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JACCO GARDNER - CABINET OF CURIOSITIES (2013)


Génération psyché ...

Tout le monde (enfin, ceux que ça intéresse) connaît ces disques devenus mythiques de la fin des 60’s, œuvres de types bien bariolés dans leur tête, toujours cités comme fabuleux, et que personne, à l’époque comme plus tard, n’a jamais acheté. Et donc les deux exemples les plus connus doivent être le « Odessey and oracle » des Zombies et le « Walk away Renée » des Left Banke, condamnés au « culte » perpétuel derrière « Good vibrations », « Sgt Peppers », « Forever changes », les 1er Floyd, Hendrix, Doors, Airplane, … Et régulièrement, des hordes de types avec des fleurs dans leurs cheveux en bataille remontent au front en vue d’écrire une nouvelle page de cette pop psychédélique qui les fait fantasmer. Sauf exception, dans l’indifférence un peu générale …
Dernier en date : l’Australien Kevin Parker et son Tame Impala de (faux) groupe. Encensé à juste titre ces temps-ci. Bon, ben oubliez-le, le gars dont au sujet duquel je vais vous causer vient de sortir un disque insensé. « Cabinet of curiosities » il s’appelle le skeud, et le gars en question, Jacco Gardner, vient des improbables Pays-Bas. Improbables quoi que … Cet étrange morceau de terre plus bas que la mer, réputé pour ses habitants à vélo, ses champs de tulipe, son Ajax d’Amsterdam et ses coffee-shops a toujours eu la fibre anglophile. Et donc, dès les sixties, alors que chez nous on s’extasiait sur Sylvie Vartan et Richard Anthony, les Bataves avaient des groupes locaux qui n’avaient rien à envier aux anglais adeptes d’un rock garage énervé, genre Q65 ou Oustsiders. Et aujourd’hui, qui retrouve t-on derrière ce Jacco Gardner ? Un vieillard, Jan Audier, qui a bossé comme ingé-son derrière les mythiques Q65. Pour que la légende soit plus belle, le sieur Gardner fait croire que Audier n’avait pas mis les pieds dans un studio depuis 40 ans, ce qui est faux, il participait de temps à autre à l’enregistrement ou la production de disques.
Jacco Gardner donc. Pas encore 25 ans. Des débuts dans un duo folk électrique (bâillements). Et puis avec l’aide du septuagénaire Audier, ce « Cabinet of curiosities ». Dont la pochette intrigue. Un enfant blond avec un ciré rouge (« Don’t look now », le film de Nicholas Roeg ?) perdu dans une forêt luxuriante où se cache une girafe bleue (« Avatar » ?). Je sais pas quels genres de films il se passe dans sa tête, mais en tout cas son disque sonne comme un flash-back pour continuer dans l’allusion cinématographique.
Compteurs bloqués circa 1967. Encore un, diront les ronchons. Qui auront tort. Celui-là, je sais pas si c’est le bon, mais en tout cas, c’est un bon. Qui ne récite pas ses gammes psychédéliques comme tous les autres, s’appliquant à recopier leurs modèles. Non, lui il sonne comme l’élève récitant sa leçon et qui se hisse au niveau des antiques maîtres, comme s’il était le contemporain de Brian Wilson, Arthur Lee et Syd Barrett. Surtout Syd Barrett. Il est fan du mangeur de space cakes du premier et inégalé disque du Floyd et de ses erratiques disques solo bricolés, et ça s’entend. Mais pas trop. Gardner semble assez doué pour ne pas se ridiculiser à plagier « Lucifer Sam ». D’ailleurs il est pas très rock, Gardner. Plutôt pop et folk. Nombre de titres, en gros la moitié, commencent par des arpèges de guitare acoustique, et dévident le genre de mélodies que ne renieront pas fans de Paul Simon, Donovan ou Nick Drake. Le restant, c’est de la chanson pop haut de gamme qui va lutter sur le même terrain que des « Alone again or », « Wouldn’t it be nice », « Lucy in the sky … », « Time of the season », … Même s’il apparaît totalement improbable que les titres de ce « Cabinet … » fassent des hits. Pas exactement le genre de choses susceptibles d’intéresser les sourds qui trouvent génial le patapouf coréen et son style gnangnan …
Et pourtant, qui ces jours-ci est capable d’écrire avec ce son délicieusement vintage (cette batterie qui n’est pas putain de compressée et mise tout en avant est un régal, on dirait que c’est Ringo Starr ou Hal Blaine qui en jouent, ce son de claviers (en fait des samples de Mellotron), cette voix aérienne doublée et chargée d’écho, …) une douzaine chansons originales dans tous les sens du terme dont aucune, je dis bien aucune, n’est à zapper ? Répondez pas tous ensemble …
C’est « dans l’esprit », et totalement original à la fois. Tout au plus peut-on noter sur l’intro de « The Riddle » un gimmick entendu sur « Good vibrations », ou cette montée de la batterie sur le refrain de « Chameleon » qui ressemble au rythme du « White rabbit » de l’Airplane. Pour le reste, le Gardner a trouvé des mélodies irréelles, des constructions simples mais magiques, déjà perceptibles sur les deux singles (« Clear the air », « Where will you go ») de l’année dernière repris sur ce Cd, et qui avaient commencé à alimenter le buzz.
Vu l’état actuel du « marché » et du « public », il serait surprenant que Jacco Gardner vende des disques par millions, fasse un hit (bien que « Help me out » dans un monde idéal devrait squatter le haut des charts). Il est trop à l’écart des modes et tendances, tellement « ailleurs » dans un univers intemporel où seuls les très grands ont su se hisser dans leurs meilleurs moments.
D’ailleurs, d’une façon peut-être prémonitoire et en tout cas lucide, il envisage plutôt de se tourner vers la production des disques des autres que de continuer à en sortir sur son propre nom. Il ne reste plus qu’à espérer qu’il change d’avis, car là, il a pondu un truc tellement fantastique que ça mériterait bien une suite … 

Du même sur ce blog :

NEIL YOUNG - AFTER THE GOLD RUSH (1970)


Une pépite ...

Neil Young doit avoir le don d’ubiquité. Pour le même prix, vous pouvez tomber sur un disque du Roi des hippies (« Harvest » au hasard), ou sur un du Parrain du rock lourd (« Ragged glory » tout aussi au hasard). Sachant que la plupart du temps vous risquez de vous retrouver avec un mélange des deux.
« After the gold rush » est le troisième disque en solo de Neil Young, paru juste après sa collaboration à (très gros) succès avec Stills et les deux boulets Crosby et Nash. La pochette est sombre, le contenu un peu moins. Triste et mélancolique, c’est bien le moins … En tout cas dans mon tiercé des préférés du Canadien.
« After the gold rush », c’est le disque des mélodies en or massif, les plus délicates et souvent les plus dépouillées de sa carrière. Et même si on trouve au casting trois guitaristes (Young, Danny Whitten et Nils Lofgren), c’est le piano qui est l’instrument roi du disque. Les accompagnateurs historiques de Young sont là (le Crazy Horse, et David Briggs à la production).
Alors bien sûr il y a toutes ces ballades portées par la voix fluette, plaintive et inimitable de Neil Young, qui donnerait envie de chialer tellement c’est beau rien que s’il lisait le bottin. Des sommets de feeling que l’on croyait intouchables ou inaccessibles surgissent de partout. L’irréelle « After the gold rush » (juste piano et voix), « Only love can break your heart » (une des plus belles mélodies de Young qui dépasse largement le côté baba-cool dans laquelle on pourrait la réduire), « Don’t let it bring you down » (même verdict que la précédente), la petite bluette sautillante d’à peine plus une minute (« Till the morning comes »), ou encore « Birds » et « I believe in you » qui évitent tout pathos lyrique dégoulinant … Grosso modo, ces titres représentent la moitié du disque.
Il y a encore d’autres choses fabuleuses. « Oh lonesome me », c’est un blues mais avec l’approche toute particulière qu’a toujours eu Neil Young pour le genre rustique. « Tell me why » placé en ouverture est un country-rock cool et pépère, peut-être le maillon faible du disque, le genre de morceaux qu’on a l’impression d’avoir entendu mille fois depuis, et qui ne laisse pas vraiment présager de la qualité de ce qui suit. Dernier titre, « Crippple creek ferry » est un hillbilly antidéluvien, qui ravira ceux qui ont été scotchés par la B.O. de « O’Brother ».
Et puis avec parcimonie (un titre sur chaque face du 33T original), et parce qu’il faut bien occuper les trois gratteux, deux déflagrations électriques. Oh, pas des tord-boyaux tout en larsens, non, plutôt des titres sournois, puissants mais bridés, reposant sur de gros riffs semblant joués au ralenti, « When you dance you can really love », et le fameux « Southern man ». Fameux parce que c’est un classique youngien qui fait chauffer les Marshall, et aussi parce que ça en a énervé quelques uns, des hommes du Sud. Faut dire que Young a souvent oublié qu’il avait un passeport canadien et s’est mêlé de ce qui se passait dans la vie sociale et politique aux Etats-Unis, souvent de façon bizarre et incompréhensible. Mais avec « Southern man » pour le coup c’est très clair, c’est une dénonciation de tous les culs-terreux réactionnaires qui ont tendance à pulluler à mesure que le soleil donne comme dirait l’autre. Un titre qui avec son quasi-siamois par le propos « Alabama » (sur « Harvest »), fera voir rouge à quelques-uns, les plus célèbres étant les par ailleurs excellents graisseux Lynyrd Skynyrd qui répliqueront avec leur « Sweet home Alabama » (genre par chez nous, c’est très bien, c’est juste que c’est pas un bled pour les chochottes, et que si le Sud des USA te plaît pas, tu retournes dans ta cabane au Canada).
« After the gold rush » sera un gros succès pour Neil Young, qui va avec ce disque continuer la période la plus florissante commercialement parlant de sa carrière, entre les cartons planétaires de « Déjà vu » (avec Stills et les deux boulets sus-cités)  et de « Harvest ».

Du même sur ce blog :
Everybody Knows This Is Nowhere
Harvest 
On The Beach


RYAN ADAMS - HEARTBREAKER (2000)


Suicide ...

Ryan (ne pas confondre avec Bryan, le Canadien vérolé et ses infâmes ballades FM) Adams était à la fin du siècle dernier un des noms promis à un bel avenir. D’indéniables talents d’auteur, jugés mal exploités dans un groupe de country alternative (Whiskeytown) réservé aux initiés.
Et quand il annonça son départ du Whiskeytown et le début d’une carrière solo, les rotatives s’emballèrent, et les rumeurs de disques merveilleux à venir se répandirent. « Heartbreaker », paru en 2000, est le premier d’une copieuse discographie solo d’Adams. Et là tout le monde (enfin ceux qui sont censés acheter les disques, vous et moi, quoi) déchanta.
Quoi, ce type, au lieu de caresser l’auditeur potentiel dans le sens du poil, de faire un joli disque d’americana à la Springsteen-Petty-Seger-etc …, balançait un truc rêche et austère. Tiens et puisqu’on parlait de Springsteen, « Heartbreaker », c’est un peu à Adams ce qu’est le « Nebraska » au prétendu Boss. Le genre de disques qui plomberait même une veillée funèbre… attention, j’ai pas dit qu’il était mauvais, d’ailleurs « Nebraska » est pour moi au moins dans le tiercé de tête du gars du New Jersey. Mais bon, pour lancer une carrière sur les chapeaux de roue avec passages radio, clips joyeux et tout plein colorés en heavy rotation, c’est pas vraiment l’idéal …
L’explication, y’en a une, vient du fait qu’Adams venait de se faire larguer par sa meuf (prénommée Amy, un titre porte son prénom), et que vite fait bien fait, il a torché ce disque tout plein de ses idées noires, de ses rancœurs, de son blues d’amoureux éconduit …
« Heartbreaker » n’est pas un disque acoustique, mais c’est tout comme. L’instrumentation est souvent minimale, et dans tous les cas toujours très discrète, on accompagne, on suit la mélodie, on cherche pas à se faire remarquer … En résultent quelques titres quand même bien plombants et austères (« Cal me on the way back home », « To the one », « Don’t ask for the water », …), que n’arrivent pas contrebalancer deux ruades électriques, « To be young » (imitation de Dylan circa 66 ?) et « Shakedown on 9th Street », rockabilly mutant et rageur. Le reste est du country-rock traînard de bon aloi, entendez par là, bien fait, pleurnichard mais pas gnan-gnan.
Parce que le sieur Adams sait écrire, c’est sûr. Tous les titres, quel que soit l’enrobage, sont assemblés à partir de mélodies first class, et bien que guère « bruyants », ont recours à tous les instruments du genre (guitares de toutes sortes, piano, Hammond, …) qui moulinent sobrement au fond du mix. Et quand par hasard la voix d’ange d’Emmylou Harris vient contrechanter sur un « Oh my sweet Carolina », c’est tout simplement magique, et on en arriverait à confondre Ryan Adams avec Gram Parsons …
Evidemment, pareille chose n’a pas affolé les compteurs des chiffres de vente, des disques comme celui-là, il en sortait à la pelle depuis une quarantaine d’années. Le résultat est dans la « ligne du parti », même si perce en filigrane des talents d’auteur et de mélodiste bien au-dessus de la moyenne. Le suivant « Gold », sera plus énergique, plus « consensuel », et sera la meilleure vente de Ryan Adams. Sa propension pour la dive bouteille et autres substances moins licites feront de son auteur un artiste assez ingérable commercialement parlant qui devra se contenter selon la formule consacrée de « succès d’estime » …

BEIRUT - GULAG ORKESTAR (2006)


Le temps des Gitans ?

Beirut, c’est un sacré truc zarbi. Un concept, ou au choix un faux groupe, derrière lequel se cache un ado américain, Zach Condon. Condon est un minot qui tout seul dans son coin, en utilisant une kyrielle d’instruments dont certains plutôt exotiques (accordéon, trompette, ukulelé, plus toute une panoplie de claviers et synthés), a fait le meilleur disque manouche depuis (qui a dit Thomas Dutronc ? attention, je vais me fâcher, là) … depuis, j’en sais foutre rien (ça y est, j’ai réussi à placer foutre et Condon dans le même paragraphe, j’suis content de moi, là …), parce que c’est pas le genre de trucs que j’écoute (qui a dit Kusturica ? n’aies pas peur, tu dois avoir raison …).
Bon, je reprends, et faudra que pense à arrêter de picoler avant d’écrire des coms, ça va finir par se voir que je suis pas à jeun … Donc, le gamin Condon, qui avait pourtant largement de quoi satisfaire ses goûts pour le folk antique dans son Amérique natale, est parti pendant plusieurs années tracer la route en Europe, et plus particulièrement dans cette région que l’on appelait autrefois Mitteleuropa (l’Autriche-Hongrie, la Prusse), poussant des pointes vers les Balkans et une visite en Irlande. Et c’est la vieille musique de ces endroits-là qu’il nous ressert. Qui n’a rien à voir avec les chansons populaires ( ? ) des teutons à quelque fête de la bière, mais une musique remplie des sonorités les plus plébéiennes, rurales, de ces contrées. En gros, les tziganes, roms, et autres gitans.
Evidemment, personne n’attendait ce disque. A l’origine de onze titres, très rapidement les versions Cd ont rajouté les cinq titres d’un EP (« Lon Gisland ») paru dans la foulée, et qui n’apporte pas grand-chose, si ce n’est un instru celtisant qui semble un peu perdu et hors-sujet dans le contexte.
Dès les premiers titres, on se dit que « Gulag Orkestar » est génial, avec ses ambiances tziganes, ses chœurs lancinants (« The Gulag Orkestar » le titre), ses ambiances bavaroises tristes (« Prenzlauerberg »), et ses mélodies parfois enjouées (« Brandeburg », et surtout « Postcards from Italy », pour moi d’assez loin meilleur morceau de l’album).
Au bout de quelques titres qui ont tendance à furieusement se ressembler (mêmes tempos, mêmes orchestrations, mêmes arrangements, même façon pour Condon de placer sa voix, …) on se dit que c’est quand même un peu toujours pareil, et que ça commence à devenir lassant.
On est finalement soulagé quand ça s’arrête, parce que ce bousin finit par gonfler grave, toutes ces variations infimes sur le même thème …
Un disque finalement révélateur d’une époque, où il semble que tout a déjà été dit et entendu mille fois, et où la moindre idée, la moindre trouvaille, le plus petit gimmick, sont montés en épingle pour qu’ils apparaissent au pékin d’auditeur qui ne sait plus où donner du conduit auditif, comme la trouvaille du siècle émanant d’un génie en devenir de la chose musicale. Et même si le rendu n’a pas grand-chose à voir, je trouve le résultat assez proche dans l’esprit de ce que font quelques autres hâtivement qualifiés de surdoués, comme les surfaits Sufjan Stevens ou Kevin Barnes, le type de Of Montreal … des gars qui semblent avoir tout dit après un enchaînement de quelques bons titres, et qui se répètent jusqu’à l’écœurement…


JOAN BAEZ - IN CONCERT PART 1 (1962)


The Voice

Joan Baez, on l’a tellement confondue avec son engagement militant, elle a été de tellement de combats plus ou moins perdus d’avance (et elle continue encore à plus de 70 ans à s’investir dans tout un tas de causes généralement bonnes), qu’on a oublié que c’était une chanteuse. Une chanteuse folk.
Pas la première, pas la plus célèbre (pour ces deux aspects, voir plutôt du côté d’Odetta), mais certainement la plus emblématique, en tout cas de la période cruciale lors de laquelle tout s’est mis en place, les années soixante. Une décennie pour elle commencée par des enregistrements secs, austères et brûlants, et conclue, enceinte jusqu’aux yeux, par une prestation qui file le frisson au festival de Woodstock.
Parce que Joan Baez, c’est une sacrée chanteuse. Une voix de cristal comme on en entend peu en général, et dans le « rock » en particulier. Que ce soit dans le murmure ou le chant à pleine voix, Joan Baez impressionne, et plus encore par le feeling irréel qu’elle dégage que par sa technique irréprochable.
Un exemple ? Pas besoin de chercher loin. Il suffit de prendre le premier titre de ce Cd, enregistré comme son nom l’indique en public dans une austérité absolue (Joan Baez, sa guitare acoustique, et le public droit dans les yeux, c’est tout). Ce titre, « Baby, I’m gonna leave you » tout le monde ( ? ) le connaît par Led Zeppelin sur son premier disque. Bon, faut oublier l’interprétation de Plant (pourtant pas n’importe qui derrière un micro), et surtout pas la comparer à celle de ce disque, le verdict serait sans appel. Victoire par KO au bout de trois mesures pour l’Américaine.
Qui n’a qu’un seul point faible, elle n’est pas une grande compositrice, ne signant que quelques titres (et pas toujours) sur ses albums, et là, en 1962, n’ayant encore rien mis dans son répertoire de Bob Dylan, dont elle reste sur la durée la meilleure interprète (qui avait dit Hugues Aufray ? bon, tu sors …), sans parler d’autres aspects de leur relation qui tiennent du domaine privé … Alors il n’y a sur ce disque que des reprises, des chants traditionnels pour la plupart (qui a dit que c’était un disque de scout ? tu dégages aussi …), venant du patrimoine musical américain en majorité, certes, mais piochant aussi chez les Anglais (le final « Matty Groves »), chez la mère nourricière Afrique via le gospel (« Kumbaya », repris étonnamment en chœur par le public pour un résultat grandiose), voire chez les Brésiliens (« Ate Amanha », chanté en portugais). Mieux, alors que Joan Baez a pourtant déjà sorti deux disques, aucun des titres de ce « In Concert » n’y figurait. Choisis évidemment pour leurs textes, ou alors pour rendre hommage aux figures tutélaires du folk américain (« Pretty Boy Floyd » écrit par Woody Guthrie, et repris par Pete Seeger, à qui la version de Joan Baez est dédiée).
Chanteuse d’exception, d’une justesse totale tant sur le fond que sur la forme (juste quelques bribes « castafioresques » sur « Black is the color … »), Joan Baez est lentement mais sûrement en route pour devenir l’icône engagée des années 60. Le succès un peu inattendu de ce disque donnera lieu à une suite l’année suivante, aussi magnifique, l’effet de surprise en moins, mais une paire de titres de Dylan en plus …





TIM BUCKLEY - GOODBYE AND HELLO (1967)


L'explorateur de l'inouï ...

Avec son premier album sans titre, Tim Buckley avait signé une œuvre profondément originale. « Goodbye and Hello » va encore plus loin dans l’inouï, au sens premier du terme.
Il y a tout d’abord la voix. Unique, exceptionnelle, elle suffirait à elle seule  à tirer n’importe quelle composition vers des sommets célestes. Mais il y a aussi la musique, totalement à contre-courant de ce qui se faisait à l’époque. Certes la base est du folk mélodique teinté de psychédélisme, mais se rajoutent surtout des touches classiques et jazzy. Assez proche dans l’esprit de ce que fera plus tard Robert Wyatt, avec Soft Machine ou en solo.
Comme un air de famille ... Tim Buckley 1967
D’entrée, « No man can find the war », fait penser à Love, de l’autre génial inclassable Arthur Lee (un peu le Mr Loyal du Los Angeles psychédélique, artiste choyé du label Elektra, qui a fait signer les Doors et le MC5 à son patron Jac Holzman ; Buckley est également chez Elektra, et l’ingé-son de tous les artistes du label Bruce Botnick est présent sur tous leurs disques, ceci expliquant les nombreuses similitudes sonores entre tous ces gens), et installe la voix irréelle de Tim Buckley. Et cette voix se balade littéralement avec une facilité écœurante sur un véritable patchwork sonore, chaque titre ouvrant son propre univers. « Carnival song » a des airs de fête foraine dévastée et triste, « Hallucinations laisse entrevoir un folk médiéval et arabisant. Une influence orientale que l’on retrouve sur « I never asked to be your mountain » (chanson adressée à son tout jeune fils Jeff alors qu’il vient de se séparer de sa mère, un Jeff qu’il ne verra pratiquement jamais), et qui pourrait être décrite comme le « Kashmir » psychédélique … « Phanstasmagoria in two » porte bien son nom, il s’agit d’une véritable fantasmagorie sonore et vocale, et last but not least « Goodbye and Hello » le morceau, laisse entrevoir avec un lustre d’avance ce qu’aurait pu être du rock progressif intéressant …
Ce disque est le premier chef-d’œuvre de Tim Buckley, et pour moi son plus facile d’accès, celui qui ne s’éloigne pas trop des chemins connus, qui laisse à l’auditeur des repères. Les suivants jusqu’à sa mort en 1975 seront aussi beaux, mais plus hermétiques, Buckley créant un univers sonore très personnel …

Du même sur ce blog : 
Tim Buckley

SUZANNE VEGA - 99.9 F (1992)


Chaud devant, son meilleur !

Je sais pas comment il faut appeler ça. Rock’n’roll suicide c’est déjà pris, et puis c’est pas de rock’n’roll dont il s’agit. Folk suicide, peut-être … Parce que qu’est-ce qui a bien pu piquer Suzanne Vega, folkeuse centr…, enfin classique quoi,  vaguement concernée (son gros hit de 87 « Luka » sur l’enfance maltraitée), pour sortir un disque comme ce « 99.9 F » ? Tellement bon, tellement en avance sur son temps, que personne ou presque ne s’en est aperçu, les mêmes qui sont passés à côté s’extasiant par la suite sur les minauderies electro de Björk  ou le boxon sonore de Beck.
Suzanne Vega 1992, total relooking
Ce disque résulte d’un pari artistique totalement fou. Certes, la gentille Suzanne avait pris un bide assez retentissant avec son précédent, on l’avait quelque peu oubliée et le risque commercial n’était pas démesuré, mais l’évolution présentée ici est assez unique, un virage radical comme très peu ont osé en prendre, et comme encore moins l’ont réussi… Suzanne Vega avait dans sa manche une carte maîtresse, son compagnon et futur mari Mitchell Froom, producteur déjà en vue (Crowded House, Lobos, American Music Club, …) et futur gourou des studios (Sheryl Crow, McCartney, Costello, Pearl Jam, …). Froom grâce à son carnet d’adresses bat le rappel de ses connaissances, et on trouve au casting de ce « 99.9 F » David Hidalgo des Lobos, le bassiste Jerry Scheff  (Presley, « L.A. Woman » des Doors, …), Jerry Marotta (requin de studio et batteur longtemps attitré de Peter Gabriel), et même sur un titre le légendaire virtuose de la guitare folk anglais Richard Thompson. Et ces fines mouches-là ne s’attrapent pas avec du vinaigre, il n’y a pas que de l’enrobage sonore, les bonnes compositions sont de sortie, ce disque ne se réduit pas seulement à un travail d'arrangement imaginatif en studio.
Le patchwork sonore est total. Si la plupart des titres utilisent les sons et techniques de boucles chers aux joueurs de disquettes alors en vogue, d’autres sont tout à fait roots (« Blood sings », ambiance feu de camp et guitare sèche, « Bad widsom », comme du Suzanne Vega d’avant), l’électricité est parfois coupée (« Song of sand » avec un quatuor à cordes). Il n’y a pas non plus que du folk relooké et mis au goût des machines du jour, « As a child » mélange ambiances celtiques et electro, « Fat man » un des titres les plus surprenants limite psychédélique, « As girls go » et sa ligne de basse funky quasi disco se voit enjolivé par un solo de Richard Thompson.
Et puis il y a quelques titres d’une classe folle, d’une justesse de ton et de son assez impressionnants, qui surnagent d’un ensemble pourtant de très haut niveau. Le très classique « In Liverpool », le « 99.9 F » qui donne son titre à l’album, l’énorme chanson pop à la Go-Go’s – Bangles « When heroes go down ». Que ces trois titres-là n’aient pas hanté les hit-parades, relève de l’injustice, ou de la surdité collective, voire des deux …
Il faut quand même préciser que Suzanne Vega n’a que modérément apprécié le succès de « Luka », et les contraintes très show-biz qui vont avec. Elle est toujours restée un peu à l’écart du cirque médiatique, et après ce « 99.9 F », a mis sa carrière en pointillé, préférant être une mère au foyer que se griller sous les sunlights d’une vie people. Elle n’en est que plus respectable …

SIMON & GARFUNKEL - PARSLEY, SAGE, ROSEMARY AND THYME (1966)


Un jardin (presque) extraordinaire

Ce disque au titre aromatique est le successeur de « Sounds of silence » qui avait installé le duo aux sommets du folk à tendance pop. C’est au niveau du son celui qui est le plus travaillé, le plus fin, le plus subtil des gendres idéaux de l’Amérique des années 60.
Car même si conformément aux canons du genre l’ensemble peut paraître dénudé, austère, une écoute au casque fait apparaître une multitude et une luxuriance d’arrangements (dus au producteur Roy Halee) peu évidents de prime abord. Le plus étonnant étant sans conteste la place qu’occupent la batterie et les percussions dans le mixage, jamais au centre, tantôt à gauche ou à droite. Et toute une kyrielle de sonorités acoustiques dosées infinitésimalement rajoutent sans cesse de nouvelles caresses sonores.
Les mélodies finement ciselées de Simon sont là (« Scarborough Fair / Canticle », « Homeward Bound », « For Emily … » et le final, le traditionnel « Silent Night » parasité par des flash d’infos pas vraiment réjouissants).
Pour moi, ce « Parsley … » n’a rien à envier au niveau de la richesse sonore au « Revolver » des Beatles paru en cette même année 1966.
Le seul reproche qu’on puisse faire aujourd’hui à ce Cd est son ancrage irréversible en ces temps de pré-flower power. Tout sonne joli, mais un brin daté, vieillot, suranné. Et les textes, dont beaucoup sont tirés de l’actualité des mid-sixties, font appel à des sujets ou des thèmes dont on se contrefout plus de 40 ans après.
De la belle dentelle musicale. Juste un peu jaunie.
Réédition de bonne qualité, mais chiche en bonus (juste deux démos en plus par rapport à l’édition originale).

Des mêmes sur ce blog :
Bridge Over Troubled Water

LEONARD COHEN - SONGS FROM A ROOM (1969)


C'était mieux avant ...

« Songs from a room » est le deuxième disque de Leonard Cohen et rien qu’à voir la pochette, sinistre, on se doute bien qu’il n’y a pas là des chansons de fin de banquet. Cohen ne réfléchissait pas encore en terme de carrière, il avait des textes, des bribes de mélodie, fallait que ça sorte, et c’était livré comme ça, sèchement, brutalement.
Alors évidemment, pour écouter ce genre de galettes, il faut un certain nombre de pré-requis. Ne pas être allergique à un folk tout ce qu’il y a de plus austère, à faire passer Woody Guthrie pour la Bande à Basile. Supporter les chanteurs sans voix, et de toutes façons, manière d’aggraver son cas, Cohen ne chante pas, il parle dans le meilleur des cas, mais généralement marmonne ou bredouille.

Il n’empêche que ce Canadien venu sur le tard (la trentaine largement sonnée lors de la parution de son premier « Songs of Leonard Cohen ») à la musique, après des débuts de poète et d’écrivain, sera étrangement, lui, le jésuite du folk, assimilé au Rock’n’Roll Circus de cette fin des années 60, et on le retrouvera  tête d’affiche au festival de l’Ile de Wight en 70.
Je vais vous faire une confidence, il me gonfle passablement aujourd’hui Cohen, pathétique vieillard s’accrochant à sa réputation de séducteur moche, et sortant depuis une éternité des disques dont je me contrefous. Pleins à la nausée de chœurs angéliques, boursouflés de claviers et de cette langueur monotone, violons compris, qui semble être sa trademark, depuis quasiment le « Songs of love and hate » de 1974, c’est dire si ça fait un bail.
Mais là, avec ces deux premiers disques, il avait fait fort, avec son folk en noir et blanc, alors que tous les autres essayaient de le colorier façon psychédélique, ou le mélanger à de la country, du rock, ou que sais-je encore. « Songs from a room », c’est back to the roots et take no prisoners. Aucune concession aux modes ou à l’air du temps. Et ce n’est pas un hasard si la moitié des titres de ce disque, comme du précédent, d’ailleurs, se retrouvent sur les compilations de Cohen. C’est de très loin ce qu’il a produit de mieux, quand bien même la tendance serait à considérer « Songs of Leonard Cohen » comme son meilleur. Pour moi, ces deux premiers disques sont indissociables, siamois et complémentaires. Des titres comme « Bird on a wire », qui a traumatisé le clown triste Murat, « The story of  Isaac », océan de tristesse, « The Partisan » avec son passage chanté en français sur les Résistants, « The butcher », voyage au bout de la nuit musicale, la superbe mélodie austère de « You know who I am », et l’éclaircie finale limite enjouée dans pareil contexte de « Tonight will be fine », il faut faire l’effort de les apprivoiser, de les dompter, pour que derrière ce Mur des Lamentations musical, apparaisse la beauté de ces textes et de ces orchestrations (oui, il y en a, des orchestrations, planquées au fin fond du mix).
« Songs from a room » est un beau disque de Leonard Cohen. Ceux qui suivront, dans le meilleur des cas, ne seront plus que jolis …


Du même sur ce blog :

DON McLEAN - AMERICAN PIE (1971)


The day the Music died ...

C’est bien simple, il a fallu que j’aille vérifier sur le Net si Don McLean était toujours vivant (il l’est, merci pour lui), et j’ai découvert avec surprise qu’il continuait encore à faire des disques. Faut dire qu’on n’en entend pas trop parler, de celui-ci, et encore moins de ce côté-ci de l’Atlantique.
Don McLean a eu son warholien quart d’heure de gloire au début des années 70 avec ce disque. Un quart d’heure de gloire tout de même assez monumental, car tous les chiffres qui concernent ce disque s’égrènent au moins en millions (les ventes, les passages radios des singles). Avec les trente six minutes de ce « American Pie », McLean s’est mis à l’abri du besoin, et évitera bien des soucis de fin de mois à sa descendance pour plusieurs générations…
Evidemment, on pourrait résumer ce disque à son morceau-titre. Une épopée folk de plus de huit minutes ayant comme point de départ « the day the music died », le 3 Février 1959, jour où ont péri dans un accident d’avion Buddy Holly (idole de McLean), Ritchie Valens et le Big Bopper. Ce titre est l’occasion pour McLean de donner une vision toute poétique des rapports de la musique avec la société américaine, de l’insouciance de la fin des 50’s aux prises de position utopistes, militantes et engagées des sixties, jusqu’au réveil douloureux et désabusé du début des années 70. Tout en restant assez elliptique (peu de noms sont cités, il faut se contenter d’allusions évidentes à James Dean, Elvis, les Beatles, les Stones, Dylan, les Byrds, …), et McLean s’est toujours refusé à commenter et éclaircir ses paroles. Ce « American Pie », avec sa mélodie irréprochable est pour moi le sommet de ces titres folk « héroïques » à la durée démesurée, genre dans lequel concourent des choses aussi célèbres que le « Wooden ships » (Crosby, Stills & Nash, et Jefferson Airplane) ou le « Sad eyed lady of the Lowlands » de Dylan (une face entière de vinyle, la dernière, de « Blonde on blonde »).
Mais McLean, apparemment en état de grâce, ne s’est pas arrêté là. Ce « American pie » est parfait de bout en bout, une sorte de synthèse de tous les courants de la musique folk apparus jusque là. Et avec beaucoup de choses qui font penser aux Anglais. Il y a dans la pureté mélodique, dans la finesse et la richesse des arrangements, beaucoup de choses qui renvoient à Bert Jansch, Fairport Convention, Donovan, Cat Stevens, Nick Drake, voire Syd Barrett … Dylan (difficilement contournable dès lors que l’on est américain et que l’on fait du folk) est aussi de la revue à travers « Everybody loves me, Baby ». Titre troublant, tout le Zim de « Highway 61 revisited » est là, jusque dans les inflexions vocales, surprise assurée au jeu du blind-test… Et tous les folkeux « mélodiques » américains, de Paul Simon à James Taylor se retrouvent au détour d’une intonation, d’une mélodie, d’un arrangement …Des choses comme « Vincent » (hommage à Van Gogh) sont parfaites, et le final du disque, qui fait cohabiter son dépouillé et montées lyriques (« The grave », « Babylon ») annonce avec plus de vingt ans d’avance les ambiances frissonnantes d’un Jeff Buckley …
Ce succès colossal, autant artistique que commercial, restera à peu près sans lendemain, Don McLean n’ayant pas voulu (ou pas été capable selon les sources), d’assumer le statut de superstar qui se dessinait pour lui.

SIMON & GARFUNKEL - BRIDGE OVER TROUBLED WATER (1970)


La fin d'une époque ...

Des deux, c'était toujours Garfunkel le premier à s'apercevoir qu'il pleuvait ...
Dernier disque des gendres idéaux de l’Amérique des 60’s, avant les carrières solo.
Ce « Bridge … » contient quatre énormes succès mondiaux : la chanson-titre, « El Condor Pasa », Cecilia », « The Boxer ». Quatre merveilles de folk-pop, qui ne laissent pas transparaître, tant l’osmose des voix est parfaite, que les deux hommes ne s’entendent plus. Comme d’habitude, c’est Paul Simon qui a écrit tous les titres, le grand rouquin ne servant qu’à l’accompagner au chant.
Ce disque paru en 1970 marque aussi la fin d’une époque. Les sixties et leurs gentilles utopies se terminent. Groupe référence de l’époque (mais aussi de Paul Simon), les Beatles n’existent officiellement plus. Et le propos musical dominant se durcit nettement (Led Zeppelin commence à vendre des disques par millions aux USA). Le tragique festival d’Altamont montrera bientôt que les insouciantes années 60 sont bel et bien terminées.
Alors même si ce « Bridge … » est un bon disque, comme tous les disques studio de Simon & Garfunkel, les amateurs du duo ne le citent pas souvent en référence, et lui préfèrent généralement « The Sounds of Silence ».

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BOB DYLAN - THE FREEWHEELIN' BOB DYLAN (1963)


Le troubadour de Greenwich Village ...

« The Freewheelin’ Bob Dylan » est le second disque de Dylan, et le premier à comporter quelques-uns de ses titres d’anthologie.  
En 1963, Dylan est un inconnu, dont la réputation peine à dépasser les limites des clubs de folk de Greenwich Village. Un type que sa maison de disques commence même à trouver embarrassant, tant il semble d’une rigidité artistique inaltérable. Dylan est un puriste et ça s’entend. Une gratte sèche, quelques notes d’harmonica, des mélodies qu’il faut prendre la peine de bien chercher, et une voix … comment dire … pénible, à la limite de la justesse (et même par moments pas juste du tout comme sur « Down the highway »), et d’un timbre agressif pour l’oreille, autant par sa tessiture que par la façon de chanter du Zim …
Dylan, comme tout les plus grands du rock, est une éponge et un vampire. Qui absorbe tout un tas de données culturelles, et n’hésite à imiter, copier, plagier (rayer la mention inutile) tout ce qui passe à sa portée. Il a découvert la Beat Generation par la lecture, notamment une biographie de Woody Guthrie. Apprenant que ce dernier est hospitalisé à New York, il va aller y vivre. Lors de ses visites à celui qu’il perçoit comme son héros, il va rencontrer d’autres de ses amis, comme le chanteur Ramblin’ Jack Elliott, qu’il va littéralement cloner dans ses chansons et la façon de les interpréter. Dans les clubs de Greenwich Village, Dylan rencontrera sa première muse, Suze Rotolo (c’est elle à son bras sur la pochette), dont les goûts avisés et les conseils en matière littéraire lui seront immensément bénéfiques…
The Freewheelin' Bob Dylan
C’est un Dylan qui en pleine évolution, qui s’ouvre sur le monde et ses révolutions qui se cache derrière ce « Frewheelin’ … ». Certes un disque quelque peu en roue libre, Dylan passe d’une chanson à l’autre du coq à l’âne, pas de thème majeur ou récurent … Mais déjà quelques sujets de réflexion qui vont revenir tout du long de sa carrière.
Les femmes, d’abord, avec qui Dylan aura toujours des relations pour le moins compliquées, entre mariages,  enfants tenus secrets, divorces et remariages … Sur ce disque, elles sont là, en filigrane ou directement les inspiratrices de chansons, comme l’idéalisée « Girl from the North country ». Mais surtout, à cette époque-là, Bob Dylan est un citoyen du monde, qui s’interroge sur son évolution, et donne accessoirement dans le commentaire social ou politique au sens large. Ces préoccupations sont l’épine dorsale de ce disque, qu’il s’agisse de morceaux devenus cultes comme « Blowin’ in the wind », « Masters of war », « Don’t think twice », « A hard rain’s … » (sur la « crise » des missiles de Cuba), ou les moins connues « Talkin’ World War III blues », « I shall be free » et sa séquence de name-dropping.
Il y a aussi quelques titres dont les historiens du Zim nous ont appris qu’il s’agissait d’impros (par définition bâclées, mais Dylan s’en foutait, il n’avait rien à perdre, personne le connaissait), comme « Bob Dylan’s blues » ou « Talkin World … ». Et puis, et surtout, quelques légers dérapages et sorties de route qui prouvaient dès cette époque-là Dylan ne se cantonnerait pas, ou pas seulement, à chanter du folk pur et dur. On trouve une échappée vers le blues roots (« Down on the highway »), un genre auquel il se consacre quasi exclusivement depuis plus de dix ans sur disque, et surtout un titre « Honey, just allow me one more chance », avec, perdu au fin fond du mix, un accompagnement électrique (guitare, basse, batterie, piano). Ce titre-là, Dylan a du batailler pour qu’il figure sur le disque, son « chef de produit » à la Columbia, John Hammond, pas n’importe qui à l’époque, n’en voulait pas. Bon, ce n’est pas encore «Like a rolling stone » ou « Highway 61 revisited », mais ça montre que Dylan ne va pas rester éternellement un baladin folk.
Les temps vont bientôt changer …
« The Freewheelin’ Bob Dylan » est souvent considéré comme le meilleur de la période strictement acoustique de Dylan. C'est quand même un disque à conseiller et à réserver à ceux qui aiment bien les ambiances monotones dépouillées, ou qui sont bilingues. Voire les deux, ce qui, maintenant comme à l’époque, doit pas faire foule …

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Christmas In The Heart

JOHNNY CASH - AMERICAN IV : THE MAN COMES AROUND (2002)


The Last Waltz ...

Dernier volet (par la force des choses, Johnny Cash est mort l’année suivante) de la collaboration de l’Homme en Noir avec le producteur Rick Rubin (aux manettes sur la majorité des disques de Slayer ou Red Hot Chili Peppers). Un disque pas tout à fait « normal » qu’il faut quand même replacer dans son contexte.

Pas toujours de bonnes fréquentations, Johnny Cash ...
« The man comes around » marque le point final de quasiment un demi-siècle d’enregistrements de Cash. Qui a tout connu dans sa vie. Après avoir fait partie du « Million Dollar Quartet » chez Sun Records, label où il côtoyait à la fin des années 50 Elvis Presley, Jerry Lee Lewis, Roy Orbison ou Carl Perkins, être revenu très vite à la stricte country, gagné son surnom de « Man in Black » dans les années 60 grâce à la sempiternelle couleur de ses tenues vestimentaires, s’être construit une réputation (plus légendaire que réelle d’ailleurs) de « bad boy » par quelques titres provocants et une série de concerts dans des établissements pénitentiaires, il va entamer ensuite pendant vingt ans une longue traversée du désert. Sans toutefois risquer de mourir de soif, ses penchants pour la bouteille et toutes sortes de drogues lui faisant à plusieurs reprises frôler la mort. Son silence assez assourdissant lors de la mutation de la country des 70’s par ceux que l’on a appelé les « Outlaws » (Nelson, Jennings, Kristofferson, …), alors que beaucoup l’auraient imaginé prendre fait et cause pour ces « jeunes », son implication assez inconsistante dans la vie politique américaine (il a roulé autant pour les Démocrates que pour les Républicains), quelques déclarations imbéciles à l’emporte-pièce pour flatter son public de rednecks, avaient fini par faire de Johnny Cash une institution poussiéreuse, un ringard dont il n’y a ni humainement ni artistiquement plus rien à attendre. Débarqué dans les années 80 par ses maisons de disques successives, il finira par échouer au début de la décennie suivante sur Def American, le label de Rick Rubin.

Rubin qui fera avec les disques de Cash l’antithèse de ce pourquoi il était célèbre. Le deal artistique est simple : il faut que les disques de Cash sonnent le plus brut, le plus basique, le plus acoustique possible, à l’opposé de la foire à la ferraille sonore dont Rubin était le porte-drapeau. Le résultat d’ensemble sera globalement très bon, mais de là à qualifier ces enregistrements de cruciaux tant pour l’époque que pour leurs auteurs, il y a un pas que je ne franchirais pas, même s’il faut reconnaître qu’ils représentent une qualité que bien peu maintiennent après des décennies de carrière. Ils auront en tout cas contribué à restaurer et rénover la légende de Johnny Cash, à tel point que le biopic qui lui a été consacré (« Walk the line ») aura un immense succès (normal, il a tout pour participer au « rêve américain », la réalité étant bien souvent plus sombre que ce que laisse entendre le film …).

Johnny Cash 2003 : le vieil homme est amer ...
A l’époque de ce « American IV », Cash est physiquement au bout du rouleau. Son hygiène de vie apocalyptique laisse maintenant son corps aux prises avec maladies nerveuses dégénératives, graves affections pulmonaires et diabète. Ses jours sont comptés et il le sait. Du coup, cet album, peut être intrinsèquement le moins bon de la série par ses choix artistiques, va acquérir une résonance particulière. Le principe est le même que pour les précédents, essentiellement des reprises en version dépouillée. Et autant précédemment, voir Cash se frotter aux répertoires de Nick Cave ou Bonnie « Prince » Billy était dans la logique des choses, voir ici apparaître des auteurs comme Sting, Trent Reznor, les Beatles, Depeche Mode, Simon et Garfunkel ou encore les Eagles, mêlés à quelques standards de la country la plus traditionnelle peut surprendre. En fait, la plupart des titres ont été choisis pour leurs textes, en rapport avec la maladie, la souffrance ou la mort.

Cash est trop éprouvé lui-même pour sublimer quoi que ce soit, et on sait que malgré un état de santé plus que précaire, il s’est acharné à vouloir mener ce projet à terme. Un bon paquet de titres sont ratés ou sans intérêt (la plupart des vieilles scies country, les titres de Sting, Eagles ou Beatles …), à peu près autant sont corrects sans être transcendants. Et puis, il y a quatre morceaux, hors-normes et exceptionnels. « The man comes around », dernier titre écrit par Johnny Cash et qui ouvre le disque, est une sorte d’épitaphe, un bilan désabusé. Un morceau à mettre en parallèle avec celui qui clôt le disque ce « We’ll meet again » prémonitoire et poignant. Rien cependant à côté de la version du « Personal Jesus » de Depeche Mode, où l’on voit Cash se dresser avec tout ce qui lui reste de force face à Dieu mais aussi face à tous ses démons à lui. Le titre de Martin Gore était déjà exceptionnel dans sa version originale sur le Cd « Violator », Johnny Cash le transcende.

Et puis, il y a « Hurt », repris à Nine Inch Nails (ou Trent Reznor, c’est selon). Le morceau le plus émouvant que je connaisse, dans lequel un  Johnny Cash, miné par la maladie, à bout de souffle, nous donne une version agonisante dans tous les sens du terme. Et là, y’a rien qui parasite, pas un malin travail de producteur, c’est pas joué ou surjoué, on entend juste un vieil homme mourant chanter sa souffrance physique. Que quiconque n’est pas ému par ce titre s’en aille écouter les Black Eyes Peas, il ne mérite pas mieux …


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At His Mighty Best Vol 3



TIM BUCKLEY - TIM BUCKLEY (1966)


Coup d'essai et coup de maître ...

Tim Buckley, la fine fleur du psychédélisme
En 1966, le premier disque de Tim Buckley paraît sur le label Elektra, celui de Love et des Doors. L’influence de la pop psychédélique du Love d’Arthur Lee se retrouve un peu partout. Et si parfois ce « Tim Buckley » sonne comme les Doors (qui n’ont encore rien enregistré), c’est dû aux producteurs maisons d’Elektra, Paul Rotchild et Jac Holzman que l’on retrouvera dès l’année suivante aux manettes derrière Morrison et sa bande. Parmi les musiciens qui accompagnent Buckley, on trouve Van Dyke Parks, le génial arrangeur des Beach Boys. 

« Tim Buckley » est un disque raffiné, folk et psychédélique, bien dans l’air du temps. Mais Buckley ajoute sa touche personnelle : des musiques qui empruntent au classique, au baroque, au jazz. Et par-dessus tout cela, une des voix les plus belles et les plus pures du rock de l’époque. Parfois imitée (son fils Jeff), jamais égalée, c’est elle qui est au centre de cette œuvre majeure.

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GRATEFUL DEAD - AMERICAN BEAUTY (1970)


De toute beauté ...

Pour moi la masterpiece du Dead … En studio … Parce que Grateful Dead est un groupe compliqué, surtout vénéré par ses fans pour ses concerts-marathon et les improvisations stratosphériques de Jerry Garcia. Et tous ces Deadheads, baba-cools migrant au gré des dates de leur groupe, ont collé au groupe une de ces images d’Epinal (surtout en France) dont il est difficile de se remettre…

Pour beaucoup, le Dead n’est qu’un groupe de hippies, parfait symbole du flower-power de Haigh Asbury, aux titres étirés jusqu’à plus soif, aux concerts interminables dans les effluves d’encens, de patchouli et de marijuana. Une vision pas forcément inexacte mais en tout cas incomplète.

Grateful Dead live 1970
Car à force de faire des heures sup on stage, le Grateful Dead est devenu une redoutable machine à faire de la musique, et d’une technique qui ne doit rien à l’improvisation ou à l’approximation. Traumatisé par le retour aux sources du Dylan de « Nashville Skyline », le groupe qui vient de publier un « Workingman’s dead » déjà en rupture avec ses antécédents discographiques, va aller encore plus loin dans sa quête des racines de la musique populaire américaine.

Le résultat, cet « American beauty », n’a rien à envier à ce que venaient de faire Dylan et le Band au milieu des années 60, les Byrds avec « Sweetheart of the rodeo », ou à ce que fera Gram Parsons en solo. Alors ici, le Dead ressort les pedal steel, les harmonicas, donne une coloration électro-acoustique superbe, effectue un boulot considérable sur les harmonies vocales. Les maîtres de l’improvisation en public livrent un album studio à l’opposé, très travaillé, avec une mise en place millimétrée et un sens de la concision remarquable au service de titres d’une richesse mélodique étonnante. Surnagent du lot l’inaugurale « Box of rain », superbe chanson de country-folk, « Candyman » (rien à voir avec le film du même nom), un folk électrique avec (c’est exceptionnel dans ce disque) un court solo cosmique d’anthologie de Garcia, l’ultime « Truckin’ », rock enlevé et énergique qui sera par la suite un des titres de bravoure du Grateful Dead sur scène…

Ce disque sera un peu le chant du cygne en studio du Dead, qui préfèrera tourner sans relâche pendant plus de trois décennies jusqu’à la mort de Jerry Garcia, que d’essayer de donner une suite à ce « American beauty », chef-d’œuvre inégalé …

WOODY GUTHRIE - DUST BOWL BALLADS (2000)


Protest singer

Woody Guthrie, aujourd’hui, ce doit être comme les productions de chez WARP, il doit plus rester que trois pékins que ça intéresse. Il faut quand même une bonne dose d’abnégation pour à l’heure des Black Eyes Peas ou Coldplay triomphants, s’enquiller dans les esgourdes ce « Dust bowl ballads » … ou un machin des Boards of Canada …

Parce que Woody Guthrie, c’est du rêche, du brut de décoffrage. Une voix, une guitare sèche, et quand par hasard (et pas souvent) il y a une traînée d’harmonica, çà prend de suite des allures d’épopée wagnérienne. Ajoutez un son garanti d’époque qui crachote et grésille à tout-va, et on a largement de quoi rebuter le spectateur de base de « Taratata » …

Woody Guthrie et son arme de destruction  massive ...
Et pourtant, la descendance spirituelle de Woody Guthrie est à peu près infinie. C’est le premier véritable chanteur « engagé » américain, qui tire son inspiration de sa propre situation (guère reluisante, c’est un prolo atteint d’une maladie nerveuse irréversible et mortelle, on peut trouver plus glamour comme CV) ; mais aussi et surtout de celle de ses semblables, tout ce petit peuple américain qui a pris la crise de 1929 et la Grande Dépression qui a suivi en pleine poire.

Ce « Dust bowl ballads » dans sa version actuelle de 2000 est une réédition augmentée, d’une série d’enregistrements thématiques de Guthrie réalisés vers 1940. Placés sous la double influence des « Raisins de la colère » de Steinbeck (des chansons sont consacrées à Tom Joad, un des héros du roman, interprété la même année par Henry Fonda dans le film de John Ford), et des tempêtes de sable bien réelles qui ont touché l’Oklahoma où vivait Guthrie et qui rajoutées aux effets de la crise de 1929, ont provoqué un exode massif vers la Californie …

Guthrie est considéré comme le père spirituel de tous les folkeux « engagés ». Sauf que les titres originaux de Guthrie sont à peu près tous de la country music pur jus, ne s’aventurant que rarement dans le registre parlé du folk de l’époque, et ne s’inspirant guère malgré certains intitulés de morceaux (« Talkin’ dust bowl blues », « Dust pneumonia blues », « Dust bowl blues ») du blues des Noirs, autres parias de la société américaine … Cette country music en solo met en valeur les mélodies légèrement sautillantes, qui se teintent parfois de la syncope du rag (« Do Re Mi »).

Les textes, socialement positionnés (pour l’époque s’entend), sont eux construit d’après des formes littéraires répétitives (il faut capter l’attention, trouver des formules imagées, égrener plusieurs fois les vers) qui tirent leurs origines de la nuit des temps (les tragédies grecques, les chansons de geste, …). C’est uniquement au niveau des textes que l’on peut rattacher Woody Guthrie aux folk singers des sixties.

Car la « descendance » de Guthrie sera pléthorique. D’abord dans les années 50 avec Pete Seeger et surtout Ramblin’ Jack Elliott son véritable « héritier », ensuite la décennie suivante avec évidemment Dylan (qui soit dit en passant n’a fait que suivre et copier Elliott, jusque dans ses visites à l’hôpital new-yorkais dans lequel Guthrie a fini ses jours), et tous ses plus ou moins disciples à guitares sèches et feux de camp …

Guthrie était un radical (son fameux sticker « This machine kill fascits » apposé sur sa guitare dès le début des années 30), un des premiers artistes à prendre fait et cause pour le New Deal de Roosevelt. Ceux qui se réclament de lui ne sont aujourd’hui que des centristes du rock. Avec mention particulière à Springsteen, qui a aussi utilisé le personnage de Tom Joad pour un de ses titres d’albums, et chanté un des morceaux de ce « Dust bowl ballads » (« Vigilante man »), sur l’album de reprises (« Folkways, a vision shared ») qu’ont consacré à  Woody Guthrie et son équivalent noir et blues Leadbelly tous les Hervé Morin du rock (Dylan, U2, Mellencamp, …). Lequel « Folkways …» n’était qu’un remake d’un double vinyle de 1972 ( « A tribute to Woody Guthrie ») qui voyait déjà les François Bayrou de l’époque (Judy Collins, Richie Havens, Dylan bien sûr évidemment, …), s’attaquer live au répertoire de leur inspirateur…