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FRANCOIS TRUFFAUT - LE DERNIER METRO (1980)

 

Le meilleur vers la fin ...

J’ai un point commun avec Depardieu … enfin, presque deux … j’aime bien le (bon) pinard, sans trop de modération, mais dans des proportions nettement moins pantagruéliques que le Gégé. Ce qui m’évite par exemple d’avoir des réflexions avinées sur la supposée humidité de l’entrejambe de cavalières nord-coréennes de dix ans … bon, je fais comme lui, je m’égare …

Revenons donc au point commun cinématographique avec le Gégé. Il avoue d’entrée, dans les bonus du Blu-ray du « Dernier métro », que quand Truffaut lui a proposé le rôle principal, il a pas sauté au plafond. Depardieu, il reconnaît du talent (et de l’importance) à Truffaut, mais toute sa filmo, qu’il s’agisse des « historiques » des débuts ou des années 60, ou des autres plus récents, ça le laissait assez froid. Perso, je pense que « Le dernier métro » est d’assez loin ce que Truffaut a fait de mieux. Pour plein de raisons, mais je vais pas comparer à ceux d’avant, je vais m’en tenir à celui-là …

Depardieu, Deneuve & Truffaut

« Le dernier métro », il fonctionne à plein de niveaux.

C’est un film sur les relations humaines, c’est un film sur les acteurs, c’est un film sur l’Occupation. Et quel que soit le côté de la lorgnette par lequel on l’appréhende, ou dans sa globalité, ça confine à la copie parfaite.

Mais avant le premier tour de manivelle (dans une usine désaffectée de la région parisienne transformée en studio), faut du boulot en amont. Un scénario dans lequel Truffaut s’est énormément impliqué, Paris occupé, il l’a connu dans son enfance (il est né en 1932). Il a mis son propre fric dans la production, il s’est entouré de proches (Delerue pour la musique, Jean-Louis Richard et Marcel Berbert, habitués de ses génériques, pour des seconds rôles). Et surtout, il a pris en tête d’affiche les deux meilleurs acteurs de l’époque, en voie d’icônisation. Deneuve est déjà la star féminine du cinéma français depuis presque deux décennies, et Depardieu depuis quelques années n’en finit plus de signer de grandes performances (dans l’année qui précède « Le dernier métro », on l’a vu dans des rôles principaux dans « Buffet froid » de Blier, « Mon oncle d’Amérique » de Resnais et « Loulou » de Pialat, rien que ça …). Le reste du casting est composé de « valeurs sûres » de l’époque (Andréa Ferréol, Jean Poiret, Paulette Dubost, Maurice Risch, et les petits « nouveaux », Sabine Haudepin, et une paire de scènes pour Richard Bohringer). J’ai pas cité (volontairement) dans la liste ci-dessus Heinz Bennent, pourtant troisième rôle majeur du film (Lucas Steiner), dont le personnage est plutôt passif et sous-employé, et pas interprété d’une façon transcendante.

Depardieu, Poiret, Deneuve & Haudepin

« Le dernier métro » c’est un film sur un triangle amoureux. Steiner et sa femme Marion (Deneuve), pourtant unis dans l’adversité, vont voir leur couple mis à mal avec l’arrivée de Bernard Granger (Depardieu). De regards fugaces en gênes réciproques, on voit les braises qui couvent se transformer en brasier, les baisers rapides, les gifles monumentales, avant l’aveu réciproque. Et un final équivoque, qui renvoie à Jules et Jim (le dernier plan), alors que Truffaut s’est déjà auto-cité (des répliques issues de « La sirène du Mississippi » sont la conclusion de la pièce de théâtre). Mais l’amour ne concerne pas que les acteurs principaux, les seconds rôles ont aussi leur vie affective (Andréa Ferréol est homosexuelle, occasionnellement en couple avec Sabine Haudepin, Jean Poiret est aussi homo, Maurice Risch aimerait se taper des gonzesses, il ne réussit qu’à se faire vamper par une voleuse qui en pince pour les beaux uniformes allemands, …).

« Le dernier métro », c’est un film sur les acteurs. Les acteurs de théâtre et leur « monde ». On ne compte plus déjà à l’époque les films sur le cinéma. Ceux sur le théâtre sont plus rares, et le parallèle (pour de multiples raisons) avec le Lubitsch de « To be or not to be » (« Jeux dangereux » en V.F.) est le plus évident. « Le dernier métro » nous montre tout le processus de création, de mise en scène, de répétitions, de gestion des espèces sonnantes et trébuchantes, … et aussi des égos qui se retrouvent et parfois s’affrontent en coulisses. Ce qui implique que les acteurs doivent jouer différemment dans le monde « réel » du film et ensuite sur les planches du théâtre, parfois à la suite dans la même scène. A ce jeu-là, Depardieu est impressionnant, et Deneuve, qui a une peur panique du théâtre et n’a jamais joué dans une seule pièce, s’en tire plus que bien. Le tout dans un contexte particulier, celui du Paris de 1942-1943, sous l’Occupation allemande.

Deneuve & Bennent

Et c’est à ce niveau-là que « Le dernier métro » est le meilleur. Les personnages principaux du film n’ont pas existé, la pièce qu’ils montent non plus, mais certaines scènes qu’ils jouent sont vraies et reposent sur des faits ou anecdotes historiques certifiées. Eléments validés (à une paire de détails mineurs près) dans les bonus par un historien (Jean-Pierre Azéma) spécialiste du Paris occupé . Le personnage historique central est Daxiat (interprété par Jean-Louis Richard), rédacteur en chef du journal pro-nazi « Je suis partout ». Ce journal (crée par Brasillach et quelques autres extême-droitards dans les années 30), a réellement existé et Daxiat est un pseudo juridique pour Alain Laubreaux (rédacteur omnipotent des pages culture, aux nombreuses accointances avec les miliciens, les gestapistes et la Wehrmacht, exilé en Espagne au moment du tournage et condamné à mort en France par contumace). Et la scène où Daxiat est pris à partie par Depardieu et finit par se faire rosser avec sa propre canne, est le copier-coller d’une vraie rouste infligée par Jean Marais à Laubreaux qui venait de dégommer dans « Je suis partout » la dernière pièce de Cocteau. Autre exemple de souci maniaque du détail, quand Marion Steiner se rend au QG des Allemands et demande à voir un officier supérieur, elle finit par apprendre qu’il vient de se suicider. L’historien, au vu des dates, a le vrai nom du type … ça, c’est pour le cours d’Histoire de haut niveau. Truffaut situe aussi tous ses personnages dans le Paris occupé des années 1942-1943, et nous montre tous les cas de figure. Ceux qui sont Résistants ou vont rejoindre la Résistance (Depardieu), les Juifs pourchassés (Lucas Steiner), et les retombées pour leur famille (Marion Steiner), les collabos (Daxiat), les débrouillards (Maurice Risch), les arrivistes (Sabine Haudepin, la copine de Risch), ceux qui ménagent la chèvre et le chou (Poiret), les miliciens (Bohringer), …

Le tout dans le contexte de l’époque (le dernier métro qui donne son titre au film, c’est la rame vers laquelle on se précipite avant minuit, heure du couvre-feu), avec le marché noir, les tickets de rationnement, les coupures d’électricité, les alertes de bombardement par les Anglais, … et puis, dans le milieu artistique bourgeois et friqué, ces virées toute la nuit (faut juste pas être dans la rue entre minuit et six heures du matin) dans les clubs chicos au milieu des denrées inaccessibles au vulgum pecus (champagne à volonté) et des gradés allemands …


Toute la réussite du « Dernier Métro », est due à son accessibilité (la lecture peut se faire à plusieurs niveaux, mais au premier degré, ça fonctionne déjà parfaitement), et Truffaut, novateur rétrograde, académiste révolutionnaire, signe ce qui est pour moi sa masterpiece. Depardieu, méfiant au début, est bluffé, se donne à fond, passe du queutard entreprenant de la première scène à l’amoureux sans espoir de sa partenaire tout en risquant gros avec ses machines infernales qu’il bricole et son engagement dans la Résistance. Truffaut décidera d’en faire son acteur fétiche, multipliera les projets pour lui, la maladie en décidera autrement, seule « La femme d’à côté » paraîtra. Deneuve, au sommet de sa beauté, trouve là un de ses meilleurs rôles, toute en incandescence glaciale, dans un personnage à la « Belle de jour ». Hormis Bennent, le reste du casting fait ce qu’il peut pour se hisser au niveau de ces deux grosses prestations.

Juste un (petit) reproche : la dernière scène (celle de l’hôpital) hésite (volontairement, on peut pas laisser passer de tels pains au montage) entre réel (quand Deneuve entre dans la salle commune, il y a un arrière plan « vivant », les gens se déplacent, fument dans le bâtiment derrière les fenêtres) et théâtre (quand elle rejoint Depardieu, l’arrière-plan est un décor), du coup le twist final perd un peu son effet …

« Le dernier métro » est le recordman absolu des César (dix). Ce qui ne veut pas forcément dire que c’est le meilleur film des quarante dernières années, mais que c’est tout de même un très grand film …


Du même sur ce blog : 

Tirez Sur Le Pianiste




STEVEN SPIELBERG - LINCOLN (2012)

 

Bigger than life ...

Spielberg le dit lui-même, il avait quatre ou cinq ans quand on l’a amené visiter le mémorial de Lincoln, et la statue massive du 16ème Président des Etats-Unis qui en orne l’entrée l’avait très fortement impressionné. Un film sur Lincoln, il a toujours voulu le faire. Plus de soixante ans après sa visite scolaire, ce sera chose faite …

Day-Lewis & Spielberg

Sauf que … on ne s’attaque pas impunément caméra au poing à une grande figure historique (en l’occurrence la plus grande des USA), on risque gros (n’est-ce pas Ridley ?) … Et puis, bon, je connais le topo. Chaque fois qu’un artiste dans la littérature, la musique, le cinéma, parle de sa dernière œuvre, c’est toujours pour dire que c’est le projet qu’il avait en tête depuis longtemps, qu’il en est très fier, et que c’est son meilleur … Alors je sais pas si « Lincoln » traînait depuis des décennies parmi les envies de film de Spielberg, ni s’il en est vraiment fier … Est-ce que c’est son meilleur ? Pas grand-monde le pense, faut dire qu’il en a fait tellement de meilleurs les uns que les autres, que le choix est difficile. Je vais pas faire un numéro vain et prétentieux pour démontrer que le Steven il a jamais fait mieux, par contre c’est un film qui conservera une place singulière dans sa filmo. Parce qu’il est à part. Spielberg, c’est un peu comme Bowie en musique, il a touché à plein de genres, et dans plein de genres, il a laissé des œuvres marquantes et à succès.

« Lincoln » donc. Dont la vie et l’œuvre politique ont modifié à jamais les Etats-Unis et qui continue, au moment où le film est mis en chantier, près de cent cinquante ans après sa mort, à être une source inépuisable de publications, historiques pour la plupart, tout ce qu’il y a de plus sérieuses. Lincoln a beaucoup écrit, ses proches aussi, et il y a matière à détailler et affiner ce que l’on sait de lui. Spielberg va éviter l’exercice casse-gueule de la fresque biographique. Après la lecture d’un bouquin, « Team of rivals » de l’historienne Doris Kearns Goodwin, Spielberg décide que son film sera centré sur les derniers mois de la vie de Lincoln, soit la fin de 1864 qui commence à voir le déclin militaire des confédérés (en un seul mot), le tournant du 31 Janvier 1865 (vote du XIIIème amendement), et sa mort en Avril 1865. Le seul écart à cette chronologie sera la dernière scène, un flashback sur le discours d’investiture de Lincoln à l’occasion de son second mandat en Mars 1865.

M et Mme Lincoln

Spielberg a un bouquin sérieux comme point de départ. Anecdote. Spielberg, en galant homme, a souvent convié la Goodwin sur le plateau (elle avait un vague titre de consultante). Il faut voir cette intellectuelle, la soixantaine bien tassée, s’extasier comme une enfant devant les décors, les costumes, les dialogues, recréant à la perfection un pan d’Histoire de son pays. L’adaptation du bouquin en scénario sera l’œuvre de Tony Kushner, partenaire de Spielberg sur « Munich », qu’on retrouvera également sur « West Side Story » et « The Fabelmans ».

Ironie (volontaire) du sort, « Lincoln » sera en tourné en Virginie (l’Etat confédéré où ont eu les lieu les combats les plus violents de la Guerre de Sécession), et la Maison Blanche sera recrée à Richmond (la capitale de la Confédération), non par provocation, mais car le Palais du Président dissident sudiste avait été construit comme une quasi réplique de la Maison Blanche, y’avait juste les colonnes d’entrée à rajouter.

« Lincoln » commence comme « Il faut sauver le soldat Ryan ». Par une scène de guerre, une bataille dans un marais entre des Sudistes et un détachement de l’Union (les Nordistes) composé uniquement de Noirs. Là, dans la gadoue, ça finit au corps-à-corps et on s’achève à l’arme blanche. Le parallèle entre les séquences introductives des deux films n’est sûrement pas dû au hasard, mais la baston apocalyptique de « … Ryan » devient ici beaucoup plus soft (pas de sang qui gicle sur l’objectif, pas de sang tout court d’ailleurs). Non pas que Spielberg ne soit pas capable de récréer une boucherie militaire, mais dans « Lincoln » ce n’est pas le propos. Il y a la guerre, c’est tout sauf glamour, il faut situer, mais « Lincoln » n’est pas un film-spectacle ou spectaculaire.

« Lincoln » est un film de dialogues et d’acteurs.


Et là, il est temps de parler de Daniel Day-Lewis qui joue Lincoln. Rectification, Daniel Day-Lewis ne joue pas Lincoln, il est Lincoln. Mais vraiment. Comme à son habitude, il s’est extrêmement documenté, fouinant dans les bibliothèques universitaires, lisant quantité de discours de Lincoln, scrutant ses photos, … pour au final opérer sa mue en Président des USA des années 1860 (on peut dire des 60’s, ça marche pour tous les siècles ?). Les anecdotes, certaines ni confirmées ni infirmées, sont légion concernant Day-Lewis sur le tournage. Il aurait banni à titre perso tout moyen de communication qui ne soit pas d’époque (no phone, no internet, …), communiquait volontiers par écrit sur le papier à en-tête de la Maison Blanche utilisé dans le film, exigeait que tout le monde sur le plateau (Spielberg compris) l’appelle uniquement « Président » ou « Monsieur le Président », … ça peut évidemment paraître too much, voire stupide, mais c’est en opérant à peu près de la sorte sur chaque film, qu’on devient (à mon avis) le meilleur acteur de sa génération et aussi de toutes celles d’avant … Daniel Day-Lewis porte le film à bout de bras. Parce que « Lincoln » n’est pas « facile ». Tourné en lumière « d’époque », c’est-à-dire avec des intérieurs sombres ou dans la pénombre, des costumes qui ont peu à voir avec ceux de la tournée d’adieux (qui a dit enfin ?) de Kiss, et des acteurs-personnages qui s’ils furent les héros de leur temps, ne se conduisent pas exactement comme les Avengers …

« Lincoln » est fascinant parce qu’il nous montre que rien n’arrive par hasard. Lincoln (l’homme) n’est pas un chanceux qui a eu les bonnes idées au bon endroit au bon moment. Lincoln a mûri ses projets, ses visions et s’est donné les moyens de les mener à terme. Il n’a pas subi ou profité des circonstances, il a écrit de façon méthodique l’Histoire. « Lincoln » est un film politique, qui montre et dissèque les arcanes du pouvoir, les visions et les convictions des uns et des autres. Et au milieu, en précurseur des Churchill ou Mitterrand à venir, celui qui d’en haut tire les ficelles. Passionnant de voir le trio d’hommes de l’ombre qui vont « chercher » les votes par le chantage, l’intimidation, la corruption … Passionnant de voir Lincoln lui-même mettre les mains dans le cambouis (sa visite nocturne à un sénateur), chercher à convaincre des proches parfois réticents par la démonstration méthodique ou par la force (« je suis le Président des Etats-Unis, j’ai des pouvoirs immenses et je vais les utiliser »).

Malgré sa complexité, ses multitudes d’enjeux et de personnages secondaires, le récit reste fluide. Ben oui, c’est Spielberg, qui évite l’écueil de mettre en images une thèse d’histoire, qui fait un film, qui alterne des scènes fortes (celle, somptueuse, de Lincoln à cheval traversant lentement un champ de bataille jonché de cadavres dans un brouillard bleuté, est une des plus belles qu’il ait jamais tournées), avec des passages plus légers (quasiment toutes celles avec ses trois truculents hommes à tout faire). Spielberg qui choisit également de mettre en avant le cercle familial de Lincoln, les relations parfois compliquées avec sa femme (jouée par Sally Field), son fils (Joseph Gordon-Lewitt), ses soutiens politiques (Thaddeus Stevens, là aussi gros travail d’acteur de Tommy Lee Jones), ses moments de décompression (il raconte des histoires drôles quand les évènements ne le sont pas, comme Louis XVI il bricole des horloges). Lincoln n’a pas été qu’un visionnaire politique, c’est par la force des choses un chef de guerre, appliquant les théories de Clausewitz (« la guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens »). Et par-dessus tout, Lincoln ne quitte jamais son but : rajouter à la Constitution un XIIIème amendement, celui qui abolit l’esclavage. Avec l’aide de son chef militaire, Ulysses Grant (qui deviendra Président quelques années plus tard), il profite de son avantage sur le terrain pour retarder au maximum les négociations de paix avec un Sud exsangue, et faire voter son amendement sachant que celui-ci serait forcément une monnaie d’échange si une fin de guerre était discutée. En quelque semaines, Lincoln réussit un échec et mat sur les plans militaire et institutionnel … fin de la leçon d’histoire …


Mais tout ça pour dire qu’il faut du talent derrière et devant la caméra pour pas endormir le spectateur. Spielberg n’utilise aucune des grosses ficelles qui lui tendaient les bras. Juste une séquence émotion lors du vote au Sénat. Plus fort, et véritable coup de génie, l’assassinat de Lincoln n’est pas montré (juste une annonce et le regard hagard de son plus jeune fils), on voit juste son cadavre sur un lit, éclairé et avec une disposition des personnages qui rappelle les tableaux ou les sculptures de Pietà de la Renaissance (ou la pochette du « Closer » de Joy Division).

Perso, la scène qui m’a le plus marqué, elle est pas dans le film, mais dans les bonus du Blu-ray. Après la première scène de bataille dans la gadoue nécessitant quelques dizaines de figurants, on voit Spielberg qui serre la main et dit un petit mot à tous ces obscurs qui passent devant lui façon procession et sans qui les films ne pourraient pas se faire.

Une anecdote racontée par Spielberg. Une fois la dernière scène tournée, il a tenu à aller voir et féliciter son acteur principal pour sa performance hors-norme et son immersion totale pendant des semaines dans son personnage. A sa grande stupéfaction il n’a pas vu Lincoln, mais Daniel Day-Lewis qui avait retrouvé son accent irlandais et ses manières de gentleman britannique, qui était redevenu « normal » en l’espace de quelques minutes. Cette rencontre et cette métamorphose en quelques minutes l’a encore plus soufflé que sa performance dans le film …

Conclusion : quand le plus grand cinéaste de son temps rencontre le plus grand acteur de son temps, ça peut pas être mauvais …

Conclusion-bis : les réacs et rétrogrades, ceux qui voyaient l’avenir en regardant dans le rétroviseur étaient Sudistes et Démocrates. Lincoln était Républicain. Quand on voit que les Républicains d’aujourd’hui mettent en avant un clown pathétique à perruque orange, on se dit que les choses ont bien changé au pays de l’Oncle Sam …


Du même sur ce blog :


LUCHINO VISCONTI - LE GUEPARD (1963)

 

Pour qui sonne le glas ? ...

… Pour quelque miséreux, à qui le prêtre et un petit sacristain viennent d’apporter l’extrême onction. Le Prince Salina s’agenouille, se signe, et reprend son chemin vers son château, après une nuit passée dans une fastueuse réception … Et ce glas, c’est pas seulement pour un péquenot du village qu’il sonne, il annonce aussi la fin d’un certain monde, celui de Salina …

Cardinale, Visconti & Delon

« Le Guépard », c’est la masterpiece de Visconti, et le Luchino, c’est peut-être bien le meilleur cinéaste italien (désolé Fellini, Antonioni, De Sica, et il reste encore du boulot à Sorrentino s’il veut lui piquer la place) et « Le Guépard », c’est sa superproduction et par bien des points son film autobiographique …

D’ailleurs beaucoup de gens lui disaient qu’en plus de réaliser, il devait prendre le rôle principal. Finalement, après l’échec des pistes Brando et Laurence Olivier, c’est un Américain pur jus, qui n’a jamais tourné avec un « étranger » qui sera choisi. Choix a priori étrange que celui de Burt Lancaster pour incarner un prince sicilien, lui qui ne parle qu’anglais et qui paraît-il ignorait jusqu’à ce qu’ils se rencontrent (à New York), l’existence même de Visconti …

« Le Guépard », c’est d’abord un bouquin, le seul du Prince de Lampedusa, paru en 1958. Pour la petite histoire, « Le Guépard » est, c’est le moins que l’on puisse dire, largement inspiré par le roman de Federico de Roberto, « Les Princes de Francalanza ». Les deux romans situent l’action à partir de 1860 en Sicile, et les principaux protagonistes font partie de l’aristocratie sur le déclin de l’île … Ce déclin des aristos siciliens, fervents soutiens d’une monarchie qui va être balayée par les Républicains (en gros Garibaldi le militaire qui débarque une petite armée insurrectionnelle en 1860 en Sicile, et Cavour le politique sur le continent, bien que les deux hommes se détestent).

La famille Salina

Les éléments historiques sont présents dans « Le Guépard ». Dans une des premières scènes, Tancrède (Alain Delon), neveu du Prince Salina (Burt Lancaster donc), annonce au patriarche de la famille qu’il va aller rejoindre les troupes de Garibaldi qui marchent sur Palerme. Déjà se mettent en place les deux personnages principaux, le vieil aristo lucide qui sent confusément que des siècles d’histoire vont être balayés et son neveu qui entend se faire une place dans ce monde nouveau plus par opportunisme que pour une conversion aux valeurs républicaines. Ce qui vaudra cette réplique d’anthologie de Tancrède : « Si nous voulons que tout reste pareil, il faut que nous changions tout ».

Le scénario du « Guépard » aurait pu donner un film intimiste, genre théâtre filmé. Sauf que Visconti est vénéré en Italie et il entend faire de son film quelque chose de marquant. « Le Guépard » sera le plus gros budget jamais engagé par une production italienne (la colossale somme pour l’époque de trois milliards de lires) et va aller jouer dans la même cour que les superproductions américaines. La version intégrale du film dépasse les trois heures, celles distribuées par Pathé pour la France (Palme d’Or à Cannes) et la Fox pour le reste du monde la raccourcissent d’à peu près un quart d’heure. Les dernières éditions Dvd et Blu-ray proposent la version intégrale, dont notamment une belle scène entre le régisseur / garde-chasse (excellent Serge Reggiani) et le prince Salina. Ces scènes « supplémentaires » n’ont jamais été doublées et sont donc en V.O. sous-titrée, on les reconnaît facilement …

La bataille de Palerme

Alors oui, « Le Guépard » est une superproduction avec son budget « no limit ». Esthétiquement et par certaines scènes-clés, la comparaison qui me semble la plus évidente est avec « Autant en emporte le vent ». Le chaos de la bataille de Palerme à grands coups d’effets pyrotechniques en tout genre, évoque les scènes de la bataille d’Atlanta, notamment le fuite de Rhett et Scarlett dans la ville en flammes, et les deux films comportent chacun une homérique (par la durée, les décors, les costumes, le grand nombre de figurants) scène de bal.

Bon, je vais vous donner mon avis, ferme, définitif, etc … « le Guépard » est trop long, à cause justement de cette scène de bal qui n’apporte plus grand-chose à l’intrigue, et est en grande partie là comme une démonstration virtuose pour en foutre plein les mirettes du spectateur. L’histoire est déjà finie à ce moment-là, les protagonistes principaux sont tous arrivés où leur destin les a conduits. Il n’en demeure pas moins que « Le Guépard » est une réussite magistrale.

Parce qu’il y a de grands acteurs. Lancaster surprend, lui qui était plutôt cantonné au rôle de bon soldat américain, forcément américain (« Tant qu’il y aura des hommes » était jusque-là sa prestation la plus aboutie). Il est ici ce patriarche écrasé par des siècles de prééminence qui comprend que le monde change et que cette Italie en train de naître n’a pas besoin de gens comme lui (superbe scène avec l’émissaire du gouvernement qui lui propose un poste de sénateur, et qui donne lieu à une fulgurante réplique de Salina « Nous étions les guépards, ceux qui nous remplaceront seront les chacals »). Il a compris que malgré les honneurs que les villageois lui rendent encore (autre superbe scène lorsque le cortège familial qui fuit en calèches Palerme en insurrection pour son château à la campagne, est accueilli en grandes pompes avec fanfare et messe immédiatement célébrée en leur honneur à laquelle ils assistent tout poussiéreux du voyage dans leurs immenses sièges réservés), son mode est en train de s’écrouler.

L’inexorable déclin de l’aristocratie sicilienne va de pair avec celui des ecclésiastiques, montré à travers la figure drolatique du prêtre de la famille, forcé de s’adapter aux bouleversements politiques et moraux de l’époque. Le contexte historique est bien saisi, avec les arrivistes, les profiteurs de révolution qui prennent à toute berzingue ce que l’on n’appelait pas encore l’ascenseur social (Tancrède bien sûr, qui passe aisément de républicain à royaliste « libéral », mais aussi le maire du patelin, autre personnage comique, paysan mal dégrossi qui devient immensément puissant et riche).

Mais « Le Guépard » n’est pas seulement politique ou social. Il y aussi une love story qui occupe une grande part du film. Celle entre Tancrède (Delon a-t-il été plus beau, mieux mis en valeur que dans ce film ?) et Angelica, la fille du maire parvenu. Angelica, c’est Claudia Cardinale (elle a déjà tourné avec lui sous la direction de Visconti dans « Rocco et ses frères »). Son apparition (au bout de pile une heure de film, Visconti sait nous faire attendre) fait partie de ces visions qui se doivent de provoquer d’étranges sensations chez tout mâle normalement constitué (même si avec cinq ans de plus et quelques kilos en moins elle sera encore plus belle dans « Il était une fois dans l’Ouest »). Va donc se mettre en place une parade amoureuse au détriment de l’ancienne promise, l’effacée Concetta, une des filles de Salina (un personnage effacé, proche de celui qu’interprétait Olivia de Havilland dans, comme par hasard, « Autant en emporte le vent »).

Cardinale & Lancaster

Comme déjà dit quelque part plus haut, il y a beaucoup du Guépard chez Visconti. Il est descendant d’une illustrissime famille noble, très riche de naissance, et très respecté. C’est lui, l’aristo qui a placé le premier le cinéma italien sur la carte du monde avec « Ossessione » (« Les amants diaboliques » en français), relecture noire et fauchée de « Le facteur sonne toujours deux fois », inventant de toutes pièces dans une Italie qui commençait à être malmenée militairement (le film est sorti en 1942) un genre de cinéma fait avec des bouts de ficelle qu’on appellera le néo-réalisme. C’est Visconti qui a ouvert la porte dans laquelle allaient s’engouffrer Rossellini et De Sica. Le temps et la reconnaissance aidant, même si Visconti n’est pas un stakhanoviste des tournages (moins de quinze films en plus de trente ans), c’est lui qui le premier, inconsciemment sûrement, jettera les bases d’un cinéma européen, allant chercher capitaux et acteurs hors de l’Italie. A ce propos, il faut voir un Delon humble (pas fréquent tant le type a le melon) en 2003 ne pas tarir d’éloges sur celui qui a le plus contribué à en faire une star …

« Le Guépard » aurait dû avoir une suite. C’était pas difficile à envisager, parce qu’elle existait dans le livre de Lampedusa, la dernière partie du bouquin étant située trente ans après ce qui nous est montré dans le film. Visconti, quoique très handicapé (des AVC à répétition l’avaient condamné au fauteuil roulant) était partant, Burt Lancaster (même le Prince Salina était mort dans la suite du bouquin) aussi, et Delon aussi. C’est Claudia Cardinale qui en refusant le scénario a entrainé l’abandon du projet …

De l’avis de tous les intervenants, Visconti était extrêmement exigeant avec son casting, mais aussi toute son équipe. Le tournage de la scène dite du bal (en fait une réception avec un bal) a duré un mois, toujours de nuit, et en lumière naturelle, au grand dam des producteurs qui se faisaient livrer tous les deux-trois jours des semi-remorques plein de chandelles pour éclairer un espace immense …

La bande-son et notamment le thème principal, sont de Nino Rota. Même si c’est considéré comme un des soundtracks légendaires du cinéma, c’est assez surchargé et pas à mon sens ce que Nino Rota a fait de mieux …

Voilà, si vous avez trois heures six minutes de disponibles, vous savez ce qu’il vous reste à faire : revoir « Le Guépard ». Parce que venez pas me dire que vous l’avez jamais vu …


OLIVER HIRSCHBIEGEL - LA CHUTE (2004)

La Bête Humaine ...

Il a toujours fallu de tout pour faire un monde (immonde). Et l’histoire de notre morceau de caillou et d’eau qui se réchauffe est pleine de tristes figures qui ont passé l’essentiel de leur vie à répandre le sang de leurs semblables. Et il y en a un dont le nom clignote plus fort que tous les autres, celui qui incarne le Mal absolu, Tonton Adolf … Le sale type de tous les records (des millions de types morts à cause de lui, d’un de plus dégueulasses régimes politiques mis en place, …), celui qui a servi à l’invention du point Godwin …
Hirschbiegel, Lara & Ganz
Il a fait des choses pas bien du tout, Hitler … et en plus il sert de paravent à tout un tas de gugusses qui valaient pas mieux que lui, mais que l’Histoire (ou ceux qui nous la racontent) ont jugé moins pires… Fantômes de Staline, Pol Pot, César, Napoléon, Hussein, …, dormez en paix … fantômes des dieux au nom desquels on s’entretue depuis trois mille ans, continuez de siéger dans vos paradis … fantômes de tous les colonialistes des cinq derniers siècles, contemplez les ruines de vos empires… et il faudra un jour faire le compte de tous ceux qui ont péri pour que la Chine affiche aujourd’hui sa richesse arrogante … sans oublier ceux qui deviendront pas vieux parce qu’ils vont crever de faim ou d’autre chose parce que d’autres qui ont déjà tout en veulent encore plus …
Alors quand arrive en salles ou dans la télé « La Chute », qui est certainement le film définitif mettant en scène Hitler, tous les donneurs de leçons y vont de leur couplet, faisant la moue, hésitant entre enthousiasme et malaise (voir les forums, blogs, revues d’acheteurs, …). What ? ce dictateur nazi serait un homme, un type capable de sourire, de pleurer, de se montrer aimable parfois ? Ben, a priori, c’est pas l’Alien de Ridley Scott et Giger, il avait des parents comme vous et moi, et s’il avait eu des enfants il les aurait aimés et aurait joué avec je suppose … ceux qui me connaissent (ou me lisent) savent que j’ai aucune admiration pour ce sale type ni pour ses idées nauséeuses qui s’offrent un revival et plaisent beaucoup en Europe et ailleurs ces temps-ci …
« La Chute » n’est pas un documentaire. Ni un film. C’est une leçon d’Histoire. Et pas l’histoire d’Hitler, ce que beaucoup oublient lorsqu’ils causent du coup d’éclat de Oliver Hirschbiegel. « La Chute » est centré sur la secrétaire d’Hitler, Traudl Junge, recrutée en novembre 1942, et qui fera son job auprès de lui jusqu’à la mort de son patron le 30 avril 1945.
Eva Braun & Hitler
Et la vraie Traudl Junge (morte en 2002), parle au début du film. Avec la rhétorique habituelle des exécutants de base du régime nazi (voir leurs témoignages dans le vrai documentaire « Shoah » de Claude Lanzmann), en gros « on était jeunes, on savait pas, on obéissait, on aurait dû se poser des questions … ». Il y aurait beaucoup à dire sur ce genre d’argumentaire, mais c’est pas le sujet … en tout cas pas celui du film …
Novembre 1942. Les nazis campent devant Stalingrad, ils n’iront pas plus loin vers l’Est. Dans son bunker berlinois, Hitler auditionne des candidates pour un poste de secrétaire personnel. La jeune Junge (22 ans) a droit à un essai dans le bureau du führer parce qu’elle est bavaroise (on voit que ça rappelle plein de souvenirs à Hitler). Evidemment, toute émotionnée, elle se montre incapable de taper un texte lisible. Très calmement, Hitler lui propose de reprendre, et elle est finalement embauchée. Traudl Junge est incarné par l’actrice roumaine Alexandra Maria Lara et c’est un peu le maillon faible du casting, ne quittant jamais son air soumis, souriant et ébahi, alors que l’histoire du monde s’écrit sous ses yeux ou sort de sa machine à écrire …
Faut dire qu’en face, il y a une performance énorme et habitée de Bruno Ganz. Il est Hitler, et non pas un acteur qui joue Hitler. Le mimétisme physique, même si c’est juste une affaire de bon maquillage est là poussé dans ses moindres détails (ces tremblements parkinsoniens de la main qu’il tient toujours derrière le dos), des terribles crises de colère entrecoupées de séquences de calme et d’apaisement, des certitudes totalement folles dans le contexte assénées devant une cour de dévoués qui ne pipent mot … Hitler par Ganz est un être humain et non pas la caricature à laquelle on l’a toujours par facilité et paresse intellectuelle réduit. Mais un être humain terrifiant, perdu dans ses rêves de grandeur et de domination fous, prêt à sacrifier jusqu’au dernier Allemand pour la poursuite de ses chimères … Pour aussi extraordinaire que soit le Hitler de « La Chute », le réalisateur Hirschbiegel (quasi inconnu jusque-là, et même après d’ailleurs …) ne tombe pas dans la facilité en faisant reposer le film sur lui. « La Chute » n’est pas (seulement) la fin d’Hitler, mais l’écroulement d’un monde et d’un système qu’il avait mis en place. D’ailleurs le suicide d’Hitler a lieu trois quart d’heure avant la fin du film (qui dure quand même deux heures et demie).
Et ce film est génial, parce qu’il s’attache certes à raconter l’histoire des derniers jours du Führerbunker (ce terrier fortifié au cœur du Berlin, poumon du régime nazi) et de ses occupants, mais aussi nous permet de suivre quelques personnages secondaires, dont l’Histoire n’a pas retenu le nom (le gamin des Jeunesses hitlériennes, décoré par l’Adolf au milieu de la débâcle berlinoise – qui est la dernière apparition historique publique d’Hitler – qui finit par traverser les lignes russes avec Junge).

La fiction
et l'Histoire ...
L’essentiel du film se passe au printemps 1945 alors que Berlin est sous un tapis de bombes anglaises et américaines, sous le feu de l’artillerie russe et que les soldats russes avancent rue après rue vers le centre névralgique de la capitale allemande. Dans son bunker, Hitler au milieu des dignitaires du régime, est le seul à croire à un retournement de situation. Il faut le voir, cet ancien caporal dont l’audace militaire a failli lui faire conquérir le monde, penché sur ses cartes, ordonner des offensives ou des contre-offensives alors que les troupes en question n’existent plus, ce que tout le monde se garde bien de lui dire pour ne pas essuyer ses terribles (et parfois mortelles) colères. Il faut le voir rêver encore devant des maquettes du centre-ville de Berlin qu’il avait en projet de réaménager, alors que la ville n’est plus qu’un champ de ruines où les dernières troupes nazies essayent de résister en tuant tous ceux qui refusent (ou pourraient peut-être refuser) cette ultime boucherie. Il faut voir Hitler, quand il comprend que tout est perdu, refuser de capituler et souhaitant à tous les Allemands de crever parce qu’ils n’ont pas su réaliser son rêve idiot de suprématie mondiale … Tiens, en passant, certains ont noirci des feuillets pour s’indigner que jamais il ne soit fait mention de la Shoah dans le film. D’abord c’est pas le sujet du film, et ensuite il me semble bien que la « solution finale » était un secret assez bien gardé y compris au sein des plus hautes sphères nazies, tout le monde ne savait pas et ceux qui savaient n’en parlaient pas …
Il y a dans « La Chute » comme un air de déclin de l’Empire romain, avec ses scènes de beuverie dans le bunker (pas l’Adolf, il était strictement végétarien et ne s’accordait que quelques gorgées de vin), et ses fêtes (je vois pas d’autres mots) dont l’instigatrice principale était Eva Braun, la maîtresse qui deviendra sa femme la veille de leur suicide commun. Personnage étonnant (elle était bien plus jeune que lui, insouciante et gaie d’apparence, passant son temps à fumer, picoler et danser et entraînant les militaires de garde ou les dignitaires de passage dans ses folles sarabandes que n’interrompaient pas les déflagrations assourdies des bombes …).
La famille Goebbels
Mais les scènes les plus saisissantes sont celles qui mettent en scène la famille Goebbels. Lui est joué par Ulrich Mattes, un acteur dont le seul fait d’armes si j’ose dire était des apparitions récurrentes dans la série policière au ralenti Derrick. Goebbels est austère, taiseux, et chacune de ses apparitions fait froid dans le dos. Il sera l’héritier d’Hitler après les défections (trahisons dit-on dans le bunker) des guère reluisants Himmler et Goering. Son royaume en ruines ne survivra que de quelques jours à la mort d’Hitler, le temps de la scène la plus effrayante du film, sa femme tuant (en leur faisant gober une ampoule de cyanure alors qu’ils sont sous sédatifs) leurs six enfants avant que le couple ne se donne la mort (il la tue d’une balle en plein cœur avant de se faire exploser la tête). Une scène d’infanticide interminable, exécutée avec une froideur et une lenteur hallucinantes.
L’atmosphère sinistre et sordide (les décors d’un bunker, fait de béton armé, ne donnent certes pas un air de fête foraine au film) est renforcée par la quasi absence de musique (des gros plans, des paroles, des actes, au milieu de scène de guerre et de boucherie militaires plutôt réalistes).
On a vu quantité de films sur la Seconde Guerre Mondiale, le régime nazi et Hitler. Dont quelques-uns d’excellents. Personnellement, je n’en ai vu que deux qui retournent les tripes et qui reviennent me hanter alors que le Dvd est depuis longtemps rangé. « La Chute » est l’un des deux. L’autre, c’est « Requiem pour un massacre » de Klimov …



WILLIAM WYLER - BEN-HUR (1959)

Judah & Jesus ...

Quelque part, il y a une donnée qui résume tout : 11 Oscars pour Ben-Hur, record mondial partagé avec « Titanic » et « Le Seigneur des Anneaux – Le retour du Roi ». En clair, pour ramasser pareille avalanche de statuettes dorées, faut faire dans le grand spectacle familial consensuel. Ce qui n’est pas honteux, mais oblige quand même à arrondir certains angles… ou à en faire un peu trop …
Il y a tout ça dans « Ben-Hur », film fleuve (faut-il faire des films de plus de trois heures pour gagner plus de dix Oscars ?) centré sur cinq ans de la vie de Judah Ben-Hur, riche juif de Judée sous le règne de l’empereur Tibère.
C Heston, S Boyd (Messala) & W Wyler
Sauf que … la première scène voit les Rois Mages en Galilée qui suivent des yeux l’Etoile du Berger (merci Sheila) pour aller déposer leurs présents sur le berceau du fils du charpentier. Deux cent vingt minutes plus tard, un rayon de soleil éclaire le Golgotha et ses trois croix … Et de temps en temps dans le film, le petit Jésus (pas si petit que ça, de subtils cadrages ou subterfuges, à se demander s’ils le mettent sur un escabeau, il dépasse tout le monde de deux têtes) vient croiser la route de Judah Ben-Hur (ou le contraire) : il lui donne à boire quand il est conduit aux galères, il prêche au Mont des Oliviers quand Judah passe par là, et Ben-Hur traîne dans les rues lors du Chemin de Croix, et est au premier rang lors de la crucifixion … un Jésus toujours filmé de dos, mais bien présent. Trop ? En tant que suppôt de Satan, pour moi c’est oui. Et ça vient parasiter un peu beaucoup l’intrigue principale sans lui apporter quoi que soit de déterminant (le pardon rédempteur de la fin, on a vu ça des milliards de fois sans pour autant que Dieu ou sa famille aient besoin de s’en mêler). « Ben-Hur » ne risquait pas de s’attirer les foudres de tous ces groupuscules et lobbies de pression religieux si influents aux Etats-Unis.
Ça ne devait pas déranger outre mesure non plus William Wyler, bon metteur en scène chasseur de succès au box office (« Les Hauts de Hurlevent » « Mrs Miniver », « Vacances romaines »), qu’il ne viendrait à personne l’idée de qualifier de réalisateur révolutionnaire … Même si techniquement le Wyler se surpasse. Avec une histoire de format d’image novateur auquel j’entrave rien, mais surtout avec quelques scènes grandioses, comme la bataille navale, le triomphe à Rome, et forcément la course de chars. Cette dernière ayant nécessité des semaines de tournage, des nuées de figurants, des caméras partout (il paraît qu’on en voit si on fait défiler image par image, non mais, y’a vraiment des gens qui ont rien à foutre de leur vie, comme si ça durait pas assez longtemps …), quelques vrais blessés sur le tournage pour cette version antique des duels Prost – Schumacher …
Ben-Hur & Esther
Il n’empêche, que réserves laïques (païennes ?) mises à part, Ben-Hur se laisse regarder plaisamment. Surtout en Blu-Ray avec image restaurée (version 2009) et d’une netteté euh … diabolique. Ben-Hur, c’est Charlton Heston. Le beau gosse baraqué de l’époque, tous pectoraux en avant. Faut dire qu’il avait déjà testé le péplum biblique en étant en haut du casting dans « Les Dix Commandements ». Et faut reconnaître aussi qu’il signe une performance irréprochable et mérite la statuette dorée qu’il a récoltée à titre personnel. Il y aurait beaucoup à dire sur ce qu’est devenu le jeune premier (un Républicain figure de proue de la NRA). On s’en tiendra juste à la remarque qu’on peut avoir été un grand acteur et finir sale gros con … « Ben-Hur » repose sur les épaules de Heston, entouré d’acteurs que l’on peut sans être injurieux qualifier de seconds couteaux, venant de tous horizons (en plus des obligatoires américains, on trouve des anglais et même une israélienne, Haya Harareet, qui joue Esther, l’amoureuse-compagne de Ben-Hur).
Un certain sens du grandiose
L’histoire est simple, les ressorts de l’intrigue également. Ben-Hur, chef d’une famille princière très aisée de Judée, voit débarquer à Jérusalem son ami d’enfance, le Romain Messala. Ils ne se sont pas vus depuis longtemps et après les premières effusions, l’atmosphère devient glaciale, puis très vite haineuse entre eux. Judah ne rêve que d’émancipation pour son peuple colonisé et asservi par Rome, Messala est un ambitieux arriviste qui rêve lui d’une grande carrière dans l’Empire. Messala utilisera le premier prétexte venu pour envoyer Ben-Hur aux galères, où il ramera des années avant de sauver la vie d’un haut dignitaire romain lors d’une bataille navale, d’être adopté par lui, de triompher à ce titre à Rome, d’y devenir un grand conducteur de chars. Il sera dès lors temps pour lui de revenir en Judée pour se venger de Messala lors de la fameuse course de chars, Messala représentant Rome, et Ben-Hur les Judéens et les Arabes (autre peuple asservi) qui lui ont fourni les chevaux. D’autres événements et personnages secondaires donnant un peu plus de consistance au scénario, la recherche par Ben-Hur de sa mère et de sa sœur arrêtées en même temps que lui, l’histoire d’amour avec Esther, la fille de son intendant, l’apparition des personnages historiques ou bibliques tels Ponce Pilate, Tibère, Balthazar, …
Si l’on est pervers, on peut voir dans Ben-Hur la symbolique du peuple opprimé se révoltant contre son oppresseur, on peut garder les Juifs et « remplacer » les Romains par les nazis, et toutes sortes de symboliques de ce genre. Pas sûr que Wyler et ses scénaristes aient voulu aller aussi loin. Beaucoup plus prosaïquement, faut certainement s’en tenir à ce qu’on voit à l’écran.
Et si on s’en tient à ça, « Ben-Hur » reste quand même un bon film et un bon spectacle familial …




ALEXANDRE SOKOUROV - L'ARCHE RUSSE (2002)

L'Arche Perdue ?

La première chose qui revient systématiquement dès qu’on cause de « L’Arche Russe », c’est la prouesse technique que représente le film. Quatre vingt neuf minutes en un seul plan séquence tourné le 21 Décembre 2001. Bon, vous me direz, dans les années 60 et 70, il suffisait de regarder « Au théâtre ce soir » pour avoir un plan séquence qui durait autant ou plus. Les types de l’ORTF posaient leur unique caméra au fond de la salle et la laissaient tourner jusqu’à ce que la pièce soit finie. Techniquement, c’était un plan-séquence.
Sokourov (à droite) et son équipe
Alexandre Sokourov, cinéaste russe cantonné aux séances d’art et d’essai en Occident, a fait un truc totalement fou. Son film fait intervenir, selon les sources, à peu près huit cent acteurs et mille figurants en costume d’époque. Et quelle époque, vous demandez-vous. Euh, c’est compliqué, il y a dans ce film des personnages historiques ayant vécu au XVIIIème (l’empereur Pierre le Grand), des personnages contemporains (le directeur de l’Ermitage), de vrais personnages historiques fictifs (le marquis Custine qui a réellement existé mais pas comme il est montré dans le film, vous suivez ?), des types contemporains qui jouent leur rôle dans le passé (le chef d’orchestre Valery Georgiev), des personnages invisibles que l’on voit et que les autres voient parfois, mais pas toujours (Custine), des invisibles qu’on voit pas (le narrateur), et … bien souvent l’envie de prendre deux Doliprane et de laisser tomber ce foutoir mis en images.
Custine va croiser la Grande Catherine
Parce qu’à part d’avoir Bac + 5 en histoire russe et Bac + 12 en histoire de l’art, on n’y comprend rien à ce bazar. Sauf que ce maelstrom hermétique, va savoir pourquoi, on finit par s’y accrocher. Surtout à cause de la fluidité du film qui donne une image toujours en mouvement. En, gros, ce ne sont pas les acteurs et les figurants qui se succèdent devant la caméra, mais la caméra qui va vers eux, empruntant de petits couloirs pour se déplacer d’une grande salle à une autre, n’hésitant pas à s’offrir une ballade dans une cour intérieure de l’Ermitage sous la neige par une froid polaire en prenant le risque d’un embuage de l’objectif lorsqu’il faut revenir en intérieur. La caméra est une steadycam numérique portable qu’un type porte fixée à une sorte de harnais. Le cameraman avoue dans les bonus qu’il est totalement épuisé au bout d’une heure, alors qu’il lui reste la scène la plus folle à filmer, celle du bal et la sortie des centaines d’invités à cette sauterie impériale. Cette scène vient titiller en matière de sommets celle qu’il y a dans « Le Guépard » de Visconti tout en ayant un rendu totalement différent. Dans « L’Arche Russe », la caméra danse au milieu des aristos, se ballade de groupe en groupe, s’en va faire un tour au milieu de l’orchestre, tout en ne perdant pas de vue le personnage principal.
Clap Your Hands Say Yeah ?
Evidemment, tout cela ne s’improvise pas. Sokourov n’a eu qu’une seule journée pour filmer. Une nuée de techniciens a dû travailler toute la nuit après la fermeture du musée pour aménager décors et éclairages, pendant qu’ailleurs en ville une armée de costumières harnachait acteurs et figurants, transportés ensuite par cinquante bus sur le tournage. Quatre ans de travaux préparatoires et de répétitions (même si ça a l’air totalement bordélique, chaque geste, chaque mot prononcé a d’abord été écrit) ont été nécessaires. Et malgré tout ce travail humain, la star du film, c’est le Musée de l’Ermitage (de temps en temps, il y a des apartés de Custine, voire des bribes de discussions en rapport avec les pièces traversées, et les objets, surtout les tableaux exposés).
Malgré tout, « L’Arche Russe » reste le plus souvent abscons, voire élitiste (pas certain que le Russe de base ne s’y perde pas). Esthétiquement, c’est extraordinaire, ça envoie « La corde » d’Hitchcock dans les cordes, ça place la barre très haut en matière d’intérieurs et de costumes. Le problème c’est que c’est un film qu’on pourrait regarder en coupant le son tant l’histoire (ou plutôt les fragments d’Histoire) montrée reste inaccessible au fan de base de Johnny (non, je déconne, les fans de Johnny sont pas plus cons que ceux d’Obispo). « L’Arche Russe » est avant toute autre considération une expérience visuelle unique.
Et pourquoi ça s’appelle « L’Arche Russe » me direz-vous. La réponse est dans le dernier plan. Bon courage d’ici là …



STANLEY KUBRICK - SPARTACUS (1960)

Rome, sweet Rome ...
«  Spartacus » fut à son époque un des films les plus coûteux jamais mis en chantier (entre 10 et 13 millions de dollars, les sources diffèrent). Un film a priori très tendance, dans la lignée des « Ben Hur », «  Les Dix commandements », à savoir le péplum à grand spectacle, au budget colossal, et à la multitude de stars au générique. Le succès sera – évidemment est-on tenté de dire – au rendez-vous, tous les ingrédients sont là.
Sauf que « Spartacus » est un grand film raté. Pour plein de raisons, que l’on n’a connues pour la plupart que plus tard.
La première vague de jérémiades insatisfaites survint dès les premières projections. « Spartacus » se voulait un péplum historique, sauf que le scénario prenait quelques libertés avec l’Histoire, se permettant même de mettre en scène des personnages n’ayant apparemment jamais existés. Au premier titre desquels figure Varinia, l’esclave-compagne de Spartacus. Lequel lui a bien existé, un des chefs d’une révolte d’esclaves qui a même menacé un temps le tout puissant Empire romain.
Kubrick sur le tournage
Spartacus est à l’écran interprété par Kirk Douglas. Normal, serait-on tenté de dire, c’est lui qui a le rôle principal parce que c’est lui qui produit (avec le soutien du bout de carnet de chèques d’Universal) le film. Et quand on met autant de pépettes sur la table, on trouve pas grand monde pour vous contredire. « Spartacus » est adapté d’un roman de Howard Fast. Auquel Universal a confié le scénario. Problème, écrivain et scénariste peuvent être deux métiers différents et Fast n’arrive pas à adapter son bouquin. Douglas fait alors appel à un des plus grands scénaristes américains, Dalton Trumbo. Une grande gueule qui l’a trop ouverte sur des sujets avec lesquels on ne plaisantait pas au pays de l’Oncle Sam en ces temps-là. Trumbo est blacklisté par le maccarthysme et devra donc utiliser un pseudo (Sam Jackson). Dès le début du tournage, Trumbo émet des réserves. Douglas lui fait comprendre qu’il a été payé pour son boulot, qu’il est terminé, et qu’il n’a plus rien à dire. Pourtant il en aura des choses à dire, Trumbo. Dans les bonus du Dvd, on y reviendra. Mais surtout lorsqu’il visionne la mouture prétendue définitive du film lors d’une avant-première. Il se fend d’une « notule » de 1500 ( ! ) pages critiquant à peu près tout ce qui est visible et audible à l’écran. Des règlements de compte personnels mais aussi quelques remarques pertinentes qui feront tourner un an après le clap de fin quelques scènes supplémentaires.
Derrière la caméra, Universal a mis un de ses réalisateurs stars, Anthony Mann. Qui en plus de s’occuper des images, a envie de retoucher le scénario. Douglas le vire. Ne resteront de Mann que les vingt premières minutes, tournées en Lybie. Kirk Douglas qui veut tout gérer remplace Mann par le jeune Stanley Kubrick, avec qui il a tourné « Les Sentiers de la Gloire ». On est avec « Spartacus » assez loin de la Kubrick touch telle qu’on l’a connue par la suite. Ayant à gérer une pression énorme (le pognon, la tension permanente sur le plateau), Kubrick signe une réalisation « classique », s’offrant juste deux-trois plans sublimes et une paire de scènes grandioses, dont notamment celle de la bataille finale aux portes de Rome. Même ses velléités « sanglantes » lors de cette bataille ont été remisées au panier, sur une trentaine de plans « gore » proposés, seuls quelques-uns seront retenus. Ce qui n’empêchera pas « Spartacus » de passer pour un film très violent à sa sortie. On est quand même assez loin de « Orange mécanique ».
Gavin, Olivier, Ustinov, Douglas, Simmons, Curtis
Douglas s’est enquillé deux problèmes avec le scénariste et le réalisateur initiaux. Il ne va pas s’arrêter en si bon chemin, réussissant à réunir un casting de stars (certes) totalement abracadabrantesque, composé d’Anglais et d’Américains qui se détestent au plus haut point. Laurence Olivier et Charles Laughton, ennemis au Sénat romain dans le scénario, ne peuvent pas se blairer et ne s’adressent pas la parole en dehors des prises. Peter Ustinov décide (avec l’accord de Douglas), de réécrire toutes les scènes où il intervient. Comme il en a plus avec Laughton qu’avec Olivier, il deviendra pote de l’un et ennemi de l’autre. Ce qui ne l’empêchera pas d’avoir l’Oscar du meilleur second rôle, parmi les quatre (seulement serait-on tenté de dire, tant « Spartacus » se voulait aussi une machine à Oscars) qu’obtiendra le film. Ustinov donne à son personnage (Batiatus, acheteur d’esclaves et « dresseur » de gladiateurs) et aux scènes dans lesquelles il intervient une touche humoristique, allégeant quelque peu ce qui aurait pu devenir un pensum filmé. Trumbo évidemment déteste ces retouches scénaristiques.
« Spartacus », c’est peut-être son plus gros défaut, est un film totalement déséquilibré. La partie la plus fouillée, la plus intéressante, ne concerne pas la révolte des esclaves, mais la gestion de cette situation par les politiques romains du Sénat, et notamment l’affrontement (historique) entre Crassus (Olivier) et Gracchus (Laughton). Le premier voulant une Rome forte et autoritaire, le second une République populaire. Les deux bien évidemment corrompus à la gueule. Et entre eux, apparaît un second rôle, le jeune Jules César (John Gavin), qui trahira Gracchus pour s’allier à Crassus (légère uchronie, il y a selon les historiens, un décalage de 10-15 ans entre ces manœuvres sénatoriales et l’épopée de Spartacus). Olivier et Laughton sont deux grands acteurs, on le savait, mais leur inimitié les fait se surpasser. Et ce sont eux qui tirent le film vers le haut.
Laughton
Parce que du côté des esclaves révoltés, il n’y en a que pour Spartacus-Douglas. Et accessoirement pour l’idylle à l’eau de rose avec Varinia (l’assez transparente potiche Jean Simmons, par ailleurs nunuche totale, ce dont on se rend compte dans une courte interview des bonus). Douglas, quoi qu’il en pense (il est très satisfait de tout, lou ravi du village en somme), ne livre pas dans ce film la prestation de sa vie. Tant qu’il faut se battre en jupette, ça va (il n’est pas doublé, c’est lui qui assure ses propres cascades), mais le reste du temps, il est aussi expressif que Schwarzie dans la série des « Terminator », et de plus affublé d’une excroissance capillaire pré-Désireless du plus mauvais effet. Sa performance d’acteur n’est saluée par personne dans les copieux bonus (pourtant le genre d’exercice consensuel tout-le-monde-il-est-beau-tout-le-monde-il-est-gentil), et fort logiquement décriée par Trumbo. Qui n’a pas tort, on ne fait pas ce qui avait les allures d’une vraie révolution en ayant l’impression de s’emmerder à chaque plan. Et le Trumbo, décidément très en verve, se lâche totalement dès lors qu’il s’agit d’évoquer Tony Curtis (esclave lettré, Giton un temps de Crassus, avant de s’évader et de rejoindre la bande à Spartacus). L’avis du scénariste est sans appel : « En tant qu’acteur, c’est un zéro, et il le restera toute sa vie, même s’il a de grands succès ». Fermez le ban.
On l’aura compris, pour moi, les bonus du Dvd sont meilleurs que le film lui-même. Un bon spectacle familial, avec des effets scénaristiques convenus et prévisibles. Rendons grâce à Kubrick d’avoir rendu ces plus de trois heures (ouais, quand même) supportables par quelques scènes grandioses (de grandes bagarres, de grands mouvements de foule, une grande bataille, …). Et encore, là aussi, Trumbo le torpille (en général, il le tient pour négligeable dans ce film), révélant que la mémorable bataille finale est calquée sur une, mise en scène plus de vingt ans auparavant par Eisenstein dans « Alexandre Nevski »).
La scène finale
Quelques anecdotes plus ou moins savoureuses pour finir. Laurence Olivier était incapable de jouer un personnage sans se modifier physiquement. Pour le rôle de Crassus, il porte un faux nez. Les scènes de foule et de bataille ont été tournées en Espagne. La raison : pas le coût de la main d’œuvre (y’avait le Mexique pas loin des studios Universal), mais parce que sous le régime de Franco, tout le monde savait marcher au pas (no comment), et surtout les militaires espagnols, réquisitionnés comme figurants (Kirk Douglas a posteriori, avoue quand même en avoir honte). Laurence Olivier (Sir Laurence Olivier pour être précis) a toujours pensé que Kubrick était un inculte, ce dont il n’a pas honte. Laughton a plusieurs fois menacé le producteur Douglas de tribunal, estimant que le rôle qu’on lui avait donné était trop secondaire pour son immense talent. Trumbo voulait Jeanne Moreau pour jouer Virania et Orson Welles pour l’émissaire des pirates, présent cinq minutes sur deux scènes. Une dernière pour la route : la mode au début des années 60 n’étant pas au pantacourt-tongs, tous les acteurs devaient passer avant d’enfiler leur jupette par la case maquillage pour pas avoir à l’écran des jambes couleur lavabo.

Conclusion lapidaire mais indiscutable : « Spartacus » ne vaut pas « Gladiator ».


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