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ETIENNE CHATILIEZ - LA VIE EST UN LONG FLEUVE TRANQUILLE (1988)

"Filmé avec les pieds ..."
C’est Chatiliez lui-même qui le dit. Réalisateur de publicités, « La vie … » est son premier long métrage. Pour lequel il a eu pas mal de problèmes pour trouver un financement (y’en a quelques-uns qui ont du s’en mordre les doigts jusqu’aux coudes, vu le carton commercial réalisé). Alors c’est fait avec les moyens du bord. Low budget, en décors naturels, et pas de mouvements sophistiqués de caméra.
Gélin & Hiegel
« La vie … » est une comédie tout public certes. Mais d’une férocité et d’une finesse jubilatoires. Tout le monde morfle, les prolos, les bourges, les jeunes, les vieux, les cathos, les notables, … Car avant d’être un film, « La vie … » est un scénario longtemps peaufiné par Chatiliez et Florence Quentin, et une minutieuse préparation du tournage. Débutant peut-être Chatiliez, mais pas dilettante, la moindre réplique, le moindre vêtement ou accessoire ne sont pas là par hasard. Et alors que dans la plupart des comédies grand public, tout le monde cabotine ou improvise, toute la gestuelle, toutes les répliques, étaient écrites.
Il y a dans « La vie … » une galerie de portraits exceptionnelle, tellement caricaturaux qu’ils ont l’air plus vrais que nature. Bien sûr, on peut trouver des similitudes avec le style Hara-Kiri (le côté foune-scato dans lequel se vautraient souvent complaisamment Choron et sa clique en moins), ou certaines BD « sociales » de Reiser, Wolinski (toujours la connexion Hara-Kiri), les Bidochon de Binet. En plus, dans « La vie … », il n’y a pas vraiment de héros ou de personnage principal. Trop difficile selon Chatiliez de tout faire reposer sur les épaules des enfants (en plus ils sont tous absolument débutants), même s’il sont le cœur de l’histoire. Il y a donc beaucoup de personnages secondaires, mais tous participent à la comédie globale.
Famille Groseille
C’est d’ailleurs  une relation extra-conjugale entre une infirmière (Catherine Hiegel) et un gynécologue (un énorme numéro de Daniel Gélin) qui est le point de départ de toute la mécanique du film, les deux ne sont présents que dans le premier quart du film (et dans la dernière scène, sur fond de « Paris en colère » par la très improbable Mireille Mathieu). Après une humiliation par son amant odieux, l’infirmière échange les berceaux de deux nouveaux-nés. L’un est de la famille Groseille (prolos, chômeurs, fainéants, alcoolos et vulgaires entre autres), l’autre de la famille Le Quesnoy (lui directeur régional EDF, aristo consanguin fin de race perclus de tics, elle grenouille de bénitier, les deux se vouvoient). Une dizaine d’années plus tard, et une énième humiliation plus tard, l’infirmière balance tout, à son amant, et aux deux familles. Les Le Quesnoy décident d’acheter aux Groseille leur véritable fils (Benoît Magimel), tout en gardant celle qui n’est pas leur vraie fille. L’occasion pour les Groseille (ils en sont pas à un gosse près, tout comme les Le Quesnoy, c’est une famille nombreuse) de flamber quelque temps avec ce pactole inespéré, qui les rend plus fainéants, plus alcoolos et plus vulgaires. Et chez les Le Quesnoy, la situation va vite se dégrader, sous l’impulsion du nouvel enfant arrivant, qui n’oublie pas d’où il vient …
Bouchitey, Vincent & Wilms
L’histoire, on s’en fout un peu, d’ailleurs dans le film, on ne peut pas dire qu’il y ait vraiment d’épilogue. C’est avant tout l’occasion de voir des tranches de vie des différents protagonistes, des dialogues fantastiques, lunaires, des mimiques désopilantes. Des répliques sont devenues cultes (l’enjoué « Le lundi, c’est raviolis », les fameux « La salope, la salope, … » de Daniel Gélin, l’inattendu « Vous me faites bander, Marielle » tout en haussements d’épaules incontrôlés de Le Quesnoy à sa femme totalement à l’ouest, ayant viré dépressive et poivrote, …). Les enfants sont plutôt bons (seul Magimel fera carrière par la suite, et dans une moindre mesure Tara Römer, son « frère » Groseille), leurs parents hilarants (André Wilms venu du théâtre subventionné et Hélène Vincent sont parfaits dans le couple Le Quesnoy, Christine Pignet – Mme Groseille truculente à souhait). Les seconds rôles ne sont pas en reste, avec mention particulière à Catherine Jacob (Marie-Thérèse, servante-Immaculée Conception des Le Quesnoy) et Patrick Bouchitey (le père Aubergé, curé obséquieux, et interprète de l’impérissable « Jésus reviens »).
Le film est fait avec des bouts de ficelle, la plupart des fringues vintage ayant été amenées par l’équipe, les figurants ou ceux qui n’ont qu’une brève réplique sont des techniciens du plateau ou des potes de Chatiliez. « La vie … » a été tourné dans le Nord (comme quoi, on peut y tourner des comédies autrement plus drôles que « Bienvenue chez les Ch’tis »), région d’où est originaire Chatiliez, pour ne pas ajouter au stress du premier film celui du dépaysement.
Et il est quand même réjouissant de constater, que même dans la fiction, des fils de bourges et de prolos peuvent se retrouver pour une séance de piscine (et de descente de bières) sauvage, ou dans un garage pour sniffer de la colle à rustines …
« Oh putain, Dédée elle en tient une bonne, elle va aller mettre la viande dans le torchon … ».
Film culte … et vraiment drôle …


CHRIS NOONAN - BABE, LE COCHON DEVENU BERGER (1995)

Film cochon ...
Y’a des soirées comme ça, où on hésite … Soit l’intégrale Bergman des années 70, soit un coffret Ozu au ralenti. Et puis, manière d’accorder un peu de RTT aux quelques neurones encore en état marche mais déjà bien fatigués qui restent, on revient vers des fondamentaux simples mais efficaces. Une comédie sans prétention, ou un film d’animation … Avec « Babe, … » premier de la série, on a les deux.

« Babe … » est un conte pour enfants. Au premier degré. Pas de message retors ou sournois, pas de message subliminal ou caché. Tout au plus peut-on y trouver quelques allusions à une vie campagnarde idyllique et allégorique (le retour aux fondamentaux de la nature, l’écologie bon enfant), et un militantisme végétarien qui ne mange pas de pain …
Vieux fermier et jeune premier
« Babe … » est une fable animale. Les animaux « humains » au milieu des vrais « humains ». Et comme toujours dans ce genre de films, c’est chez les animaux qu’on trouve le plus d’humanité, d’autant plus qu’ils « parlent » entre eux (par ici on connaissait, Patrick Bouchitey faisait ça depuis des années). L’intrigue est contenue dans le titre, un porcelet « au cœur pur » gagné à une tombola par un vieux fermier sympa, finit par devenir plus doué que les chiens de berger pour garder les troupeaux de brebis. En ayant failli passer à la casserole à plusieurs reprises, fait quelques bêtises, s’être conduit innocemment et héroïquement, avant l’apothéose et la consécration finales.
On passe une petite heure et demie sympa, au milieu de ces animaux qui parlent, d’un duo d’acteurs « typés » (le fermier, grand, sec et peu bavard, sa femme, petite, ronde et joviale, qui envisage les cochons uniquement du point de vue alimentaire), d’un trio de souris (de synthèse) qui commentent les intertitres annonçant les grands « chapitres » de l’intrigue (on les entend même chanter « Jingle bells » ou « Blue moon »), d’une silhouette nocturne de la ferme qu’on croirait dessinée par Tim Burton, de quelques mimiques caricaturales des humains …
Derrière tout çà, George Miller, le producteur et réalisateur de « Mad Max », film perçu lors de sa sortie comme un sommet de violence, le changement de style est ici radical. Le réalisateur de « Babe … » est un dénommé Chris Noonan, qui a oublié de faire parler de lui depuis. Mais le plus gros boulot concerne l’animation, qui fait cohabiter vrais animaux (18 porcelets « jouent » Babe) et animaux numériques dus à la société créée par le génial marionnettiste Jim Henson. Ce film a presque vingt ans, et bien difficile de faire la différence entre vrais et faux habitants de basse-cour. D’ailleurs cette adaptation d’un conte pour enfants australien à succès était envisagée depuis des années, et n’a été mise en chantier que lorsque les effets numériques ont été à la hauteur du résultat escompté.
Résultat sympa, même si on ne s’approche pas de la lecture à plusieurs niveaux de films comme la fabuleuse « Ferme des animaux », l’adaptation animée du féroce pamphlet anti-totalitaire d’Orwell.
Qualité du Dvd correcte, contenu plus que chiche, aucun bonus …
Bon c’est pas le tout je bavarde, je bavarde … serait temps de passer à table. Au menu, charcuterie et rôti de porc … Impeccable.



QUENTIN TARANTINO - INGLOURIOUS BASTERDS (2009)

Drôle de drame ...
Un des films les plus controversés, sinon le film le plus controversé de Tarantino…et un de ses meilleurs.
Le bon peuple cinéphile et érudit (les ceusses qui regardent le film du dimanche soir sur TF1 et Questions pour un champion) s’est offusqué devant pareille chose. Pour qui se prenait-il ce jeune gommeux américain de Tarantino, à bafouer l’Histoire majuscule, celle qui est dans les livres ? A nous montrer tonton Adolph criblé de balles en 44 dans un cinéma en feu parisien ? Et criblé de balles par, en plus, un commando de juifs américains plus sauvage que les hordes d’Attila et de Gengis Khan réunies, ayant auparavant dézingué et scalpé du soldat nazi à profusion dans des geysers d’hémoglobine ? 
Eli Roth & Brad Pitt
Bon, les constipés, ce que vous avez vu c’est un film. Pas les archives de l’INA des émissions d’André Castelot. Ça vous est pas venu à l’esprit que le cinéma c’était fait pour raconter des histoires, faire rêver, passer du bon temps ? Et que ça n’a pas à être vrai, véridique ou vraisemblable. Vous avez été troublés de voir les flots de la Mer Rouge s’ouvrir devant Moïse dans « Les Dix Commandements », et ensuite se refermer pour engloutir l’armée égyptienne ? Vous croyez que tout dans « Spartacus », « Ben Hur », ou le « Napoléon » d’Abel Gance est rigoureusement exact ? Et vous croyez que dans les années 40 en France, c’était comme dans « La grande vadrouille » ou « On a retrouvé la septième compagnie » ?
En plus, j’ai l’impression que vous tombez mal avec Tarantino. Parce qu’il a bossé comme un forcené sur son scénario, et qu’il prouve dans les bonus du BluRay que l’histoire – la vraie – de la Seconde Guerre Mondiale, il la connaît aussi, beaucoup plus que ce que vous croyez …
« Inglourious basterds », c’est une comédie. Noire, sordide, macabre, de mauvais goût, si vous voulez. Mais une fuckin’ géniale comédie, pleine de clin d’œils, d’allusions, … et de non-dits, même si ça jacasse encore plus vite que les rafales de mitraillette. Un film de fan (plus encore que tous ceux de la Nouvelle Vague, Tarantino est avant d’être un réalisateur un dingue de cinéma). Et puis, quand les répliques deviennent plus posées, on a de grands moments de cinéma. Avec trois scènes de bien vingt minutes, celle de la ferme qui débute le film, celle du restaurant, et celle de la taverne (et encore ces deux dernières ont été raccourcies au montage). Des sommets de suspense, avec une tension qui n’achève jamais de monter. On sent que ça va mal finir, c’est inéluctable, et dans la ferme ça finit effectivement très mal. On s’attend donc au pire au restaurant, et … surprise, ça se « passe » bien. Du coup, dans la taverne, on ne sait plus à quoi s’attendre, et là, on va en avoir pour notre argent … Clouzot ou Hitchcock, et encore plus Leone (tant les références à son cinéma sont nombreuses, de la lenteur des scènes-clés à la musique de Morricone, très présente dans la B.O.) auraient approuvé, Fincher devra se surpasser …
Christoph Waltz
« Inglourious basterds », au moins autant qu’un film d’action sur la guerre (le premier du genre de Tarantino) est un film sur le cinéma. Et là bizarrement, on a pas lu trop de grincheux surenchérir sur l’exposé du cinéma d’époque, surtout allemand, les liens que certains acteurs ou réalisateurs ont eu (ou pas) avec le régime nazi, le cinéma de propagande de l’époque. Le film c’est pas toujours de l’uchronie, là c’est la leçon du fan et du connaisseur. Et je suis prêt à parier que l’œuvre de Leni Riefenstahl n’a pas de secrets pour Tarantino. Le film dans le film (« La fierté de la Nation ») est un petit bijou (réalisé non par Tarantino, mais par Eli Roth, celui qui joue dans le film Donowitz, le « bâtard » à la batte de base-ball). Coupé aux deux-tiers au montage, il pastiche les films de Goebbels, ceux de la propagande stalinienne, et même avec un landau sur une place mitraillée le « Cuirassé Potemkine ») Et comme le film est un fake, on a droit dans les bonus à un génial fake de making-off. Clairement, « Inglourious basterds » est un film sur le cinéma. Une bonne part de l’histoire se passe dans un cinéma et y trouve en partie son épilogue. L’agent double allemand (un des meilleurs rôles de Diane Kruger) est une actrice allemande, le commando des Bâtards s’infiltre dans le cinéma en se faisant passer pour équipe technique et un réalisateur italien, …
Diane Kruger & Michael Fassbender
Et là, dans cette Tour de Babel des nationalités présentes à l’écran, réside une autre trouvaille assez formidable de Tarantino. On passe sans arrêt d’une langue à l’autre, et évidemment, les polyglottes finissent par paraître tenir les atouts maîtres de l’action. Et le personnage central du film, à peu près le seul lien entre des histoires dans l’histoire menées en parallèle, est le formidable acteur allemand Christoph Waltz. Qui incarne le colonel nazi Landa surnommé le « chasseur de Juifs », raffiné, sadique, machiavélique et cruel, qui jongle entre allemand, anglais, français et italien, tout en assurant un jeu plein d’acteur, tout en regards, poses, mimiques, et gestes d’une justesse absolue. Quasiment inconnu, c’est lui l’acteur de premier plan du film. Il éclipse à mon avis un Brad Pitt pourtant concerné et intéressant en leader du commando juif. C’est pourtant Pitt qui est en avant sur toute la promo du film (les affiches notamment), à la tête d’un casting international très fourni en second rôles. Et ce sont ces seconds rôles qui font toute la richesse du film, sans obscurcir l’intrigue. Dans les bonus, Pitt et Tarantino (interview plus souvent en roue libre que réellement intéressante) ne tarissent pas d’éloges sur un autre quasi inconnu qui ne va pas le rester (Michael Fassbender, dans le rôle d’un officier anglais qui rejoint les Bâtards). Mais on trouve également dans la distribution Myke Miers, pote de déjante de Tarantino, et toujours au rayon hommage (hommage et vengeance sont les deux moteurs du cinéma tarantinien), la participation de Bo Svenson et Enzo Castellari, respectivement acteur principal et réalisateur d’un nanar italien de série Z (y’a Michel Constantin qui y joue, c’est dire …) dont s’est inspiré Tarantino (en fait d’une seule scène) pour le scénario de « Inglourious … ». Anecdote : Castellari a fait cadeau de ses droits à Tarantino à la condition d’avoir une réplique dans le film, c’est lui l’officier nazi au premier rang du cinéma qui crie « Au feu ! » quand l’écran s’embrase …
En fait, la seule dans ce casting qui me semble un peu en dedans, c’est Mélanie Laurent (Soshana, jeune juive dont la famille a été massacrée par Landa et ses hommes). Même si elle incarne la vengeance implacable, quasi rituelle (la scène  du maquillage en forme de peinture de guerre indienne, avec en fond sonore le « Cat people (Putting out fire) » de Bowie et Moroder), on a l’impression qu’elle ne « s’amuse » pas sur ce film, alors que tous les autres semblent s’en donner à cœur-joie …
Mélanie Laurent
« Inglourious basterds » est un film qui fourmille de détails qui eux-mêmes peuvent renvoyer à d’autres thématiques. L’une d’entre elles, qui revient comme un fil rouge subliminal a trait aux Indiens d’Amérique  (Raine – Brad Pitt a un peu de sang indien, le rituel du scalp des Bâtards, le maquillage de Mélanie Laurent, une carte à deviner dans une scène coupée de la taverne porte le nom d’un chef Indien). D’autres détails des personnages restent sans réponse : pourquoi la cicatrice autour du cou de Raine ? Pourquoi à tout prix identifier par des flèches et des incrustations à l’écran les hauts dignitaires nazis dans le cinéma alors qu’à ce moment on est en totale fiction historique?
« Inglourious basterds » (l’orthographe bizarre du titre vient de l’accent en V.O. de Pitt, mais aussi pour éviter la confusion avec le film italien de Castellari, sorti aux States sous le nom de « Inglorious bastards ») fait pour moi partie du quarté majeur de Tarantino avec « Reservoir dogs », « Pulp fiction » et le Volume I de « Kill Bill ».
Un film à visionner obligatoirement en V.O. sous-titrée pour prendre la mesure de tout le jeu de langage des acteurs. Il existe un coffret métal à prix dérisoire contenant le film en BluRay et en Dvd, ainsi que le Dvd du film italien de Castellari. Qualité du BluRay excellente, mais bonus de l’ensemble un peu chiches …


Du même sur ce blog :
Kill Bill Vol. 2




ABDELLATIF KECHICHE - LA GRAINE ET LE MULET (2007)

Vous reprendrez bien un peu de couscous ?

Abdellatif Kechiche est un réalisateur remarquable, au sens étymologique du terme. Il a un style, tant pour la narration que pour la mise en images, et il semblerait qu'on s'en soit rendu compte dernièrement à Cannes. Kechiche est un type qui arrive à faire une fresque humaine, une épopée, avec trois fois rien. Des histoires simples de gens simples.
Même pas des histoires d’ailleurs. Dans « La graine et le mulet », on prend l’intrigue en route, et le film se termine alors que des pans entiers du scénario n’ont pas trouvé leur épilogue. Slimane va t-il réussir à le monter, son restaurant ? D’ailleurs, est-ce qu’il n’est pas en train de crever contre un mur de son quartier, le souffle coupé après avoir poursuivi les enfants qui lui ont piqué sa vieille mobylette ?
Kechiche, Herzi & Boufares
Tout ça parce que Kechiche est autant intéressé par les gens qu’il montre que par leur(s) histoire(s). La trame principale du film tient sur un timbre-poste. Un ouvrier immigré, la soixantaine, perd son boulot sur les quais de Sète. Il va se mettre en tête de transformer une épave de bateau en restaurant spécialisé dans le couscous (la « graine », pour la semoule) au poisson (le « mulet »). Kechiche filme l’intrigue chronologiquement, mais se concentre sur quelques très longues scènes, dans lesquelles les principaux protagonistes s’exposent (le repas de famille chez Souad, le premier repas au restaurant). Le talent de Kechiche est de livrer un rendu de documentaire, avec des mouvements apparemment confus de caméra (on dirait que c’est un des protagonistes qui filme avec un caméscope, c’est fait exprès, Kechiche sait tenir une caméra, voir « La Vénus Noire »), et de très gros plans sur les visages (c’est un régal de voir les sentiments qui passent par les regards et les non-dits). L’aspect documentaire vient aussi de la distribution, pas de têtes d’affiche, mais des habitués des films de Kechiche, et de nombreux acteurs non professionnels. Dont le « héros » Slimane, joué par un ouvrier du bâtiment (Habib Boufares, un ami du père décédé de Kechiche prévu à l’origine pour le rôle), ou la parfaite débutante pour l’occasion Hafsia Herzi (la fille de la compagne de Slimane dans le film). Il y a d’ailleurs une « famille » d’acteurs utilisés par Kechiche, qui peuvent avoir des rôles importants dans un film et des rôles mineurs dans un autre. Dans « La graine et le mulet », Sabrina Ouazani (la Frida de « L’esquive ») est une fille de Slimane, qui est peu à l’image, Carole Frank (la prof de français de « L’esquive ») apparaît très fugacement parmi les invités du repas sur le bateau, les deux jouent des personnages mineurs de l’intrigue. De même, on retrouvera dans « La Vénus Noire » pour de petits rôles trois actrices très présentes dans « La graine … » (celles qui jouent l’ancienne femme, Souad, et deux des filles de Slimane). Autres points communs dans la distribution des films de Kechiche, des « héros » peu loquaces (le jeune garçon de « L’esquive », la « Vénus Noire », ou ici Slimane), et des acteurs principaux dans un film absents des autres.
Repas de famille chez Souad
Kechiche, c’est un peu le cinéaste de la fiction « vraie ». A une époque, on a appelé ça du néoréalisme, plus tard du cinéma social. On a souvent cité à propos des films de Kechiche et de « La graine … » en particulier des réalisateurs comme Cassavetes (la descente dans l’intimité familiale) ou Ken Loach (l’engagement, le militantisme, …), et Kechiche a reconnu lui-même que le final du film (Slimane poursuivant les gosses) est un hommage au premier degré au « Voleur de bicyclette » de De Sica. Moi je rajouterais l’influence du cinéma nordique, certaines choses de Bergman (l’hystérie claustrophobe en moins, quoi que le pétage de plombs de la belle-fille cocufiée à la fin …), la façon de tourner très Dogme (Lars Von Trier des débuts et toute la clique), l’importance des deux repas longuement filmés m’évoque elle fortement « Festen » et « Le festin de Babette » deux classiques du cinéma danois. Kechiche n’a pourtant rien d’un Nordique, il est d’origine tunisienne, et « La graine … » est un film très méditerranéen. Parce qu’il se déroule à Sète (qui n’est certes pas la ville littorale la plus glamour, cité portuaire industrielle dévastée par les crises économiques à répétition, genre Le Havre ou Dunkerque, avec le soleil et l’accent qui chante en plus), mais aussi parce qu’il met en scène « sa communauté ». Un des reproches faits à Kechiche, ce « communautarisme », voire même du « racisme à l’envers » (comme si le racisme avait un sens !). Kechiche est un réalisateur engagé certes, qui montre. Et autant on peut émettre des réserves sur certaines de ses stigmatisations (le contrôle musclé des flics dans « L’esquive », la charge contre la « science » occidentale et française dans « La Vénus Noire »), autant dans « La graine … », on a son traitement le plus fin et le plus subtil de l’aspect « social ». Oui, la défiance voire la méfiance entre les deux communautés est explicite, notamment sur le bateau, entre une famille « issue de l’immigration » comme on dit dans les JT, et les petits notables sétois, et la condescendance des banquiers ou de l’administration vis-à-vis d’un Slimane un peu largué côté paperasserie, est un régal de finesse d’observation et de retranscription à l’image. Le trait n’est pas forcé, c’est la vie, quoi. Comme lorsqu’on se retrouve en famille, on peut passer un moment à causer prix des couches-culottes. Les personnages de Kechiche sont des gens « normaux », pas des Batman ou des James Bond…
La danse du ventre d'Hafsia Herzi
De plus, Kechiche sait éviter l’atmosphère sordide, voire glauque que pourraient entraîner certaines situations. Il y a toujours un sourire, tout un vocabulaire ensoleillé, tout un tas de petites réflexions, allusions, regards  (ah, les fabuleux regards des petits bourges sétois imbibés d’alcool lors de la danse du ventre d’Hafsia Herzi), mimiques, de tous ces anonymes voire étrangers aux studios de cinéma, qui arrivent à faire passer plus d’émotions et de sentiments que beaucoup de têtes d’affiche de nos productions franchouillardes (non, je ne vais pas me laisser aller à citer des noms comme Clavier, Reno, Boon ou Dubosc, j’ai pitié des minables …).
« La graine et le mulet » porte bien son nom de long-métrage (deux heures et demie), et encore Kechiche use d’un stratagème venu du théâtre (les copains musiciens du dimanche de Slimane qui au milieu du film racontent l’évolution de l’histoire, comme un remake du rôle des chœurs antiques) pour passer à une autre étape de son histoire. Mais on ne s’ennuie pas, il y a suffisamment de mini-intrigues et de mini-personnages secondaires pour captiver l’attention. Les gens « ordinaires » peuvent être très intéressants. Merci à Abdellatif Kechiche de nous le rappeler ...

Du même sur ce blog : 
L'Esquive


STANLEY KUBRICK - ORANGE MECANIQUE (1971)


A history of violence ?

« Orange mécanique » restera comme le film sulfureux de Kubrick. Plus encore que « Lolita ». Qui avait eu la chance de sortir à une époque où l’on ne parlait guère de pédophilie et de détournement de mineurs. Kubrick avec « Orange mécanique » a mis les pieds dans le plat. Et pas qu’un peu. Il a même sauté à pieds joints dans la soupe du conformisme bourgeois bien-pensant. Résultat des courses : un film encore interdit aux moins de dix-huit ans dans certains pays, et qui a du être retiré de l’affiche pendant vingt cinq ans en Angleterre, suite à des menaces de mort reçues par Kubrick, et après une série de crimes, dont un meurtre, calqués sur des scènes du film.


Le film arrive après « 2001 … » ce qui n’est pas rien, tant l’odyssée spatiale et spéciale a traumatisé tous ceux qui l’ont vu (et n’ont rien compris, mais sont restés scotchés à vie par ce montage hors-norme de musique et d’images, dont on cherchera encore la signification ou le sens caché quand tous les monolithes noirs seront réduits en poussière d’étoiles …). L’incompréhension et les malentendus vont se poursuivre avec « Orange mécanique », où majorité du public et censeurs officiels n’y verront que ce qui n’y est pas …
Le projet du film vient de la lecture du livre récent du même nom (« Clockword orange » en V.O.) de l’écrivain  anglais Anthony Burgess. Un bouquin d’après les dires de Kubrick (mais est-ce vrai ?) acheté dans son édition américaine expurgée du dernier chapitre. Et comme le film sera assez fidèle au bouquin, le final que Burgess estime tronqué vaudra aux deux hommes d’entretenir des relations tumultueuses, faites de brouilles, embrouilles et réconciliations. Aux origines de l’adaptation, un nom revient, celui de Mick Jagger. Mais l’histoire n’est pas claire, et les bonus de la version BluRay sont contradictoires. D’après Malcolm McDowell, c’est Jagger qui aurait acheté les droits du livre, mais il n’explique pas comment Kubrick les a récupérés. D’après d’autres témoignages de proches de Kubrick ou de critiques, Jagger était envisagé pour le rôle d’Alex et le restant des Stones pour jouer la bande des Droogs. Un choix qui s’est révélé impossible dès que la production a commencé à aligner des chiffres et consulté les disponibilités des uns et des autres.
Cette piste-là abandonnée, Kubrick contacte le jeune (enfin, presque trente ans, son personnage est beaucoup plus jeune) McDowell, remarqué pour son premier rôle (dans tous les sens du terme) dans « If … » de Lindsey Anderson. Bonne pioche (et risquée, McDowell est de toutes les scènes du film qui repose donc essentiellement sur ses épaules), ce quasi-inconnu va faire une prestation hallucinante, bien dans la lignée de ces acteurs « dangereux » (Klaus Kinski, Rutger Hauer) des années 70. C’est lui qui va demander à être réellement camisolé dans les séquences « médicales » de cinéma, et qui finira par se blesser à la cornée en se débattant pour essayer de se soustraire aux écarteurs de paupières et aux lavages au collyre. C’est lui qui aura l’idée de la danse et du chant de « Singin’ in the rain » sur la scène mythique de l’agression de l’écrivain et du viol de sa femme après cinq jours (le perfectionnisme maniaque de Kubrick !) de prises jugées quelconques par son metteur en scène. Alors oui, McDowell-Alex par son interprétation tire tout le reste du casting vers la démesure.
Mais rien à côté du traitement de l’histoire par Kubrick. A partir d’un scénario ultra-violent, l’Américain exilé en Angleterre aurait pu accoucher d’une fresque sanglante à la Peckinpah , qui après « La Horde Sauvage » venait de sortir « Straw Dogs ». Deux immenses films, certes, mais Kubrick ne fait jamais rien comme les autres. Kubrick (on ne dira jamais assez, que techniquement parlant c’est un des plus grands, voire le plus grand manieur de caméra de tous les temps) va chorégraphier la violence comme personne ne l’avait jamais fait, du moins en Europe ( les premiers films des frères Shaw à Hong-Kong ont du servir de source d’inspiration, notamment dans la baston du théâtre entre les Droogs et une bande rivale, et le « phénomène » Bruce Lee va bientôt débarquer sur les écrans). Ne pas croire pour autant que « Orange mécanique » a quelque chose à voir avec les films d’arts martiaux. Les scènes violentes se concentrent sur la première demi-heure (hormis les « retrouvailles » d’un  Alex sorti de prison avec ses anciens copains), et encore ont été édulcorées par rapport au bouquin de Burgess (les deux filles, apparemment majeures et consentantes rencontrées dans le magasin de disques et qui occasionnent une partie de « va-et-vient » à trois filmée en accéléré, sont dans le livre âgées de dix ans et droguées par Alex avant d’être violées), mais ont suffisamment traumatisé les spectateurs à l’époque pour que l’on y réduise le film. Un argument trop facile qui éclipse tout le reste.
« Orange mécanique » tient beaucoup plus de la comédie (« musclée » si on veut) et de la satire caricaturale féroce d’une société en voie de bigbrotherisation qui veut à tout prix enfermer tout le monde (et en particulier la jeunesse) dans un même moule consensuel. Quelques politiques anglais ne s’y sont pas trompés (même si l’histoire se passe dans le futur, il est criant que c’est bien de l’Angleterre qu’il s’agit), qui ont fait du lobbying pour « assassiner » le film et le faire interdire (c’est finalement la Warner qui anticipera, sur la demande d’un Kubrick qui commence à flipper devant les menaces et les campagnes de presse téléguidées contre lui, et qui retirera le film de l’affiche). D’ailleurs Kubrick a toujours qualifié son film de « fable ».
Tout dans ce film est outré, démesuré, et a beaucoup plus à voir par le jeu, les mimiques exagérées des acteurs et la surenchère scénaristique (en ce sens « Orange mécanique » est assez proche d’un « Dr Folamour ») avec les cartoons d’un Tex Avery qu’avec le cinéma politico-social d’un Ken Loach. La transposition dans le futur permet tous les excès, et Kubrick s’en est donné à cœur-joie, mettant toute l’équipe du film à contribution, demandant à chacun d’apporter sa pierre délirante à l’édifice. L’anecdote veut qu’un script ait même été donné au gardien du plateau de tournage, que l’unique faux-cil d’Alex soit réellement celui de la costumière qui a eu l’idée de ce maquillage devenu légendaire, …
« Orange mécanique » est un choc visuel et esthétique (d’entrée le décor du bar-siège social des Troogs, avec ses tables en forme de femmes nues, l’écrabouillage de tête d’une femme par un godemiché géant, les costumes d’escrimeurs en chapeau melon de la bande, leur sorte de Batmobile, l’architecture ringardo-futuriste des immeubles et appartements, …). C’est un choc auditif, avec la retranscription du vocabulaire très particulier plein de néologismes des Troogs. L’utilisation de la musique est aussi très particulière, consistant en un détournement de tous les codes qui y sont attachés. L’essentiel est composé de musique classique, et notamment de Beethoven dont Alex est un immense fan. Kubrick extirpe cette musique des salons cossus et bourgeois où elle était confinée (ce qui en soi constitue quasiment un blasphème) pour en faire la bande-son des virées sauvages d’Alex et sa troupe. La plupart de ces titres sont parasités par les bécanes électroniques (les premiers Moog) du transsexuel Walter-Wendy Carlos, et clin d’œil malicieux, on voit dans un magasin de disques la B.O de « 2001 … » à côté du « Meddle » de Pink Floyd (le groupe avait refusé à Kubrick d’utiliser le titre « Echoes »). Cette omniprésence de musique classique renforce l’effet de ballet des scènes de violence, qui tiennent plus de la chorégraphie que de la baston.
Quelle morale retirer de cette fable ? L’histoire est simple. Alex, leader d’une bande de jeunes ultraviolente, se fait serrer par les keufs, et se voit proposer un traitement de substitution à sa peine de prison, en gros un lavage de cerveau, destiné à effacer toutes ses pulsions et en faire un modèle d’adaptation sociale. Dans le bouquin de Burgess, Alex rentre dans le rang. La fin tronquée (volontairement ou pas) de l’adaptation de Kubrick se termine par une scène dans laquelle un Alex hospitalisé est nourri comme un oisillon au nid (scène fabuleuse) par le Ministre de L’Intérieur qui lui propose un « arrangement ». Kubrick laisse l’épilogue en suspens : le système réussit-il toujours à faire marcher droit tous ses canards boîteux, ou bien Alex avec son cerveau remis fraîchement d’aplomb dans la « norme » joue t-il à son tour les manipulateurs ? Avec bien d’autres thématiques corollaires évoquées : la vision de la violence (les séances de « cinéma ») engendre t-elle la violence ou est-elle une thérapie ? Le déterminisme social (les parents d’Alex sont des travailleurs anglais moyens, caricaturalement excentriques, mais des Anglais moyens quand même) est-il un facteur conditionnant ? Quel est le rôle des élites (intellectuelles notamment) face à un système qui lobotomise (au propre ou au figuré) ses sujets (la vengeance-loi du talion par l’écrivain devenu paralytique) ?
Là où l’on n’a voulu voir qu’apologie de la violence, Kubrick fait un réquisitoire caustique contre l’évolution de nos sociétés dictée par les classes dirigeantes, en dynamitant à grands coups de scènes, de situations et de mimiques cocasses beaucoup d’idées reçues et communément admises.
Pour moi, « Orange mécanique », c’est juste une des plus grandes comédies portées à l’écran. Et qui appuie juste très fort là où cela (nous) fait vraiment très mal …


Du même sur ce blog : 
Spartacus
Barry Lyndon


ROB REINER - QUAND HARRY RENCONTRE SALLY (1989)


Dirty Harry & Sally goes round ...

Dans sa carrière Rob Reiner, en plus de quelques films à succès (le gentillounet « Le Président et Miss Wade », le très bon « Stand by me »), peut se targuer d’avoir réalisé deux films « culte ». Le faux documentaire plus vrai que nature sur le monde du rock du début des 80’s « Spinal Tap », et une des comédies, si ce n’est la comédie qui restera des mêmes années 80, cet étonnant « When  Harry met Sally ».
Qui n’est pas une de ces comédies grasses de l’époque que l’on a un peu honte de regarder genre les séries « Flic de Beverly Hills », ou « Y’a t-il un flic … un pilote .. ? », mais un film tout en douceur, délicatesse, et surtout subtilité.
L’histoire est on ne peut plus simple : des tranches de la vie de deux personnages (Harry et Sally, comment ça, vous aviez deviné ?) qui se rencontrent lors d’un covoiturage de circonstance les amenant de Chicago à New York jusqu’aux fêtes du Nouvel An onze ans plus tard … Le scénario est sans surprise, le dénouement quasiment contenu dans le titre …
Billy Crystal, Bruno Kirby, Carrie Fisher, Meg Ryan
Et ça fonctionne pendant une heure et demie. Parce que le film est fait par des gens qui se connaissent, Rob Reiner, Billy Crystal (Harry) et Bruno Kirby (Jess, copain de Harry) sont potes et un rien déjantés dans la vraie vie, Reiner et la co-scénariste et co-productrice Nora Ephron sont également amis et ont mis beaucoup d’eux-mêmes dans les personnages et les caractères. Et c’est cette équipe, plutôt qu’un directeur de casting, qui a choisi les deux rôles féminins majeurs, Meg Ryan (Sally) et Carrie Fisher (la princesse Leia de « Stars Wars », déjà un peu tombée dans l’oubli et qui est ici Marie, la copine de Sally). Cette fine équipe a beaucoup écrit, mais a parfois laissé l’improvisation prendre le dessus (dans la scène du musée où Harry parle avec un drôle d’accent (asiatique ?), il se lance dans une tirade non écrite, et on peut voir Meg Ryan jeter furtivement un regard inquiet et interrogateur vers la caméra – la scène a été conservée – avant de suivre Billy Crystal dans son jeu). Le film est rempli de dialogues (la plupart lancés par Harry, cynique, odieux, dépressif et désabusé) et de scènes (la fameuse simulation d’orgasme de Sally en plein restaurant) qui sont devenus cultes.
Evidemment, les personnages (des bobos), leurs caractères (des dépressifs qui cherchent l’amour d’une nuit ou de leur vie) et le lieu du film (New York), ça fait clignoter un nom, celui de Woody Allen. Et « Quand Harry rencontre Sally » est en même temps un hommage et un pastiche. Et on n’aurait pas été surpris de voir dans une scène Sally et Harry filmés de dos discuter à l’aube sur un banc de Riverview Terrace, face au Queens. D’ailleurs Reiner avoue dans les bonus du Dvd qu’il a du renoncer  à quelques-uns de ses premiers choix de lieux de tournage, se rendant compte que Woody Allen y avait déjà tourné des scènes. « Harry & Sally », en plus d’être par bien des aspects le meilleur film que Allen a oublié de tourner, partage avec ceux du binoclard une bande-son jazzy (et pour moi très pénible, mais ça colle à peu près avec le côté branchouille chic des personnages). Ici, sera révélé (honte à toi, Reiner) l’insignifiant centriste Harry Connick Jr qui lancera sa carrière grâce aux bluettes geignardes de la B.O.
La fameuse scène au restaurant (au second plan, la mère de Rob Reiner qui va commander "la même chose" que Sally)
On sent qu’il y a de la part des protagonistes impliqués dans ce film un souci quasi-obsessionnel de soigner le détail, de renvoyer à d’autres comédies, à d’autres films (le « Casablanca » de Curtiz évidemment, sujet de discussions et dont on voit des extraits), de faire des personnages des répliques de « vraies » célébrités (le look de Meg Ryan au début, c’est un copier-coller de la Farah Fawcett de « Drôles de dames », cinq ans après dans la scène de l’avion, c’est la réplique d’une patineuse people). Le film repose essentiellement sur le contraste entre un Harry planqué derrière sa carapace de goujat désinvolte et une Sally très romantique. C’est l’évolution lente de leurs caractères respectifs au cours des années qui est disséquée dans le film avec une légèreté, un humour et une justesse de ton qui en font tout le charme. On ne rit pas à gorge déployée devant trois gags énormes, mais on garde en permanence un sourire en coin devant ce film qui fonctionne à plusieurs niveaux.
« Quand Harry rencontre Sally » sera un succès international considérable. Le film fera de ses deux têtes d’affiche Billy Crystal et Meg Ryan deux des acteurs les plus bankables d’Hollywood, le premier en polissant quand même pas mal son humour finira présentateur quasi attitré de la cérémonie des Oscars, la seconde en tenant le rôle principal dans des blockbusters des 90’s (notamment « Nuits blanches à Seattle » de … Nora Ephron, le monde est petit), avant de progressivement disparaître du haut de l’affiche. Pour Rob Reiner, ce film marquera la fin de sa meilleure période artistique. Alors qu’il était en plein divorce au début du projet du film, il fera comme son personnage d’Harry et rencontrera l’amour (et le mariage) pendant le tournage. Quand je vous disais que ce film sentait le vécu …

Du même sur ce blog :

MEL BROOKS - LES PRODUCTEURS (1968)


La première folie de Mel Brooks

Et aussi la meilleure. Un gag ininterrompu de presque une heure et demie. D’un mauvais goût, d’une outrance et d’une méchanceté jubilatoires, confinant au génie.
Zero Mostel & Gene Wilder
Le scénario d’abord. Max Bialystock est un producteur minable de Broadway, finançant ses pièces minables en faisant le gigolo pour de (très) vieilles femmes fortunées. Il s’associe avec Leo Bloom, un comptable dépressif, coincé et hystérique (oui, tout ça en même temps) pour une escroquerie : lever massivement des fonds pour produire un spectacle musical tellement mauvais que son échec immédiat laissera les caisses des producteurs pleines. Il faut donc aux deux compères trouver l’auteur d’une pièce très mauvaise, la confier au pire metteur en scène, et embaucher les acteurs les plus mauvais de la place. Dès le départ, les ficelles sont énormes. Mais ça prend une tournure encore plus surréaliste quand il se trouve que la pièce retenue a été écrite par un ancien soldat nazi, est bien évidemment à la gloire de son dictateur moustachu (« Springtime for Hitler »), et que contre toute attente, malgré tous les ringards et les bras cassés qui la jouent, elle va faire un triomphe entraînant une situation imprévue pour les deux escrocs à la petite semaine …
Les acteurs ensuite. Pareil scénario rocambolesque ne peut fonctionner que s’il y a des « gueules ». Et là, Mel Brooks a fait fort, faisant défiler à l’écran une galerie de portraits hilarants, des petites mémés nymphomanes, à la secrétaire suédoise (nymphomane également, mais autrement plus sexy), en passant par une galerie de seconds rôles ou de figurants marquants (le metteur en scène et son secrétaire en caricature d’homosexuels arty, les prétendants au rôle d’Hitler, …). Mention particulière à Zero Mostel (un revenant, blacklisté pendant le maccarthysme) qui joue Bialystock, personnage rabelaisien, passant de la mimique désopilante au cabotinage le plus outrancier ; au quasi débutant Gene Wylder, tout juste aperçu l’année d’avant dans « Bonnie & Clyde » qui campe le petit comptable Bloom ; à Kenneth Mars, nazi nostalgique et colombophile, qui par son jeu semble échappé du casting de « La grande vadrouille » ; à Dick Shawn, qui est l’acteur-chanteur Lorenzo St DuBois (LSD – évidemment – pour les intimes) à qui on donne le rôle d’Hitler.
LSD dans "Springtime for Hitler"
Au comique de situation de tous les instants, s’ajoutent quelques effets visuels mémorables. Les deux meilleurs étant pour moi le détournement des fameux plans en plongée de Busby Berkeley filmant les figures géométriques réalisées par des armadas de danseurs ou de nageurs ; ici, des femmes soldats nazies et sexy forment … une croix gammée. Autre moment d’anthologie quand LSD lors de son audition se lance dans une chanson (« Love Power ») très psyché-hippy tout en imitant Jim Morrison, superstar du rock de l’époque …
A noter que Mel Brooks, qui écrit et réalise ce film, a composé quelques chansons pour la bande-son, dont ce « Love power » et « Prisoner of love » utilisé lors du final. Un curieux parallèle existe d’ailleurs entre ce punk avant l’heure de la caméra et Dee Dee Ramone, de la tribu des faux frangins punk Ramones. Ils finiront tous les deux, avec l’aide de quelques substances chimiques prises en quantités déraisonnables par enregistrer au début des années 80 un disque de … rap (non, quand même pas ensemble …).
Vu le thème majeur du film (la mise en scène d’une pièce glorifiant le nazisme et Hitler), il faut quand même préciser que Mel Brooks, mais aussi une bonne partie des gens ayant participé à ce film sont juifs, ce qui ne peut que désamorcer certains froncements intempestifs de sourcils … Cette histoire tellement délirante menée à un rythme infernal à d’ailleurs valu à Mel Brooks un Oscar pour le scénario. Et bien qu’il ait continué dans la même veine en revisitant d’une façon assez trash et destroy quelques genres incontournables, dont un pastiche des films d'horreur de la Hammer (« Frankenstein Jr ), et un autre de western (« Le shériff est en prison ») assez réussis, il ne retrouvera plus jamais la truculence débridée et iconoclaste des « Producteurs » …
Un remake est sorti en 2005, qui évidemment, n’arrive pas à la cheville de la farce déjantée originale …


Du même sur ce blog :

GEORGE ROY HILL - BUTCH CASSIDY AND THE SUNDANCE KID (1969)


Nouveau western ...

C’est un peu comme cela que le film avait été présenté, comme si un western ne pouvait être qu’un film de John Ford avec John Wayne … sauf que Sergio Leone avait déjà bouleversé pas mal de codes avec « Le bon, la brute et le truand » notamment, et que Peckinpah, alors que le tournage de « Butch Casssidy … » n’était pas terminé, traumatisait les spectateurs avec les gunfights et les jets d’hémoglobine au ralenti de « La Horde sauvage » …
« La Horde sauvage » (the wild bunch dans la langue de Lady Gaga), hasard ou pas, étant justement le nom de la bande qui accompagnait le légendaire braqueur Butch Cassidy au tournant du siècle dans le Sud américain. Le scénariste William Goldman dut trouver un autre nom pour les complices de Cassidy (ce sera la bande du Hole in the Wall). Lequel Goldman avait déjà eu pas mal de soucis avec son scénario, un des plus chers payés par un studio.
Le film doit être construit autour d’un Paul Newman en pleine gloire (« Luke Cool Hand »), et réalisé par un pote à lui, George Roy Hill. Pour partager l’affiche avec Newman, la production est prête à mettre le paquet, les noms de Brando, Jack Lemmon, Warren Beatty et surtout celui de Steve McQueen, l’autre star masculine de l’époque circulent. Finalement, Hill et Newman réussiront à imposer un quasi-inconnu, Robert Redford, venu du théâtre comique new-yorkais, et qui sera le Sundance Kid.
Le scénario repose sur l’histoire plus ou moins authentique de Cassidy et du Kid, largement réaménagée. Cassidy et le Kid n’étaient en fait pas des Robin des Bois américains (juste des truands n’hésitant pas à dégainer les premiers), n’étaient pas copains comme cochons (le Kid venait de rejoindre la bande, c’est un peu par hasard que les deux hommes et la maîtresse du Kid ont fui ensemble), la Bolivie n’a été que la fin supposée de leur périple sud-américain, … D’un autre côté, « Butch Cassidy … » n’a jamais prétendu vouloir être un film historique.
Il reprend (avec un budget conséquent) la trame du western classique, les hors-la-loi sympathiques, les grandes poursuites, les grands espaces sauvages, … Mais c’est avant tout une comédie, et d’ailleurs Newman dont ce n’était pas la spécialité, avait des doutes sur le résultat final, trouvant souvent que c’était too much de ce côté-là … Mais là où le film peut être perçu comme vraiment original, c’est surtout au niveau du découpage et du montage. Le générique du début façon film muet (clin d’œil au « Great train robbery », court-métrage de 1903 considéré comme le premier western ?), la longue  poursuite (une demi-heure), la fuite de Cassidy et du Kid vers l’Amérique du Sud résumée par une succession de photos sépia, le final sur une image arrêtée… A noter aussi deux scènes peu utiles dans le déroulement du film, mais qui ont alimenté des discussions sans fin entre les « spécialistes », la plus controversée étant celle de la reddition à un shérif au milieu de la poursuite (non-sens, casse la tension, etc, … tels ont été les reproches). Mais surtout la scène dite de la « bicyclette », qui laisse planer un doute sur la relation ambiguë entre Cassidy et Etta Place (la maîtresse du Kid jouée par Katharine Ross), avec en fond sonore le fameux morceau de Burt Bacharah et Hal David chanté par B.J. Wilson (« Teardrops keeps falling in my head »), que Hill a maintenu contre vents et marées, et surtout la bronca des producteurs qui voulaient le remplacer par un machin country ou hillbilly traditionnel …
A sa sortie, le film a été éreinté par la critique (c’est pas vraiment un western, c’est pas vraiment une comédie, c’est qui ce Robert Redford, ce genre …). L’accueil du public a été lui enthousiaste, et logiquement, l’industrie du cinéma prête à tous les revirements pourvu que ça remplisse les caisses, a multi-nominé et multi-récompensé « Butch Cassidy … » aux Oscars …
« Butch Cassidy and the Sundance Kid » est une merveille de film sympa, avec pour cadre des paysages parmi les plus somptueux jamais mis en images (tournage dans une multitude de parcs nationaux américains, mais aussi au Mexique), des scènes devenues mythiques, comme la partie de poker du Kid au début, celle du strip-tease de Katharine Ross, celle de la bicyclette, celle de la poursuite avec son questionnement obsessionnel (« Who are those guys ? »), un trio d’acteurs majeurs Newman – Redford – Ross (même si cette dernière est moins présente à l’écran que les deux hommes).
Et surtout, des gens qui se sont bien amusé sur le tournage, et une complicité qui se voit entre Newman, Redford, et George Roy Hill. Et ce n’est certainement pas un hasard si les trois hommes se retrouveront au générique quelques années plus tard d’un film au succès encore plus colossal, « L’arnaque » …

PS. Assez bizarrement, il me semble que le film « passe » mieux en version DVD qu’en version Blu-Ray dans lequel une image trop flashy et brillante dessert notamment les scènes filmées en nuit américaine, une version Blu-Ray dotée en bonus d’un commentaire du film d’un ennui total … Par chance, sur de nombreux packages Blu-Ray, le DVD figure aussi dans le boîtier …

BARRY LEVINSON - GOOD MORNING VIETNAM (1987)


Tchao pantin ?

Tant qu’à causer films, autant commencer par un de mauvais, ça ne pourra aller qu’en s’améliorant. Même s’il n’est pas franchement atroce, « Good morning Vietnam », est loin d’être un chef-d’œuvre du 7ème art.
Le sujet était soi-disant sulfureux, basé sur l’histoire réelle (mais très fortement retouchée dans le scénario) d’Adrian Cronauer, DJ de la station de radio de l’armée américaine au Vietnam au milieu des années 60. Précédé avant sa sortie en salles d’une réputation surfaite de 1ère comédie iconoclaste sur le conflit vietnamien, ce n’est qu’une gentille pelloche avec en filigrane une romance à l’eau de rose entre l’animateur radio et une jeune beauté locale.
On est loin de la destruction par le rire de la guerre de Corée signée Altman avec « M.A.S.H. », et comme « Good morning Vietnam » n’est pas un film « de guerre » sur le Vietnam, on évitera les comparaisons forcément très désavantageuses avec quelques classiques signés Cimino, Coppola ou Kubrick …
Faut dire qu’à la réalisation on a un centriste de la caméra, Barry Levinson, yesman des studios hollywoodiens, qui ne réussira même pas à faire un chef-d’œuvre avec Cruise et Hoffman au casting (« Rain man »). Le rôle principal dans « Good morning Vietnam » est tenu par le peu connu à l’époque Robin Williams, venu du comique télévisuel, et qui ensuite sera tête d'affiche dans de mauvais films et au second plan dans de bons films …
L’intrigue est aussi mince que le string d’une bimbo dans une production Marc Dorcel. Adrian Cronauer, DJ et animateur réputé des bases militaires US, est affecté à Saïgon en 1965 pour remonter le moral des troupes américaines dans un conflit qui commence à s’enliser. Il va s’amouracher platoniquement de la sœur d’un « terroriste » vietcong, sur fond de démêlés avec sa hiérarchie militaire, à cause de son sens de l’humour diversement perçu…
Le film est entièrement centré sur la performance de Williams, ses fameux « Good Mooooorning Vietnam » et quelques monologues comiques débités sur le mode supersonique. Ce qui pose d’entrée une des grosses limites du film, les vannes peut-être bien vues en anglais, ne sont pas forcément traduisibles en français, flagrant quand on visionne le film en V.O. sous-titrée … quand à le voir sans sous-titres, why not, mais ça va beaucoup trop vite pour moi. D’ailleurs, c’est dit dans les bonus du DVD, le film a été tourné en Thaïlande avec une équipe cosmopolite, et à la fin des prises, quelquefois totalement improvisées de Williams, seuls les Américains avaient le fou rire, et toutes les autres nationalités se demandaient ce qui se passait … Vanner la laideur de la femme et des filles de Lyndon Johnson, c’est peut-être très marrant, mais encore faut-il savoir qui il est (à la limite, çà, on devrait savoir, c’est celui qui a succédé à Kennedy) et à quoi ressemble sa famille …



Tous les personnages sont stéréotypés outrancièrement comme ceux d’une sitcom (les supérieurs militaires, Denzel Washington en  niais balourd dans un de ses premiers rôles, le patron de bar homo, …). Plus grave et plus politiquement tendancieux est l’image donnée des Vietnamiens, doux crétins toujours prêts à rire des vannes de Williams-Cronauer, et qui alors que leur pays est occupé par une armée étrangère, se bousculent pour prendre des cours d’argot du Queens, ou jouer au base-ball avec des melons locaux… Il y a fort à parier que les vraies préoccupations des autochtones étaient ailleurs…Et ceux qui ne rigolent pas sont, forcément, des terroristes, voir le dialogue vers la fin entre Williams et le jeune militant vietcong, à peu près la seule séquence plausible du film, qui montre bien l’incompréhension totale entre les deux mondes qui s’affrontent…
Levinson nous sert une mise en scène d’une platitude terminale (multipliant les plans fixes sur Robin Williams), gâchant le budget de la production par d’inutiles séquences de bombardements d’un village et la vision d’une base américaine dans la jungle n’ayant aucun rapport avec l’intrigue du film, le tout sous la musique de « Wonderful world » de Louis Armstrong …
Tiens, la musique, justement, puisque Cronauer était DJ … là, c’est du bon, soul et rock du début des années 60. C’est d’ailleurs à peu près tout ce qu’il y a de bon dans ce film …