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LYLE LOVETT - I LOVE EVERYBODY (1994)

 

Andy Warhol l'avait dit ...

… que tout le monde aurait son quart d’heure de gloire… Et donc, en cet an de grâce de mil neuf cent nonante quatre, vint le tour de Lyle Lovett…

Ceux qui avaient l’œil exercé pouvaient l’avoir vu traverser le champ des caméras pour quelques petits seconds rôles, surtout chez Robert Altman. Ceux qui faisaient les bacs à soldes rayon « new country & folk-rock singers-songwriters, americana & so on … » étaient peut-être un jour tombés sur un de ses disques précédents…

Lyle Lovett, bientôt de retour dans l'ombre ...

Lyle Lovett était un gars à la renommée confidentielle chez lui aux States et un inconnu à peu près total partout ailleurs. Et puis, tout à coup les rotatives de la presse musicale se sont emballées et on vit un peu partout  en quadrichromie sa bouille émaciée en lame de couteau de clown triste et sa silhouette filiforme. La raison de tout ce tapage médiatique est à chercher à la dernière ligne du livret de ce « I love everybody », au chapitre dédicaces : « For Julia ». Julia ? Julia Roberts, la Pretty Woman que le Lovett venait d’épouser. Dès lors, de troisième couteau, Lovett va devenir au bras de sa belle une figure people. Dont on  guette les moindres faits et gestes … et les sorties de disques. Que certains, perdant tout sens de la mesure, trouveront géniaux et entretiendront ainsi le buzz … Ne reculant pas à le comparer à de chenus et respectables ancêtres, lâchant un peu trop précipitamment  les noms de Dylan, Leonard Cohen ou Randy Newman.

Bon, ce « I love everybody » n’est pas si mauvais que çà, mais c’est loin d'être un disque crucial. Composé pour l’essentiel de morceaux anciens, antérieurs à ses premiers opus des années 80, retravaillés pour l’occasion. Un disque doté d’une grande unité de son, tous les titres se ressemblent, tempo ralenti, country-folk pépère, batterie balayée, basse et guitares discrètes … généralement un trio basique et une propension, pour pas dire une manie de rajouter des arrangements à base de violon ou de violoncelle. Au début, ça fait la farce, mais comme le procédé se répète quasi systématiquement sur l’ensemble des dix-huit titres, ça fait monotone. On trouve de temps en temps quelques cuivres, bien discrets au fond du mix, mais ça donne pas forcément de l’entrain …

Quelques anciennes gloires sur la pente savonneuse de l’oubli sont dans les chœurs sur quelques titres, comme le Simple d’Esprit Jim Kerr, la Tom Waits à cigarillo Rickie Lee Jones, le chanteur de Was (Not Was) Sweet Pea Atkinson, sans oublier Madame Lovett sur une paire de titres … de toutes façons, c’est tellement perdu au fin fond de la bande, que la Julia Roberts, elle pourrait chanter comme la Aya Machin, on s’en rendrait pas compte … et le requin de studio tambour majeur  Kenny Aronoff vient donner le rythme sur quelques titres. Il a pas dû pécho une tendinite, tout est down tempo, pour pas dire comateux … Dans cet exercice casse-gueule de chansons dépouillées, faut pas être le premier blaireau venu si on veut se faire remarquer. Et comme le Lyle a une voix uniforme, pour pas dire monocorde, et que dès qu’il essaye de la pousser, par exemple sur « Old friend », ça frise le pathétique on a bien du mal à se raccrocher à quoi que ce soit dans cette rondelle …

Lyle Lovett et sa choriste préférée ...

Des fois on y croit, quand arrive un pied de batterie énervé et en avant (« Penguins »), las on déchante vite, ce n’est qu’un machin avec des cuivres que même Danny Brillant il en aurait pas voulu. Le tour des morceaux à sauver est vite fait. « Fat babies », le meilleur de la rondelle, assez étoffé au niveau sonore, puis on peut zapper une dizaine de plages pour arriver à « La to the left », vraie chanson avec belle mélodie, et ensuite la dernière l’éponyme « I love everybody », construite sur le même modèle que « Fat babies » avec un crescendo point trop mauvais …

Tout le reste, c’est bien gentillet, bien soporifique, des ersatz d’americana, de country-rock, de folk, de blues ( le mal nommé « I’ve got the blues », aucun feeling), ça ronronne doucement … S’il faut trouver quelque chose de positif, c’est au niveau de l’enrobage que ça se passe, jolie pochette classieuse à la Doisneau, résultat d’une séance « sur le vif » parisienne (comme les photos du livret), informations copieuses, nombreuses notes … très intéressant pour les yeux, sauf que le problème d’un disque, c’est d’abord fait pour les oreilles, et là, ça coince quand même …

Je sens poindre une question essentielle … si on a beaucoup parlé de celui-ci, pourquoi les disques suivants sont passés sous les radars ? La réponse, my friends, elle est chez les avocats, lorsque la Julia et le Lyle ont divorcé, l’année suivante. Et Lyle Lovett est devenu forcément beaucoup moins intéressant …


ZAKK WYLDE - BOOK OF SHADOWS (1999)

 

Marche à l'ombre ?

Autant le préciser d’emblée, voici le genre de rondelles que j’aborde avec circonspection. Le Zakk est maintenant célèbre (?) pour être le leader de Black Label Society, qui me semble être une bande de chevelus bien bourrins (mais je sais pas trop, j’ai écouté que deux-trois morceaux en travers). Auparavant, Wylde s’est fait remarquer de ceux qui trempent leur slip dès qu’un solo de guitare apparaît à l’horizon en étant l’accompagnateur de Ozzy Osbourne (après Randy Rhoads, … bâillements). Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il fallait une bonne dose d’abnégation pour accompagner l’ancien chanteur de Black Sabbath, précocement sénile et rendu totalement cinoque par l’alcool et la coke dans les années 80 et suivantes. Il paraît que cette promiscuité a laissé des traces chez Wylde, le poussant vers la picole à forts volumes et (sans doute pour contrebalancer et éliminer les toxines) la gonflette musculaire. Le type est baraqué et joue de son physique schwarzeneggerien … Les spécialistes pourraient vous tartiner trois feuillets à vous dire l’importance de Wylde live, of course, mais aussi en studio, où il aidait beaucoup son demeuré de patron à écrire et arranger des chansons …

Quand les cures de désintox de l’Ozzy lui laissaient du temps libre, il avait monté un groupe dont j’ai oublié le nom (et que j’ai la flemme de rechercher) qui a duré quelque temps avant de disparaître. Son label Geffen lui a signifié qu’il avait signé un contrat qu’il se devait d’honorer et qu’il lui était redevable d’un disque. D’où de « Book of shadows » en solo. Se méfier des disques de fin de contrat, les artistes ayant souvent tendance à saboter le boulot pour aller plus vite voir ailleurs. Aux dires des spécialistes du Wylde, « Book of shadows » n’a que peu à voir avec ce qu’il avait produit auparavant. Fini les trucs hardos et place à un country-rock viril. Ce qui à titre tout à fait perso me convient mieux.


Et ça commence plutôt très bien. « Between heaven and hell » premier titre de la rondelle, débute par une intro à la guitare acoustique renforcée par un harmonica. Une référence clignote instantanément, celle de « Harvest » de Neil Young. On a connu des débuts de disque moins intéressants. Et petit à petit dans ce titre, l’électricité arrive pour culminer par un solo court et intéressant de guitare électrique. Du bon classic rock, en formation serrée (ils sont que trois en studio, Wylde, un bassiste qu’on retrouvera chez Megadeth (soupirs …), et un batteur, Joe Vitale, habitué des sessions dans le gotha du rock West Coast (CSN, Eagles, Walsh, …). En plus de leurs instruments de prédilection, ils malmènent également pianos et claviers divers. On peut souvent lire que Zakk Wylde en solo pratique du rock sudiste. Amen … sauf que je vois pas bien en quoi ce disque peut ressembler aux premières rondelles des frères Allman ou de Lynyrd Skynyrd.

Pour moi, le premier titre est l’arbre qui cache la forêt. Globalement, « Book of shadows » est supportable. Sauf que Wylde décline toujours la même chose. Une intro acoustique (guitare ou piano), et un crescendo électrique trouvant son aboutissement dans un solo de guitare dans la ligne du parti (entendez par là qu’on n’est pas dans le superfétatoire démonstratif ou l’expérimental forcené). En fait, comme la plupart des titres sont sur un tempo lent ou médium, on a grosso modo un album de classic rock ricain … du genre de ceux que tartine Springsteen depuis la fin des années 80. Sauf que quand le Boss arrive plus ou moins à faire prendre la sauce en mettant ses tripes et son feeling dans le chant, le Wylde, il a pas vocalement le coffre pour insuffler de l’épique dans ses titres. C’est un chanteur juste correct et limité, et à force de pas être capable de varier la voix, ça finit par être redondant. Tous ces titres qui se ressemblent, qui sonnent tous de la même façon, si on n’est pas fan absolu, ça lasse … et c’est pas l’ésotérisme mystique de pacotille des thèmes des chansons (le Bien, le Mal, la culpabilité, la mort, la rédemption, …) qui peut sauver l’affaire.

Je suis guitariste, capito ?

Alors fatalement, ont tendance à ressortir du lot des titres qui essaient de se démarquer du moule uniforme. Comme le strict country-rock énervé de « The things you do », ou l’ultime « I thank you child » qui fait le grand écart entre les gentilles comptines de Donovan et un riff monumental accompagné d’un gimmick de batterie qui évoque le « Kashmir » de Led Zeppelin … Bon titre également, « Throwin’it all away » sous forte influence Dylan période « Knockin’ on heaven’s door » et doté d’un bon solo bluesy sans trop d’esbrouffe ou de fioritures superflues … Quelque part vers le milieu du disque on trouve aussi enchaînés une paire de titres quasi strictement acoustique, assez mignons mais qui courent un peu vainement sur les traces du Neil Young du même genre. Quant au reste, bof …

Comme si ça ne suffisait pas avec l’album original (onze titres, plus de cinquante minutes) la plupart des éditions de « Book of shadows » fournissent un Cd bonus avec trois titres qui n’apportent rien de plus ni de mieux (peut-être un chouia plus acoustique et une déception avec « Evil ways » qui n’est malheureusement pas une reprise du classique de Santana).

Il existe aussi un « Book of shadows II» … Euh, tout compte fait, non merci …




R.E.M. - MURMUR (1983)

 

Kudzu songs ...

Le kudzu (ou kuzu) est une plante vivace et invasive d’origine asiatique, qui s’est répandue dans d’autres continents, et notamment la partie orientale tempérée des Etats-Unis. Aujourd’hui, quelques bobos végans trouvent intéressant, voire intelligent ou carrément nourrissant d’en bouffer les tiges ou les graines …

Et non, je n’ai pas passé le second (ou le deuxième, allez savoir, on nous cache tout on nous dit rien) confinement à prendre des cours du soir de botanique. Si je cause du kudzu, c’est parce qu’il recouvre tout sur la photo de la pochette de « Murmur ». Il y en a partout dans les environs d’Athens, Géorgie. Et les R.E.M. viennent justement d’Athens. Ville universitaire qui en ce début des années 80, venait de livrer au monde les exubérants B-52’s.


R.E.M. ça veut dire « rapid eye movement », une des phases du sommeil paradoxal. Arrivés à ce stade, les fans de Status Quo ont déjà abandonné la lecture. Ça tombe bien, R.E.M. c’est pas pour eux … D’ailleurs, a priori, R.E.M. c’était pas destiné à grand-monde. Quatre types qui jouent de la musique dans leur garage en espérant au mieux, si tout s’emmanche bien, donner un concert d’une demi-heure lors d’une soirée étudiante. A l’origine du groupe, le classique magasin de disques. Peter Buck (pas vraiment filiforme, plutôt trapu et une coupe de cheveux à la Roger McGuinn ou Beatles 65) y travaille comme vendeur et passe ses journées et ses nuits (sa vie entière, en fait, et il continuera, ce type a une des cultures musicales les plus phénoménales du monde du rock) à écouter les disques en rayon. Il repère un type qui n’achète que des disques qu’il a trouvés excellents. Ce type, c’est Michael Stipe (silhouette frêle et souffreteuse, des binocles et le cheveu long qui a déjà tendance à se dégarnir), un type dont le seul plaisir en dehors de la musique est de traîner et de méditer dans la campagne, de se mettre en symbiose avec la nature, ne rechignant pas à bouffer quelques poignées de terre pour être plus près de la Mère nourricière (c’est ce qu’il avouait timidement lors de ses premières interviews). Entre ces deux bizarros, une amitié musicale naît, et comme Buck gratouille un peu et que Stipe chante (ou murmure, on y reviendra) à peu près juste, pourquoi pas monter un petit groupe … Une section rythmique qui joue depuis quelque temps ensemble au gré d’éphémères formations de collège est repérée, et c’est parti. Le bassiste, c’est Mike Mills, tronche de musaraigne comme un brouillon du Bellamy de Mumuse, et son pote batteur aux sourcils gigantesques qui répond au commun patronyme de Bill Berry.


Au départ donc quatre boys next door plutôt pas mignons, dont on ne peut être sûr que d’une chose, c’est qu’ils vont pas rendre trop de gamines hystériques. D’autant plus que leurs points communs musicaux sont pas vraiment dans l’air de ce début des 80’s : ils révèrent le Velvet Underground (groupe culte, c’est-à-dire inconnu du consommateur lambda de musique), les premiers disques des Byrds (passés de mode depuis belle lurette), ou les Modern Lovers (et leur folk-rock en totale roue libre, la référence en matière de je m’enfoutisme musical). Le son originel de R.E.M. repose sur une rythmique mouvante, souple, élastique. Parce qu’après, ça se complique. Peter Buck est le Buster Keaton de la guitare, le second faisait des films hilarants sans jamais sourire, le premier est un guitar hero qui ne fait jamais de solos et déteste tous les effets de manche et les gros riffs faciles, se contentant le plus souvent de suites d’arpèges. Quant à Stipe, qui écrit les textes, il s’évertue à les marmonner (parce qu’il en a honte, parce qu’ils n’ont aucun sens, parce qu’il a pas du tout l’âme d’un frontman) les yeux fermés loin des poursuites des projecteurs.

Moins de dix ans après leur formation, R.E.M. sera la plus grosse machine d’indie rock (le terme a été inventé pour eux) de la planète, vendant des disques par millions, classant des singles en haut des charts d’une façon métronomique. Et tout cela sans cours de chant ou de guitare, sans chirurgie esthétique, sans tenues fluo ni plumes d’oiseaux des îles dans le cul … Le disque qui va les assoir sur le toit du monde pop-rock (« Out of time » en 1991), il est pas foncièrement différent de leur premier, ce « Murmur » dont il serait quand même temps de causer un peu …

R.E.M. et « Murmur », ça tient quand même de l’accident industriel. Leur premier single (autoproduit), avec « Radio free Europe » en face A et une reprise en direct live dans le studio de « There she goes again » du Velvet en face B est tiré à cent exemplaires. Pendant qu’un contrat est signé avec I.R.S. (label indépendant où l’on trouve à la tête le frangin de Stewart Copeland, le batteur de Police), voilà-t-il pas que des journaux sérieux, pas forcément très rock’n’roll, mais d’audience parfois nationale font de « Radio free Europe » qui son single de la semaine, du mois, voire de l’année (quand il sera publié, « Murmur » récoltera les mêmes louanges).

Une version réenregistrée de « Radio … » ouvre « Murmur » (et « There she goes again » figure dans les bonus de la réédition Cd de 93), et force est de reconnaître qu’on n’a pas souvent entendu quelque chose d’aussi original et d’aussi évident bien souvent. Tout ce que développera et affinera R.E.M. pendant des années est dans « Radio free Europe ». Une base de country rock sautillante, une atmosphère brumeuse et cotonneuse (forcément cotonneuse, on est en Géorgie), cette voix qui tient plus du murmure que du chant, ces arpèges de guitare, ces chœurs le plus souvent à contre-temps. On retrouve à des degrés divers ces éléments dans tous les titres du disque. Mais attention si on parle bien d’uniformité, on ne parle de répétition. Parce que ce qui distinguera R.E.M. de tous ses semblables et bientôt suiveurs, c’est la capacité à écrire des chansons, ce truc léger et en même temps rigoureux avec une mélodie, des couplets, un refrain, le tout en trois-quatre minutes chrono. La concision sera aussi un des signes distinctifs de R.E.M.

Une fois la recette établie, les variations interviennent sur le tempo (il faudra attendre l’arrivée du producteur Scott Litt et la signature sur la major Warner à la fin des eighties pour que morceaux s’enjolivent et deviennent beaucoup plus radio-compatibles, sans que jamais on ne puisse accuser lors de leur première décennie d’activité les Athéniens de virer commercial). Qu’il s’accélère, et on se retrouve face à de petites bombinettes pop-rock (« Pilgrimage », « Moral kiosk », « 9.9 », l’extraordinaire « Catapult »). Qu’il se ralentisse, et on se retrouve face à de superbes ballades country-rock (« Laughing », « Perfect circle », cette dernière comme en apesanteur).


Quelquefois, ces infimes variations peuvent déboucher sur des titres moins réussis (le superflu « West of the fields », les plus quelconques « Sitting still » ou « Talk about the passion »). Et pour finir quelques ponts jetés vers l’avenir telle « Shaking through » qui préfigure le disque suivant et selon moi encore meilleur (« Reckoning »), la chanson triste et entraînante à la fois comme une projection de tous les « Losing my religion » futurs (« We walk », encore « Laughing »).

On ne peut cependant pas citer R.E.M. comme la réponse américaine à la cold wave britannique (Cure et ses disciples). Il y a chez les Américains une chaleur, une positivité et une légèreté qui ne sont pas de mise chez tous les British vêtus de noir. R.E.M. est définitivement un groupe de rock (cf. les trois titres live en bonus joués en surtempo, et tant pis pour les pains où l’approximation, on est beaucoup dans le festif et pas dans la rumination mélancolique).

« Murmur » est un des meilleurs premiers albums jamais publiés et inaugure le début d’une décennie cohérente pour le groupe qui tracera patiemment, disque après disque, améliorant sans jamais renier sa formule initiale, une route qui le mènera sur le toit du monde …



Des mêmes sur ce blog : 



JOHNNY CASH - AT FOLSOM PRISON (1968)

Folsom Prison Blues ...
Il était l’un des protagonistes du Million Dollar Quartet, session plus ou moins avinée et inconsistante des stars de l’écurie Sun fin 1956. Autrement dit, Johnny Cash était quelqu’un qui « comptait ». D’ailleurs quand le label de Sam Phillips deviendra trop « petit » pour lui, il signera chez Columbia, Rolls Royce des majors du disque à la fin des 50’s.
La multinationale gérera tant bien que mal la décadence humaine (picole et remontants divers) et artistique de Cash, dinosaure d’un autre temps à même pas trente ans. Cash finit par symboliser le redneck, beauf lourdingue et réac, enquillant les disques de country pur jus pour fans only (et de country et de lui). Mais Johnny Cash est plus complexe que l’image qu’il donne (et que tout le monde entretient, tant que ça fait vendre du vinyle). Réac, oui, mais un avec un gros fonds de rédemption et d’humanisme (qui sera mis en valeur des décennies plus tard, mais c’est une autre histoire). Ainsi, une de ses tocades, c’est d’aller chanter dans les prisons où il prétend avoir séjourné (ce qui semble pure invention). Régulièrement, depuis la fin des années cinquante, il y donne des concerts.
Johnny Cash & June Carter arrivent à Folsom
Il envisage un concert début 68 dans la prison californienne de Folsom. Sentant une occasion de le remettre sur le devant de la scène, la Columbia décide d’enregistrer la performance (deux concerts, un le matin, l’autre l’après-midi) pour en sortir un disque live et dépêche son producteur number one Bob Johnston. Trois jours avant, Cash, sa June de femme, sa belle-famille et son band (parmi lequel figure Carl Perkins, oui, celui de « Blue Suede shoes », alcoolique au dernier degré qui a bousillé sa propre carrière) commencent à répéter les deux sets. Ils seront quasi identiques, le disque proviendra presque exclusivement de celui du matin, bien meilleur. Ils recevront même une visite d’encouragement du Gouverneur de Californie, un certain Ronald Reagan.
Quelques opening acts pour commencer (dont Carl Perkins pour une paire de titres), et l’Homme en Noir entre en scène sur un lapidaire « Hello, I’m Johnny Cash ». On sent dans la voix une certaine crispation, le public est nombreux (plusieurs centaines de détenus au vu des photos de la réédition Cd de 1999), Cash sait que les magnétos tournent et qu’il joue gros. « Folsom Prison blues » pour commencer, son vieux hit de 1955. Avec son fameux vers « I shot a man in Reno, just to watch him die ». Brouhaha de satisfaction dans la salle. En fait, certaines sources proches du dossier comme on dit, affirment que le « public » a en grande partie été rajouté au mixage, les prisonniers entourés par une troupe fournie de gardiens ayant été « invités » à se montrer calmes. Très vite, Cash enchaîne par la courte ballade country (« Busted »), avant la superbe rengaine crépusculaire « Dark as the dungeon ». Signe de la tension qui règne, il se mélange les pinceaux dans les paroles. Les quatre premiers morceaux sont enchaînés sans un mot, avant que Cash se mette à (un peu) parler entre les titres. Pourtant c’est pas un timide, faut être assez couillu pour commencer par « Folsom … » et balancer assez vite un « Cocaine blues », country très rock salué par des grognements de joie des taulards. « Orange blossom special », une sorte de « Johnny Be Good » du country, que Cash a reprise sur un de ses disques à succès précédents, n’est pas l’interprétation du siècle de ce standard, et met fin à la première partie électrique du show.
Le Johhny Cash Band à Folsom
Dès lors, Cash va faire face seul avec sa voix de baryton et sa guitare sèche au public pour une poignée de titres acoustiques, dont surnage la belle ballade « Send a picture of Mother ». Retour du band et présentation de June Carter, qui duote avec son mari sur le standard « Jackson ». L’occasion de se rendre compte que la June, souvent citée mais peu écoutée est une de la « vieille école » country. Voix puissante quasi hurlée, issue d’une époque où dans le pays des rednecks, fallait se faire remarquer au chant, et encore plus quand on était une femme. On est assez loin de la voix de cristal d’Emmylou Harris, si vous voyez ce que je veux dire …
« Give my love to Rose » est pour moi la plus belle de cet album, la ballade définitive pour chialer dans sa bière. Mine de rien, on approche de l’heure allouée à Cash. Qui n’oublie pas de mettre en avant des titres évoquant le milieu carcéral (« I got stripes », ou la jolie country song nostalgique des temps de liberté quand on est au trou « Green green grass of home »).
Johnny Cash & Glen Sherley
Il vaut mieux zapper la longue et quelconque « The legend of John Henry’s hammer » (d’ailleurs elle figurait pas sur le 33T original, comme quoi ils étaient pas sourds à l’époque), avant d’arriver à l’apothéose finale. Qui s’appelle « Greystone Chapel » et présente la particularité d’avoir été écrite par un détenu, Glen Sherley, que Cash présente et à qui il va serrer la main. Pas par démagogie (ou pas seulement), ce titre est superbe. Fin du morceau, et fin du concert sur un court instrumental à toute blinde du groupe, avec un Cash qui sort sous évidemment les vivats.
Comme escompté, ce live va relancer sa carrière et donnera lieu à une « suite » l’année suivante à San Quentin, qui elle sera plus axée « Greatest hits live ». Bon, sinon, il faut en penser quoi de ce « At Folsom Prison » ? Pierre angulaire, Alpha et Oméga pour certains Cash addicts. Ouais, même si perso la courte période Sun ou certains disques crépusculaires avec Rick Rubin me semblent supérieurs, les live carcéraux sont un des sommets du bonhomme. Exercice courant aux States pendant des décennies où les chanteurs « populaires » allaient se produire chez les taulards. Les longues notes du livret de Cash lui-même montrent que même avec les « précautions d’usage » de ce genre de prose formatée, l’Homme en Noir était très sensible à ces moments. Qu’il trouvait là matière à cultiver son image de dur, de bad boy, de tough guy, mais aussi à apporter un peu de bonheur de joie, de bonheur et de divertissement à des types pas forcément gâtés par la vie.
Deux choses à noter.
Dans le livret, quelques phrases enthousiastes de Steve Earle, qui n’est pas vraiment connu pour tourner autour du pot quand il a quelque chose à dire. Earle, qui fut un temps avec tout ce que cela signifie aux States membre du Parti Communiste, ne tarit pas d’éloges et sur ce disque et sur son auteur.

Un détail assez troublant tout de même. Dans les nombreuses photos du livret immortalisant l’événement, très peu de Blacks. Pourtant, autant à l’époque que maintenant, ils se retrouvaient au gnouf pour un oui ou un non. Les responsables de l’administration pénitentiaire devaient choisir le public. Même en taule, valait mieux être Blanc…


Du même sur ce blog : 

NEIL YOUNG - PEACE TRAIL (2016)

La dernière moisson ?
Bon, attention, je veux pas l’enterrer avant l’heure, le vieux Neil. Bien content qu’il soit encore là, rescapé de cette hécatombe (qui va pas s’arranger, les (ex)-fans des sixties ont l’âge de leurs artères, vont continuer à y passer …) de gloires plus ou moins décaties du wockanwoll …
Neil Young, c’est un peu le phénix du rock, capable de renaître de ses cendres quand on n’attend plus rien de lui. On l’a vu marquer son époque fin 60’s début 70’s, sombrer au début des années 80 (des histoires de maison de disques, l’inspiration en panne, tout ça …), se réinventer à la fin de cette même décennie en Parrain du grunge avec quelques albums toutes guitares stridentes en avant, et puis livrer de temps en temps, quand on le croyait fini, une galette qui le remettait sur le devant de la scène. Dernier coup d’éclat en date, l’année dernière, le pamphlet écolo-militant « The Monsanto Years », une de ses productions les plus abouties depuis … pff, au moins.
Un peu fatigué, genre le retour de Renaud ?
Et là, en cette fin 2016 qui a donné du boulot aux nécrologistes de tout poil, il fait s’emballer les rotatives de la presse musicale avec ce « Peace Trail ». Bon, si vous voulez mon avis, et même si vous le voulez pas je vous le donne quand même, « Peace Trail » est un bon disque du Canadien. Pas un de ceux qui restera, mais un de ses bons. Enregistré en trident, lui aux guitares et aux voix, deux pointures de studio (Paul Bushnell à la basse, Jim Keltner aux fûts), et juste quelques clampins additionnels de ci de là. Et forcément, dans cette configuration minimale, Young retrouve ce son boisé (le son du country-rock) qui a fait sa légende il y a près de cinquante ans.
On est dans l’esprit de « Everybody knows this is nowhere », « After the gold rush », « Harvest ». Sans toutefois atteindre le même niveau. Parce que … ben, plus tout Young, et que cette triplette-là avait placé la barre un poil trop haut pour les suivants.
« Peace trail » est un disque apaisé (plus de titres drivés par des empilages de larsens), bucolique, campagnard. Quasi un disque de plouc. Mais un plouc qui a du talent, et ça change bigrement la donne. Fil rouge, une vague thématique pro-indienne, parce que le Neil, baba un jour, baba toujours ne se refait pas et entend l’ouvrir sur des sujets qui le préoccupent (pour une fois, il a oublié de soutenir trop ouvertement le candidat Républicain, et de se couvrir de l’infâmant paletot artiste pro-Trump, même s’il lui trouve des idées « rafraîchissantes » ( ? ) et qu’il l’a autorisé à utiliser dans ses meetings « Rockin’ in the free world » ( ! ), le facho à moumoute étant paraît-il fan de longue date de Young).
Ben non, il a l'air en forme ...
« Peace trail » donc. Qui commence par le morceau éponyme. Totalement bluffant, le genre de merveilles comme on n’en écrit pas dix dans sa vie, et qui renvoie au Neil Young tutoyant les sommets. Tout y est, ce mid tempo country-rock, ces grilles d’accords immédiatement identifiables, même la si particulière voix fluette du Neil est de retour, d’une pureté et d’une clarté inattendues (à tel point qu’on peut se demander si elle a pas été bidouillée à la prod). Plus rien dans le disque n’atteindra de niveau, mais qu’importe. On en tient un de ces titres à se repasser en boucle le soir à la veillée. Attention, ce qui suit (format « ramassé », dix titres et moins de quarante minutes) est loin d’être indigne parce que Neil Young qui fait du Neil Young, moi je suis preneur. « Can’t stop workin’ » marche sur les traces de « Heart of gold », « Show me » est aussi feignasse qu’un bon JJ Cale, « Terrorist suicide … » et « Glass accident » auraient pu figurer sur n’importe lequel de ses disques des 70’s. Certaines choses sont plus quelconques, en pilotage automatique (on sent le skeud vite enregistré, genre « ouais, ça sonne pas mal, on touche plus rien »), comme « Texas rangers », « My pledge ».
Trois titres sortent des sentiers battus du Canadien, la mélopée linéaire « Indian givers » et sa batterie tribale, l’écolo-plouc « John Oaks » qui allez savoir pourquoi, me fait penser au « Bungalow Bill » des-qui-vous-savez, ou alors retournez réviser vos classiques. Et puis, comme Neil Young n’en fait qu’à sa tête et qu’il a pas que de bonnes idées, l’ultime « My new robot » commence bien, puis se voit parasitée par des bip-bip glou-glou et une voix synthétique du plus mauvais effet (n’est pas Kraftwerk qui veut), un titre tellement con qu’on dirait une chute de son funeste « Trans » des années 80.

En fait, Neil Young n’a pas grand-chose à dire et plus rien à prouver depuis des lustres. Il fait juste avec ce « Peace trail » du Neil Young d’un bon niveau. Que demander de plus ?


Du même sur ce blog :

JOHNNY CASH - AT HIS MIGHTY BEST Vol. 1 (1991)

MIB ...
Johnny Cash … Le Man In Black original… Une carrière longue comme un jour sans amphétamines, et pour celui qui aura passé l’essentiel de sa vie à se comporter comme un redneck pur jus, une reconnaissance sur le final comme un type sommet de coolitude … étrange perception d’un gars qui pourtant n’aura guère perdu de temps à essayer de brouiller les cartes. Cash, c’est (forcément) du direct, sans trop de fioritures.

Cette compile light, premier volet d’un triptyque consacré à ses années Sun Records (58 à 64), est loin d’être cruciale, même si elle recouvre une de ses périodes (avec la dernière sous l’égide de Rick Rubin) où pas grand-chose n’est à jeter. Les compilateurs se sont pas foulés, vingt titres pour un peu plus de quarante minutes, loin de toute considération chronologique, livret squelettique … Parue au début des années 90, quand L’Homme en Noir (et le reste de l’écurie Sun), étaient totalement out, ringards ultimes. On en était aux types en pantacourts qui faisaient du grunge (Nirvana et ses suiveurs), une bouillasse affublée du terme de fusion (les Red Hot Machin, les Rage Against Bidule), ou à l’opposé avec des zozos en survêt orange à capuche qui poussaient des disques accompagnés de montagnes d’ordinateurs … Sun Records était un label ayant cessé toute activité depuis plus de vingt ans, élément d’un puzzle qui à coups de rachats, de reventes, de fusions d’entreprises, allait contribuer à mettre en place le monde merveilleux de la World Company musicale que l’on connaît. La FNAC, qui en plus de vendre des Cds en fabriquait, distribuait sous licence des choses dont pas grand monde voulait, le fonds de catalogue Sun entre autres … A l’époque et hormis Presley (la grosse machine RCA sortait du disque du King à la pelle) quasiment le seul moyen d’avoir sur une rondelle argentée des titres des « pionniers ».
Johnny Cash aux débuts donc. Musicalement, le plus blanc de tous (même Carl Perkins se laissait parfois tenter par des arrangements jazzy ou bluesy). Aussi le moins « and roll » du lot. Cash venait de la country roots et ne perdait pas une occasion de revenir vers son idiome d’origine. Un peu à part au milieu des gloires de Sun. A côté des bigleux (Perkins, Orbison), du grassouillet (Presley), du cinglé (Jerry Lee Lewis), Cash, lui, c’était le Dur. Austère (très vite tout fringué de noir), toujours la mine renfrognée, sa voix traînante de baryton, et son immuable rythme country ralenti et feignasse …

Il a suffi d’un seul titre (« I walk the line ») pour faire de Cash un type qui comptait, et d’un seul autre (« Folsom prison blues ») pour asseoir sa légende. Les deux sont présents ici (ce premier volet de la compile est d’assez loin le meilleur des trois). « I walk … » tout le monde connaît, le morceau qui a défini pour l’éternité le Johnny Cash style. « Folsom prison blues » a fait de Cash le gourou chantant de tous les rednecks qui jouent au dur. A cause d’une phrase : « I shot a man in Reno just for watch him die » (écoutez les acclamations qui la ponctuent sur ses live carcéraux des 60’s). Une phrase prise pour argent comptant, alors que même si Cash n’a jamais eu la réputation d’un type qui se laissait marcher sur les pieds, il semble à peu prés acquis que c’est de la pure fiction.
Cette réputation de type à la redresse, Cash saura l’entretenir et elle ne le quittera plus (son public le plus fidèle, ses « frères », ce sont les taulards Blancs).
Même s’il saura plus tard en jouer, ses débuts ne peuvent pas vraiment être affublés du sticker « explicit lyrics ». Cash fait comme tous les autres, essaye de trouver sa voie originale, son style. Il se cherche. Avant de tourner la page du rock’n’roll lorsqu’il signera chez Columbia, il s’y laisse parfois aller dans ses débuts (« Rock Island line » est un pur et strict rockabilly, « Get rhythm » un bon petit rock’n’roll. Mais on le sent plus naturellement à son aise dans la country. Et là que ce soit ses propres compos (assez rares, Cash n’est pas vraiment un auteur prolixe) ou sur ses nombreuses reprises, sa touche personnelle se remarque assez vite. Tiens, un exemple, allez écouter la scie « I forgot to remember to forget » et comparez sa version à celle du King, Cash tient la route … Il revisite même assez bien les « classiques » du répertoire, notamment ceux de Hank Williams, le premier chanteur de country « moderne » si tant est que les deux mots puissent être accolés. « You win again » ou « Cold cold heart » par Cash valent le détour …

Une compile quand même un peu beaucoup surannée, assez loin d’un vrai Best of, jamais rééditée. On trouve facilement beaucoup plus exhaustif, mieux documenté, avec un meilleur son dans la multitude qui sont dédiées à cette période-là du bonhomme …


Du même sur ce blog :


THE JOHN BUTLER TRIO - SUNRISE OVER SEA (2004)

Tenter l'Experience ?
« Sunrise over sea », c’est le genre de disques qu’on a l’impression d’avoir entendu mille fois avant de l’écouter. Rien qu’en regardant la pochette. Oh, bonne mère, tous les clichetons des trucs pénibles … design des rondelles  ancestrales Vanguard ou Chess, teintes sépia, retouche Photoshop pour donner l’illusion d’un 33T aux coins cornés et à l’usure de l’empreinte du vinyle, et un type, acoustique en bandoulière et banjo à côté … Si ça c’est pas du clin d’œil adressé aux amateurs de bruit rustique … Et la formule trio, le mètre-étalon de la culture blues-rock, passage obligé de tous ces tocards / ringards qui s’imaginent marcher sur les traces de Cream ou du Jimi Hendrix Experience …
Sauf que … si le dénommé John Butler et ses deux acolytes (formule de scène, là en studio, il y a parfois des apports « extérieurs » dont même sur un titre une section de cordes) n’évitent pas sur la durée le pataugeage et l’embourbage dans les stéréotypes de la formule, ils se passe un truc … Ceux dont la kulture musicale se limite au visionnage de Taratata ressortent systématiquement le nom de Ben Harper, preuve qu’ils n’ont rien compris (ni au centriste Harper, ni à Butler).
John Butler
John Butler est australien. Un pays dont l’histoire internationale se limite à une paire de siècles et dont le seul apport culturel à notre humanité est l’opéra biscornu de Sydney. En gros des Etats-Unis qui n’auraient pas inventé le jazz, la country, le folk, le blues et la soul … Ce qui n’empêche pas les Australiens de faire du rock. Et l’île continent a légué au monde quelques furieux gueulards dont AC/DC, Rose Tattoo ou Angel City ne constituent que la partie visible du brûlant iceberg. Butler (pas pour rien que le trio porte son nom, les deux autres n’y font pas de vieux os, les changements de line-up sont innombrables), comme la plupart de ses congénères, s’est abreuvé de musiques venues d’ailleurs. Fait notable qui le différencie, il ne s’est pas contenté des sempiternels anglo-saxons (ou américains, ce qui revient au même). Rien qu’à voir ses dreadlocks, on imagine que le reggae ne l’a pas laissé indifférent. Les machins celtiques non plus.
Le résultat est surprenant. Mais surtout intéressant, voire par moments captivant. Pour deux raisons : le spectre musical de Butler est beaucoup plus étendu que ce à quoi l’on pourrait s’attendre. Et le type à un putain de charisme qui manquera toujours à … (complétez vous-mêmes, la liste est trop longue). Et s’il fallait se lancer dans des comparaisons, je citerai en vrac Tracy Chapman et Counting Crows (pour le folk « concerné »), Manu Chao (le côté bohème alter-mondialiste), Jon Spencer et Wraygunn (les accélérations électriques mystiques), Midnight Oil (l’aspect aussie politico-écolo), les Chieftains et Led Zep (les relents celtiques) … et on pourrait en rajouter bien d’autres, tant le patchwork concocté tire son essence de genres variés, parfois antinomiques …
On l’aura compris (enfin j’espère), on n’a pas avec « Sunrise … » le même morceau décalqué sur toute la durée du disque. Tiens, à propos de durée, c’est là que le bât blesse un peu, on en prend pour une heure dix, ce qui fait quand même un peu beaucoup, certains titres auraient pu rester dans les armoires, quelques autres n’auraient rien perdu à être raccourcis …
Le John Butler Trio
Il y a des trucs bluffants, assemblages étonnants de choses entendues pourtant des millions de fois séparément, mais qui passées dans la moulinette John Butler en ressortent immaculées. Ces étranges mixtures où peuvent cohabiter folk, blues, rock, reggae, sonorités celtiques, traversées de montées d’adrénaline violente ou au contraire d’une intimité doucereuse, sont littéralement transcendées par la voix de Butler, une des plus expressives, au feeling et à l’arrache, qu’on puisse trouver dans ces genres pourtant très fréquentés. Butler joue toutes sortes de guitares acoustiques amplifiées (surtout une onze-cordes, et ne me demandez pourquoi onze au lieu de douze), ne tombe jamais dans le piège du solo démonstratif (thanks). Ces chansons sonnent comme des voyages émotionnels (peu importe si on entrave pas les paroles), vous prennent par la main et ne vous lâchent pas.
Tout n’est pas parfait, et logiquement les titres convenus, prévisibles (archétype le morceau final « Sometimes » de plus de dix minutes, on « sent » tout ce qui va arriver dès l’intro) font retomber l’intérêt. Mais c’est au détour de l’adrénalisant « Treat your Mama », du chaloupé « Company sin » avec sa bas(s)e reggae, du court instrumental au banjo (« Damned to hell » qui renvoie instantanément au « Duelling banjos » du début du film « Délivrance »), du celtisant « Mist » (le « Gallow’s Pole » des années 2000 ? et putain me dites pas que vous connaissez pas « Gallow’s Pole »), ou du (petit) hit « Zebra », le titre qui a fait connaître Butler sur les autres continents, que les trois sont à leur zénith …
Ce « Sunrise over sea » est à peu près le seul disque du John Butler Trio disponible par ici. Fidèle à une certaine éthique passant évidemment par les labels indépendants, Butler était un secret bien gardé hors de l’Australie. Il semblerait que le garçon, voulant assurer ses arrières en Australie, ait cédé là-bas aux sirènes commerciales, et que ses parutions suivantes seraient (pas faciles non plus à dénicher) apparemment un ou plusieurs tons en dessous…

« Sunrise over sea » est un disque de vieux fait pour tout le monde par un jeunot. Respect… 


NEIL YOUNG - EVERYBODY KNOWS THIS IS NOWHERE (1969)

Les fondations de la maison Young ...
Et des fondations solides, trois des titres de cet album de 1969 (« Cinnamon girl », « Down by the river » et « Cowgirl in the sand ») feront toujours partie des chevaux de bataille de Neil Young sur scène. Et à propos de chevaux, ce disque est le premier qui voit apparaître son backing band « historique » Crazy Horse, embauché par le Loner après qu’il l’ait vu sur une scène minable d’un pub de New-York.
Il y a dans ce « Everybody … » tout ce que Neil Young développe depuis et qui constitue sa marque de fabrique : par dessus-tout la mélodie d’une grande pureté, mise au service de ballades dénudées, de country-rocks ou de rocks énervés à grosses guitares.

Le Cd commence avec le court « Cinnamon girl » et son riff qui désosse. Le country-rock, on le trouve dans le   morceau-titre, et aussi dans « The losing end » plein de swing et de simplicité. Les ballades (« Round & round », et « Running dry » frissonnante avec son violon au second plan, en hommage aux Rockets avant qu’ils ne soient rebaptisés Crazy Horse) précèdent chaque fois les longs morceaux d’une dizaine de minutes « à guitares » qui clôturaient chaque face du vinyle.
« Down by the river » a une structure de ballade, soutenue par les grattes de Young et de Danny Whitten, plutôt dans un registre de recherche expérimentale sonore, même si elles commencent à tendre vers la saturation. « Cowgirl in the sand » est beaucoup plus rentre-dedans, avec son final en forme de joute épique Young-Whitten. Deux titres très dans la tradition des « jam bands » très en vogue à l’époque, mais plus dans l’ambiance « duel de guitares » que dans celle de la démonstration technique (voir les versions live chez CSN & Y avec Stills à la place de Danny Whitten).
Même s’ils ne font pas tâche et contiennent en filigrane des tics et des idées qui seront développées dans les disques à venir de Young, les quatre titres « restants » sont quand même bien éclipsés par les classiques.
La production est assurée par David Briggs qui deviendra le collaborateur attitré du Canadien pendant toute sa carrière.

Ce disque est paru quelques semaines après le premier sans titre, et juste avant que Neil Young ne s’acoquine avec l’intéressant Stills et les deux boulets Crosby et Nash. Le second concert de CSNY aura lieu dans le cadre intime (entre 300 et 500 000 personnes) du festival de Woodstock et Neil Young mènera pendant quelques mois une double carrière, en solo et au sein du super-groupe baba cool…

Du même sur ce blog :


TOWNES VAN ZANDT - TOWNES VAN ZANDT (1969)

50 nuances de noir ?
Curieux cas, que celui de Townes Van Zandt (rien à voir avec le grassouillet court sur pattes qui chantait dans Lynyrd Skynyrd, ni avec le Soprano à bandana guitariste du député du New Jersey). Un type ignoré royalement de son vivant et maintenant célébré comme la huitième merveille du Monde (ou des 60’s –70’s, ce qui revient à peu près au même). Bon, faut relativiser tout çà. Même s’ils oeuvrent dans des genres quasiment  similaires, Townes Van Zandt n’est pas Bob Dylan. Mais ce n’est pas non plus un baltringue folk à la Richie Havens, dont la mort a été annoncée avec figure de circonstance par Pernaut à son JT, alors qu’absolument tout le monde avait oublié son existence depuis son passage braillard et improvisé à Woodstock.
Townes Van Zandt a du talent, c’est sûr. Un talent qui n’a pas besoin du sempiternel couplet sur l’ivrogne introverti qu’on ressert systématiquement dès qu’on l’évoque. En a t-il plus que d’autres oubliés de cette décade folk prodigieuse (en gros 63-73), tous ces Fred Neil, Tim Hardin, Bill Fay, Pete Seeger, Gene Clark (pour les Amerlos), Bert Jansch, John Renbourne, Nick Drake, John Martyn, Richard Thompson (pour les Angliches) ? Débat ardu dans lequel je ne m’aventurerais pas. En tout cas, quelles que soient ses qualités, il me semble à un niveau inférieur à toutes les têtes d’affiche de l’époque, les Dylan, Cohen, Donovan, Stevens.

Van Zandt est un folkeux dépressif (pas forcément un pléonasme), et beaucoup s’accordent pour dire que ses textes sont parmi les plus sombres jamais mis en musique. Le bonhomme vit le plus souvent reclus, quasi dans le dénuement, alors qu’il vient d’une famille très aisée, et ses compagnes les plus fiables seront sur la durée bouteilles (beaucoup) et poudres blanches (un peu). C’est aussi un compositeur de talent, ses musiques sont d’une pureté et d’un classicisme que beaucoup ont cherché à atteindre sans y réussir.
Ce « Townes Van Zandt » est son troisième disque. 33 T et conçu comme tel. Avec ses deux faces bien distinctes. La première est une épure folk. La guitare acoustique jouée en finger picking de Van Zandt est omniprésente, on sent (même sans comprendre forcément les paroles) dans la voix triste toutes les fêlures et brisures de l’homme. Et même quand l’instrumentation s’étoffe, ça reste austère, linéaire. Mais évident de talent. Curiosité et signe du perfectionnisme de Van Zandt, trois titres de ce « Townes Van Zandt » étaient déjà parus sur son premier disque, dont « The sake of the song », le plus « fini », le plus élaboré qui ouvre les hostilités. Une face de vinyle qui débutée de façon quasi guillerette (quoi que) et s’achève par le morceau le plus noir, le plus austère, « Colorado girl ».
La seconde face se teinte de country (une des références « antiques » de Van Zandt est Hank Williams, avec lequel il a bien des points communs, l’anxiété noyée dans l’alccol étant le plus évident), sonne «  contemporain ». Elle débute par « Lungs », country-rock décharné, avant coup sur coup d’aligner deux titres très dylaniens (le petit frisé est la référence « moderne » de Van Zandt). « I’ll be here in the morning » (un autre des trois titres réenregistrés) utilise par moments la même grille d’accords que « I want you » de « Blonde on blonde », et fait figure dans le contexte de titre enjoué, bien qu’étant nettement moins sautillant que son modèle évident. Autre dylanerie « Fare thee well … », tellement bien faite qu’on croirait que c’est le Band qui mouline derrière. Dernière auto-reprise « (Quicksilver daydream of) Maria » est pour moi la masterpiece, classique instantané, et le titre le plus enlevé (ou plutôt le moins sombre) du disque. Qui se conclut sèchement (on ne se refait pas) par la tristesse austère et dépouillée de « None but the rain ».
On l’aura compris , « Townes Van Zandt » n’est pas franchement un disque pour faire tourner les serviettes. Mais c’est ce style sombre qui est indissociable de l’aura d’artiste « maudit » qui entoure la carrière de Van Zandt. Auteur-compositeur pour auteurs-compositeurs, il n’obtiendra (la cherchait-elle d’ailleurs, rien n’est moins sûr) jamais de son vivant (il est mort en 97) une reconnaissance populaire significative. Mais son œuvre sombre et pessimiste continue de traumatiser des générations de gens sombres et pessimistes (ceux qui l’ont le plus cité doivent être les Ecossais de Tindersticks, qui n’ont rien de comiques troupiers).

Un disque à ranger pas très loin de ceux d’Harry Nilsson, les deux hommes, même si leur musique n’a rien de commun, ayant eu une approche artistique très similaire, et une façon d’appréhender l’existence quasi identique … 

ELVIS PRESLEY - FROM ELVIS IN MEMPHIS (1969)

Retour aux sources ...

1968. Elvis est cuit, fini … Tourne trois films par an qui n’intéressent plus personne. Faut dire que si Elvis est pour toujours le King, c’est certainement plus du rock’n’roll. Le rock’n’roll n’a pas attendu son fondateur pour évoluer, et Elvis a dans les sixties raté … tout en fait, tous les courants et les modes qui se sont succédés.
Un miracle a cependant lieu. Elvis retrouve ses premiers accompagnateurs (Scotty Moore et D.J. Fontana) lors d’un show télé, l’énergie et le répertoire de ses débuts, et le disque en partie issu de ces retrouvailles (« NBC TV Special ») va réconcilier et reconquérir et critique et public. Et là, peut-être pour la première et dernière fois de sa vie, Elvis va ruer dans les brancards de l’escroc qui lui sert de manager, l’inamovible Colonel Parker. En gros, Elvis en a marre de chanter des niaiseries qu’il déteste, et il compte bien reprendre les choses en main et chanter des choses qu’il aime. Une seule solution : retourner là où pour lui tout a commencé, à Nashville, Tennessee. Et Elvis, contre tous les avis de son entourage, part enregistrer à Memphis.
Presley & Chips Moman
Petit problème : Sam Philips n’est plus là, et Nashville depuis le milieu des années 60 est devenu un haut lieu de la soul, siège d’un des plus importants labels du genre, Stax (Otis Redding, Booker T. & The MG's, Eddie Floyd, Sam & Dave, Isaac Hayes, ...) et d'un autre  dont la réputation commence à grandir (Hi Records , avec à son catalogue notamment Al Green et Ann Peebles). La country et le blues des années 50 ont quasiment disparu, balayés par le rock au sens le plus large. Mais bon, quand Elvis est en ville, tout ce que celle-ci compte de musiciens de studio répond présent. Le producteur Chips Moman, plutôt spécialisé dans la soul réunit une équipe pléthorique comprenant force cuivres et choristes. Dans ce même genre de configuration orchestrale, Elvis sombrera quelques années plus tard sur les scènes de Las Vegas. Là, à Memphis, grâce au travail remarquable de Moman et un choix judicieux de morceaux, ça fonctionne. Bien. Très bien même.
Parce que le King a envie d’en découdre, est concerné. Et chante des choses qu’il aime, parfois de vieux standards qu’il rêvait d’interpréter depuis des années. Et puis aussi, parce qu’à la base, Presley est un grand chanteur, et là, il se concentre quasi exclusivement sur des ballades, des tempos lents ou médians, et c’est là qu’il est le meilleur. De toute sa carrière, il me semble qu’il n’a jamais aussi bien chanté. Et fait des merveilles avec un répertoire sur lequel on ne l’attendait pas forcément. Il y a dans ce « From Elvis in Memphis » (à rapprocher, évidemment d’un disque très similaire dans l’esprit, le fabuleux « Dusty in Memphis » de l’anglaise Dusty Springfield), de la soul (« Only the strong survive », géant), du rhythm’n’blues (« Wearin’ that loved on look »), une grosse part de country (« It keeps right … », « I’ll hold you in my heart » enregistrée en une seule prise, ça s’entend, y’a du flottement instrumental, compensé par du feeling à la tonne), des ballades terminales (« Long black limousine »), même du blues (« Power of my love ») et de la pop très orchestrée mais très digeste (« Gentle of my mind », la fauleuse « Any day now » signée Burt Bacharach).
Elvis Presley 1969
Certains titres me convainquent moins, la roucoulade un peu trop lyrique de « After loving you », et le traitement quasi pompier de « True love travels … », mais sur cette dernière, j’aimerais bien entendre la seule piste vocale de l’Elvis qui doit valoir son pesant de beurre de cacahuète. Une relative faiblesse sur ces deux titres largement compensée par le final, le magique « In the ghetto ». Un des titres les plus atypiques du King, qui par définition, n’a jamais vraiment fait dans le social. Là, il chante la misère des quartiers pauvres, ce morceau fait de l’ombre à tous les autres, et tant sur le fond que la forme, n’est pas très éloigné du « Inner City blues » de Marvin Gaye.
La réédition Cd de 2000 a la bonne idée d’ajouter aux douze titres originaux six bonus-tracks issus des mêmes sessions dont deux singles faramineux, « Kentucky rain » et « Suspicious minds », un des derniers numéro un de Presley …
Cette reprise en main de sa carrière et de son destin sera sans suite. Qui sera une longue descente dans les enfers de la guimauve, des amphétamines, et des strass de Vegas. Ne restera plus qu’une voix, à peu près intacte jusqu’à la fin, qui aura du mal à retrouver un répertoire digne de ses possiblités …

Du même sur ce blog :
Loving You