Affichage des articles dont le libellé est Film d'auteur. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Film d'auteur. Afficher tous les articles

RUSS MEYER - FASTER PUSSYCAT ! KILL ! KILL ! (1965)


Le saint des seins ...

Russ Meyer est un type à peu près normal. Sauf qu’il y a un truc qui le tracasse quand même un peu, les fortes poitrines. Ça le tracasse tellement qu’il finira par en faire le sujet principal de sa carrière derrière la caméra. L’essentiel des films, y compris la très célébrée mais très con série des « Vixens », « Supervixens », etc, … est juste bonne pour assouvir les fantasmes de quelques voyeurs pervers, mais n’a que peu à voir avec le cinéma digne de ce nom. Mieux vaut un porno de base …
« Faster Pussycat … » est d’un autre … calibre. D’abord c’est bien filmé. Parce que Meyer n’est pas un obsédé sexuel (enfin, si, un peu quand même) qui s’est acheté une caméra, il a commencé par du reportage de guerre (il a couvert le débarquement américain sur les plages normandes, c’est d’ailleurs la partie de sa carrière dont il est le plus fier), techniquement le noir et blanc du film est excellent, et les plans originaux de caméra (les protubérances mammaires de ses actrices sont filmées sous tous les angles imaginables) témoignent d’un talent et d'une imagination certains. Même s’il y a quelques raccords bizarres (les fringues peuvent changer d’un plan à l’autre), quelques attitudes surprenantes (y’a pas de rétroviseurs sur leurs bagnoles, que les nanas soient obligées de se retourner pour voir ce qui se passe derrière ?).
Plein de belles carrosseries 
« Faster Pussycat … » (putain, ce titre !) est avant tout un film fétichiste. La fascination pour les gros seins, certes (avis aux (a)mateurs, on n’aperçoit pas l’ombre d’un téton, mais à l’époque c’était le genre de films que les jeunes boutonneux devaient regarder d’une main, la suggestion s’avérant aussi forte qu’un quelconque gros plan gynécologique), mais aussi pour toute une culture de fantasmes SM alors underground. Les femmes sont des dominatrices, usant et abusant de leurs charmes proéminents. « Faster Pussycat … » multiplie les références. Les tenues de cuir ? Brando dans « L’équipée sauvage », bien sûr. La Porsche de Tura Satana ? James Dean of course. Brando et Dean, les sex-symbols masculins de la décennie précédente. L’action de « Faster … » se situe dans le désert et il y a une blonde (Lorie Williams) plutôt ingénue et ultra-sexy ? Monroe dans « Les désaxés » …
L’intrigue de « Faster … » (si, si, il y en a une) n’est pas très élaborée, mais peu importe. Trois go-go danseuses partent dans une virée dans le désert au volant de leurs voitures de sport. Qui tourne au road movie sanglant (les trois-quarts du casting laisse sa peau dans l’histoire), quand elles se mettent en tête de rafler le magot d’une famille de plus ou moins dégénérés (le père infirme et obsédé sexuel, et ses deux fils, dont un malabar simplet). La figure (même si c’est pas sa figure qu’on remarque le plus) centrale du film, c’est Varla, « jouée » par Tura Satana. Un … personnage. Origine asiatique, violée toute enfant, experte en arts martiaux (elle n’est pas doublée dans les bastons du film), on dit (enfin, surtout elle) que ses atouts auraient même charmé le King Presley en personne, elle traverse le film telle une Betty Page sadique, toute de cuir et de gants noirs vêtue.
Pas commode, Tura Satana
« Faster Pussycat … » sorti en salles en 1965 jongle avec toutes les limites permises par tous les codes encadrant la « morale » cinématographique de l’époque. Un très fort pouvoir suggestif et fantasmatique. Lorsque les règles de la « décence » s’assoupliront à la fin de la décennie, Russ Meyer enchaînera à un rythme effréné les pellicules plutôt vulgaires (y’a pas photo entre l’impact subliminal de Tura Satana et l’exhibitionnisme bon enfant de son égérie des 70’s Kitten Natividad), se faisant plutôt malgré lui le porte-drapeau d’un cinéma trash dans lequel un John Waters pour ne citer que le plus évident de ses « descendants » puisera sans vergogne.
« Faster Pussycat … » n’a pas vraiment mobilisé les foules lors de sa sortie. Mais lentement, sûrement, il a acquis un statut mérité de film culte …

JEAN-LUC GODARD - MASCULIN FEMININ (1967)


Les enfants de Marx et de Coca Cola

La décennie prodigieuse de Godard, c’est celle des années 60, avec sa triplette de chefs-d’œuvre (« A bout de souffle », « Le mépris », « Pierrot le Fou »). Et quelques autres, un peu moins célébrés, le plus souvent à juste titre, tant le prolifique réalisateur donnait parfois l’impression d’être en roue libre face à son scénario et derrière la caméra. Dont ce « Masculin Féminin » de 1967.
Le pitch est simple, pour ne pas dire simpliste. L’histoire raconte la relation entre deux jeunes, Julien (Jean-Pierre Léaud) et Madeleine (Chantal Goya), et à vrai dire, on a l’impression que Godard s’en cogne un peu de cette histoire, elle n’est qu’un prétexte à ses légendaires digressions, et on est même un peu surpris qu’il la conclue, et en plus d’une façon assez abrupte et inattendue …
Masculin Féminin - Jobert, Goya, Léaud au cinéma 
« Masculin Féminin » est un film typique de la Nouvelle Vague. Après l’exubérance colorée de « Pierrot le Fou », Godard revient à un strict noir et blanc en 1/33, filmant souvent ses acteurs en gros plans serrés, et surtout, voire exclusivement  le visage des filles lors des scènes de dialogue.  Le choix de Léaud pour le rôle principal n’est évidemment pas innocent, il y joue à quelque chose près « son » rôle d’Antoine Doinel, adulescent existentiel et désabusé (d’ailleurs Julien se fait passer pour le général Doinel lors d’une scène-gag vers la fin du film). Léaud – Julien vient de finir son service militaire, réalise occasionnellement des sondages pour l’IFOP, son meilleur copain est un syndicaliste CGT, et Julien tombe plus ou moins amoureux de Madeleine, employée dans un magazine pour ados et qui rêve de devenir chanteuse yé-yé à succès.
Le film se passe dans Paris, avec en toile de fond l’élection présidentielle de 1965. A travers cette trame, Godard se livre à une mise en abyme de ses préoccupations en matière sociétale. Ici la politique et le sexe sont au centre des discussions. Godard n’y allant pas avec le dos de la cuillère, les censeurs de l’époque ne trouvèrent rien de mieux à faire que d’interdire à sa sortie le film aux moins de dix-huit ans. Sous prétexte que l’on y parlait de moyens contraceptifs, d’amour tarifé, que l’on y voyait deux hommes s’embrasser dans les chiottes d’un cinéma, Julien et deux femmes (tous en pyjama) dans le même lit, et une étrange relation quasi sado-maso dans un film dans le film … Aujourd’hui, y’a vraiment pas de quoi intéresser le fan de base des productions Marc Dorcel, mais cela traduit bien le puritanisme exacerbé des années 60, et la farouche volonté transgressive de Godard.
Masculin Féminin - Symboles ou clichés ?
Qui évidemment ne se prive pas de livrer quelques sentences et aphorismes de son cru, souvent affichés plein écran (le film est divisé en 15 chapitres), la plus célèbre étant « Ce film aurait pu s’appeler : Les enfants de Marx et de Coca Cola ». Mais aussi quelques dialogues croustillants : « Y’a plus de papier dans les chiottes ? – Prenez le Figaro sur la commode ! » ... Godard se veut aiguillon d’une rébellion-révolte-révolution dont la jeunesse serait l’épicentre. Il s’en prend à l’impérialisme américain tant militaire (la guerre du Vietnam) que culturel. Dans ce domaine, une de ces cibles est  Bob Dylan, « accusé » de vendre 10 000 disques par jour. Et le nom de famille de Madeleine, qui préfigure la Bécassine que deviendra la vraie Chantal Goya, est Zimmer (comprenne qui pourra ou qui voudra). Godard n’hésite pas à faire se lancer ses personnages dans du name-dropping pour les ancrer dans la réalité (sont évoqués ou présents sur des affiches le Bus Palladium, Hallyday, Sylvie Vartan, Alain Barrière, Ronnie Bird, …). Mais Godard fustige la frivolité de la jeunesse, son insouciance face à ce que lui pense être les vrais sujets de préoccupation. A ce titre l’interview d’une Miss de magazine est un moment d’anthologie, et on vient à se demander si ces répliques surréalistement naïves sont écrites ou naturelles par la transparente nunuche …
Un film de Godard des années 60 ne serait pas « normal » s’il n’était pas traversé de quelques personnages lunaires qui apparaissent furtivement dans le champ pour quelques passages incongrus (le gars qui cherche le Palais des Sports, la femme qui flingue son mari à la sortie du bistrot, le jeune loubard qui se fait hara-kiri, l’opposant au Vietnam qui s’immole hors-champ). Même Brigitte Bardot y va de sa courte apparition (1’30) dans à peu-près son propre rôle d’actrice répétant une pièce de théâtre. Tiens, au rayon pin-ups de l’époque, on aperçoit quelques secondes Françoise Hardy sortant d’une limousine américaine que vont taguer Julien et son pote …
Masculin Feminin - Bardot, figurante de luxe
Godard est en colère contre cette jeunesse amorphe et lobotomisée, que l’activisme politique ne « sauve » même pas (voir la scène où Robert, le copain syndicaliste d’Antoine, tente maladroitement de séduire Catherine-Isabelle, l’amie de Madeleine). En fait Godard, malgré tous ses efforts ne comprend pas grand-chose à la jeunesse (une jeunesse qu’il voudrait révolutionnaire et qu’il montre sombrant dans les futilités yé-yés), ni à ses aspirations. Il y a un monde entre ce réalisateur de trente cinq ans et ceux qui ont quinze ans de moins que lui, et on sent que ça l’énerve. Et finalement, il finit par donner une image somme toute convenue, limite réactionnaire et mysogine d’une génération qu’au fond de lui il semble mépriser pour sa nonchalance. Godard se montre particulièrement dur avec ses personnages féminins, transparents et sans relief (l’indécision finale de Madeleine, le rôle peu valorisant confié à l’autre débutante Marlène Jobert, la séquence avec la fille dans le photomaton …)
« Masculin Féminin » plus qu’un film sur la jeunesse se révèle finalement plutôt un film à charge contre la jeunesse. Godard est trop dans son monde, trop dans sa tour d’ivoire, et commence à traduire son asociabilité de génial réalisateur qui deviendra finalement récurrente chez lui …

Du même sur ce blog :