Djaoui, et un joueur de air guitar ...
Il suffit d’écouter ses versions de « O Carol ! » ou « Suzie Q » qui valent bien celles des Stones sorties à peu près simultanément, et Jagger qui n’est ni sourd ni sot, a souvent clamé haut et fort son respect pour Hallyday le chanteur. Les versions de Johnny n’ont rien à envier aux interprétations de Chuck Berry (plus doué à la guitare et à la composition qu’au chant), ni même à celles de Presley, qui lui est quand même un sacré client derrière le micro, c’est le moins que l’on puisse dire. D’autant plus qu’en jouant quelquefois malignement sur le tempo, Hallyday parvient à ne pas faire des copies conformes, il apporte sa propre patte à des titres entendus des milliards de fois. La seule réserve concerne les quatre morceaux correspondant aux titres popularisés par Little Richard. On ne touche pas impunément au répertoire de Petit Richard sans prendre le risque de se couvrir de ridicule. Ici, seule « Belle », adaptation de « Ready Teddy » soutient le choc de la comparaison, les trois autres (« Lucille », « Long tall Sally » et « Good Golly Miss Molly ») sont nettement inférieures aux versions originales. C’est pas honteux pour autant, McCartney et John Fogerty sont les deux seuls au monde à pouvoir reprendre le curé gay, tous les autres faisant rire ou pitié dans cet exercice (j'entends les cris d'orfraie de mon fan club féminin, oui, les filles, d'accord, y'avait aussi Wanda Jackson qui s'en sortait plus que bien) …
Le résultat, il est simple. « Johnny, reviens ! » est un Himalaya du rock français (allez, je me mouille, je vois guère que « Tostaky » de Noir Dèz ou « No comprendo » des Rita de ce calibre-là). Et dans le même genre de disques axé sur des reprises de standards de old rock, ce skeud de Jojo voisine sans problème des choses comme le « Back in the USA » du MC5 ou le « Teenage head » des Flamin’ Groovies … Du lourd, du très lourd, je vous dis …

RAY CHARLES - THE GENIUS OF RAY CHARLES (1959)


La leçon du Maître ...

Bon, on va pas chipoter sur la réputation de Brother Ray. Si vers l’époque où est paru ce disque, il était déjà le « Genius », et que plein de gens, et pas des moindres (James Brown, Miles Davis pour ne citer que les plus évidents et les moins modestes), acceptaient cette reconnaissance et ne la lui contestaient pas, peut-être bien était-ce parce que Charles la méritait.
L’aveugle avait une longueur d’avance sur tous les autres, pour dans le domaine de la musique noire, anticiper tous les genres qui allaient régner sur les ondes. Il avait déjà passé le jazz et le blues dans sa moulinette, codifié de façon définitive rhythm’n’blues et soul music. Et là, avec ce « Genius of Ray Charles », il s’attaque sans trop de modestie aux sons des big bands et aux crooners des années cinquante.
Douze titres se succèdent aujourd’hui sur le Cd, il y en avait six sur chaque face du vinyle original. Et chaque face avait sa couleur sonore bien précise. Même si des similitudes sont criantes. La moindre n’étant pas un  parti pris de foisonnement instrumental, genre exposition ostentatoire de signes extérieurs de richesse. Il y a derrière Charles et son piano une armée de musiciens, des bataillons de cordes, de cuivres et de choristes. De la musique version Cecil B. DeMille.
C’est là que le bât blesse quelque peu. Sur les rhythm’n’blues enlevés du début, ça peut aller, c’est le genre lui-même qui par essence est friand de cette luxuriance instrumentale. Par contre, pour les ballades lentes de la fin, oscillant entre soul et exercices de crooner, un peu moins de grandiloquence aurait me semble t-il été bienvenue. A vouloir trop bien faire, Ray Charles en fait parfois juste trop. Dans un genre somme toute pas très éloigné, Sinatra et son arrangeur Nelson Riddle savaient aller à l’essentiel, et doser beaucoup plus finement les arrangements.
Il convient quand même de rester mesuré, peu de gens (personne ?) à cette époque-là n’était capable d’entrevoir avec autant de lucidité et de talent ce qu’allait devenir la musique noire dans les années suivantes.
La première partie du disque est exceptionnelle, fait souvent penser aux big bands de Count Basie ou Duke Ellington qui se seraient aventurés « ailleurs » (d’ailleurs nombre de musiciens de ces deux orchestres interviennent sur ce disque), le seconde quand elle réussit à se départir de son côté péplum musical présente aussi de grandes et belles choses (« Tell me you’ll wait for me », et surtout « Am I blue » qui montre tout ce qu’un autre génie aveugle, Stevie Wonder, doit à Ray Charles).

Du même sur ce blog :
Ultimate Hits Collection