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ROBERT CLOUSE - OPERATION DRAGON (1973)

Show must go on ...
Ouais, sale journée… il paraît qu’on est en guerre … mais celle contre la connerie, les QI négatifs, on l’a perdue, dix douzaines de morts à zéro... Et pourtant on peut pas dire qu’on soit encore au siècle des Lumières par chez nous. Qu’est-ce qu’il faudrait faire, alors que les prétendus « spécialistes » qui monnayent leur incompétence sur les chaînes d’info en boucle n’en savent rien ?
Moi aussi, j’en sais putain de rien, mais j’ai vu que des mecs qui buvaient un godet en terrasse d’un bistrot, ou étaient à un concert se sont fait dégommer juste parce qu’ils étaient là en 2015, par des zozos obscurantistes qui réinventent le Moyen-âge.
Tiens, aujourd’hui j’ai réécouté deux très vieux morceaux de Lavilliers, l’Indiana Jones de Saint-Etienne, pas entendus depuis des décennies, « Les barbares » et « Juke-box ». En mélangeant les paroles des deux, vous avez à peu prés ce que je pense de ce fuckin’ Vendredi 13 (« les cités exilées au large des business » … « rééduqués par des curés new look armés de pataugas de parkas et de boucs »).
Et ces tarés à Kalach et ceintures d’explosifs seraient les héros de quelqu’un ? Quelle misère …

Tiens, des héros populaires, et de tous les méprisés, les pauvres, les laissés-pour-compte de notre putain de monde capitaliste, j’en ai un là … Il était petit, pas Blanc, miaulait comme un chat en rut quand il lattait les sales mecs…



Ce ne sera pas faire injure au pauvre Robert Clouse, tâcheron réalisateur à la solde de la Warner, de dire que « Opération Dragon » (« Enter the Dragon » en VO), est plus le film de Bruce Lee que le sien.
Bruce Lee & Robert Clouse
D’ailleurs, si c’est lui derrière la caméra face à un casting de quinzième zone (et c’est pas la présence du figurant Jackie Chan qui se prend une fugace torgnole par Bruce Lee dans une scène de baston qui rehausse le niveau), c’est qu’il y avait de l’incertitude au sujet de la réussite de ce film.
Bruce Lee était un inconnu aux USA, au mieux remarqué pour un second rôle de donneur de baffes dans une navrante série tout ce qu’il y a de familiale au mauvais sens du terme, « Le frelon vert ». Il était pourtant venu faire fortune à Hollywood, sans succès ; mais voilà, Bruce Lee était une idole dans une grande partie de l’Asie par ses films réalisés à Hong-Kong et produits par les frangins Chow. Là, il avait le rôle principal, devenait une légende de la baston en 16 mm sur fond de scénarios simplets filmés à la va-vite avec les pieds par d’obscurs cameramen chinois (« The big boss », « La fureur de vaincre », « La fureur du dragon »). Des types de la Warner subodorèrent qu’il serait peut-être possible de ramasser quelques liasses de billets verts en rationalisant quelque peu « le phénomène », d’où Robert Clouse en charge des caméras pour diriger ce qui me semble t-il constitue une première en matière de cinéma, une collaboration et une coproduction sino-américaine.
Les bons
La prise de risque n’est pas énorme, le nom de Bruce Lee est vénéré dans tous les ghettos et les quartiers populaires du monde, où des hordes de gamins s’agglutinent dans les cinémas pour littéralement vivre les combats du petit niaouké musclé (c’est pas des conneries, j’ai de mes yeux vu un dimanche après-midi dans mon petit bled de province tout ce qu’il y a de peinard, des gosses comme moi hurler, monter sur les sièges, « participer » à la bagarre avec Bruce Lee arrachant les poils du torse du bovin Chuck Norris dans le Colisée, il y a avait plus de spectacle dans la salle qu’à l’écran, moi je m’en foutais un peu de tout ce bazar, mais plein de mes potes adoraient, fallait y être quoi …). Plus encore que le Che et avant Marley, Bruce Lee allait être une star planétaire venue de ce que l’on appelait pudiquement le « tiers monde ». Si Lennon dans une de ses sentences avinées avait affirmé que les Beatles étaient plus célèbres que Jésus, Bruce Lee était immensément plus célèbre que les Fab Four. Au milieu des années 70, personne n’égalait sa notoriété, dans quelque domaine que ce soit.
Le méchant
« Opération Dragon » est un film qui marche au premier degré. Les bons contre les très méchants, et personne qui change de camp en cours de route. Le droit et la vengeance contre les bandits et la cruauté. De la baston (beaucoup) et du nichon (un tout petit peu). Un déroulement vers un final cousu de fil blanc, autant prévisible qu’inéluctable. Toutes les grosses ficelles d’un scénario basique sont de sortie. Mais pas que. Ceux qui ont des lettres cinématographiques verront les allusions aux James Bond (le commanditaire de Lee très british, le méchant très Dr No et Blofeld avec son chat blanc et sa base souterraine), le karateka black Williams est très blaxploitation (les fringues, la coupe afro, jusqu’à la musique de Lalo Schifrin lors de son apparition à l’écran qui parodie celles de «Shaft » ou « Superfly »), l’américain flambeur et tombeur ressemble étrangement au Roger Moore « Amicalement vôtre »). On a même droit à la « caméra documentaire » dans la misère du port de Hong-Kong, et même au surprenant (dans ce genre de film) commentaire social (Williams, que l’on devine pro-Black Panthers : « Les ghettos sont les mêmes dans le monde entier. Tous dégueulasses. »).
A room full of mirrors
Mais tout ça, c’est de l’accessoire. Le centre de gravité du film, c’est évidemment Bruce Lee. Metteur en scène de fait de toutes les scènes de baston, qu’il chorégraphie avec une précision et un sens du rythme, de l’espace et de la dynamique qui ne doivent rien au hasard ou à l’improvisation. Tout est fait pour le mettre en valeur, pour présenter le contraste entre le type hyper zen, mais qui quand on le cherche écrase (hors champ) les têtes et malaxe les cervicales. La scène finale, au milieu de paraît-il huit mille ( ! ) miroirs, est une de celles qui feront date.
Le succès de « Opération Dragon » sera colossal … dans le monde anglo-saxon, entraînant une véritable Bruce Leemania. Par contre, ce film au scénario très américanisé (l’immense majorité des méchants sont des asiatiques) n’a pas marché très fort lors de sa sortie en Asie, contrairement aux précédents de Lee. Et ce malgré la mort de Bruce Lee quelques jours avant la sortie du film.
« Opération Dragon » est plus qu’un film. Ou plus qu’aucun autre film, toutes époques et tous pays confondus. C’est un phénomène de société, un marqueur et un inspirateur pour des lignées infinies de héros dérivés (tous les bastonneurs indestructibles des décennies suivantes, qu’ils soient asiatiques ou pas, qu’ils soient réels ou virtuels dans les jeux vidéo, lui doivent tout), Bruce Lee a fait la fortune pour tous ceux qui ont eu la bonne idée d’ouvrir une salle d’arts  martiaux dans la foulée, et est en quelques mois devenu le héros de tous les asiatiques et de tous les laissés-pour-compte du reste de la planète, ce qui même à l’époque faisait beaucoup de monde.

« Opération Dragon » est un film populaire, au sens le plus pur du terme … 


BRIAN ENO - BEFORE AND AFTER SCIENCE (1977)

Les bécanes à Eno ...
Brian Eno, comme il l’a répété pendant des siècles, c’est un non-musicien… qui a quand même sorti des milliards de disques, que ce soit sous son nom propre ou avec plein d’autres. Eno, c’est un cérébral, limite gourou, un type qui a élaboré des théories tellement compliquées sur la musique que si t’as pas fait Sciences Po, l’ENA et HEC à la suite, tu peux rien comprendre. En d’autres termes, si t’es fan de Status Quo et que tu vois le nom d’Eno sur une pochette de disques, tu passes ton chemin …
Ceci posé, il n’en reste pas moins que cette grande asperge au crâne dégarni (à vingt cinq ans, en pleine vague glam-rock, ça jette un froid, … comment ça, c’est mesquin de flinguer sur le physique, et alors je fais ce que je veux, non mais …) a eu par moments quelques inspirations assez étonnantes et que dans l’ensemble de son œuvre, y’a tout de même quelques trucs pas dégueu … dont ce « Before and after science ».
Brian Eno, adepte du bodybuilding ?
Un disque paru en 1977, et on s’en doute, personne a songé à lui coller un sticker « punk music ». Brian Eno fait tout son possible pour ne pas être à la mode, ce qui ne l’empêchera pas d’être cité comme le gourou sonore de plein d’avant-gardistes, allez comprendre.
Avec son nom qui fleure bon l’aristocratie consanguine (il est né le divin enfant affublé du patronyme de – on ne rit pas et on prend bien son souffle – Brian Peter George St. John le Baptiste de la Salle Eno), il a commencé à se faire remarquer avec Roxy Music (vu sa calvitie, c’était lui le plus exubérant niveau fringues dans un groupe où personne n’essayait de passer inaperçu), bidouillant force synthés. Très vite (à partir du second album) il a commencé à faire son Clapton (what ? nous avons du succès ? je me casse …) et a quitté le monde du glam pour s’acoquiner avec quelques types chelous réputés pour leurs théories musicales absconses (pote-type de Eno, Robert Fripp, le mathématicien de la guitare furieuse). Curieusement, les premiers disques de Eno sont assez faciles d’accès, et perso je les trouve moins aventureux, moins « bizarres » que ceux de Roxy auquel il a participé.
Plus gros coup de Eno dans la seconde moitié des 70’s : la collaboration avec Bowie pour ce que l’on appellera la trilogie berlinoise de l’ex Ziggy. En étant en studio aux côtés de Bowie, Eno voit sa « célébrité » et sa reconnaissance faire un bond prodigieux vers l’avant. Et ce « Before and after science » devient de fait un disque « attendu » et écouté, disséqué. Les spécialistes de Brian Peter George etc … affirment même qu’il fait partie de ses meilleurs, voire que c’est sa masterpiece. C’est en tout cas dans sa discographie personnelle la fin de sa période dite « pop », avant celle dite « ambient ».
« Before and after science » est aussi un disque très people. Manque juste Bowie, occupé à sortir Iggy Pop des hôpitaux psychiatres où a pris l’habitude de séjourner l’ancien Stooge, pour le traîner dans les studios Hansa et lui faire enregistrer des disques. Parce y’a du beau monde (enfin, quelques relous aussi) aux crédits de « Before … ». Dans le désordre, on y trouve Jaki Liebezeit, le métronome tambourineur de Can, Manzanera de Roxy, Fripp pour un solo évidemment déstructuré (sur « King’s lead hat »), les deux types aux blazes de légionnaires romains du groupe de krautrock Cluster (Roedelius et Moebius). Aussi quelques boulets, genre l’inénarrable Phil Collins ou le guitareux jazz d’avant-garde Fred Frith (qui finira par échouer avec John Zorn, no comment …). Eno se réservant les parties chantées de sa voix douce, et tout ce que la création a pu accoucher de synthés, claviers et autres pianos.
Brian Eno, adepte du body painting ?
Evidemment, le résultat est notablement différent des classiques d’Howlin’ Wolf. Malgré le casting pléthorique, c’est une certaine forme d’économie qui prévaut dans tous les titres qui peuvent se partager dans deux grandes familles : d’une part des morceaux de format très pop, très mélodiques, et un peu à l’opposé des plages plus « compliquées » aux sonorités aventureuses, expérimentales. Assez curieusement, alors que Eno est perçu comme un type dont on s’inspire, c’est l’influence du premier disque des Talking Heads qui apparaît parfois (dans les schémas rythmiques, la façon d’aborder le chant), flagrant sur « No one receiving ». D’ailleurs, Eno deviendra vite la Yoko Ono de David Byrne, avec pour les Talking Heads le même résultat que pour les Beatles (le split).
Bon, comme moi j’suis pas un avant-gardiste, ma préférence va largement aux belles mélodies déprimées (« Here he comes », « Backwater » et son clone « By this river »), même si des choses comme le rock’n’roll pour trisomiques de « King’s lead hat », « Julie with … » et son atmosphère la tête dans le sac au fond du puits, ou « Spider and I » (qui permet de comprendre où les U2 – produits par Eno – sont allés chercher les ambiances d’hymnes funèbres de certaines plages de « Joshua tree ») valent aussi le détour.

Un disque somme toute bien accessible, pas forcément réservé à « l’élite » …


Du même sur ce blog :



VOLKER SCHLÖNDORFF - LE TAMBOUR (1979)

Tambour majeur ...
C’est pas être trop mesquin pour lui que de rappeler  que c’est « Le tambour » qui vaudra à Volker Schöndorff d’avoir une rubrique dans toute encyclopédie du cinéma qui se respecte. Non pas que le reste de sa carrière ait été minable, y’a même quelques pelloches assez connues des amateurs de séances nocturnes des chaînes « culturelles », mais bon, « Le tambour » enterre quand même un peu tout le reste de sa filmographie…
Parce qu’on parle pas là d’un petit film sympa venu d’une Allemagne qui commençait à se relever cinématographiquement parlant, mais d’un truc qui a partagé une Palme d’Or à Cannes avec rien de moins que « Apocalypse now ». Certes les distinctions n’engagent que ceux qui les décernent, mais y’a des références qui trompent pas …
Volker Schlöndorff & David Bennent
Schöndorff, c’est classique du cinéma allemand des 70’s, avec le traumatisme à expier de la période nazie, comme dans un autre registre Fassbinder (y’avait aussi Werner Herzog, mais lui était à l’Ouest, pas par rapport aux deux Allemagne, mais à l’Ouest vraiment, quoi …), ces réalisateurs qui situent souvent leurs œuvres dans cette période noire de leur Histoire, et un peu aussi de celle de tout le Monde, d’ailleurs …
L’essentiel du « Tambour » se situe à Dantzig, en Pologne au début des faits, et couvre la période 1935-1945. Mais les évènements historiques, s’ils influent évidemment sur l’intrigue, ne servent que de marqueurs. « Le Tambour » n’est pas un film politique ou historique. C’est une somme de plus de deux heures vingt, axée autour d’un personnage principal et de ses pérégrinations dans cette période troublée. « Le tambour » est une fresque bizarre, picaresque et sans trop d’équivalents. A part « Barry Lyndon » avec lequel je perçois beaucoup de similitudes. Sauf que chez Kubrick le héros est un indolent qui traîne son apathie au milieu d’intrigues et de personnages hauts en couleurs. Le héros du « Tambour » est par contre celui qui agit sur l’histoire de ceux qui l’entourent. « Le Tambour », c’est Oskar. Qui d’entrée démarre dans la vie avec un petit problème, il a bien une mère, qui est un peu volage, et se retrouve avec deux pères. Oskar n’est pas très à l’aise dans ce cocon familial assez particulier (c’est lui le narrateur du film), d’autant qu’à ses trois parents s’ajoutent des ancêtres pour le moins atypiques. Le jour de ses trois ans, Oskar décide de ne plus grandir, et « suicide » sa croissance en se jetant dans un escalier. Il en réchappe et son vœu sera exaucé. Dorénavant, Oskar gardera la taille d’un gamin de trois ans.
Scène de ménage à trois ...
Il convient à cet effet de saluer la performance du jeune suisse David Bennent, un enfant de la balle (père acteur et mère danseuse), qui bien qu’âgé de treize ans au moment du tournage, a lui eu réellement des problèmes de croissance et paraît beaucoup plus jeune. Et Bennent porte le film sur ses épaules, est quasiment à l’image tout le temps et sert une prestation d’acteur de haut niveau, ne se contentant pas des quelques mimiques qui sont souvent le lot commun des tout jeunes acteurs. D’autant qu’Oskar aura une enfance pour le moins singulière, faut vraiment jouer, être acteur, pour rendre tout cela correctement. Bien aidé d’ailleurs par le reste de la distribution, avec mention particulière pour un épatant Mario Adorf (un des deux pères) et un Aznavour qui dans un second rôle livre ce qui doit être sa meilleure prestation devant une caméra …
Charles Aznavour & Angela Winkler, excellents
On suit Oskar, tout de même un peu caractériel dans sa découverte du monde des adultes, des nazis, des phénomènes de cirque, de la guerre, de l’amour, de la mort dans une sarabande très tongue-in-cheek. Même si parfois on frôle des délires montypythonesques quand Oskar et son tambour font perdre le rythme aux musiciens nazis et le discours-parade de propagande se transforme en bal populaire au son d’une valse de Strauss. Ah, parce que je vous pas dit, Oskar en pince pour les tambours d’enfants, et ne se sépare jamais du sien quelles que soient les circonstances, comme un fil rouge un peu crétin de sa vie. Le regard naïf d’Oskar sur le monde des adultes et leurs vicissitudes n’empêche pas à l’occasion des réflexions d’une justesse cruelle et terrifiante, ainsi à propos de la montée du nazisme et du soutien populaire dont il bénéficiait dans les années 30 : « Un peuple crédule qui croyait au Père Noel. En réalité le Père Noel était le préposé au gaz. »
La monstrueuse parade ?
« Le tambour » est adapté d’un bouquin à succès de l’écrivain allemand Gunther Grass. Un livre réputé inadaptable, mais le challenge a été relevé avec brio par Schöndorff et Jean-Claude Carrière, et le film, un des plus gros budgets du cinéma allemand est in fine une œuvre cosmopolite dans lequel financement, personnel technique et acteurs, sont issus de multiples nationalités. Le tout produisant une œuvre d’une justesse et d’une précision souvent bluffantes. On sent en Schöndorff l’amoureux et le connaisseur de ses classiques, louvoyant avec talent entre sérieux, ironie et hommages référencés (les séquences avec les nains de cirque renvoient immanquablement au « Freaks » de Todd Browning), évitant les effets faciles ou racoleurs (l’histoire d’amour entre Oskar et Maria, la servante de son père).

Le postulat de départ du film, cette histoire d’enfant qui « refuse » de grandir, est bien légère, mais « Le Tambour » soutenu par un scénario en béton qui nous emporte dans les méandres d’une époque pour le moins difficile sans temps mort ni répit, est captivant de bout en bout. L’exemple du film tout-public, et qui permet une lecture à tous niveaux …


FRANCIS FORD COPPOLA - LE PARRAIN II (1974)

Only the strong survive ...
« Le Parrain », 1er du nom, avait été un immense succès tant critique que public. Coppola en avait cependant gardé un mauvais souvenir, en butte perpétuelle avec les budgets et les producteurs de la Paramount. Une suite était pour lui totalement hors de propos. D’ailleurs, il faisait un pied-de-nez à son film-référence en tournant le névrotique et intimiste « Conversation secrète ».
On peut croire Coppola sincère quand dans la version du film qu’il commente dans le Blu-ray, sa première phrase est « Voici « Le Parrain 2 », un film que je n’avais pas vraiment envie de tourner au départ ». C’était sans compter sur la persévérance des gros cigares de la Paramount. Qui reniflent avec une suite du « Parrain » le jackpot. Et qui finissent par faire à Coppola le genre de proposition qu’on est obligé d’étudier. Budget doublé, totale liberté du choix des acteurs et du scénario. Coppola tente de feinter, en proposant comme réalisateur un certain Scorsese, petit italo-américain (of course) naturellement et chimiquement speedé dont un film urbain et teigneux sur des petits malfrats (« Mean streets ») l’a impressionné. Cris d’orfraie des financiers de la Paramount, pas question de Scorsese. Coppola est piégé, ne peut que livrer un baroud d’honneur sur le titre du film. Lui veut « Le Parrain 2 », le studio met son veto, on n’a jamais vu dans les annales d’Hollywood une suite de film numérotée, ça ne peut pas marcher. Toutes ces tergiversations jouent en faveur de Coppola, les studios veulent vite la suite, et finissent par céder totalement aux desiderata de leur poule aux œufs d’or …
La famille de Vito Corleone
Coppola se met à l’écriture avec l’auteur du roman dont était tiré le premier film, Mario Puzo. Coppola n’a mis en scène qu’une partie du bouquin. Du coup, la moitié de la suite est déjà écrite, celle qui raconte la jeunesse et l’accession au titre de « Parrain » de Vito Corleone. La moitié seulement, car pas question de laisser tomber Michael Corleone, dont la lente et inexorable ascension constituait la trame du premier volet. Surtout que Pacino, l’acteur qui a maintenant Hollywood à ses pieds, est partant pour la suite (moyennant quelques caprices de diva, il faudra réécrire quelques scènes à sa demande) ainsi que l’essentiel des survivants (au figuré) du premier casting (Duvall, Keaton, Cazale, Shire, …). Là où se situe le coup de génie de Coppola, c’est de faire en même temps un prequel et un sequel de son succès. Bon, faudra se passer de Brando, qui refusera un pont d’or (il s’estimait – entre autres – sous-payé lors du premier volet) pour apparaître dans la suite, mais laissera toujours planer le doute jusqu’au dernier jour du tournage sur une possible apparition. Coup de poker (gagnant) avec pour reprendre le personnage de Vito Corleone, le jeune espoir Robert de Niro, repéré par Coppola dans « Mean streets » (toujours la connexion italo-blablabla …).
La solitude du tueur de fond ...
Le succès raz-de-marée planétaire du « Parrain », mettait peut-être la pression sur l’équipe, mais avait montré tellement de points d’ancrage scénaristiques solides que sa suite coulait de source. Les similitudes entre les deux films sont volontairement légion, des scènes du premier se retrouvent par effet de miroir quasiment plagiés dans le second, Coppola le reconnaît volontiers et prend un malin plaisir à le souligner dans ses commentaires. Le seul pari de mise en scène (qui est devenu un modèle et a bien fait école), c’est cette juxtaposition non chronologique des destins du père et du fils, à travers de longues séquences de leurs aventures. On passe un quart d’heure avec De Niro – Vito, vingt minutes avec Pacino – Michael, puis on revient sur De Niro … Un procédé casse-gueule, parce que les « affaires » de Michael ne sont pas très simples, et du coup quelques seconds rôles laissent perplexes, genre « mais il est avec qui, lui ? ».
Il y a un parallèle dans ces deux histoires, le père comme le fils veulent monter toujours plus haut, jouant les Icare de la délinquance, quitte à risquer de se cramer les ailes. Il y a aussi une grosse différence entre ces deux destins. Vito à mesure qu’il « s’élève », bâtit toute sa vie sur la construction d’une famille dans tous les sens du terme (un ménage avec des enfants, puis des « amis »). De son côté Michael n’a plus aucune limite géographique dans son ambition (il est passé du quartier de New-York à des « investissements » internationaux), et son ascension qu’il veut hégémonique dans le milieu du crime organisé le conduit à tout perdre ou à tout détruire dans sa famille. Plus Vito devient important, plus il est entouré. Le Michael triomphant après les traditionnels  bains de sang menés en parallèle dans le final est un homme seul, regardant à travers une véranda un homme de main exécuter sur son ordre son propre frère. La vengeance (l’honneur de la famille, du clan, disent les mafieux) guidait ses actions dans le premier film, dans « Le Parrain 2 », c’est juste la soif de pouvoir … Mais tout çà, c’est de l’analyse à deux balles quand on a vu plusieurs fois le(s) film(s), et qu’on a entendu Coppola en causer pendant trois heures et vingt-deux minutes ( !!).
Pacino - Cazale : le baiser de la mort
Non, la base, ce qui fait qu’un film va rencontrer un succès colossal (quand même pas autant que le premier qui avait placé la barre très haut), c’est que les gens vont se précipiter pour aller le voir. Pour cette saga familiale, pour quelques scènes sanguines, pour quelques reconstitutions méticuleuses (le Cuba de Batista, les fringues, accessoires et bagnoles d’époque, … pas de fausses notes), et parce qu’il y a des types (ou des nanas) qui crèvent l’écran. On a beau jeu de dire quarante ans plus tard que ouais, c’est facile de faire un carton avec Pacino et De Niro, sauf que c’est Coppola qui les a tous les deux lancés pour la première fois devant le « grand public » dans cette saga. Ce serait oublier aussi qu’un film de plus de trois heures ne tient pas la route s’il n’y a pas de grands seconds rôles. Diane Keaton est excellente dans ce monde hyper patriarcal (fabuleuse scène conclue par une beigne d’anthologie quand elle avoue son avortement), Duvall impeccable tout en sobriété économe, Cazale livre sa meilleure prestation (et malgré sa trop courte carrière, il n’a pas exactement tourné que des navets). Comment ne pas citer la performance des quasi inconnus Michael V. Gazzo (le mafieux repenti) ou Gastone Moschin (le caïd de quartier buté par De Niro). D’autres acteurs ne sont pas là par hasard. Roger Corman (apparition fugitive dans le rôle d’un sénateur de la Commission d’Enquête) est un producteur indépendant qui a soutenu les débuts de Coppola et l’ennemi de Michael (le machiavélique Hyman Roth) est tenu par Lee Strassberg cofondateur et principale cheville ouvrière de l’Actor’s Studio auquel le cinéma américain des années 70 doit tant. Last but not least, que serait un film de Coppola sans la « famille » ? La vraie, celle du sang, papa à la musique (bien aidé par Nino Rota quand même), la frangine Talia Shire dans un second rôle, quelques apparitions fugitives d’oncles, neveux, enfants. Même Maman Coppola est du casting. C’est elle qui, maquillée, joue (enfin, façon de parler) la mère morte de Michael parce que la préposée au rôle, très croyante et superstitieuse, avait refusé de s’allonger dans le cercueil. La « famille » de Coppola, c’est aussi la communauté italo-américaine et les patronymes sentant bon Calabre, Sicile, Pouilles et autres contrées du Mezzogiorno n’arrêtent pas de défiler lors du générique (de façon un peu moins hégémonique que sur le premier volet tout de même).
Coppola et ses acteurs attendent Brando ...
Coppola ne voulait pas de cette suite, et encore moins d’une autre (qu’il finira par tourner ses affaires allant mal juste pour le fric, sans conviction, et ça se verra). Il glisse donc en épilogue une scène censée faire la liaison entre deux époques de la saga, le moment évoqué dans le premier volet ou Michael se met, rompant tous les codes mis en place par son père, en marge de sa famille. Il annonce à ses frères alors que tous attendent l’arrivée du Père qui fête son anniversaire son engagement dans l’armée après Pearl Harbour. Coppola avait fait revenir pour cette scène James Caan et Brando était censé apparaître. Jusqu’à la veille du tournage, tout le staff espérait encore sa présence. On n’entend hors-champ qu’une porte qui s’ouvre et le bruit de ses pas …
La boucle était définitivement bouclée …


P.S. Malgré la remastérisation (par les studios Zoetrope de Coppola himself) le Bluray n’est pas un de ceux qui feront date en matière technique, même s’il est correct. Bon, le support original date de 1974, ceci expliquant sans doute cela …

Du même sur ce blog :


FRANCIS FORD COPPOLA - LE PARRAIN (1972)

Les Anciens et les Modernes ...
« Le Parrain » premier du nom, c’est le film-jalon, le film-référence, celui autour duquel un genre (en gros le polar-film de gangsters) s’articule. Et … oh misère, qu’est-ce que vous voulez que je raconte sur ce film que vous ayez pas entendu ou lu des centaines de fois (notamment chez un certain Luc B., auteur ailleurs sur la Toile d’un article définitif sur ce film et sa suite …).
Coppola, Brandon & Pacino
Il y a eu un avant et un après « Parrain ». Mais surtout pour Coppola. Qui jouait son va-tout avec ce film. Jonglant avec un budget dont il n’avait pas l’habitude, lui qui se serait bien vu héritier américain de la Nouvelle Vague française, et qui végétait dans le « film d’auteur ». Jouant serré avec les financiers et les boss de la Paramount qui mettaient les dollars, et voulaient d’un réalisateur à leurs ordres. Edulcorant par son adaptation le bouquin de Mario Puzo, beaucoup plus trash et cul que le film, un bouquin qui au fur et à mesure que Coppola avançait dans la préparation et le tournage du film devenait un best-seller, ce qui accentuait la pression sur le réalisateur. Un Coppola composant avec un casting de bric et de broc, à savoir une superstar réputée ingérable (Brando), confrontée à un ramassis de troisièmes couteaux ou d’inconnus, voire même piochés dans le cercle familial (papa, maman, fifille, la petite sœur, …) parce que le budget explosait et que les personnages secondaires étaient légion … En fait, Coppola réunissait avec une persévérance louable tous les éléments susceptibles de ruiner  sa carrière. Bizarrement, il a avec cette fresque démesurée assuré sa fortune …
Parce que plus qu’un film, c’est d’une épopée, d’une saga, qu’il s’agit. Celle de la famille Corleone, dirigée d’une main de fer par un patriarche (Brando), une des familles qui comptent dans la mafia new-yorkaise. Qui dit mafia dit embrouilles et elles sont nombreuses, on a un peu de mal à s’y retrouver (et d’ailleurs quelques types au patronyme sentant bon la Calabre, la Sicile et les affaires douteuses qui vont avec ont été choqués de voir leur communauté présentée sous cet angle et se sont montrés « menaçants »), c’est au bout de plusieurs visionnages qu’on « s’approprie » tous les personnages. Qui nous sont tous présentés dans une séquence devenue mythique, les vingt sept minutes initiales de la noce. Tous les acteurs de la tragédie, certains n’intervenant que beaucoup plus tard dans le film y participent, dans cette alternance de scènes lumineuses et ensoleillées en extérieur, tandis que dans la pénombre de son bureau, le Parrain Corleone tire les ficelles (superbe lettrage "marionnete" de l'affiche du film au passage, très stylisée, mais tellement parlante …), dévide l’écheveau et tisse ses toiles dans un dédale de « petits services » et de gros délits. L’occasion déjà de s’apercevoir que le personnage de Vito Corleone va marquer les esprits des spectateurs et l’histoire du cinéma.
Caan, Brando, Pacino & Cazale
Qu’en serait-il de ce film sans Brando, that’s the question … Tant le Marlon livre une performance hallucinante de laquelle beaucoup de ceux qui deviendront les grandes stars des années suivantes s’inspireront. Performance typée Actor’s Studio certes, mais avec une patte tellement personnelle que Brando « est » Corleone. Et pourtant, les gros cigares de la Paramount n’en voulaient pas de lui, ils préféraient Laurence Olivier, prévu au départ. L’histoire du casting de Brando, avec le coton qu’il se met dans les joues, la voix cassée, le regard, les épaules voûtées comme s’il devait supporter toute la misère du monde fait partie de ces anecdotes qui n’en sont plus tant elles sont connues. Brando, assez « bizarre » tout de même allait effectuer en cette année 1972, un comeback fracassant, l’autre film sur lequel il sera tête d’affiche c’est rien de moins que « Le dernier tango à Paris », qui apprendra à toute une génération un usage alternatif du beurre … Deux films au succès que l’on pourrait qualifier d’accidentels, tant sur l’un comme sur l’autre, Brando a tout fait pour foutre le boxon sur le plateau de tournage et déstabiliser ses partenaires ... Il faut, même si ça dure trois heures comme le film, écouter sur le BluRay la version commentée par Coppola lui-même narrant au fur et à mesure des scènes les « trouvailles » de Brando pour déstabiliser ses partenaires, s’en donnant encore plus à cœur-joie quand il s’agit de simples figurants (à titre d’exemple, déjà qu’à l’instar d’Obélix il était naturellement un peu « enveloppé », Brando avait rajouté des barres de plomb sur son brancard quand on le ramenait de l’hôpital, juste pour voir la tronche que feraient les deux brancardiers, quand ils devraient le monter à l’étage …). Le refus de l’Oscar que Brando obtiendra pour son rôle dans « Le Parrain » ne fut dès lors qu’une surprise de pacotille, énième pirouette d’un type quand même assez mal en point dans sa tête …
Des lasagnes au petit déjeuner ?
La performance de Brando a tiré tout le casting du « Parrain » vers le haut. Pour beaucoup ce film est la première ligne glorieuse de leur CV (Pacino, Keaton, Duvall, Cazale, Caan), pour d’autres notamment l’ancienne gloire des roaring fifties Sterling Hayden dans le rôle du flic ripou qui finira buté par Pacino dans le restaurant, c’est un retour inespéré sous les feux de l’actualité …
Le succès et l’aura jamais démentie par le temps du « Parrain », apparaît, eu égard à ce qu’est devenu le cinéma « grand public » aujourd’hui comme une aberration. Le tournage n’a duré que soixante deux jours, essentiellement dans un studio new-yorkais, des scènes ont été mises en boîte sans que Coppola soit présent (c’est un de ses potes, un certain George Lucas qui était derrière la caméra), des plans « bizarres » ont été conservés faute de moyens (le plus « célèbre » étant celui devant l’hôtel de Las Vegas où l’on aperçoit fugitivement deux hippies très 70’s, alors que l’action est censée se situer à la fin des années 50). Coppola à maintes reprises a failli se voir débarqué du projet, ce qui ne l’a quand même pas empêché de glisser de temps en temps des hommages subliminaux. Le chanteur de charme, à l’origine de l’histoire dans l’histoire qui aboutira à la mémorable scène dite de « la tête de cheval », est directement inspiré, à tous niveaux, par Sinatra. De même, le guet-apens tendu à James Caan haché menu par les rafales de mitraillette renvoie à l’épilogue du « Bonnie & Clyde » d’Arthur Penn.
Comme toute saga qui se respecte, « Le Parrain » aura une suite … sans Brando, « remplacé » par De Niro. Une suite excellente, un peu moins que le premier volet, mais nettement meilleure que le dispensable épilogue du « Parrain III ».
Tiens, avec ces titres numérotés, cette série de films me fait penser à un groupe de rock de qualité (le crétin qui a hurlé « Chicago » est prié de dégager avant que je me fâche) de la même époque, connu sous le nom de code de Led Zeppelin. Dont le succès gigantesque avait commencé dans des conditions similaires : une major derrière, certes, un type qui joue gros (Jimmy Page dans le rôle de Coppola-Brando), et un premier disque enregistré en une trentaine heures (à peu près le temps nécessaire au pénible Stromae pour trouver une minable rime triste) …
O tempora o mores …


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JUNIOR MURVIN - POLICE AND THIEVES (1977)

 Reggae and Clash ...
Junior Murvin, il joue en Seconde Division du reggae, mais il a réussi à arriver en finale de la Coupe, pour reprendre une parabole footbalistique, sport dont, allez savoir pourquoi (enfin si, je sais, mais j’ai pas le temps de développer), les rastas sont friands. Bon, le Junior, c’est un de la vieille époque, des années septante où le reggae a dépassé le cadre de son caillou entouré d’eau dans les Caraïbes pour envahir les transistors du monde supposé libre.
Junior murvin
Murvin, il avait qu’un truc pour lui. Une unique et exceptionnelle vois de falsetto (à peine moins étonnante que celle d’Aaron Neville, mais nettement plus spectaculaire que celle de son idole Curtis Mayfield). Qui se révèlera être plutôt un handicap, elle est tellement atypique et tellement loin des voix de mâles dominants qui commencent à se tailler un nom en Jamaïque, que personne ne veut le faire enregistrer. Autre particularité qui jouera à terme en sa défaveur, Junior Murvin n’est pas un auteur prolifique. C’est malgré tout avec un de ses titres qu’il a proposé sans succès à tous les producteurs de l’île, qu’il finit par accrocher l’oreille de Lee Perry. Pas exactement le premier venu donc (je rappelle à l’usage des fans de Stromaé que Lee Perry est un des quatre ou cinq plus grands producteurs de tous les temps), même si Perry a circa 1976 l’essentiel de ses meilleures choses derrière lui. Mais comme tout cinglé intégral qui se respecte, il est resté capable de sortir de temps à autre des fulgurances sonores étonnantes.
Ce titre que Perry va retravailler et sur lequel Murvin va coucher une prestation vocale fabuleuse, c’est « Police & thieves ». Oui, oui, ami punk nostalgique du premier disque des Clash, on parle bien du même titre. D’ailleurs suffit d’écouter la version originale pour se rendre compte que le camarade Strummer s’est pas trop foulé pour la cover. Tout (mélodie, arrangements, chœurs, gimmicks) est rigoureusement identique. Seul le tempo a été accéléré, et la voix d’Action Joe est un peu moins euh … suave que celle de Murvin. Ne pas confondre cause et conséquence, le « Police & thieves » de Murvin a été un hit avant que le Clash se l’accapare.
Lee "Scratch" Perry
« Police & thieves » ne repose pas seulement sur son morceau titre. Perry, très impliqué au niveau des compositions (il signe seul ou cosigne l’essentiel des titres), produit et fait intervenir son backing band, les Upsetters. Et cette fine équipe œuvre dans un registre assez atypique. Perry, c’est l’inventeur du dub, ces titres décharnés reposant sur des basses grondantes, et il est capable d’en tartiner des disques entiers. Ici, seul un morceau, « Tedious », est résolument orienté dub. Le reste est beaucoup plus léger, très mélodique, à la limite du sucré et s’accorde impeccablement à la voix haut perchée de Murvin. Dans ce genre, « Roots train » qui ouvre le disque, est un sommet. La black music américaine des sixties inspire nettement « False teachin’ » (le côté soul), ou « I was appointed » (soul, rhythm’n’blues, cuivres très présents), les sonorités typiquement jamaïcaines du début des seventies remontent à la surface le temps d’un « Worin’ in the cornfield ».
Paradoxalement, alors la musique est légère, une bonne part des textes sont assez plombants avec leurs références à gros sabots au mysticisme de pacotille dont s’entourent souvent les reggaemen, toutes ces extrapolations à partir de légendes bibliques (« Salomon », « Rescue Jah children », « False teachin’ », « Lucifer »). Bon, c’est du reggae, faut savoir faire avec …
Souvent décrit comme un des grands classiques du reggae (non, non, pas à ce point, faut pas abuser …), ce « Police and thieves » de dix titres à l’origine, a été réédité avec des bonus comprenant notamment des versions longues de « Roots train » (avec un toasting dû à la voix grave de Dillinger) , un « Discomix » ( ? ) de « Police & thieves » (sous le nom de « Bad weed »). Une manière de montrer que des années avant les technoïdes, un type comme Lee Perry quand il se lâchait sur des durées de dix minutes, rendait déjà obsolètes tous les joueurs de disquettes.
A noter qu’un des titres bonus (« Rasta get ready ») est un hommage assez évident au « People get ready » de Curtis Mayfield & The Impressions. Enfin, pour les insatiables, « Police and thieves » existe même en une version DeLuxe de deux Cds …

Ah, et Junior Murvin est mort fin 2013 … ça n’a pas fait la une des JT …


TOM WAITS - CLOSING TIME (1973)

Play it again, Tom ...
Finalement, si Tom Waits ne s’est pas trop cramé en quarante ans de carrière, c’est qu’il a pas foncé. Lentement, à un rythme de coureur de fonds plutôt que de sprinter, il a fait progresser son art, pour en faire quelque chose d’unique, déposant une signature sonore instantanément reconnaissable, que tant se sont essayés à copier (en faisant gaffe quand même, l’homme Waits n’hésite pas à dégainer ses avocats quand on l’imite trop bien). Waits, lui, une fois atteinte sa plénitude du côté de « Rain dogs », malgré une tendance à l’auto-parodie, est resté cohérent (toute sa discographie depuis trente ans est écoutable, et pas uniquement réservée aux fans béats).
Tom Waits 1972, période Bob Dylan ...
Tom Waits a commencé avec ce « Closing time » en 1973, époque qui consacrait les glameux, les progueux et les hardeux. Inutile de s’étendre sur le fait que Waits ne collait pas exactement à l’air du temps. Lui, son truc, il se servait de son piano, un peu comme JJ Cale utilisait sa guitare. Tempos feutrés, orchestrations feignasses … du piano-bar quoi. Parce que les bars, il commençait à les fréquenter en temps que client, mais aussi pour y jouer, gagner de quoi remettre la sienne. Comme quoi la période qui suivra quelques années plus tard, celle du pochetron du Tropicana Motel, n’est pas une posture, c’est la suite logique de ses débuts…
« Closing time », c’est pas la peine d’en tartiner des tonnes. On peut s’en passer. A la même époque, un type comme Randy Newman (nettement plus doué que Waits pour la musique et les textes dans un même registre de chansons « classiques ») vendait que dalle, alors le Tom, il a pas fait fortune avec « Closing time ». Il a eu de la chance d’être signé par un label (Asylum) qui en fait un peu sa danseuse et lui a laissé enregistrer ce qu’il voulait (Waits, cause ou conséquence, aura ses premiers succès en changeant de label au début des 80’s). Il a aussi eu du bol qu’une bande de fumeurs d’herbe à succès (les Eagles) reprenne un des titres de ce « Closing time » l’année suivante et en fasse un hit. Ce titre qui lui servira quelque temps de carte de visite, c’est celui qui ouvre le disque, « Ol’ ‘55 », ballade cool avec un groupe qui pulse gentiment derrière.
Tom Waits 73, cultive déjà la déglingue ...
« Closing time », c’est le disque typique du singer-songwriter. Rien ne laisse présager les concassages de genres qui viendront plus tard. Tout dans le disque est classique, prévisible. Très appliqué même, alors que Waits est pour beaucoup (à tort à mon sens, tout me semble réfléchi et longuement mûri chez lui) le prototype du dilettante, du génial improvisateur. L’essentiel des douze titres, c’est du piano-bar, le Waits seul face aux touches d’ivoire quelques fois, le plus souvent avec un groupe discret d’anonymes (pour moi) derrière. Il s’essaye à tous les genres que l’on est en droit d’attendre de ce genre de configuration, avec une nette prédisposition pour les ballades intimistes. Mais on a aussi de la soul mâtinée de rhythm’n’blues (« Virginia Avenue ») qui me semble un hommage à Ol’ Ray Charles et son « Lonely Avenue », un « Ice cream man », très inspiré par les big bands de jazz festifs à la Cab Calloway ou Louis Prima, c’est pas mal mais dans le contexte général du disque ça fait coussin péteur dans une veillée funèbre, un « Old shoes … » qui lorgne vers la country avec ses notes de banjo, et un « Grapefruit moon », ballade un peu déglinguée aux arrangements baroques, quelque peu anodine même si c’est ce genre-là qui deviendra plus tard la Tom Waits touch … Par contre, ce qui revient souvent, ce sont des relents jazzy qui eux seront exploités jusqu’à plus soif dans son funeste premier live « Nighthawks at the Diner ».
« Closing time » est un disque qui surprendra ceux qui s’imaginent que Waits a toujours eu cette voix passée au papier verre (enfin, plutôt à la clope et au bourbon) si aisément reconnaissable. Là, il a la voix de Monsieur Tout-le-Monde, et essaye au maximum d’éviter les sonorités rauques beefheartiennes qui seront sa signature.

Œuvre de jeunesse (bien que Waits ne soit pas un talent précoce sur disque, il a 24 ans en 1973), plutôt anecdotique, surtout vu ce dont l’homme sera plus tard capable …

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KING CRIMSON - LARKS' TONGUES IN ASPIC (1973)

Robert Free ?
King Crimson est un groupe souvent porté au pinacle par les progueux. Soit. Grand bien leur fasse. Moi, le prog, j’aime pas (du tout). Mais King Crimson, je suis preneur. Oh, pas de tout. Du premier, de « Red », dans une moindre mesure de la « renaissance  disciplinaire » des 80’s (que les progueux, bien évidemment détestent). Et tout le reste ? Ben je m’en tape un peu (beaucoup).
A commencer par ce « Larks’ tongues in aspic », souvent considéré comme l’œuvre majuscule (entendez progressive majeure) par ceux qui n’écoutent que de mauvais disques. Perso, je comprends de tout ce qu’il va retourner rien qu’en lisant le casting. Autour de l’inamovible Robert Fripp, mathématicien de la guitare, on trouve dans ce « Langues d’alouettes en gelée » (rien que ce titre, t’as envie de détaler, même si j’en ai à peu près saisi la signification ésotérico-mystique) des noms qui filent les jetons. Un ancien de Supertramp (Palmer-Jones), un transfuge de gloups … Yes (Bruford), un type venu de Family, le truc du rouquemoute braillard Chapman (Wetton), Cross, un fuckin’ violoniste (ouais, je sais, des crin-crins, y’en avait dans la country ou le Velvet, mais bon, pas utilisés de la même façon), et un percussionniste dont j’ai oublié le nom, comme si ça ne suffisait pas avec le Bruford, un batteur virtuose de chez virtuose.

Tous ces joyeux (rires) lurons lâchés dans un studio en vue de rédiger un truc qui t’en foute tellement dans les esgourdes que comme t’y comprendras rien, c’est que forcément ce doit être génial. Evidemment, moi j’ai rien compris. Mais c’est pas pour autant poubelle direct. On trouve de ci de là, de bons passages. Faut les chercher, quand même, au milieu de titres plutôt longs et bien évidemment alambiqués. « Lark’s tongues … », c’est d’abord ce riff et ce (trop court) passage hallucinant dans le morceau titre, Pt 1. Là, carrément, Fripp nous sort un truc de metal machin (désolé, les sous-genres du boucan, c’est pas trop mon truc non plus) qui te fissure les tympans et les reste, et ce d’autant plus que ce passage arrive après des interminables tintements de clochettes et bruissements de cymbales. Ce riff d’anthologie est repris à la fin du disque (« Larks’ Tongue … Pt 2 » donc), en version édulcorée et ambiance progressive à fond les ballons, pour ce que les fans de cette rondelle considèrent comme de bien entendu ( ? ) comme le sommet du disque, alors que c’en est juste le morceau le plus pénible (repris comme il se doit par des gugusses qui squattent les affiches de festivals genre Hellfest).
Ailleurs, King Crimson nous refait le coup de la ballade baba toute en douceur (remember « I talk to the wind » sur « In the court … »), ici ça s’appelle « Book of Saturday », c’est sans prétention, assez mal chanté par Wetton, et ça se laisse écouter … La gentille planerie également douceureuse de « Exiles », c’était un peu le passage obligé pour faire plaisir au hippies, on en trouvait dans tous les skeuds « intelligents » de l’époque, pas de quoi se relever la nuit … « Easy money », c’est un peu le titre funky du disque, même si a priori Fripp et funky, ça rime pas du tout, mais bon, ces cocottes de guitare algébriques déroulées avec une rythmique qui pour une fois swingue un peu, moi je trouve ça pas trop mal … Ah, et puis y’a aussi une bizarrerie, sorte de world music arabisante avec dialogue de percussions, ça s’appelle logiquement « The talking drum » et ne présente guère d’intérêt. On saura toutefois gré à Fripp et ses nouveaux employés d’éviter les rodomontades prévisibles, les titres ne « progressent » pas, on passe à l’intérieur des morceaux à des choses différentes assez vite. Avec plus ou moins de bonheur, chacun ne pouvant s’empêcher d’y aller de son petit numéro démonstratif … Tout ça, écrit pourtant minutieusement, finit par ressembler à une sorte de free-rock (enfin, rock, faut pas charrier non plus) …

A la même époque, des groupes allemands assez barrés faisaient sous l’étique méprisante de krautrock des choses bien plus intéressantes …


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THE CARS - THE CARS (1978)

En voiture (et en roue libre) ...
Sur la highway musicale des 70’s, les Cars sont au bord de la route. En mini-jupes, talons aiguilles, décolleté profond et maquillage pétard. Les Cars sont des putes. Pas des escorts aux tarifs prohibitifs réservées à l’élite, non, des putes de base d’aires de repos, maquées par des proxos russes, qui se donnent à tout le monde …
Il y a cinq putes dans les Cars. Avec une pute en chef, Ric Ocasek. Plus moche du lot, mais c’est lui qui fait tout le taf, tapine, attire le chaland. En écrivant l’essentiel de titres tellement aguicheurs que fatalement, tu te laisses embringuer. Sans débander, cette pute d’Ocasek et ses potes alignent des sucettes à l’anis sonores. Bien aidés pour le coup par Roy Thomas Baker, l’homme attitré aux manettes derrière la folle Freddie Mercury et son gang de michetonneurs.

Faut dire que ces salopes de Cars préfèrent les Anglais aux Américains. Mais pas n’importe quels Anglais. Une nette prédisposition pour Roxy Music, groupe de dandys décadents et fin de race. Comme eux, les Cars, mettent des pin-ups aguicheuses sur leurs pochettes de disques. Et vont même jusqu’à pomper, y’a pas d’autres mots, la bande à Ferry sur des choses comme « I’m in touch with your world » (la même rythmique que celle de « Bogus man ») ou « Moving in stereo » qui recrache tous les plans de Roxy.
Le problème ( ? ) des putes, c’est que ça baise avec n’importe qui. Alors ces catins de Cars font même des clins d’œil aux pompiers et aux progueux (le doigté de Baker ?) avec quelques ponts tarabiscotés et des synthés baveux. Ce sont ces synthés qui datent irrémédiablement les Cars, sonnant parfois pénibles ou risibles. Mais on est prêt à tout leur pardonner …
Parce que d’entrée, ces biatches t’allument salement. Qui ne dresse pas l’oreille et le reste à l’écoute des trois premiers titres doit être un putain de pervers. S’ils avaient entendu « Good times roll », « My best friend’s girl » et « Just what I need » , les Sept Nains auraient fini par gangbanger Blanche-Neige. Ouais, même Simplet … on touche avec ces trois morceaux au plus profond de la matrice de la power-pop, du rock FM, ces genres musicaux un peu … putes qui vont faire jouir tous les hit-parades de la fin des 70’s … Forcément, après de tels préliminaires, le reste ça fait un peu coitus interruptus. Tu croyais que t’allais te taper Clara Morgane et tu t’aperçois que la meuf qui est là, elle est juste bien maquillée et toute chirurgée esthétiquement, « Don’t cha stop », c’est faiblard, ça bande mou …

T’as l’impression que finalement c’est toi qui t’es fait baiser. Mais tu t’en fous un peu. T’en redemandes de ces ribaudes, parce que finalement elles t’ont fait monter au plafond. De vraies salopes, mais t’aimes ça … Et t’as bien raison …

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ELVIS COSTELLO - THIS YEAR'S MODEL (1978)

Elvis, King op Pop ?
« This year’s model » est le second disque d’Elvis Costello. Son tout premier, « My aim is true » était déjà excellent, et pourtant il paraît à côté bien anecdotique. Pour moi, c’est simple, après 35 ans de carrière et deux grosses douzaines de publications, « This year’s model » est un des deux meilleurs Costello (pour les curieux, l’autre est « Imperial bedroom »).

Par manque de moyens, « My aim is true » sonnait un peu rachitique. Le son de « This year’s model », sans qu’on risque de le confondre avec une production spectorienne, est beaucoup plus « étoffé ». Pourtant le budget alloué n’a pas dû être colossal, et c’est toujours Nick Lowe qui produit. Avec son alter-ego Dave Edmunds, Lowe est une sorte de Monsieur Loyal de tous les faux punks, entendez par là tous ces zozos apparus à la seconde moitié des seventies, par paresse rattachés à un mouvement punk mais qui partagent peu de références avec les tribus à crête. Ce qui fait vraiment la différence avec ce disque, c’est l’apparition aux côtés de Costello de ceux qui deviendront et restent à ce jour le meilleur backing band qu’il ait eu, Bruce et Pete Thomas à la rythmique et Steve Nieve aux claviers.
Costello, il faut sans cesse le répéter tant ses glorieuses années (en gros jusqu’au milieu des 80’s) sont ignorées par ici, Costello donc est un immense compositeur, capable de torcher des titres à rendre McCartney jaloux avec des textes à faire pleurer Ray Davies. Avec « This year’s model », on est encore dans l’urgence, dans ce rythme qui apparaîtrait dément aujourd’hui, sortir au moins un disque par an. Il y a douze titres (ou treize, selon les éditions) sur « This year’s model », avec un bon paquet d’autres en réserve (la réédition qui pour moi fait date, celle du label Edsel en 2002, en rajoute d’autres sur un Cd bonus ainsi que les sempiternelles maquettes et prestations live).
Elvis Costello & The Attractions
Traits communs à tous les titres, la concision (tout est dit en trois minutes), l’aspect syncopé et énervé. Costello connaît par cœur ses classiques, mais insuffle dans tous les titres une urgence, une rage qui n’appartiennent qu’à lui (il a pas besoin de forcer, dans la vraie vie c’était à cette époque un teigneux à l’humour méchant et caustique). S’il faut faire le tri, perso je vois que deux titres en peu en retrait, « Hand in hand » et « Night rally ». Le reste, c’est du haut de gamme, et un paquet d’incontournables de  cet autre Elvis.
Du brutal « No action », qui va droit à l’essentiel en moins de deux minutes et ouvre le disque, en passant par la merveilleuse « You belong to me » (comme du Dylan 60’s, mais un Dylan qui aurait bouffé un troupeau de lions au petit déjeuner), l’addictive « Pump it up » (chanson sur la coke au pays des branchés), l’extraordinaire « (I don’t want to go to) Chelsea » (toujours ce mépris du bourgeois et de ses quartiers chicos), construite sur une base reggae speedée. La power pop en plein essor donne la trame de choses comme « Lip service » ou « Radio radio » … Et puis, comme tout semble tellement facile pour lui, Costello s’amuse à imiter à la fois Lennon et McCartney dans leurs carrières solo (« Little triggers »), ou pastiche carrément un des autres très doués de l’époque, la grande asperge Joe Jackson (« Living in paradise »).
Les Attractions assurent ô combien, et laissent entrevoir les merveilles dont ils seront capables dans l’accompagnement, avec notamment un Steve Nieve qui se signale déjà à l’attention de ses contemporains (sur « Pump it up » par exemple).

Avec « This year’s model », aucun doute n’est permis, Elvis Costello signe son entrée dans la cour des très grands …

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