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RAY CHARLES - ULTIMATE HITS COLLECTION (1999)


Génial, oui ... mais pas toujours ...

Ray Charles, c’est le Genius. Et si plein d’autres contemporains, dotés d’un talent certain et d’un ego démesuré (James Brown, Sinatra, Elvis, Miles Davis, Coltrane, …), ne lui ont pas contesté ce titre, c’est peut-être bien que Charles le méritait.
En une décennie magique (en gros de 1955 à 1965), il allait faire la synthèse de tous les genres de musique populaire existants et jeter les bases de nouveaux. Venu du gospel et du jazz, il va s’approprier le rock’n’roll naissant, le blues, la country et graver la définition du  rythm’n’blues et de la soul, laissant à chaque fois au passage quelques classiques imputrescibles.
Dresser la liste de ceux qui l’ont repris ou qu’il a directement influencés est totalement impossible tant cette liste est démesurée. Tous ceux qui se sont inspirés ou servis de la musique noire pour créer la leur lui doivent quelque chose. Et des morceaux géniaux de Ray Charles (je ne suis pas un grand connaisseur du bonhomme), il doit y en avoir de quoi remplir des coffrets de plusieurs Cds.
Le problème de ce « Ultimate Hits Collection » en deux Cds et trois douzaines de titres, c’est qu’il s’agit d’une « compile de supermarché » (c’est là que je l’ai achetée d’ailleurs il y a bien longtemps quand je voulais les versions originales  de tous ces morceaux que je connaissais repris par d’autres. Et même si c’est édité par Rhino, gage de qualité sonore, de travail sérieux et de notes de livret intéressantes). Une jolie ( ? ) photo consensuelle, un intitulé ronflant, et au final les 2/3 du second Cd qui, comment dire, … ne sont pas géniaux. Des titres des années 70 et 80 avec de grandes orchestrations, des cascades de violons, des roucoulades d’armées de choristes, des morceaux avec Willie Nelson, Chaka Khan, Quincy Jones, … eux aussi pas dans leurs meilleures périodes.
La faute aux clopes et au bourbon qui ont amoché la voix de Charles. A l’héroïne qu’il a consommé en quantités industrielles et qui, comme chez tous les autres, a fini par lui bouffer la créativité et l’inspiration. Ray Charles, comme tous les autres artistes noirs de sa génération, a été copieusement détroussé au début de sa carrière par l’ « industrie musicale ». Et parce qu’il faut payer les croquettes du chien et l’eau de la piscine, comme tous les autres, il a fini par faire de l’ « alimentaire » … même si sa soupe à lui est quand même meilleure que celle de beaucoup d’autres …
Un premier Cd fabuleux, l’autre dispensable …

Du même sur ce blog:
The Genius Of Ray Charles

LITTLE BLIND JOHNSON - COMPLETE RECORDINGS (2012)


L'ancêtre de tous les bluesman
C’est un miracle, une révélation, qui dans l’histoire de notre civilisation, n’a que peu d’équivalents (peut-être la découverte du site Inca de Machu Pichu, ou celle du tombeau de Ramses II, et encore …). Alors que l’on croyait tout savoir sur les origines du blues et ses plus anciennes figures tutélaires, les Lonnie Johnson, Son House, Ma Rainey, Robert Johnson, voici qu’en recoupant les archives du Smithsonian Institute et d’Alan Lomax (ces dernières rendues publiques après une suite d’imbroglios juridiques entre héritiers, à faire passer la succession de Liliane Bettancourt pour un vulgaire bail à ferme), on s’est aperçu que bien avant tous ces précurseurs, un homme déjà s’était réveillé le morning en se sentant so bad parce que sa baby était partie.
Little Blind Johnson a enregistré, aussi incroyable que cela puisse paraître, au milieu du XIXéme siècle, vers 1840 semblent dire les datations au Carbone 14 effectuées sur les acétates retrouvés. Une découverte qui va, n’en doutons pas, obliger à réécrire tous les ouvrages dédiés à la musique des djeunes (même si le blues n’est aujourd’hui plus écouté que par quelques grabataires souffrant d’Alzheimer et placés sous assistance respiratoire).
Une des rares photos supposées de l'Artiste (Little Blind Johnson est à gauche)
Ces vestiges sonores inespérés, des bribes d’interviews retranscrites sur de minuscules feuilles de chou locales et retrouvées après des enquêtes journalistiques à faire passer la quête du Graal pour de vulgaires courses au Prisu du coin, permettent d’en savoir plus sur ce pionnier. Vingt-deuxième enfant d’un couple de cueilleurs de coton, le petit Gustave-Edouard Johnson naquit en 1812. Aussi noir que ses parents. Dès lors, son avenir sembla tout tracé, il serait esclave, perpétuant ainsi une longue tradition familiale, évitant par là-même de longues et infructueuses recherches dans les Pôle-Emploi du secteur. Ne possédant rien, le petit Johnson n’avait pas grand-chose à perdre. Hormis la vue, suite à la vision d’un horrible accident survenu à son frère, quelques doigts à la main droite à cause d’une machine-outil, et le bras gauche, on ne sait en quelles circonstances, vraisemblablement dans un accident de chariot. De tels traumatismes ne furent pas sans conséquences sur son métabolisme, il arrêta très vite de grandir, ne culminant qu’à une soixantaine de centimètres, ce qui en plus de faire de Gustave-Edouard Johnson le plus ancien bluesman du monde, en fait aussi le plus petit.
Un miracle survint pourtant, une nuit qu’il croisa le chemin d’une cérémonie du Ku-Klux-Klan. Les encagoulés lui laissèrent la vie sauve, au prétexte qu’il était inutile de gâcher une bonne corde de chanvre pour pendre cet humanoïde avorton, le premier teckel à poil ras venu qu’il croiserait pouvant sans problème en faire son déjeuner … On le voit, des débuts dans la vie assez difficiles pour Gustave-Edouard Johnson, vite rebaptisé à cause de ses infirmités Little Blind Johnson. 
Mais c’est dans l’adversité que se forgent les plus grands destins. Ayant un jour trébuché à une guitare abandonnée à la hâte par un folkeux dans un bar de Hell’s Angels, il se mit en tête d’apprendre à jouer de cet instrument. Evidemment, ses membres incomplets ou manquants l'empêchèrent d’acquérir une technique classique, mais après quelques tâtonnements, il mit en place sa patte tout personnelle. Cordes montées à l’envers, bottleneck tenu de la main gauche, et jeu en picking avec les orteils du pied droit, le gauche battant la mesure. Un phrasé unique, mettant en valeur suites d’accords inouïs et arpèges enchanteresses.
Autre photo supposée du bluesman manchot
Blind Little Johnson, ayant sans doute entendu parler de Sacha Distel, se rêva d’abord guitariste jazzman de charme, avant que son physique tout particulier lui fasse changer de style. La Révélation définitive lui vint lors d’une de ces transhumances que les musiciens noirs accomplissaient parfois, partant des rives du Mississippi, obéissant à on ne sait quel instinct primitif, pour aller finir leur migration à Chicago. Ses soi-disant compagnons de périple, sans doute jaloux de son art, profitèrent des nombreux handicaps de Little Blind pour l’abandonner en chemin, le laissant seul face à son triste sort. Affamé et malade, hésitant sur la direction à emprunter au premier carrefour venu, il aurait dû finir dévoré par les coyotes. Nul ne sait comment, après une marche de 500 miles, il put atteindre Indianapolis (il est maintenant d’ailleurs question, que pour lui rendre hommage, une course d’endurance soit organisée dans cette ville). Little Blind Johnson raconta qu’à un croisement, une présence qu’il avait perçue comme diabolique lui avait proposé de le guider, et vu son état, ne lui aurait même rien demandé en échange. Une histoire légendaire, transmise de bouche à oreille par des générations de bluesmen, certains n’hésitant pas par la suite à se l’accaparer et à prétendre qu’il avaient rencontré le Malin à quelque crossroad … 
La fin de sa vie est mal connue, mais on pense que Johnson n’a pas fait de vieux os. Certaines rumeurs invérifiables prétendent que lors d’une rixe dans un club d’Indianapolis, Little Blind Johnson aurait été jeté dans la cuvette des toilettes et que quelqu’un, profitant de sa petite taille, aurait tiré la chasse pour s’en débarrasser, Johnson ayant vraisemblablement péri noyé dans les égouts de la ville …
Evidemment, pareille histoire semblerait abracadabrantesque, s’il n’y avait pas ce coffret paru sur ISF Records, réunissant tous ses enregistrements retrouvés. Un digipack cartonné à la présentation luxueuse, deux Cds présentant l’intégrale à ce jour de Little Blind Johnson, plus un BluRay avec une interview exclusive d’Eric Clapton (grand fan de Johnson), de dix-sept secondes en mono 5.1 sous-titrée en braille. Mais les deux Cds de la partie musicale valent ces décennies d’attente et d’ignorance. Le premier Cd, sous-titré « The complete recordings », contient un morceau de deux minutes quarante cinq secondes, seul vestige de la carrière de Johnson, restauré à partir du flexidisc d’origine. Le second Cd, « Greatest Hits remixed », nous offre une relecture en dix-huit versions de ce titre mythique par les plus éminents spécialistes de la scène electro comme DJ Gle Bells ou DJ Rondin (de Bordeaux), avec notamment un « Petrucciani Piano A Capella Dubstep Heavy Dance Mix » d’anthologie.  Mais bon, ces remix, quand bien même sont-ils de Little Blind Johnson, sont comme tout les remix, n'ont aucun intérêt et ne servent strictement à rien. Par contre le morceau retrouvé de Little Blind Johnson, le fabuleux « Life is beautiful », mériterait à lui seul plusieurs feuillets. S’inspirant avec une bonne humeur déconcertante de son existence, ce qui atteste tout de même d'un sacré sens de l'humour, il jette toutes les bases du blues du XXème siècle. Le rythme, les obligatoires douze mesures, le phrasé, tout est déjà là. Et que dire de la partie centrale du titre, dans laquelle Johnson dévoile une technique invraisemblable, jetant en quelques improvisations géniales les bases de ce qui aurait pu faire d’autres titres d’anthologie. Face à l’immensité de ce morceau, on oublie tout, même le prix un peu élevé du coffret (799 dollars hors taxes et frais de douanes).

Un disque essentiel, une pièce incontournable de la culture de notre humanité …
Rappelons que Little Blind Johnson, né le 1er Avril 1812, aurait 200 ans aujourd’hui.
Un grand merci pour leur participation involontaire à Little Walter, Blind Willie McTell, Robert Johnson, Ray Charles, Django Reinhart et Tommy Iommi, Rick Allen, Albert King, Muddy Waters et tant d’autres, les frères Coen, Gaspar Noé.
Merci aussi aux photos de Skip James et Son House.
Very special thanks à Robert Johnson (encore), et quelques zozos qui donnent des cours de guitare via YouTube en se prenant pour Ritchie Blackmore, Angus Young ou Keith Richards … 




ZOO - ZOO (1969)


Comme un air de famille ...

La filiation est clairement évidente et d’ailleurs revendiquée, Zoo a pour modèles Blood Sweat & Tears et Chicago, et surtout les premiers. Petite précision à l’usage des non encore grabataires, Zoo est un groupe français.
Famille évidemment nombreuse vu les influences (les Zoo sont neuf), lorsque la fanfare se forme, ses membres sont déjà des musiciens accomplis, ayant sévi dans des groupes ou hanté les studios de l’époque. Leaders et figures de proue, le chanteur Joel Daydé, le bassiste Michel Hervé et le guitariste Pierre Fanen, autant de noms que le fan de Lady Gaga ne connaît pas, mais que quelques vénérables ancêtres chenus doivent encore avoir à l’esprit.
Ce disque éponyme est tout à fait représentatif d’un genre aujourd’hui totalement désuet, cet amalgame entre toutes les musiques « de jeunes » de l’époque. Se mélangent, et s’entrechoquent parfois, mélodies pop, tristesses blues, langueurs soul, énergie rock, transpiration rythm’n’blues, une pincée de fuckin’ jazz… Bref, tout ce qui était matière à se disputer avec ses parents en cette fin des années 60. Mais aussi et surtout une fascination pour la technique instrumentale, avec le funeste prog-rock en gestation. Encore plus frappant en ce qui concerne les groupes français de l’époque, persuadés qu’une reconnaissance et qu’une crédibilité musicale dans le rock au sens large ne pouvait passer que par une démonstration technique alambiquée et grandiloquente. Les Zoo maîtrisent leur sujet et ne perdent pas une occasion de le montrer.
Ce qui donne lieu à quelques choix pour le moins curieux. Comment, lorsque l’on a dans ses rangs un aussi bon chanteur que Daydé, à la voix grave très soul, aligner sur un disque la moitié d’instrumentaux, mettant en avant un violon imbécile ou des cuivres redondants ? L’époque y est sans doute pour beaucoup, mais ce genre de choix artistique délibéré est pour le moins curieux, et les conséquences ne se feront guère attendre, Daydé et le guitariste Fanen quitteront le groupe après ce disque.
Les meilleurs titres de ce « Zoo » sont d’assez loin ceux qui sont chantés, le rythm’n’blues jazzy de « If you lose your woman », l’alerte « Memphis train » repris à Rufus Thomas, le très Ray Charles « You sure drive … ». Les instrumentaux, forcément très datés, s’empêtrent dans la copie de BS & T (« Ramsès »), les pénibles jams violoneuses (« Rythm and Boss »), ou bluesy (« Bluezoo », comme son nom l’indique). Deux morceaux sont un peu à part, « Un samedi soir à Carnouet », ambiance bal à papa psychédélique ayant plus à voir avec Chicago (le groupe) qu’avec les Cotes d’Armor ; également le dernier, « Mammouth », avec sa rythmique très lancinante qui fait penser à ce que produira plus tard Magma …
Les départs de Daydé et Fanen porteront un trop rude coup à Zoo pour qu’il s’en remette. Un autre disque verra le jour, avec beaucoup moins de retentissement que ce premier qui avait quand même réussi à marquer les esprits. Quelques musiciens accompagneront Léo Ferraille momentanément en quête d’un virage « électrique », et quelques survivants remonteront le groupe sous le nom de Zoo Tribute en 2010 avec le succès que l’on imagine …

THE ANIMALS - THE ANIMALS (1964)


Les fauves sont lâchés

Dès le départ, les Animals avaient deux handicaps a priori insurmontables. Ils étaient provinciaux (Newcastle), alors que tout se passait à Londres en ce début des années 60. Pire (quoique), ils étaient pas très mignons et mal habillés, et les magazines parlant de musique pour les jeunes préféraient évidemment mettre dans leurs pages les beaucoup plus flashy Stones, Beatles, Kinks, Who, …

Ayant réussi à percer, et pas avec des titres de troisième zone ou des demi-succès, ils auraient pu être les égaux des plus grands. Et ils se retrouvent à peu près aussi oubliés que, au hasard, les Small Faces ou les Pretty Things … La faute à deux caractères de cochon à l’ego démesuré. Alan Price, d’abord. Manipulateur de Vox et de Farfisa, ce claviériste quelconque avait cependant fondé le groupe et recruté ceux qui devaient l’accompagner au sein du Alan Price Combo. Parmi eux, un chanteur au gosier de feu, Eric Burdon, une des plus grandes voix « noires » anglaises de tous les temps, catalyseur et détonateur du groupe sur scène, entraînant les autres dans des prestations sauvages où ils allaient se faire surnommer par leurs fans « The Animals », un nom qui leur restera. Burdon et Price ne s’entendront pas, et c’est Price qui quittera le premier le groupe qu’il avait mis sur pied.

Souriez, c'est pour la photo ... Animals 1964
Quand le succès arrivera, ce sera Burdon la star. Qui prendra très vite le melon, et jugeant le reste du groupe indigne de son auguste personne, s’en ira tenter l’aventure dans le San Francisco de la fin des sixties. Entre temps, il aura formé les New Animals pour une paire de disques que tout le monde a oublié. En plus de Burdon, deux autres des Animals rentreront dans la postérité, le bassiste des débuts Chas Chandler qui deviendra le directeur artistique et manager de Jimi Hendrix ; et aussi un des guitaristes des New Animals, Andrew Somers, que l’on retrouvera rebaptisé Andy Summers dans The Police … « Tu t’égares là, tu nous en parles de ton vieux skeud ? » me souffle t-on … Bon OK, reprenons …

« The Animals », parfois appelé aussi « Volume 1 » est le premier disque des Animals en 1964. Avec cette pochette-là, il s’agissait originellement de la version anglaise du 33T, sur laquelle ne figurait pas leur premier énorme succès « The House of  the Rising Sun », que l’on trouvait par contre sur la version américaine du disque. Aujourd’hui avec la réédition Cd, ce genre de détail n’a pas grande importance, ce titre et une demi-douzaine d’autres se trouvent dans la section bonus …

A l’origine, « The Animals » comprenait douze titres, dont onze reprises. Et des reprises de « classiques » américains du blues, du rythm’n’blues ou du rock’n’roll. La couleur des influences est clairement annoncée. Le disque est réalisé à Londres par Mickie Most, qui après une courte carrière de chanteur de variété, fait avec les Animals ses premiers pas en tant que producteur. Il n’y a dans ce disque rien de rare, d’aventureux. Les Animals font ce que leurs premiers fans attendaient certainement d’eux, ils envoient la sauce, dans le sillage de leur hurleur de chanteur. Résultat, question sauvagerie, on n’est pas loin du premier Pretty Things, ce qui n’est pas rien. Mais avec un soupçon de couleur et de chaleur, dû aux claviers, peu utilisés de la sorte à l’époque. Les résultats sont cependant un peu inégaux, le groupe étant énorme quand il s’attaque à John Lee Hooker (trois titres, « I’m mad again », et surtout « Boom boom » et « Dimples », caractérisques du « son » Animals). A l’inverse, les reprises de Chuck Berry (« Memphis Tennessee » et « Around and around ») peinent à retrouver l’entrain des versions initiales. Les Animals jouent lourd, agressif, et font dans l’hommage appuyé. Le premier titre (« The story of Bo Diddley »), est certes une reprise du classique de Diddley, mais part ensuite dans un hommage référencé, citant les noms des groupes anglais ou américains de l’époque et des bribes de leurs chansons, revenant sur d’autres classiques de Diddley, … Voulzy a dû l’écouter avant de sortir son « Rockcollection », les ressemblances sont plus que troublantes …

La progression des Animals sera fulgurante, leur second single, rien de moins que « The house of the Rising Sun » va devenir un énorme hit mondial. Un vieux titre dont l’origine se perd quasiment dans la nuit des temps, déjà repris par quantité de gens, et qui vante les mérites d’un bordel louisianais (Johnny Hallyday, beaucoup plus prude, le transformera en pénitencier dans sa (bonne) version). Les provinciaux de Newcastle vont devenir des résidents londoniens, les hits (« We’re gotta get out of this place », « Don’t let me be misunderstood », …) vont s’enchaîner … Même s’ils ne renieront jamais leurs racines rythm’n’blues, le son du groupe va s’alléger, s’orienter de plus en plus vers le format pop, et les Animals vont rivaliser pendant une paire d’années (64-65) avec tous les illustres occupants du sommet des hit-parades.

Plus que le suivant (« Animals Tracks »), c’est ce premier disque qui représente le mieux le groupe, sa rusticité et sa sauvagerie …


BLOOMFIELD, KOOPER, STILLS - SUPER SESSION (1968)


Session ...
Un disque bien de son temps, la seconde moitié des 60’s aux USA …

1968 pour être précis, et des « pointures » qui se réunissent, jamment … Sur des trames bluesy inspirées par l’air du temps (psychédélisme et démonstration instrumentale). On n’a pas affaire à n’importe qui dans cette « Super Session ». Celui qui a monté l’affaire, c’est Michael Bloomfield, guitariste remarqué dans le Paul Butterfield Blues Band, leader de son Electric Flag, et sessionman chez Dylan sur « Highway 61 Revisited », en compagnie d’Al Kooper, ex Blues Project, fondateur de Blood Sweat & Tears et manieur de Hammond …
Une rythmique et une section de cuivres sont embauchées, l’armoire à pharmacie visitée, et rendez-vous au studio où on laisse tourner les magnétos … De cette séance sortiront les cinq premiers titres, « Albert’s shuffle », bluesy et cuivré, « Stop », « Man’s temptation », morceau le plus pop du lot avec Bloomfield au chant, « Really », jam bluesy classique, et « His holy modal Majesty », autre instrumental daté et pénible comme un mauvais morceau du Grateful Dead …
Et puis Bloomfield tombe malade, abandonne momentanément le projet, et Kooper fait appel à Stephen Stills (en rupture de Buffalo Springfield et en passe de se pacser avec les deux boulets Crosby et Nash). « It takes a lot … » reprise au Dylan de « Highway 61 » est portée ainsi par la voix et la guitare reconnaissables de Stills. Stills également dans le coup pour la pièce centrale du disque, le morceau de bravoure « Season of the Witch », jam plus ou moins improvisée pendant plus de dix minutes  … Un bon titre certes, mais qui ne fait pas oublier la version originale beaucoup plus épurée et mélodique de Donovan … « You don’t love me », ses effets stéréo « spatiaux » qui filent la migraine et le « Harvey’s tune » jazzy écrit par le bassiste Harvey Brooks sont quelque peu anecdotiques.
Cette « Super Session » est caractéristique de ces rencontres au sommet entre virtuoses … On peut trouver des similitudes avec des choses comme le Blind Faith de Clapton et Winwood en Angleterre, ou les réunions de pointures du blues comme le Super Super Blues Band regroupant Howlin’ Wolf, Muddy Waters et Bo Diddley …
Jams plus ou moins informelles, longues démonstrations instrumentales. Le tout en laissant de côté les fondamentaux du blues, la concision et la simplicité. Certes Bloomfield, Kooper, Stills et leurs complices sont de grands instrumentistes (mais à cette époque-là on en trouvait d’aussi bons sur chaque coin de 33 Tours) qui s’écoutent jouer sans trop se soucier du résultat final. Un disque réussi et intéressant, mais très daté et qui selon moi vieillit assez mal…





VAN MORRISON - HARD NOSE THE HIGHWAY (1973)




En roue libre ...
Il y a dans ce Cd comme une odeur de cendre, comme si le brasier de trop plein d’âme qui consumait Van the Man depuis quasiment une décennie, était, lentement mais sûrement, en train de s’éteindre. Ou, pour être plus méchant, comme des vapeurs de formol ou de naphtaline, comme si tout ce qu’il nous est donné d’écouter sur ce « Hard nose the highway », on le connaissait déjà par cœur.
Ce disque n’est pas mauvais, il est juste ennuyeux. Ici, nulle trace de ces bouffées sanguines qui faisaient éructer au jeune Irlandais des « Gloria » ou des « Mystic eyes », lui faisaient pulvériser les classiques du répertoire soul et rythm’n’blues du temps des Them. Pas non plus de ces grandes envolées mystiques où son gosier de feu incendiait les tempos jazzy de ses premiers disques solo, avec mention particulière à « Moondance », mon préféré …
Avec « Hard nose … », Van Morrison déroule … Il faut quand même lui savoir gré de ne rien céder aux airs du temps de ce début des 70’s, de ne pas faire rugir guitares et amplis Marshall, de ne pas se perdre dans des redondances pompières classico-progressives. Van Morrison reste lui-même, le souffle épique qui le caractérisait jusque là en moins.
« Snow in San Anselmo » et « Warm love » qui ouvrent le disque sont pour moi nettement au-dessus des autres titres… Van Morrison n’est pas « fini », témoin le double live « It’s too late to stop now » qui suivra, où, boosté par le public, il démontre qu’il est toujours capable de se transcender et de transcender son répertoire.
« Hard nose … » marque pour moi un tournant dans sa carrière. Désormais, on ne sera plus impressionné par ses disques, on les écoutera juste poliment. En essayant de réfréner des bâillements …

Du même sur ce blog :
Moondance




THE DOORS - L.A. WOMAN (1971)





Heaven's Doors

Ce disque est le dernier des Doors. Enfin, le dernier des Doors avec Morrison plus exactement… C’est surtout un mystère et un miracle.
Parce que quand ils rentrent en studio, les Doors sont plus ou moins finis, lessivés … Leurs disques précédents sont de plus en plus douteux, des choses comme « Roadhouse Blues » ou « Touch me » ne suffisant pas à cacher la misère créatrice de leurs dernières productions. Et surtout les Doors n’existent que pour et par Jim Morrison. Qui ne va pas très fort… Exit l’éphèbe dionysiaque des débuts, et place à un poussah alcoolo, défoncé et barbu, entraînant souvent le reste du groupe dans des concerts tournant vite à la cacophonie pathétique. Les Doors ont manqué le rendez-vous de Woodstock dont les héros ont le vent en poupe, Led Zeppelin et tout un tas de formations très électriques tournent sans relâche aux States et font rugir amplis et guitares, les autres groupes historiques psychédéliques californiens implosent (l’Airplane), virent country (le Dead), Hendrix et Joplin sont morts. Quand commencent les séances de « L.A. Woman », les Doors font quasiment figure d’antiquités, de rescapés vestiges d’un autre temps …
Le plus gros changement intervient au niveau du son, et envoie aux oubliettes la formule sonore jusque là immuable du groupe. Le producteur attitré depuis les débuts Paul Rothchild refuse le projet, et son assistant Bruce Botnick se retrouve à officier derrière la console. Les Doors font appel à un second guitariste, (Marc Benno) durcissant ainsi leur approche et « libérant » Krieger, et surtout à un bassiste (Jerry Scheff, sessionman chez Presley). Du coup, on entend moins Manzarek, ce qui est une bonne nouvelle, les lignes moelleuses de basse de Scheff ayant un rendu beaucoup plus roboratif que celles produites jusque là.
Le changement le plus marquant vient de la voix de Morrison. Servi pour le coup avantageusement par son embonpoint et ses abus multiples, il va tirer des tréfonds de son être une énorme voix grave, rauque, que l’on jurerait patinée par des décennies derrière le micro, alors qu’il n’a que vingt-sept ans.
Morrison, dans ses rares moments de lucidité, n’est tout de même pas au mieux de sa forme. Et quoi de mieux que le blues pour retranscrire ses états d’âme. « L.A. Woman » sera donc un disque noir, un disque de blues. Qui commence par un titre étonnant, inattendu de leur part, « The Changeling », allègre rythm’n’blues, suivi par un « Love her madly », sorte de country-rock avec l’orgue qui donne vers la fin une coloration tex-mex et sautillante. Tout ce qui va suivre sera beaucoup plus sombre, beaucoup plus lent, lourd, inquiétant, menaçant … loin, très loin, des exercices blues auxquels le groupe s’était déjà livrés (remember le traitement épileptique de « Backdoor man » sur leur premier disque). L’influence claire de ce disque, c’est John Lee Hooker, et pas seulement à cause de la reprise de « Crawling king snake », tant les caractéristiques de la musique du vieux maître se retrouvent dans chaque plage.
« Car hiss by my window », ralenti à l’extrême, tire toute sa démesure de son tempo limite hébété et est pour moi le meilleur titre strictly blues du disque. « L.A. Woman » le morceau, est un boogie comme quarante générations de Canned Heat ne sauront pas en produire. Un titre hanté, vivant, toujours en perpétuel mouvement comme la vie urbaine qu’il décrit. Sur son final en forme de transe, Jim Morrison joue sur son anagramme hurlée (« Mr Mojo Risin’ »). « L’America » est un autre blues hanté avec son intro reptilienne, et il faut attendre presque la fin du disque pour trouver une respiration, la douce ballade « Hyacinth House », qui passerait dans un tout autre contexte pour une inoffensive bluette. Enfin, last but not least, « Riders on the storm », peut-être bien le meilleur titre des Doors, met un terme au disque et un point final au rock psychédélique que les Doors avaient contribué à mettre en place.
Morrison, exilé à Paris pour fuir des poursuites judiciaires, est mort semble t-il sans jamais avoir entendu le mixage définitif de ce disque. Qui reste pour moi de très loin leur meilleur, le plus grand disque de blues fait par des Blancs, et accessoirement un des dix plus grands de cette chose donnée pour morte mais dont la dépouille bouge encore quelquefois, le rock …

Des mêmes sur ce blog :
The Doors



JOHN LEE HOOKER - THE ULTIMATE COLLECTION 1948 - 1990 (1991)


 



Black blues

Johnson, Waters, Hooker … Ceux-là sont pour moi la sainte Trinité du blues. Robert Johnson a creusé les fondations du blues moderne, Muddy Waters a construit la maison bleue, et John Lee Hooker l’a repeinte en noir.
Hooker dans toute son œuvre est là pour nous rappeler que le blues, c’est aussi la musique du diable … sombre, comme l’éternelle mine renfrognée du bonhomme, remplie de sourdes menaces … Transmises par le groove lent qu’il donne aux douze mesures, avec le meilleur de ses titres à ses débuts (en gros, jusqu’à la fin des 50’s), quand seul avec sa guitare électrique toute en méchante saturation, le pied droit martelant la mesure (on l’entend parfois), John Lee Hooker nous livre une série de classiques immortels.
Et même si on trouve pas le message dans ses chansons, c’est bien Hooker, qui bien avant James Brown, mettra le mieux en exergue la formule « I’m Black and I’m proud ». Hooker n’est pas un simple amuseur pour rades minables enfumés de Chicago, il y a dans son interprétation quelque chose de fier, quasi hautain, dans sa voix grave tellement aisément reconnaissable, dans la façon lente et menaçante d’égrener notes et mots. John Lee Hooker est dans tous les sens du terme, le plus noir des bluesmen …
Cette compilation en deux Cds assez courts (une cinquantaine de minutes chacun), malgré les quatre décennies musicales en principe abordées, a la bonne idée de zapper à peu près totalement les années 70, 80 et 90, qui pour Hooker comme pour tous ses collègues, ne les virent pas à leur meilleur niveau.
Le premier Cd est fabuleux, les premiers enregistrements des 50’s pour l’essentiel, Hooker seul avec sa guitare, pour une litanie de pépites inusables. Les titres d’anthologie de sa carrière. Rien à jeter …
Le second Cd est logiquement un petit ton en dessous, axé sur les années 60. Même si l’on y trouve quelques classiques (« Boom Boom», « One bourbon, one scotch, one beer », « Shake it baby », …), le son se fait plus étoffé (choristes, claviers, cuivres, autres guitares, …) noyant quelque peu dans la masse de productions qui se veulent clinquantes, la six-cordes et la voix du Maître. En final de Cd, les collaborations, avec Cannet Heat, adeptes du boogie lent et monolithique qui ont eu la bonne idée de faire profiter Hooker de leur popularité et de le sortir de l’oubli, et plus tard dans les 80’s, les titres avec les incontournables de ce genre de duos mais beaucoup plus anecdotiques Roy Rogers ou Bonnie Raitt.
Cette compilation étant signée Rhino et connaissant le sérieux du label spécialisé dans les rééditions, on peut supposer que la plupart des titres les plus anciens sont les « vraies » versions originales, Hooker, comme nombre de ses collègues, était en plus de Chess, signé sur plusieurs autres micro-labels, et n’avait eu de cesse de réenregistrer pendant des années la plupart de ses titres, laissant une discographie pléthorique et labyrinthique…