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CANNED HEAT - BOOGIE WITH CANNED HEAT (1968)

 

Ascenseur pour l'échafaud ?

Canned Heat … J’ai arrêté de compter le nombre de fois où je les ai cités (souvent en compagnie de Status Quo) pour décrire d’une façon compréhensive par tous quelque chose de pénible et répétitif. Un truc bien ianch, quoi … Les Canned Heat, c’est malheur et misère à tous les étages. Les deux leaders et fondateurs du groupe claqués bien jeunes, ce qui n’empêche pas Canned Heat de bientôt entamer sa sixième décennie d’existence. Au répertoire, une litanie immuable de boogies monotones (dans tous les sens du terme), étirés pendant une demi-heure (voire plus) sur scène. Le tout d’un rigorisme et d’un ascétisme virant à l’idée fixe, à la trademark…

Vestine, Wilson, Hite, Taylor, De La Parra : Canned Heat 1968

Vous imaginez sans peine ce qui va suivre avec ce « Boogie with Canned Heat » …

Bon, vous vous trompez. Derrière le titre pléonastique, se cache un bon disque. Qu’il ne viendra certes à l’idée de personne de classer parmi les grandes œuvres des 60’s-70’s, mais s’il fallait en retenir un du Heat, c’est celui-là. Parce que durant leur période « royale », le groupe n’en a sorti qu’une poignée, et celui-ci dépasse de loin tous les autres. Et aussi et surtout, parce qu’il n’y a pas que des boogies, il y a aussi des blues (du boogie, du blues, il doit plus rester grand-monde, la plupart des lecteurs sont à ce stade retournés jouer en ligne, où voir si une blonde vulgaire, la quarantaine pas farouche, n’était pas venue consulter leur profil Tinder). Mais pas que. « Boogie … » est le disque le plus varié, le plus subtil de Canned Heat.

L’histoire commence à Westwood, quartier (celui de l’UCLA entre autres) de Los Angeles. Dans un magasin de disques consacré aux vieilles rondelles de blues, bosse le dénommé Bob Hite, pilosité néanderthalienne et carrure massive (son surnom « The Bear » n’a pas nécessité beaucoup d’imagination). Hite en plus d’être vendeur, est un collectionneur compulsif de ces préhistoriques galettes rustiques (mais pas un gestionnaire, il se séparera de ses dizaines de milliers de vinyles pour cause de faillite personnelle). Un de ses clients est Alan Wilson, redoutable bigleux (pour lui aussi, le surnom « Blind Owl » sera une évidence) toujours à la recherche d’une pièce rare en 78T ou en acétate. Le binoclard emmènera un jour sa guitare, le gros poussera la chansonnette, et après le long périple habituel des va-et-vient de personnel, des galères et des premiers concerts et enregistrements, une formation se stabilise, se professionnalise plus ou moins sous le nom de Canned Heat (en référence à une chanson d’un antique bluesman dont j’ai pas envie de rechercher le nom).

Bob Hite

Un premier album éponyme (quand je vous disais que Canned Heat et imagination ça rime pas) voit le jour début 67, et il est uniquement composé de reprises (de blues) et comme on le dit en termes diplomatiques, ne trouve pas vraiment son public. La rotation du personnel continue, et au trio en lice au début d’année (Hite, Wilson et le bassiste Larry Taylor), viendront s’ajouter le guitariste Henry Vestine (venu de la galaxie Frank Zappa) et le batteur Fito De La Parra rejoindra le groupe en studio qui enregistre ce qui deviendra « Boogie with Canned Heat ».

Sauf que … accident industriel. Durant l’été, le groupe en tournée (et en goguette) s’est fait serrer par les keufs, poches lestées d’herbe qui rend nigaud. En ces temps-là, période psychédélique ou pas, flics et justice rigolent pas avec la drogue, surtout quand ça concerne des corniauds de seconde zone. Le type qui leur sert vaguement de manager (Dick Taylor, rien à voir avec le bassiste) profitera de l’occasion. Il payera la caution pour faire sortir du poste (Vestine, qui jouait avec Zappa - lequel virait immédiatement tout musicien en possession ou ayant consommé des substances – avait esquivé la rafle) les quatre nigauds, moyennant la moitié des droits d’auteur sur leurs chansons et disques à venir. Autrement dit, fini les albums 100% reprises, le groupe allait devoir composer. Conséquence immédiate, une demi-douzaine de reprises déjà mises en boîte seront écartées, et paraîtront plus tard en bonus sur des rééditions (j’y reviendrai plus bas … si j’y pense). Mais, comme beaucoup à l’époque (Led Zeppelin sur son premier album), Canned Heat va enregistrer des reprises dont ils « oublieront » de créditer les auteurs.

Alan Wilson

Cas d’école, le dernier titre de l’album, « Fried Hockey Boogie », onze minutes au chrono. Ecoutez l’intro. Note pour note la même que celle de … « La Grange » de ZZ Top, sorti cinq ans plus tard. Etonnant ? Ben non, le Heat et les Texans ont pompé sans vergogne le « Boogie Chillun » de John Lee Hooker, qui lui-même avait repiqué un riff que son beau-père lui avait appris, et qui venait de la tradition musicale du fin fond du Delta blues … Pour éviter de se fâcher avec le Hook, le même titre live sera rebaptisé « Woodstock Boogie » (vingt-sept minutes) lors du fameux festival, ou « Refried Boogie » (quarante et une minutes (!) sur « Playing the blues »). Banqueroutes mutuelles en vue, Canned Heat et John Lee Hooker laisseront leurs avocats au vestiaire pour enregistrer ensemble « Hooker & Heat », renflouant momentanément leurs carrières. Le morceau litigieux sera évidemment de la partie, cette fois intitulé « Boogie Chillun n°2 » (un auto-plagiat de Hooker, version électrique de l’original acoustique) et crédité à Hooker. Fin de l’histoire ? Non, car une variation du riff sert d’ossature à « On the road again » …

« On the road again », c’est le titre le plus connu du Heat. Un morceau à la trajectoire étrange. Enregistré en version blues de sept minutes et écarté avec d’autres de « Boogie … ». Avec au chant, la voix aigue et fluette d’Alan Wilson. Une nouvelle version, plus courte (cinq minutes), au tempo plus rapide et introduite par un drone de tampura (sorte de sitar) persistant figurera sur « Boogie … » (premier titre enregistré avec le nouvel arrivé De La Parra). Et parce qu’avant que l’album soit dans les bacs, il faut sortir du vinyle, la version de l’album amputée des solos d’harmonica et de guitare, sera la face B d’un 45T avec en face A un – toujours cette imagination dans les titres – « Boogie music » (disparu du tracklisting de « Boogie … » et même des bonus tracks, c’est dire que ça devait pas être un titre terrible). Peu captivé par cette face A, un DJ retournera la galette et passera « On the road again » à l’antenne … on connaît la suite, le titre a traversé les décennies …

« Boogie … » c’est pas seulement des histoires de plagiat, et faces B qui deviennent des hits planétaires. C’est un disque qui sans être forcément captivant par son originalité n’est pas une enfilade de titres siamois. N’en déplaise aux puristes qui ne jurent que par St Wilson et St Hite lorsqu’il est question du Heat, le grand bonhomme de « Boogie … » pour moi c’est Vestine. Grand guitariste sous-estimé, balançant des solos pleins de wah-wahs hendrixiens (sur l’introductif « Evil woman ») et de pédale fuzz (un peu partout ailleurs). Parce que sans être de mauvaise foi (et je m’y connais en mauvaise foi), on peut pas dire que niveau compositions et niveau instrumental, ce soit stratosphérique. Alan Wilson (un peu d’harmonica, de piano de guitare et de slide) ne laisse pas pantois par sa technique, la rythmique Taylor – De La Parra fait son job sans plus (leurs solos respectifs sur « Fried hockey … » ne sont pas entrés dans la légende des grandes démonstrations virtuoses), et Bob Hite pourtant physiquement imposant ne marque pas spécialement son territoire au chant. Le vrai bonus du disque, c’est Vestine, d’ailleurs il a un titre instrumental (ou plutôt un solo de cinq minutes) rien que pour lui. « Marie Laveau » qu’il s’appelle ce titre, en référence à une figure mythique de la culture vaudou du bayou louisianais. « Marie Laveau », traditionnel que l’on retrouvera (avec des paroles) chez Dr John. Admirez la transition … parce que le bon toubib, on voit pas son nom sur la pochette (une histoire de contrats, de droits, un truc du genre), mais il a bien participé à ce « Boogie … » et ça s’entend. Le piano swinguant et les arrangements de cuivres sur « Marie Laveau » et « An Owl song », c’est lui, et ça rompt carrément le ronronnement monotone des boogie blues.


« An Owl song », c’est l’autre titre de la galette écrit et chanté par Wilson, un rhythm’n’blues léger avec cuivres en avant et le piano new-orleans style du Toubib. Si ce titre démontre que Wilson avait les moyens de faire évoluer le monolithisme du Heat, pas seulement à cause de sa voix de falsetto, mais surtout parce qu’il pouvait écrire dans un autre registre que les douze immuables mesures, le groupe n’aura pas vraiment le temps d’exploiter ses talents (l’autre gros succès du Heat, « Going up the country », c’est aussi lui), il en sera le premier macchabée (ingestion de trop de barbituriques, sans que la thèse du suicide puisse être validée). Il n’en tirera aucune gloire posthume (il est celui du « Club des 27 » qu’on ne cite jamais), c’était un gars au tempérament discret voire mutique, il n’avait rien du rocker flamboyant …

Canned Heat était un groupe sympa, accessible, et du moins à ses débuts plutôt « positif » (point trop de drogues dures, ça viendra plus tard). Témoin sur « Boogie … » le titre anti-drogue « Amphetamine Annie » boogie mâtiné de rhythm’n’blues. Episode connu de la coolitude du groupe, lors du festival de Woodstock, pendant que le groupe joue, un zombie raide def monte sur scène, titube vers le colossal Hite, et vient le taxer d’une clope. Hite sort son paquet de la poche de son polo Prisu, file une clope au gars qui fouille ses poches, il a pas de briquet. Hite sort le sien, donne du feu au quidam, qui entame la causette, puis repart en zigzaguant, le tout sans que Hite se départisse de son sourire et de sa bonhommie. Lors du même festival, l’activiste et plus ou moins organisateur Abbie Hoffman, monte sur scène à la fin d’un titre des Who, et commence à entamer un speech militant au micro. Speech dont on ne saura rien, Pete Townshend lui administre un magistral coup de pied au cul et l’éjecte de la scène …

Bon, revenons à « Boogie … ». Quelques machins bluesy (« Whiskey headed women », « Turpentine moan ») de circonstance, bien dans la ligne du parti, n’apportent pas grand-chose, tout comme le boogie-rock de « World in a jug ». La rondelle ne serait pas complète sans un autre titre à la John Lee Hooker, « My crime ».

En tout cas, la version réaménagée de « Boogie … » est meilleure que ce que le disque aurait pu donner avec les premières reprises mises en boîte, avec ses reprises empruntées au répertoire de (of course) Hooker (« Whiskey & wimmen », T Bone Walker (« Mean old world »), Albert King (« The hunter »), Buster Brown (« Fannie Mae »), ou Big Joe Turner (« Shake rattle & roll »). Pour les deux dernières, ça souffre quand même un peu beaucoup de la comparaison respectivement avec les versions de Presley ou des Stones.

Voilà, voilà, j’ai dit pas mal de bien d’un disque de Canned Heat …


SOLOMON BURKE - ROCK 'N SOUL (1964)

 

Un certain Mick Jagger ...

Ça vous dit quelque chose, le nom de Mick Jagger ? Oui ? ‘tain, vous devez être vieux … Peut-être pas autant que Sir Mick, mais bon … Donc le Mick, il y a cinquante ans qu’il imite (le chant, la gestuelle scénique), en évidemment plus vieux et moins bon, le Jagger du début des seventies. Avant cela, Mick Jagger sur scène avait beaucoup emprunté à Tina Turner, et encore avant à James Brown. Et quand il a commencé, vers 63-64, son modèle principal c’était Solomon Burke. Solomon qui ? … Bougez pas, je vous présente le bestiau …

Même si aujourd’hui, on cite à peu près aussi souvent Solomon Burke quand on cause musique, qu’on cite Raymond Kopa en parlant cyclisme ou Louison Bobet dans une discussion sur le foot (oui, je sais, y’a un twist, c’est pour voir si vous connaissez vos classiques).


Le brave (?) Solomon, il est, pour être gentil, un peu tombé dans l’oubli et il risque pas trop de revenir au sommet, vu qu’il a claqué en 2010. Il fait partie de toute une litanie de chanteurs américains de … musique noire pour faire simple, qui ont eu leur quart d’heure de demi-gloire au début des sixties, coincés temporellement entre Jaaaames Brown (la figure tutélaire), Sam Cooke (le beau gosse hyper populaire à la voix de velours) et les futures stars soul à venir (les types des écuries Stax et Atlantic, les Otis Redding, Wilson Pickett, Sam & Dave, …). Sans oublier les hits de la Tamla ou de Spector … Malgré tout, des Ben E. King, Arthur Alexander, Don Covay, Geno Washington, Jackie Wilson (ces deux derniers ayant suscité deux – belles – chansons des Dexys Midnight Runners au début des 80’s), récoltaient quelques hits et pouvaient prétendre atteindre le haut de l’affiche. Solomon Burke faisait partie du lot.

Des premiers enregistrements au début des années 60, une signature chez Atlantic, commencent à le sortir du troupeau d’anonymes qui s’escriment dans la chanson. Burke a pour lui une voix malléable, avec une facilité certaine pour monter dans les aigus et descendre dans les graves, et une présence sur scène physique et énergique. « Just out of reach » sera son premier succès, paru en 1961, et présent dans les charts à l’occasion d’une réédition deux ans plus tard. « Cry to me » suivra quelques mois plus tard. Le premier est une ballade soul interprétée d’une voix suave qui n’est pas sans rappeler le King Elvis himself lorsqu’il s’adonnait à ce genre de ritournelles. « Cry to me » est d’une structure plus travaillée, empruntant toujours à la soul, mais le tempo s’accélère, laissant apparaître des sonorités venues du doo-wop et du rhythm’n’blues. C’est le moment que choisit Atlantic pour faire de Burke une de ses priorités. Un auteur maison, qui commence dans la production, Bert Berns, est chargé du disque, sous le regard et les oreilles attentives de Jerry Wexler, producteur en chef d’Atlantic (et plus ou moins bras droit d’Ahmet Ertegun, fondateur du label). Solomon Burke devient une affaire sérieuse.


Ce « Rock ‘N Soul » qui résultera des séances, indique par son titre même la direction choisie. La soul est le matériau de base, mais un pont veut être construit avec le « rock » au sens le plus large, c’est-à-dire un crossover entre musiques blanches et noires. Rien de nouveau et d’extraordinaire dans la démarche artistique, si ce n’est que généralement, ce sont des chanteurs blancs qui allaient vers la musique noire (le cas d’école Presley), plus rarement l’inverse.

Burke bénéficie donc de la machine Atlantic, ce qui n’est pas rien. Et de titres qui pourraient bien marcher. Bon, pas les siens, Burke compose peu (deux titres vers la fin du disque, pas les meilleurs), mais il peut compter sur un tracklisting sur-mesure, pour l’essentiel des reprises. Et pas de n’importe qui. Figurent dans les crédits des noms comme Wilson Pickett, Woody Guthrie, Don Covay, Leiber & Stoller, … Ce « Rock ‘N Soul » va pourtant être doté d’un son assez curieux, avec une place souvent démesurée accordée aux choristes dont les voix au premier plan viennent parasiter Burke, pourtant pas vraiment un aphone au micro. Nouveau concept musical (rock ‘n soul) et donc nouveau concept sonore ? Je sais pas, mais ça pique parfois les oreilles …

Tout est fait pour attirer le chaland. Les « vieux » hits « Just out of reach » et « Cry to me » sont de la revue, et oui, on peut trouver des chansons qui tirent (un peu) vers le rock’n’roll … Bon, pas tant que ça en fait, seule « Hard ain’t it hard » peut être raccrochée au wagon du binaire. L’essentiel est composé de soul parfois énergique (« Goodbye baby (Baby goodbye), « You’re good for me »), mais le plus souvent sous forme de ballades (« Can’t nobody love them all », « Someone to love me », « He’ll have to go », cette dernière ayant dû pas mal plaire à Willy DeVille). Dans l’intitulé du disque, Burke aurait aussi pu rajouter « pop » (« Won’t you give him » semble sous forte influence Beatles), voire « gospel » et « jazz » (« You can’t love them all » a des effluves de ces deux genres. Pour faire simple, « Rock ‘N Soul » c’est un peu un fourre-tout (pas mal foutu cependant) de plein de musiques à l’époque plutôt mainstream.

L'Ecole des Fans ...

Et Jagger et les Stones, alors ? On y vient, on y vient… le jeune Mick était fan, essayait de tenir la scène comme Burke, et les Stones ont allègrement pioché dans son répertoire à leurs débuts. Ils ont repris quatre titres interprétés par Burke, dont deux qui font partie du tracklisting de ce « Rock ‘N Soul » : « Cry to me » et « If you need me », ce dernier quasiment plagié dans leur « Time is on my side ». Et comme les Stones sont des garçons bien élevés qui payent leurs dettes, ils ont parfois invité Solomon Burke à venir pousser la chansonnette avec eux sur scène dans les années 2000, quand ils avaient pris l’habitude de faire participer des guests à leur rock’n’roll circus…

Burke avec ce disque récoltera quelques hits mineurs qui visiteront le ventre mou du Billboard… mais aucun n’imprimera, même pas un « Everybody needs somebody » qui fera par contre la fortune et le succès des Blues Brothers. Burke, même très diminué en fin de vie, continuera tant qu’il le pourra de se produire sur scène, non sans avoir contribué à assurer sa descendance (on parle tout de même d’une vingtaine d’enfants légitimes) …


THE PLATTERS - THE GOLD COLLECTION (1997)

 

Guimauve ou tartiflette ?

Les Platters, c’est « Only you », la putain de chanson de mariage, un des titres les plus connus, joués et repris du monde, avec ses trémolos à l’entame du refrain, sa voix de ténor et ses violons dégoulinants … Bon, aujourd’hui, les cinq Platters présents sur la version originale sont tous morts, mais des Platters continuent de tourner dans le circuit des oldies aux States pour des grabataires en smoking et des mémères à chien-chien.


Mieux, plusieurs formations vocales sont les Platters. Jamais vraiment un « groupe », plutôt un conglomérat de tessitures de voix assemblées par un manager, grâce à un subtil (?) montage juridique, quiconque a un jour fait partie des Platters peut, une fois qu’il a quitté le groupe « original », tourner avec des comparses sous le nom de Platters. Ainsi, il paraît qu’à la fin des 80’s, plus d’une demi-douzaine de formations des Platters tournaient en même temps, et il est arrivé qu’il y en ait deux à l’affiche le même soir dans la même ville …

Les Platters c’est une formule et une recette pressées jusqu’au trognon. Au départ (début des 50’s) groupe vocal issu des chorales d’église comme l’Amérique en comptait des multitudes, ils se professionnaliseront en rencontrant un manager (véreux, forcément véreux, il signera ou cosignera sans avoir écrit la moindre note ou le moindre mot un paquet de chansons du groupe), le dénommé Buck Ram. Après quelques ajustements d’effectif (des types sont virés, remplacés par d’autres, une chanteuse-choriste est rajoutée) et quelques galettes gravées dans l’indifférence générale, le jackpot arrive en 1955 avec « Only you », les Platters profitant alors de l’engouement pour le doo-wop naissant, même s’ils sont assez éloignés des standards de ce genre. Ils en laisseront de côté l’aspect festif et joyeux, se contentant de livrer une palette sonore irréprochable aseptisée … et blanchie. Il est saisissant de constater que quasi toutes les photos sont trop éclairées, et donc les reflets de la lumière sur leurs visages en blanchissent fortement le teint … on parle d’une époque où la ségrégation vivait des jours heureux. Bien évidemment, les chansons ne véhiculeront rien qui puisse faire ciller qui que ce soit, no sex, no drugs (même si leur premier chanteur lead s’est fait virer pour consommation de marie-jeanne), et no rock’n’roll …

Même si, pas cons, ils se raccrocheront à tous les courants musicaux noirs qui fleurissent à l’époque. Les Platters seront gentiment rhythm’n’blues (« Ridin’ on the mainline » avec ses effluves rythmiques louisianaises), tâteront à leur façon de la soul (« Put your hand in the hand » chanté lead par la femme) et inventeront quasiment (involontairement ?) le rythme Tamla Motown (« Headin’ time » en 1956, soit trois ans avant les débuts du label de Berry Gordy). L’âge d’or du groupe durera en gros une poignée d’années (la seconde moitié des années 50) et les verra truster le haut des charts avec les follow-ups de « Only you » (« The great pretender », leur plus gros succès aux States, « Smoke gets in your eyes » pour moi leur meilleur titre), avant de descendre lentement mais sûrement du haut des charts.


Leur style (une irréprochable voix de ténor, celle de Tony Williams, des chœurs discrets et sirupeux) sera copié durant des décennies par des formations chorales noires, mais aucune n’obtiendra leur succès. Leur répertoire (chansons crées ou reprises obscures popularisées pour la première fois) sera repris maintes fois. Deux de leurs titres finiront plus tard en haut des hit-parades, « Crying in the chapel » par Elvis himself et « The great pretender » par Freddy Mercury.

Les Platters ont été (et sont toujours) de dociles exécutants, les montagnes de dollars qu’ils ont générées n’ont bien évidemment pas toutes finies dans leurs poches. Témoin cette compilation au packaging minimaliste (le « livret » est une feuille cartonnée recto-verso), parue sur un label douteux (Fine Tune, « spécialisé » dans les fonds de catalogue et « gold collections » de vieilleries). Il n’est même pas sûr que les versions présentes soient les versions originales, leurs succès ayant été réenregistrés plusieurs fois par les différentes formations des Platters …

C’est très bien les Platters … pour un faire un gentil cadeau à vos grands-parents … quel que soit votre âge …




ROBERT JOHNSON - THE COMPLETE RECORDINGS (1990)

From Genesis to Revelation ...

A la fin de l’été 1938 John Hammond (le père du bluesman laborieux du même nom) est dans le Mississippi pour faire signer chez la Columbia un certain Robert Johnson, dont quelques singles chez Vocalion qu’il a entendus lui ont fait forte impression. Hammond apprend que le type qu’il cherche vient de mourir. Il n’aura cependant pas fait le voyage de New York pour rien, il rentrera avec dans ses bagages Big Bill Broonzy. Et plus tard il signera pour la Columbia Billie Holiday, Bob Dylan, Aretha Franklin, Leonard Cohen, Bruce Springsteen, … entre autres. Conclusion : Hammond avait des oreilles et savait s’en servir …
Début des années 60, dans sa chambre, Brian Jones, leader de Rolling Stones qui se cherchent (et cherchent encore le succès) fait écouter au minot Keith Richards un disque importé des States. Question du Keith : « C’est qui ? ». Réponse : « Robert Johnson ». Keith : « Ouais, ok, mais l’autre guitariste ? ». Brian : « Personne, il joue tout seul Johnson … ».

Ce même disque (« King of the Delta blues ») paru en 1961 (un volume 2 sortira une dizaine d’années plus tard), traumatisera à jamais un certain Eric Clapton qui va bientôt se faire un nom comme guitariste des Yardbirds … Et qui reprendra Johnson un nombre incalculable de fois, de « Cross road blues » du temps de Cream, jusqu’à un album entier de reprises (« Me and Mr Johnson », 2004) …
1969, les Stones enregistrent « Let it bleed ». Keith fait écouter à Mick un titre inédit pirate de Johnson. Emballé, Mick est OK pour intégrer ce titre, « Love in vain » sur leur nouvel album … La version originale de Johnson sortira pour la première fois sur ce « Complete Recordings » trente ans plus tard.
Extrapolation … Avril 1930. Mme Virginia Johnson meurt en mettant au monde son enfant, qui ne survivra pas non plus. Le père, Robert Johnson, s’en remettra. Qu’en serait-il advenu de ce gamin s’il avait vécu ? Et s’il avait pris de bons avocats, il aurait aujourd’hui plein de thunes (venues des droits d’auteur de papa) et titillerait dans le classement Forbes les Bezos, Gates ou Zuckerberg, tant les chansons du paternel ont été reprises …
16 Août 1938. Après une nuit d’agonie et de souffrance, Robert Johnson est déclaré bon pour le cimetière. La veille au soir, il donnait un concert dans un rade d’un trou perdu du Mississippi (Greenwood), où il avait l’habitude de se produire. Il partageait l’affiche avec Sonny Boy Williamson. Un péquenot du coin dont Johnson serrait la femme de près, lui tend une bouteille entamée de whisky. Williamson lui dit de ne pas boire, Johnson le repousse et tête la fiole. Le cocktail strychnine-whisky fera rapidement effet… Telle est la version la plus « officielle » de la mort de Robert Johnson …

Quand Robert Johnson était sur scène et qu’un type dans le public ne le quittait pas des yeux, aussi sec Johnson arrêtait de jouer et quittait les planches. Il avait peur que le quidam comprenne et lui pique ses plans de guitare. Variante Chuck Berry qui déclarait que s’il bougeait autant sur scène et se livrait à des chorégraphies étranges (le duck walk entre autres), c’était pour masquer sa façon de jouer…
A l’inverse, ceux qui l’ont connu affirment que Robert Johnson, même pris dans une discussion, était capable de reproduire à la note et au mot près une chanson entendue une seule fois. Robert Johnson était-il un vulgaire détrousseur des morceaux écrits par d’autres ?
Sur deux des trois seules photos certifiées de Robert Johnson (dont la pochette de ce Cd), on voit bien ses mains. Des doigts aux phalanges démesurément longs, à la E.T. Peu ou prou les mêmes paluches aux doigts immenses que Hendrix ou Jeff Beck, les deux autres extra-terrestres de la six cordes … Johnson était capable de tenir les notes basses sur trois cordes et de jouer des accords ouverts sur les trois autres, d’où la méprise de Keith Richards. Un son et un jeu uniques (et sans sustain, échoplex et pédales d’effets …).
Robert Johnson aurait rencontré le Diable à un carrefour, lui aurait fait cadeau de sa vie en échange d’un cours particulier de guitare. Un autre Johnson raconte la même histoire, et aucune des chansons de Robert, malgré des titres évocateurs (« Cross road blues », « Preaching blues », « Me and the devil blues ») n’y fait précisément allusion … cheap thrills …
Robert Johnson est doté d’une des voix les plus particulières du blues, très aigue (certains partisans de la théorie du complot version douze mesures affirment que ses enregistrements ont été accélérés pour obtenir ce timbre vocal, et que le talent de Robert Johnson ne serait que bidouillage de studio … assez improbable cependant). Johnson multiplie aussi dans ses parties chantées les yodels venus du hillbilly et de la country, allant parfois faire un  tour du côté du phrasé du rag (« They’re red hot ») …

En cinq jours (23,26 et 27 Novembre 1936, 19 et 20 Juin 1937), Robert Johnson a enregistré 63 prises (la plupart des titres en deux versions). Seules 41 prises représentant 29 titres sont répertoriées à ce jour. On suppose les autres prises détruites. Cinq jours, c’est à peu près le temps qu’il faut depuis quarante ans pour régler en studio le son de la batterie …
Robert Johnson était pote avec Sonny Boy Williamson (le premier), aurait traîné avec Son House, aurait connu Charley Patton. Son idole et inspirateur était un certain Ike Zinnerman.
Robert Johnson était un musicien professionnel. Son terrain de prédilection était le Mississippi (Delta blues). Contrairement à tous ses successeurs, il semble qu’il n’ait jamais fait ni envisagé de faire un tour à Chicago.
Robert Johnson avait la réputation d’un tombeur et d’un serial niqueur. Ça aussi, ça fera partie du CV de tout bluesman qui se respecte.
Bien avant les junkies des sixties (Morrison, Hendrix, Joplin) et les suivants (Cobain, Winehouse), Robert Johnson a aussi inventé le club des 27 …
A part Muddy Waters, mais dont la carrière a duré plusieurs décennies (et bien aidée par Willie Dixon), je ne vois pas qui peut lutter par la quantité (et la qualité) des standards publiés. Et si Mme Sony (propriétaire de la Columbia) avait la bonne idée de nettoyer le son de ce qu’elle met sur le marché de Robert Johnson (vraisemblablement repiqué sur les shellacs Vocalion, souffle et crachotements à la pelle, dynamique inexistante), ce serait parfait …
Merci à la dernière génération de verres progressifs qui m’ont enfin permis de lire les caractères microscopiques du copieux et instructif livret de ce « Complete Recordings » …


Du même sur ce blog : 

RICHARD HAWLEY - FURTHER (2019)

Ailleurs ...

« Further » est un disque pour les vieux fait par un vieux … même si Richard Hawley n’est pas vieux (enfin pas tant que ça, plus de cinquante prunes au compteur quand même), il est né vieux. Comprendre qu’il a jamais été à la mode (même s’il a fait a partie de Pulp, Pulp de quoi ? … laisse tomber), qu’il a le sourire amoché par un bec de lièvre, qu’il a pas la même garde-robe qu’Elton John (Elton qui ?? oh ta gueule, ignare), oubliant le noir pour le gris anthracite quand il est de bonne humeur, ce qui lui arrive pas souvent, et qu’il est né avec une guitare (un truc de vieux, évidemment) greffée au bout des bras et qu’en plus il sait s’en servir …

Donc quand il est en costard gris anthracite, c’est qu’il est de bonne humeur (c’est-à-dire triste, le gars vient de Sheffield, morne cité qui fut industrielle avant Thatcher et la mondialisation), sinon normalement il est sinistre … Ses disques, c’est pas exactement Patrick Sébastien.
N’empêche que le bonhomme il a construit – patiemment, c’est pas un hyper productif – ce qu’il faut bien appeler une œuvre. Cohérente, même si ses disques ne sont pas des copier-coller des précédents. Il peut passer de ses blues à lui (qui ont peu à voir avec Muddy Waters), ceux du sublime « Truelove’s gutter », à une rondelle tous potards sur onze, son ode à la guitare électrique qu’est « Standing at the sky’s edge » tout en gardant une qualité d’écriture et d’interprétation remarquables. Hawley sait écrire des chansons et sait les coucher sur disque …
« Further » est concis (11 titres pour 36 minutes). Et c’est regrettable. Parce qu’on passerait des heures à en écouter des morceaux comme ça … Parce qu’aujourd’hui, à part des types qui ont plus de soixante-dix balais (Dylan, Macca, les Stones, Neil Young, Ray Davies, Springsteen, liste close), personne n’est en théorie capable de sortir des trucs comme ça. Et ceux que je viens de citer encore moins, en tout cas pas sur un disque entier.
« Further » il serait sorti y’a quarante-cinquante ans, il serait aujourd’hui sur toutes les listes des albums qui comptent. Là, il va s’en vendre trois douzaines.
« Further », il me semble que c’est un jeu de pistes, parce que trop de hasard, c’est plus du hasard, c’est fait exprès. « Further » il est pas monolithique, il commence par le meilleur morceau d’Oasis (l’axe Beatles meets the Stones en gros) que Noel Gallagher n’a pas écrit depuis environ un quart de siècle. « Off my mind », il s’appelle, c’est du rentre-dedans mélodique avec sax discret et solos de guitare. Ah ouais, je vous ai pas encore dit, « Further » il est joué par un noyau dur de quatre types, Hawley, guitares, chant, écriture et production, Shez Sheridan, guitares, claviers, backing vocaux, et une section rythmique. Sheridan et le bassiste co-produisant également la rondelle, enregistrée at home, à Sheffield donc. Et sur quasiment tous les titres, une section de cordes intervient, avec bon goût et sans jamais être envahissante, ce qui aurait pour résultat de donner dans le pathos larmoyant. « Further » n’est pas vraiment joyeux et sautillant, mais c’est loin d’être un machin plombant tire-larmes. Il y a même un titre enlevé (« Alone », superbe) comme si Chris Isaak s’essayait au reggae (le rythme). Et vers la fin un boogie colossal avec un le réglementaire harmonica, ça s’appelle « Time is », croisement entre les Stones et Free (le refrain commence par « Time is on your side right now », et si ça c’est pas du message subliminal je veux passer le reste de mes jours à écouter Louane et Angèle). Tant qu’on est dans le subliminal on a « Galley girl » entre le glam prolo de Slade et l’allusion à Creedence (répéter des « rollin’, rollin’, rollin’ » à foison renvoie quand même un peu à une certaine Fière Mary …).

Les morceaux dont au sujet desquels je viens de parler constituent la face la plus enjouée et rythmée de la rondelle. Tout le reste repose sur des ballades plus ou moins désenchantées, quelquefois sur fond de country-rock pépère, réminiscent des Eagles des débuts ou du Neil Young campagnard de « … Gold Rush » et « Harvest » (« Further » le morceau, « Emilina says », « Not lonely »). Hawley nous fait aussi sa confession claptonienne avec « My little treasures », où comment voir le monde à travers le cul des bouteilles d’alcools forts consommés sans modération. On voit planer l’ombre tutélaire des meilleurs moments du Dylan 70’s (« Midnight train »), et parfois celle d’un de ses disciples, l’oublié Lloyd Cole (« Not lonely », « Doors », cette dernière avec ses relents de « Forest fire »). Et comme de bien entendu, on ne peut pas faire de disque triste classieux sans que surgisse à un moment ou un autre le fantôme de Roy Orbison. Ici le binoclard est présent par l’esprit sur le lamento électrique de « Is there a pill ».
« Further » ne se résume cependant pas à un catalogue d’influences trop visibles qui empêchent de voir l’originalité de Hawley. Ce disque est un sommet de finesse d’écriture (et de production) et à ce siècle-ci, je ne vois guère que Wilco (si Jeff Tweedy et sa troupe daignaient nous honorer d’un disque, mais que deviennent-ils donc ?) capable de sortir un machin de classic rock de ce niveau.
Incontournable …


Du même sur ce blog :

MICHEL POLNAREFF - ENFIN ! (2018)

Le Bal des Naze ?

Tous les fans du perruqué frisé vous le diront, il y a des dizaines d’années que Polnareff n’avait pas sorti un disque. Ce qui n’empêchait pas le monde de tourner (plus ou moins rond, mais c’est un autre débat …). Alors là, dans un timing mercantile parfait avant les fêtes il nous a sorti un disque qui sent le sapin pour mettre sous le sapin. Un disque de plus d’une heure (quelqu’un lui a-t-il suggéré que pareille longueur n’est plus de mise depuis plus de trente ans ?), un disque interminable. Et quasiment minable tout court.
Polnareff 2018
Polnareff, je suis fan de ses débuts. Nettement moins des bouillasses seventies (même si occasionnellement on pouvait y trouver des tueries totales) depuis et y compris le prétentieux « Polnareff’s ». Et je suis encore moins fan de l’homme Polnareff. Exilé fiscal (sous prétexte qu’un génie comme lui n’avait pas à rendre des comptes au fisc, la belle excuse). Pas pire que tous les Tapie, Ghosn, Cazeneuve ou Balkany le mafieux de Levallois, le pire de tous peut-être … j’ai pas du tout aimé ses retours hyper-médiatiques très chèrement monnayés (l’aubade du 14 Juillet sur les Champs-Elysées financée par Sarko-Nabot Ier, donc par nos impôts, no comment …). Pas plus que ses déclarations opportunistes d’un crétinisme pervers sur sa sympathie pour les gilets jaunâtres, eux qui demandent entre autres le rétablissement de l’ISF, alors que lui justement s’en exonérait en s’exilant aux States … Fuck you Polnareff …
Et si on parlait musique, puisqu’à la limite on peut faire abstraction de tout le reste ? Et tant qu’à évacuer le problème de l’opportunisme, disons tout d’abord le mépris que m’inspire le titre « Terre Happy », qui en plus d’un jeu de mots affligeant, nous montre un Polnareff qui nous livre un machin larmoyant très pro-écolo (il a du apprendre que le collectionneur de 4X4 Hulot était très populaire en Macronie, faut ratisser le plus large possible quand on sort un disque tous les cent ans …). Polnareff (74 ans au compteur, génération Dylan-McCartney-Jagger-etc. pour situer) aurait pu la jouer profil bas, se contenter de sortir un disque honnête, que de toutes façons ses vieux fans chauves auraient acheté les yeux et les oreilles fermés. Le type a suffisamment de talent (le génie, il en a eu aussi, mais le propre du génie, c’est qu’il est le plus souvent éphémère, et celui de Polnareff l’a fui depuis longtemps) pour à l’instar des chenus ancêtres de son âge, sortir un truc point trop désolant …
La grand-mère de Polnareff
Las, il nous a pondu une rondelle d’une prétention terminale, une démonstration musicale au forceps à grand renfort d’orchestres classiques et/ou symphoniques. Des cohortes de violons, violoncelles, cuivres, qui le plus souvent n’apportent rien ou peu de choses aux titres qu’ils parasitent (les trois-quarts). On peut même se demander s’ils ne sont pas là pour couvrir la déchéance vocale de Polnareff. On aurait parfaitement compris (et pardonné) qu’à son âge, il ne puisse plus aller aussi haut dans les aigus, tandis qu’ici ces couches d’instruments empilés donnent l’impression de n’être que des cache-misères. Quand il se hasarde sans filet dans un titre piano-voix (« Grandis pas »), y’a comme qui dirait un malaise, on attend quelque chose qui ne peut plus venir, et on se retrouve devant un machin dont Obispo ne voudrait pas comme bonus track …
« Enfin ! » s’ouvre et se ferme par deux longs instrumentaux (10 minutes de moyenne) qui prouvent que quand on a tout oublié, restent les années de Conservatoire. C’est « écrit », pensé, réfléchi, d’une précision sonore diabolique (pas facile de mixer sur l’introductif « Phantom » des violoncelles et la guitare hardos du requin de studio Tony McAlpine), mais prodigieusement chiant, à un point qu’on trouverait intéressant des horreurs comme le « Underture » des Who sur « Tommy » … Le problème, c’est que quand la durée des titres se réduit et qu’il y a des paroles, c’est pas plus captivant. Ambiances funky-groovy-jazzy le plus souvent, qui dans le meilleur des cas semblent marcher sur les pas du Stevie Wonder qui commençait à décliner, celui des années 80 et suivantes.
Polnareff sans perruque ?
Les années 80, on y est parfois en plein dedans, et à ce titre le navrant « Sumi », gros riff hardos d’entrée pour un rock FM à la Europe (non, pas l’Union, les tocards de « Final Countdown »), avec paroles et jeux de mots d’une indigence stupéfiants. Le genre de truc qui pourrait tourner en boucle sur les radios si quelqu’un pensait à les écouter … Des lustres sans disques, mais pas du neuf pour autant. « Ophélie flagrant des lits » (des titres comme ça te donnent envie d’acheter l’Almanach Vermot), était d’après les fans jouée régulièrement en concert depuis longtemps. Je veux bien croire que ça puisse fonctionner en live tellement c’est crétin, un mix entre Dorothée (celle du Club du même nom, oui, on en est là) et son propre « LNAHO », là aussi pas ce qu’il a fait de mieux … Quand on sait que Polnareff a passé des décennies à baver sur « Tous les bateaux tous les oiseaux », son plus gros succès, qu’il trouvait d’une simplicité débile, faudrait qu’il réécoute à tête reposée ce qu’il sort maintenant …
Qu’est-ce qu’il reste à sauver ? Pas grand-chose certes, pourtant Polnareff est encore capable de chansons fulgurantes. Ici il y en a deux. « Longtime » c’est du Polnareff éternel, la tuerie mélodique, et des paroles pas trop cons (un titre sur le manque d’inspiration, ceci explique cela). Mais le meilleur titre arrive vers la fin, ça s’appelle « L’homme en rouge », ça parle du Père Noel que les enfants pauvres attendent et qui ne vient pas, et ça cumule paroles pour une fois simples et sensées et une partie musicale à classer dans le Top 10 de Polnareff …
Tout ceci ne fait pas un ratio qualitatif extraordinaire. En fait c’est quand le disque est terminé qu’on dit « Enfin ! »

Du même sur ce blog :

ELVIS COSTELLO & THE IMPOSTERS - LOOK NOW (2018)

Alors regarde ...

L’autre Elvis, quand il a débuté dans la tornade punk, il a aligné pendant quelques années des dizaines de titres, au moins un album par an pendant dix ans. Point culminant : « Imperial bedroom » en 1982. Et jetés façon rafale de kalachnikov deux follow-ups « Punch the clock » (de grands titres surproduits) et « Goodbye cruel world » (de mauvais titres surproduits). Et puis il est passé à plein d’autres choses, produisant ( après le premier Specials, le premier Pogues), s’est rêvé en King of America, a fait des rondelles avec plein de gens (de Sir Paul McCartney à la cantatrice Anne Sofie Von Otter, ça ratisse large), a épousé la bassiste des Pogues puis Diana Krall, et continué à sortir des disques à la pelle.
Elvis Costello 2018
Dont j’ai acheté quelques-uns, sur la foi de types qui juraient leurs grands dieux que là, ça y était, le grand Costello était de retour. Des galettes que j’ai écouté en travers (qui étaient  peut-être meilleures que les deux-trois d’avant) et qui depuis prennent la poussière sur une étagère. Ce coup-ci, avec « Look now », les exégètes du bonhomme ressortent le baratin habituel dans lequel le mot chef d’œuvre revient à chaque phrase. Ils ont tort, évidemment, mais beaucoup moins que d’habitude.
Parce que « Look now » est d’abord une grosse surprise. Il y a quelques mois, Costello interrompait une tournée pour se faire opérer selon ses termes « d’un cancer agressif ». Rémission en vue ou chant du cygne, j’en sais rien, mais le gars Elvis a visiblement jeté toutes ses forces dans cette rondelle. Entouré de ses vieux briscards de toujours (Pete Thomas aux fûts, Steve Nieve aux claviers, soit les deux tiers de ses historiques Attractions, plus son bassiste habituel depuis longtemps Davey Faragher), il a même décroché sa première collaboration avec une de ses idoles, Burt Bacharach (90 ans, et toujours bon pied et bonnes mains, puisqu’il joue du piano sur les trois titres qu’il a co-écrits). Les titres co-écrits avec Bacharach sont pas une pièce rapportée, ils s’inscrivent parfaitement dans la logique et dans la tonalité générale de « Look now ».
Costello & The Imposters
Bacharach, c’est une des institutions du Brill Building (cet immeuble de Manhattan qui servait de repaire aux auteurs-compositeurs dans les années 60). Parce qu’à l’époque, au siècle dernier encore vierge de toutes les saloperies voyeuristes du Net, genre Instagram, Facebook et consorts, la situation aux States était simple : hormis les blueseux et les folkeux (et dans une moindre mesure quelques rockers), il y avait ceux qui chantaient et ceux qui leur écrivaient les chansons. Ce sont les anglais, Beatles et Stones, qui ont inventé la notion de groupe où très vite, les types se sont mis à chanter leurs propres morceaux. Les Américains ont suivi, bien sûr, avec un petit temps de retard, mais la lignée des auteurs-compositeurs a eu encore de beaux jours, soit qu’il soient mercenaires ou qu’ils soient salariés par un label (Stax, Motown, …). Bacharach est un des plus illustres (des hits à la pelle pour plein de gens, dont son interprète fétiche Dionne Warwick). Toute cette digression pour dire que pour Costello, qui a toujours tourné autour de la chansonnette, travailler avec Bacharach, c’est atteindre le Graal …
« Look now » est un disque de chansons, n’ayant plus rien à voir avec le punk, le rock, le reggae, la pop, autant de genre déjà abordés il y a des décennies par Costello. Pour situer, faut envisager cette galette comme celles publiées par les grandes voix, genre Presley de la fin ou Sinatra de toujours. Le gros problème de Costello, c’est que s’il est capable d’écrire tout seul des choses d’un classicisme tarabiscoté, il lui manquait la présence et l’assurance vocales nécessaires à l’exercice. Et là pour le coup, il chante mieux que jamais, des mélodies parfois complexes où il faut cumuler technique et feeling.
Burt Bacharach 2018
Il y a des choses d’une évidence absolue, la chanson-titre (Costello et son Band plus juste Bacharach au piano), le dépouillement de quelques ballades éternelles down-tempo (« Stripping paper », « Photographs can lie »). En règle générale, les compos sont excellentes. Sauf que parfois, manière de rentabiliser tous les musicos additionnels (une armée de violons et de claviers, des vents, des cuivres, des choristes), les arrangements sont à limite de l’étalement ostentatoire de richesse. A comparer avec la production de « Imperial bedroom » (Costello aidé par rien de moins que Geoff Emerick, l’ingé-son de George Martin à Abbey Road), qui laissait respirer les chansons. Sur « Look now », les mélodies croulent, voire sont étouffées sous les arrangements. Quelquefois, il aurait fallu que Costello se souvienne que less is more, il suffit de comparer la finesse incroyable de « I let le sun go down » avec « He’s given me things » (la moins bonne des trois cosignées avec Bacharach), où pourtant l’instrumentation pléthorique est la même.
Malgré ces réserves, il reste de grands titres. Parce que tous sont pas des minots, sont des compositeurs de très haut niveau (Costello), des instrumentistes de haut vol (Steve Nieve), que tout le monde est depuis longtemps à l’abri des pressions du music business se plaît à exercer sur ceux qui débutent. Et tant qu’on en est à causer troisième âge, signalons la présence à l’écriture sur un titre, l’excellent « Burnt sugar is so bitter » d’une autre très grande du Brill Building, Carole King.
« Look now » est couplé dans sa version Deluxe avec un EP quatre titres (« Regarde maintenant ») de facture et de ton similaires, mais qui donne l’occasion d’entendre Costello chanter en français (« Adieu Paris »). Enfin on sait qu’il chante en français en lisant les paroles, parce que c’est encore plus incompréhensible que la VF du « Heroes » de Bowie, ce qui n’est pas rien …
« Look now » un bon disque de Costello ? Affirmatif. Du niveau de ses meilleurs ? Euh, faut pas pousser …



Du même sur ce blog :
My Aim Is True

PAUL McCARTNEY - EGYPT STATION (2018)

Les six gares du Pharaon ?

Sir Paul McCartney, musicien anglais, né en 1942, et donc 76 ans au compteur. Des types dans son genre qui étaient là au début du machin, il en reste vivants, en comptant large, une paire de poignées dans le rock-pop-bidule-truc … Et bizarement, la plupart continuent de sortir des disques et de donner des concerts. Alors qu’ils sont multi-milliardaires et pourraient se la couler douce en EHPAD en faisant sauter leurs arrière petits-enfants sur leurs genoux …

Faut croire que pour continuer dans la musique à ces âges canoniques, ils le font parce qu’ils aiment ça et que de toute façon ils savent pas et n’ont pas envie de faire autre chose. Mourir sur scène semble être la fin recherchée par les Jagger, Richards, Lewis, Little Richard, Townsend, Daltrey, Davies, Morrison. Et Macca donc (ouais, je sais, j’ai oublié Ringo, qui est plutôt bien sur scène avec son All-Star Band, mais qui a jamais sorti un disque écoutable de sa vie en solo …).
Donc le dernier McCartney s’appelle « Egypt Station », se présente sous la forme d’un carton dépliant genre accordéon et est enluminé par des peintures du Paulo himself. Ah ouais, il y a un dique à l’intérieur aussi. Certains disent que c’est son meilleur depuis « Chaos and creation … », voire depuis « Band on the run ». Les plus sourds de ses fans citent même « RAM » (ce qu’ils prouve qu’ils sont sourds, « RAM » s’apparentant beaucoup plus à une purge qu’à un chef-d’œuvre). Certains, perdant tout sens de la mesure et de la retenue évoquent la seconde face de « Abbey Road »… Faut raison et oreille objective garder, les enfants …
« Egypt Station », d’accord, il est pas mal, et oui, c’est sûr, Sir Paul il en a sorti de plus mauvais que ça. De là à miauler au génie retrouvé …
D’abord, le Paulo, il a plus toute sa voix. Il chante toujours bien et juste, mais ne prend aucun risque (comme le Bowie de la fin) et sa voix n’est plus reconnaissable à la première mesure, elle est devenue quelconque.

Des fois aussi, le Paulo, il a plus toute sa tête, ni toutes ses oreilles. Il y a dans « Egypt Station » des titres qui auraient dû rester dans les tiroirs de Capitol. Surtout qu’il nous en sert quatorze (plus deux courts intermèdes comme les rappeurs bas du front en glissent dans leurs rondelles) pour quasiment une heure. Le calcul est simple, un tiers de titres en moins, ça aurait fait quarante minutes qui auraient eu de la gueule.
Yeux bandés et direction le poteau d’exécution, sont appelés à comparaître « Hand in hand » ballade au piano comme Obispo peut en écrire une chaque matin, l’idiotie new wave « Back in Brazil » (on est plus en 1980, Paulo, c’est quoi ce machin ?). « Caesar rock » n’est ni rock ni impérial (parenthèse subliminale, ça me renvoie l’image d’un atroce disque d’Iggy Pop « American Caesar »). Quand aux deux choucroutes à la chantilly et crème de marron que sont « Despite … » (on dirait du Genesis des années 80, la honte …) et le medley « Hunt you down … » gâché par une ignoble partie centrale sur un rythme de valse électronique, ils montrent bien que Sir Paul ne changera jamais, capable de temps à autre de livrer des machins d’une mièvrerie et d’un je m’en foutisme édifiants (on peut pas refaire à chaque coup un « Hey Jude » en étant en totale roue libre…).
Greg Kurstin & Sir Paul
Ce qui fait quand même un gros de paquet de titres, qui ne changeront certes pas la face du monde, mais qui se laissent écouter, et plutôt plusieurs fois qu’une. Parce que Macca est un génie de la chanson mélodique, que la recette c’est quasiment lui tout seul qui l’a inventée, et qu’il est encore capable de la retrouver quand il veut … Meilleurs exemples, des titres comme « Do it now » ou « Dominoes », la première aurait pu être écrite il y a cinquante ans du temps de son groupe de jeunesse, la seconde aurait pu figurer telle quelle sur « Band on the run »… tant ça sonne en roue libre, d’une simplicité confondante. A priori des machins totalement anecdotiques, mais les types capables d’écrire des chansons comme ça, en comptant ceux qui peuplent les cimetières, il en a pas existé une demi-douzaine. Surtout que sans avoir l’air d’y toucher, le Paulo est aussi capable de sortir des titres qui te mettent l’eau à la bouche avant même d’en avoir entendu la moindre note. On ne baptise pas impunément un morceau « People want peace » sans que le fantôme d’un sien ami de jeunesse à binocles rondes chantonnant « Give peace a chance » surgisse immédiatement. Surtout quand le morceau en question sonne comme du Lennon du début 70’s… « I don’t know » d’entrée, commencée sobrement au piano et qui gagne peu à peu en ampleur, rien à dire, c’est bien foutu, même si Macca a fait mieux dans le genre … « Happy with you » tu peux croire que c’est un inédit de « Rubber soul » ou « Revolver », tous les ingrédients sont là … Et « Fuh you » montre que McCartney peut atteindre des sommets stratosphériques en faisant aujourd’hui encore aussi bien que les plus doués de ses imitateurs (MGMT ou The Coral au hasard)
Tout ça nous fait un disque certes un peu longuet, doté d’un son roboratif (Greg Kurstin, coupable d’avoir gagné sa vie en produisant toutes les Lily Allen, Beyoncé, Britney Spears, Katy Perry, Pink, … qui passaient à portée, avant de revenir ces derniers temps dans le droit chemin en bossant pour les Shins, les Foo Fighters ou Liam Gallagher), de types qui assurent (contrairement à ce qui est parfois annoncé, « Egypt station » n’est pas un disque solo même si le Paulo est crédité de tous les instruments, plein de gens, dont notamment les types qui l’accompagnent sur scène jouent sur le disque), une grosse poignée de bonnes chansons…
On va pas lui jeter la pierre pour ça, ni d’un autre côté présenter « Egypt Station » comme un mausolée musical. McCartney a fait ce qu’il sait faire de mieux, un disque de McCartney …



Du même sur ce blog : 
McCartney



VINCE TAYLOR - VINCE..! (1965)

Il portait un blouson de cuir noir ...

Et je sais pas s’il y avait un aigle sur le dos… Vince Taylor, c’est le rocker tout de cuir noir vêtu, un look pompé sur Gene Vincent… Qui a dit Dick Rivers ? Tu sors, mais sache que tu n’as pas tout faux, le Niçois a souvent fait les premières parties du Vince et s’est fringué comme lui. Même si sur la pochette de ce « Vince .. ! », Taylor est plutôt en chemise à jabot de Prisunic, genre farfadet psychédélique fauché (on est en 1965, les cheveux et les fleurs commencent à pousser).
Vince Taylor
Vince Taylor est Anglais. Il fait partie de ces pionniers du wockanwoll, mais joue médiatiquement en seconde division. Son seul titre de gloire est un demi-classique « Brand new Cadillac » publié en 1959 comme face B d’un 45T dont on a oublié la face A. Vince Taylor (Brian Maurice Holden pour l’état-civil) est au moins bizarre, voire un peu cinglé. Allez savoir pourquoi, il est un des premiers à bénéficier d’un culte en France, alors qu’il est quasi inconnu dans le reste du monde (avant Johnny Thunders, Alan Vega, Pete Doherty, et autres bizarros du même acabit). Faut dire qu’il s’est fait remarquer au début des 60’s dans des « galas » (on appelait les concerts comme ça à l’époque) qui finissaient souvent en vrille (le saccage du Palais des Sports en 1961). A la rue chez lui, il sera signé en France par Eddie Barclay qui essaiera de l’imposer dans des styles assez disparates, n’ayant souvent que peu de choses à voir avec le rock’n’roll des origines.
Après avoir eu comme backing band les Play Boys, Taylor engage (merci Barclay) le Bobby Clark Noise, groupe du batteur Bobby Clark (qu’on retrouvera un peu plus tard chez Johnny). Bobby Clark s’étant fait remarquer de ses contemporains en étant soi-disant le premier dans le rock à utiliser un kit de batterie à double grosse caisse. Les types donnent de bons concerts, et Barclay voit tout l’intérêt de sortir un disque en public. Mais manière d’assurer le coup, le disque en public sera enregistré … en studio … comme tant d’autres. Bon, même en ces temps antédiluviens, les ingés son faisaient bien le boulot, et on a droit sur ce « Vince ..! » à une vraie fausse présentation d’un certain Mike « Rosco » Prescot, à des applaudissements du public qui vont croissant, et des demandes de rappel hystériques. Bref on s’y croirait …
Son nom est écrit sur la batterie ...
On s’y croirait d’autant plus que les types même en studio ont joué et chanté tous ensemble en même temps, et puis qu’ils se sont lâchés. Ce « Vince.. ! » a une grosse réputation. Et aussi une certaine valeur chez les collectionneurs, parce que peu souvent réédité (la dernière fois en 2008 en quantités limitées) et jamais en Cd. Question : faut-il lâcher une trentaine d’euros pour la demi-heure de « concert » en vinyle état mint ? Faut voir …
Déjà, il est quand même conseillé de connaître un peu Vince Taylor, qui a grosso modo alterné des bas et des moins bas (si un grabataire fan du bonhomme passe par là, qu’il économise le post d’insultes, je m’en tape et j’y répondrai pas). Vince Taylor n’est pas un grand chanteur, compose peu (ici sur neuf titres, il en cosigne un seul « The men from El Paso » avec son guitariste Ralph Danks) et passe du coq à l’âne au niveau des reprises (entre « Jezebel » d’Aznavour, « Summertime » de Gershwin, « Trouble » d’Elvis, enfin de Leiber & Stoller, on dira pour être gentil que ça ratisse large …).
En gros, la première face est dispensable, et les deux cuivres du groupe n’ont pas trop à se fouler niveau imagination, les titres sont abordés soit façon rhythm’n’blues, soit jazzy, soit (tocade toute personnelle du Vince) façon mariachi. Témoin du quasi naufrage, la reprise de « Long Tall Sally » de Little Richard. Putain, ça fait combien de fois que je l’écris que faut faire très gaffe avec Petit Richard, faut avoir le coffre et l’hystérie pour le reprendre, et c’est pas donné à grand monde …
Vince Taylor & Bobby Clark Noise
La face B de la rondelle est heureusement bien meilleure. Une version énervée (c’est bien le moins, le Vince sait de quoi il parle en terme de baston) de « Trouble » avant la masterpiece du disque. Ça s’appelle « Clank Pt 1 & 2 », et pas de bol pour Vince, c’est un solo de plus de cinq minutes de Bobby Clark, un solo et physique et technique qui met en valeur sa double grosse caisse. Ce titre a fait son petit effet chez les batteurs et les musiciens de l’époque, bien que les grincheux argueront qu’un solo de batterie, c’est généralement aussi intéressant que la lecture d’un annuaire téléphonique … Mais après ça, le Vince se lâche sur « High Heel Sneakers » et « My Baby left me » qui concluent le disque. Il rentre dans le lard des deux classiques, préfère la rage à la justesse, et entraîne le reste de sa troupe qui doit y aller à fond pour suivre la cadence infernale du leader, toute en accélération permanente. Et là, on est plus dans les fuckin’ fanfares mexicaines, on est dans le rock’n’roll brut, sauvage, et qui se pose pas de questions …
Bon, l’impact de ce « Vince .. ! » restera confidentiel. De toute façon, vu l’état assez erratique de Taylor, même un gros succès n’aurait pas changé grand-chose pour lui. Toujours proche de son armoire à pharmacie, il va aller vers des drogues de plus en plus dures qui le tiendront pendant des lustres dans un état de clochardisation quasi permanent, ses rares apparitions publiques ou discographiques à partir des années 70 ne faisant rien pour arranger sa réputation …
La légende était déjà imprimée, Vince Taylor serait l’ange noir du rock’n’roll … en France …