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JEAN-LUC GODARD - LE MEPRIS (1963)

A Capri, c'est fini ...
« Le Mépris », c’est le film le plus abordable de Godard. Peut-être bien aussi son meilleur. Et ça, Godard le sait. Et depuis longtemps. Conclusion, pour ceux qui en douteraient : Godard filme ce qu’il veut, se fout du succès et vous emmerde.
Piccoli, Bardot & Godard
« Le Mépris », c’est une figure imposée, et un exercice de style. La figure imposée, c’est que son fidèle financeur (dans le cinéma on dit producteur) Georges de Beauregard commence à en avoir ras le chéquier de « sponsoriser » Godard dont les films, pour faire simple, ne remplissent pas vraiment les salles, et ne veut plus foncer tout seul, surtout que Godard rêve de faire travailler Bardot, superstar du cinéma européen et donc aux cachets conséquents. Une approche est tentée vers le magnat italien Carlo Ponti. Qui veut bien mettre des pépettes mais n’entend pas laisser carte blanche à Godard qu’il considère ingérable. Qu’à cela ne tienne, le Suisse lui met sous le pif un best-seller d’Alberto Moravia, « Le Mépris », qu’il compte adapter. Marché conclu. Des investisseurs américains complètent le tour de table. Et auront ô combien leur importance dans l’histoire du film. Ce sont eux, qui après avoir vu les premiers montages piquent une gigantesque colère. What ? Ils ont sorti les dollars pour avoir Bardot et elle se fout même pas à poil ? Ils imposent à Godard des « scènes de nu » selon le vocabulaire pudibond de l’époque. Résultat : la première « vraie » scène du film, celle d’anthologie avec Bardot nue sur un lit qui demande (entre autres appréciations anatomiques) de son inégalable voix d’ingénue à Piccoli : « Tu les trouves jolies mes fesses ? » … Un grand merci aux producteurs américains, parce que le cul à Bardot, ben je vais vous dire ma bonne dame, c’est quand même quelque chose …
Mais résumer « Le Mépris » au popotin de BB, c’est quand même plutôt réducteur. Parce que le film, c’est avant tout du Godard. Mais accidentellement. Je m’explique. Godard, il en avait rien à cirer du bouquin de Moravia, même s’il a écrit un script (avant le tournage, chose assez rare chez lui), il est assez éloigné, voire très éloigné du livre. Godard veut faire un film classique. A tiroirs, comme d’habitude, mais un film classique par la forme. Il a la tête d’affiche absolue de l’époque (Bardot), filme (enfin, c’est plutôt comme d’habitude le fidèle Raoul Coutard qui est derrière la caméra) en couleurs, en extérieurs et en scope. C’est-à-dire assez loin de ses noirs et blancs baveux caméra sur l’épaule qui ont fait sinon sa fortune, du moins sa réputation. Et Godard va soigner ses plans, ses prises de vue dans le féérique décor de Capri. Sauf qu’un beau jour, après environ trois semaines de tournage, les comptables lui font remarquer qu’il a bouffé les trois-quarts du budget, et qu’il n’a même pas mis une demi-heure de film en boîte. Résultat : un quasi plan-séquence (intercalé au milieu du film) de trente quatre minutes dans un appartement inachevé pendant lequel Piccoli et Bardot, se disputent, se réconcilient, se baladent à poil, se disputent, prennent un bain, se disputent, s’envoient des baffes, se disputent … et ne se réconcilieront plus. Une enfilade de dialogues quasi-improvisés qui font, évidemment, qu’on ne comprend plus grand-chose à ce qui a précédé et qu’on ne comprend plus rien à ce qui va suivre. Du Godard, quoi, comme je vous disais quelque part plus haut …
Lang, Piccoli, l'Alfa Roméo, Palance, Bardot
« Le Mépris », c’est l’art des poupées gigognes mis en images. Le mariage du couple Javal prend soudainement l’eau. Paul Javal (Piccoli dans un de ses meilleurs rôles, sinon le meilleur) est scénariste, sa femme Camille (Bardot) dactylo, mais ça n’a aucune espèce d’importance dans le film. Le producteur américain Prokosh (Jack Palance) propose à Paul de refaire le scénario d’une adaptation de « L’Odyssée » que tourne Fritz Lang, qui joue son propre rôle. Evidemment, la relation qui devient tumultueuse entre Paul et Camille s’imbrique dans le tournage et les à-côtés du tournage  du film de Lang, et offre des bifurcations sur la création, l’art, et les rapports qu’ils entretiennent avec l’argent. Mais comme toujours chez Godard, rien n’est franchement dit ou montré, tout est sous-entendu, elliptique. Rien que le choix de Lang pour jouer son propre rôle (Godard apparaît vers la fin, il joue le rôle de son assistant, décryptez ce que vous voulez, bon courage …) relève plus du mystique que du rationnel. Il y a d’ailleurs dans les bonus du BluRay un documentaire d’une heure (« Le dinosaure et le bébé », en voilà du titre de doc !) retranscrivant une discussion en 1967 (assez passionnante il faut dire) entre les deux hommes, plus une interview d’une demi-heure de Lang pendant le tournage du « Mépris ». Autant dire que pour Godard, le personnage clé du film, c’est pas Bardot (d’ailleurs Godard et Bardot s’engueuleront souvent sur le tournage), c’est pas le couple qu’elle forme avec Piccoli, c’est bel et bien le vétéran allemand. Avant toute autre chose, « Le Mépris » est un film sur le cinéma, ou plutôt sur la vision qu’a Godard du cinéma.
Film dans le film : Lang (sous le parasol) & Godard (sous le chapeau)
Il est d’ailleurs amusant de constater que tous les spécialistes ès-Godard patentés et les protagonistes du film (sauf Bardot, mais à l’ère du BluRay, vaut mieux éviter de faire causer la Brigitte, eu égard à toutes les conneries qu’elle pourrait raconter), bien des années plus tard (et y compris Godard), sont incapables de dire pourquoi, au vu du film, Camille méprise Paul, et quel est in fine le message du film.
Ce qui n’est pas bien grave, car « Le Mépris » est un film pour les yeux avant d’être un film pour l’esprit. Un film qui commence par le générique (mais un générique particulier, puisque en montrant à l’image le tournage d’une scène à Cinecitta, c’est Godard lui-même qui de sa si particulière voix nonchalante, lit en off ledit générique), nous donne l’occasion de prises de vue superbes à Capri et dans le bunker futuriste de la villa Malaparte où se consommera la rupture définitive entre Paul et Camille. Un film où l’on s’aperçoit aussi que même avec une perruque de brune, Bardot crève l’écran (alors qu’elle joue « naturellement », c’est-à-dire comme une savate). Que les acteurs américains y vont à fond (Palance manque réellement de décapiter une actrice en jetant en proie à une colère noire une bobine à travers une salle de projection). Que Godard ne peut s’empêcher de caser ses jeux de mots idiots à base de prénoms (après « On fonce Alphonse » de « A bout  de souffle » et avant le « Allons-y Alonzo » de « Pierrot le Fou », on a droit ici à « Tu me prends dans ton Alfa, Roméo ? »). Que la peinture bleue commence à faire son apparition (les yeux des statues grecques, avant le face-painting de « Pierrot le Fou »)… Et que la qualité du BluRay est tout juste passable … Et que Bardot a un joli cul, mais je crois l’avoir déjà dit …
La villa Malaparte à Capri
A noter aussi, et ça n’arrivera pas souvent dans l’œuvre de Godard (parce que lui et la musique semblent définitivement fâchés malgré tout le mal qu’il se donne pour s’y intéresser), que « Le Mépris » est aussi un film pour les oreilles. La B.O. est une de celles qui font date, portée par un thème lancinant de Georges Delerue, qui vient toujours rythmer de façon judicieuse (et ce malgré son côté répétitif) mais jamais agaçant les scènes ou même les plans-clés du film. Et puis il y a la reprise d’un des rares titres de rock’n’roll italien, le « 24 000 baci » de Celentano, par une chanteuse yéyé-neuneu pendant l’entracte dans une salle de cinéma.
Bon, allez, pour finir, une anecdote. Godard voulait que dans la longue scène dans l’appartement en construction, Bardot mette une perruque brune. Refus catégorique de la star. Pari de Godard, qui déjà avait l’air de perpétuellement se réveiller et fumait des cigares gros comme des troncs d’arbre : « Si je parcours quinze mètres en marchant sur les mains, tu mets la perruque ? ». La super-nunuche accepte. Et bien Godard, qu’on a du mal à imaginer en artiste de cirque équilibriste, l’a fait, preuve à l’appui dans le doc filmé en 1967…

Mais oui, B.B., on les trouve très jolies, tes fesses … Et le reste du film aussi …

Du même sur ce blog :

LEONARD COHEN - SONGS OF LEONARD COHEN (1968)

To old to rock ...
Cohen, c’est un cas un peu à part dans la musique des 60’s. Alors que la musique pour jeunes était faite par des gens de leur âge (le plus vieux, ce devait être Chuck Berry, mais vers la fin des 60’s, il était comme qui dirait passé de mode), Leonard Cohen s’attaquait aux hit-parades avec ce « Songs of … » à trente deux ans. Et alors que les cheveux poussaient jusqu’à la démesure et que les fringues se bariolaient exagérément, lui se pointait avec son look de clerc de notaire, son air de chien battu et ses stricts costards noirs. Conclusion : adeptes du glam-rock, Cohen n’est pas exactement un précurseur de votre musique favorite.
Quoi que pour être aussi rigoureux qu’un banquier qui calcule vos intérêts débiteurs, y’avait déjà eu le nom de Leonard Cohen dans les charts. Dans les crédits de « Suzanne », petit hit par l’oubliée Judy Collins, chanson qu’il avait écrite mais pour laquelle il n’avait pas touché un rond, ayant dû renoncer à ses droits pour se voir publié. Comme quoi, y’a pas que les niggas qui se font arnaquer dans le showbiz. Parce que Cohen, c’est un peu un accident sa carrière de chanteur. Il commençait à se faire un petit nom dans l’underground canadien (sa nationalité) et américain comme poète et écrivain.
C’est John Hammond qui le signera et lui fera enregistrer sa première rondelle, ce « Songs of … ». John Hammond, il peut être bon de le rappeler aux fans de M Pokora, c’est le type qui a découvert et signé quelques demi-sels comme Billie Holiday, Aretha Franklin ou Bob Dylan, excusez du peu. Un type qui avait un peu l’oreille quoi. Un peu aussi le sens des affaires pour son label Columbia. Parce que chez Columbia, en 1968, on était un peu dans l’expectative rayon folk. La star maison incontestée du genre, le sieur Dylan se remettait entouré de musiciens au look de paysans mormons (The Band) d’un soi-disant accident de moto. Et à une époque où faire paraître deux trente-trois tours par an était la norme, le Zim était silencieux depuis plus d’un an. Et même si le talent de Cohen se suffit, la semi-retraite du Zim n’est certainement pas pour rien dans sa signature chez Columbia et les moyens assez conséquents mis en œuvre pour en faire la nouvelle « rock-star » du folk…
Rare : l'artiste hilare ...
Même si Cohen, c’est comment dire … Ardu … Faut se motiver avant de l’écouter, quoi. Pas exactement les chansons qu’on entonne à la fin d’un repas de chasseurs … Et puis faut faire l’effort de pas se contenter de quelques machins connus et plus ou moins radiophoniques des 80’s (« First we take Manhattan », ce genre). Cohen, pour l’écouter à son meilleur, faut le prendre aux débuts, avec « Songs of … » et son quasi siamois « Songs from a room ». Parce que chez Cohen, Môssieur, y’a du texte. A peine un peu moins elliptique et énigmatique que chez Dylan, c’est-à-dire qu’à moins de Bac+10 en anglais, Cohen, c’est souvent aussi clair que du bouillon de légumes.
Mais Cohen, bizarrement pour un littéraire pur et dur, a un sens de la mélodie assez extraordinaire. Les chansons de Cohen, pour musicalement squelettiques qu’elles soient, elles sont évidentes. Il y a sur ce premier disque trois bombes mélodiques qui sont trois classiques folk. Sa propre version de « Suzanne », depuis reprise par des dizaines de gens plus ou moins ténébreux et mélancoliques (cas type, Bashung). « Sisters of Mercy » religieuses ou prostituées, allez savoir, mais qui servira de nom de baptême au groupe gothique caricatural d’Andrew Eldritch dans les 80’s. L’échevelée (dans le contexte du disque) « So long, Marianne » dans laquelle Cohen se lâche, allant jusqu’à chanter (juste) et mettant une batterie sur le devant du mix, ou pas loin.
Parce que faut préciser que les disques de Cohen, c’est pas exactement de la sunshine pop chatoyante. De la guitare acoustique pleine d’accords compliqués qui sonne comme un piano, y’en a partout. Et puis, un peu comme chez Simon & Garfunkel, par touches infinitésimales, quantité d’autres instruments, venus plus souvent de la musique de chambre ou classique que du rock basique. Mais faut tendre l’oreille pour les écouter, et quand par hasard ils sont mis en avant (quelques notes de guitare saturée dans « Master song »), ils font l’effet d’une déflagration. Une des autres trademarks indissociables de Cohen, c’est aussi ces chœurs virginaux ( ? ) éthérés, qu’il a fini au long des disques à mettre trop en avant pour cacher ses faiblesses vocales mais qui là tombent juste où il faut quand il faut et rajoutent cet aspect de mélopée céleste qui fait toute la beauté de ses premiers disques.
Parce que oui, les premiers disques de Cohen sont beaux, semblent régis mathématiquement par cette pureté et ce dénuement mélodiques souvent imités et bien peu égalés. La démarche sera la même sur le suivant (« Songs from a room »), encore plus engoncé dans son austérité rigide, ce jusqu’auboutisme décharné qui malgré tout en fera, quelque peu à son corps défendant, une « star » du rock.

« Songs of Leonard Cohen », c’est d’entrée une pièce maîtresse de Cohen. Qui elle n’a pas pris une ride…

Du même sur ce blog :


LED ZEPPELIN - LED ZEPPELIN (1969)

Led Zep, Chapter one ...
Peut-on dire du mal du Zep ? Evidemment. Mais je laisse ça à d’autres …
Parce que, faut pas déconner, Led Zep, c’est quand même quelque chose (au moins jusqu’en 75, après ça se discute, … mais pas aujourd’hui, voir ci-dessus …). On peut ergoter jusqu’à plus soif sur le pourquoi du comment de la chose qui fit que ce groupe devint le plus grand des seventies et un des plus mythiques, voire le plus mythique de l’épopée du binaire. Matez les tréfonds du Net musical, ce qui noircit le plus les posts depuis des lustres, c’est pas le come back du Floyd, la prochaine tournée mondiale des Stones ou le retour des Smashing Pumpkins (cherchez l’erreur), c’est l’hypothétique renaissance du Zep. Qui selon toute vraisemblance n’aura jamais lieu et qui explique les scènes d’hystérie à la moindre déclaration de Plant et plus encore de Page. Qui lui voudrait bien, mais c’est le vieux blond qu’est pas chaud du tout pour réactiver tout le foutu barnum … et de toutes façons, que voulez-vous qu’ils fassent ? Un truc en studio encore plus mauvais que le « No quarter unledded » d’il y a vingt ans ? Une tournée mondiale sold out où tu casquerais trois mille euros pour voir des types de 70 balais massacrer les titres qui ont fait leur légende et un peu aussi celle du rock ? Déjà qu’à leur apogée ils étaient plutôt chiants sur scène, alors maintenant …

Parce que dès qu’il a été question du Zep, les superlatifs ont toujours été de sortie. Surenchère à tous les étages, ceux de la musique, et ceux annexes. Le Zep a toujours su faire parler de lui. Peut-être grâce à Peter Grant, manager dès le premier jour et qui a su mieux que n’importe qui grouillotant dans la périphérie d’un band pousser tous les curseurs de l’extramusical dans le rouge … Peut-être aussi surtout à cause du sieur Jimmy Page qui a construit de toutes pièces son monstre de métal fondu …
Avant le Zep, Jimmy Page n’était rien. Juste un nom pour spécialistes, un forcené des sessions d’enregistrement. T’avais besoin d’une partie de guitare acoustique, électrique, d’un simple gimmick mélodique, tu l’appelais, il se pointait en studio un quart d’heure, faisait le truc, repartait avec son chèque. Le requin de studio le plus connu du Swingin’ London, faisait n’importe quoi pour n’importe qui, des légendes en devenir (Kinks, Who, …) aux plus obscurs neuneus de la variète … Ah si, il jouait aussi dans les Yardbirds. Mais là, son nom clignotait nettement moins que celui de ses prédécesseurs, Clapton et Beck. D’ailleurs quand le caractériel au fort tarin s’est barré, les Yardbirds ont pris l’eau de toutes parts … Page aurait bien voulu être le leader, mais personne voulait le suivre. Et comme y’avait des contrats de tournée signés, fallait bien assurer … L’histoire est connue. D’abord la vieille connaissance croisée de multiples fois en studio John Paul Jones, ensuite un minot gueulant derrière son micro, qui emmène avec lui un pote batteur totalement allumé, l’intermède New Yardbirds, le nabab d’Atlantic Ahmet Ertegun qui lâche une fortune pour ce groupe qui n’a même pas de nom, une vanne de Keith Moon qui le baptise Lead Zeppelin, Page et Grant qui font sauter une voyelle, deux jours en studio pour accoucher du premier 33 T …
« Led Zeppelin », premier du nom, est par force un disque foutraque et bâclé. Coincé chronologiquement entre les deux premiers (et les seuls) du Jeff Beck Group, il souffre de la comparaison. Mais là où le moyennement ami et vrai rival Beck livre (et ceux qui l’accompagnent aussi, dont sur « Truth » un certain John Paul Jones, … world is very small), une performance de folie furieuse technique tous potards sur onze, Page va recentrer son propos. Parce que d’entrée, c’est lui et lui seul qui va tenir la barre du dirigeable. Choisir la, ou plutôt les directions musicales, et surtout la façon de retranscrire ça sur le plastoc noir. Pour moi, plus qu’un guitar hero, Page est un sorcier des studios (et les milliards de rééditions remastérisées des skeuds n’y changent rien, d’entrée Page a trouvé le son, et celui des disques du Zep est totalement hors du temps et des modes).

D’entrée, en 2’43, les bases de ce qu’on appellera par la suite le hard-rock sont posées avec « Good times, bad times », titre traversé par un solo de la mort qui tue de Page. Y’a des façons de commencer une carrière que l’on a connues plus laborieuses. Frère quasi jumeau en version ultra sauvage sur l’autre face de la rondelle, « Communication breakdown », poignarde aussi sûrement les sixties qu’un cran d’arrêt des Hells à Altamont. Led Zeppelin se pose d’emblée comme le maître incontestable de la furia électrique des années septante.
Et le reste, me direz-vous ? Des extrapolations à partir de thèmes bluesy. Cependant il convient de zapper le putain de truc hindouisant (« Black mountain side ») à la Ravi Shankar, et le très neuneu « Your time is gonna come » qui ne peut ravir que ceux qui prennent Queen au premier degré ou apprécient les grandes orgues pompières de Deep Purple ou Procol Harum. Les machins bluesy, donc. Plus de la moitié du disque. Piqués, pompés, plagiés (rayer la mention inutile, on peut toutes les garder) pour l’essentiel sur Willie Dixon ou Muddy Waters, ce qui revient un peu au même. Le classic blues de Chicago, quoi. Mais beaucoup plus que Clapton et les Bluesbreakers ou Fleetwood Mac qui commence à faire parler de lui, Led Zeppelin va bousculer le vieil idiome. Page se sert tantôt de l’approche hendrixienne de la chose (flagrant sur la wahwah de « You shook me », titre matrice de tous les Gary Moore et Stevie Ray Vaughan à venir), bouscule les douze mesures par des changements de tempos insensés (« Dazed & confused », bien mieux en studio que les interminables versions live qu’il suscitera avec sa guitare jouée à l’archet et toutes les trouvailles égotiques de Page), jamme sur des thèmes archi-rebattus (« How many more times »), s’auto-cite parce que le temps manque (« I can’t quit you » reprend des pans entiers de « You shook me »), cherche à marquer son territoire de guitariste (sur « Baby, I’m gonna leave you » il se multiplie, tantôt électrique, tantôt acoustique).

Reste qu’un groupe réduit à son seul guitariste, c’est plutôt (très) chiant (qui peut supporter une heure du Vaughan déjà cité quelque part plus haut ?). Si Page est le leader maximo du Zep, on ne peut pas réduire les trois autres au rang de faire valoir. Un peu effacés sur ce premier disque pensé conçu et produit par le seul Page, ils s’affirmeront davantage sur les suivants sans toutefois jamais contester le leadership du ténébreux gratteux. Plant pose les jalons de tous les braillards du hard (syndrome des roubignolles coincées dans la fermeture-éclair sur « Baby, I’m gonna leave you »), Jones montre par sa dextérité sur les touches d’ivoire ( le Wurlitzer ( ? ) de « You shook me ») que le groupe pourra aller visiter des territoires sonores multiples et variés innaccessibles au commun de groupes bruyants et bas du front qui pullulent depuis des décennies, Bonham démontre qu’il peut enclumer sévère mais aussi se révéler comme un des batteurs les plus subtils et singuliers qui soient.
Ce « Led Zeppelin », pour moi, c’est une déclaration d’intention, une carte de visite. Des crans en dessous de quelques-uns qui suivront, mais suffisamment intéressant pour enterrer quelques concurrents potentiels des deux côtés de l’Atlantique.

Récemment réédité avec campagnes de pub insensées dignes d’une saloperie de chez Apple, et packagings aux prix délirants (cent vingt euros pour deux vinyles et deux Cds, comme si tous les fans du Zep étaient des qataris, faut pas déconner, venez pas chialer après parce que les gens téléchargent gratos, bande de nazes …). En bonus de cette réédition, un concert entier donné en 69 à l’Olympia. Performance bête comme chou et nulle à pleurer, même pas sauvée par des extraits du « Led Zeppelin II » en gestation, titres d’au moins dix minutes, auto-complaisance à tous les étages, et un Page qui s’écoute jouer sur des solos imbéciles dont même Bonamassa ne voudrait pas …

Des mêmes sur ce blog :


DAVID LEAN - LE DOCTEUR JIVAGO (1965)

Mélo au pays des Soviets ...
« Le Docteur Jivago », c’est le genre de films que les programmateurs de télé nous sortent pour les fêtes de fin d’année. Pour plusieurs raisons. D’abord il a été tellement diffusé que les droits doivent plus être très chers. Ensuite, comme il dure trois heures vingt, t’as vite fait de remplir tes plages horaires de l’après-midi. Et puis, programmer « … Jivago », ça mange pas de pain. Du grand spectacle, de grands sentiments, du politiquement correct. Ouais, présenté comme ça, tu zappes, comme si c’était un vulgaire nanar avec Fernandel. Sauf que « … Jivago », c’est signé David Lean.
Et avec Lean, tu te retrouves à l’épicentre d’un certain type de cinéma. Celui qui se limite à son essence : montrer des images qui racontent une histoire. Lean doit être un arbitre refoulé, ne prend pas parti, n’essaie pas de délivrer un « message » (la marotte de ceux qui privilégient le fond sur la forme). Lean, image après image, veut faire de ses films le spectacle le plus beau possible.
David Lean bien entouré ...
Lean, c’est la triplette consécutive incontournable, « Lawrence d’Arabie », « Le pont de la rivière Kwaï », « … Jivago », celle des succès populaires énormes (durant la fin des années 50 et le début des années 60, lorsque des foules compactes se pressaient sans discontinuer dans les salles obscures), celle des budgets aux montants indécents, celle des montagnes de statuettes gagnées aux Oscars. Le genre d’apothéose dans une carrière dont beaucoup, même s’ils préfèreraient mourir que l’avouer, rêvent. De ces trois films, « … Jivago » est peut-être le plus abouti. Parce qu’il combine les points forts de « Lawrence … » et « … Kwaï », la gigantesque fresque centrée sur un personnage, et l’étude des relations humaines dans un petit groupe d’individus. Avec comme dénominateur commun à tous cette mise en scène dans des espaces vierges démesurés …
Faut dire qu’à la base de « … Jivago », y’a du matos. L’œuvre du même du nom, considérée comme la meilleure de Boris Pasternak, tout auréolé de, excusez du peu, un récent Prix Nobel de littérature. Autrement dit, les fondations du scénario sont plutôt solides. « … Jivago », le bouquin, je l’avais lu au collège, des années avant de voir le film, et j’avais gardé un grand souvenir de cette épopée romanesque. Le film, au début, il m’avait déçu. Il ne commençait pas comme le bouquin par cette scène poignante de l’enterrement de la mère de Youri Jivago, mais par la fin chronologique de l’histoire, la quête par demi-frère de Jivago (haut dignitaire du Parti Communiste) de sa nièce … Et puis, « … Jivago », le film, c’est un truc qui s’apprivoise, ces trois cent minutes la première fois te filent le vertige, le tournis. Tu sais plus où donner des yeux et des neurones et tu subis, t’apprécies pas …
Pas mal, le casting ...
« … Jivago » est un film où rien n’est laissé au hasard. Pas une image, pas un plan, pas une scène, n’est là par accident. C’est la quête de la perfection, du détail dans les grands espaces, qui en font un truc assez unique. Lean s’efface devant ses personnages et leur histoire, met toute sa technique (et des moyens financiers assez conséquents, il faut bien dire) à leur service. Lean s’efface même devant l’Histoire, la vraie, la grande, et pourtant tout le film s’articule autour d’un des événements les plus cruciaux du siècle passé, la Révolution Russe. Y’avait de quoi s’embourber dans « l’interprétation politique » à deux balles, subjective comme c’était possible en ces temps de Guerre Froide, et on connaît, et pas des moindres, qui ont fait sombrer leurs films dans la ridicule analyse manichéenne à deux balles ou le maccarthysme le plus vil …
Lean suggère plus qu’il nous montre vraiment la vie fastueuse des salons bourgeois du temps des Romanov, la boucherie de la Première Guerre Mondiale, la folie sanguinaire des premières années révolutionnaires. Lean ne prend pas parti, mais s’attache à reconstituer avec une minutie de détails des années historiques cruciales. La reconstitution (en Espagne et en Finlande) de quartiers entiers de Moscou, allant même jusqu’à suivre, à mesure que le temps passe, les changements qui affectent l’écriture cyrillique sur les panneaux signalétiques ou les vitrines des commerces, c’est le genre de choses que peuvent même pas se permettre des Cameron ou des Scorsese aujourd’hui. Lean est un maniaque total, plus encore que son compatriote Kubrick. Bon, faut dire que derrière, aux pépettes y’a du lourd. Rien moins que Carlo Ponti, stakhanoviste des productions, toujours prêt à dégainer son chéquier, qu’il s’agisse d’un film tchèque indépendant ou d’un blockbuster annoncé comme « … Jivago ». Inconvénient (enfin façon de parler, c’est le genre d’inconvénient que des millions d’hommes auraient voulu dans leur plumard), la femme de Ponti s’appelle Sophia Loren et Ponti exige qu’elle ait le rôle féminin principal, celui de Lara. Laquelle Lara a dix-sept ans lors des premières scènes où elle apparaît, la Sophia la trentaine plutôt sonnée.
Le mari, la femme et la future amante ...
Il faudra tout le flegme britannique, mais aussi la diplomatie et la persuasion de Lean pour imposer dans le rôle de Lara, la peu connue Julie Christie. Qui s’en sort mieux que bien, il y a au cœur de sa beauté blonde indolente un regard et deux yeux d’une expressivité hors norme par lesquels passe toute la panoplie des sentiments, de la résignation de ses débuts dans le monde aux bras du pervers Komarovsky, à sa détermination à survivre avec sa fille dans un monde hostile pour tous, en passant par cette passion qui la dévore lorsqu’elle retrouve Jivago. Jivago, c’est Omar Sharif, passé en quelques années d’une ascension fulgurante des films à l’arrache égyptiens de Chahine, à un second rôle dans « Lawrence d’Arabie » avant que Lean en fasse la vedette de « … Jivago ».
Youri Jivago, c’est le type qui subit tant qu’il n’est pas fou d’amour pour cette Lara qu’il n’a fait qu’apercevoir à Moscou, avant de la retrouver professionnellement comme infirmière volontaire sur le front, et puis des années plus tard dans une petite ville perdue de l’Oural, où se cache celle qui est devenue la femme de Strelnikov, bolchevik sanguinaire qui traque les Blancs dans les immenses étendues enneigées. A partir de là, Jivago va prendre son destin en main, lui le bourgeois marié et aimé (excellente Géraldine Chaplin), sombrer dans une passion dévorante et tout risquer (foutre sa famille en l’air, déserter quand il est réquisitionné, vivre en marge du pouvoir alors que son demi-frère en est un haut dignitaire qui voudrait l’aider).
Un certain sens des paysages et du cadrage ...
Le cœur de l’histoire c’est évidemment le mélodrame qui se joue entre Jivago et Lara, rythmé par un thème musical obsédant, et gros succès en tant que tel, signé de Maurice Jarre (une statuette pour lui aussi). Mais pas seulement, puisque le film débute lorsque Jivago a sept ans et se termine après sa mort, prenant l’allure d’une fresque sociale, humaine, sur un demi-siècle politique et historique en Russie.
Et puis les films de Lean, c’est comme ceux de John Ford. Même si t’aimes pas les personnages et l’histoire qu’ils racontent, il te reste quand même une succession d’image et de plans plus grandioses les uns que les autres. Autant l’Anglais que l’Américain sont les grands maîtres des perspectives et des arrière-plans démesurés de ces années 50-60, qui constituent l’apogée et l’âge d’or du cinéma « classique ».
« Le Docteur Jivago », dûment restauré et remastérisé est maintenant proposé dans une version BluRay assez exceptionnelle. Seul reproche, les bonus (notamment une version commentée du film par Sharif, la fille de Lean et quelques autres est en VO, et là, faut avoir un sacré courage ou un super niveau en anglais pour tenir plus de trois heures) sont pas vraiment à la hauteur de ce film d’exception…


Du même sur ce blog :


JACQUES DEMY - LES PARAPLUIES DE CHERBOURG (1964)

Chanté sous la pluie ...
Des films musicaux, il a bien dû y en avoir en France avant « Les Parapluies … ». Mais quand on voit que les acteurs-chanteurs de la préhistoire cinématographique par ici c’étaient Maurice Chevalier et l’improbable Fernandel, je préfère ne rien avoir vu de tout çà.
Demy, c’est différent. Il fait en gros partie de la Nouvelle Vague, et son inspiration artistique vient de tous les musicals américains, où là, depuis l’avènement du parlant, il y a quand même eu du lourd. Des chansons chorégraphiées par Busby Berkeley dont une seule vaut l’intégrale des clips de Miley Cyrus et consœurs, en passant par les superstars Astaire et Kelly, jusqu’au récent remake version gangs newyorkais de Roméo et Juliette par le génial touche-à tout Robert Wise, Demy avait de sacrés challenges à relever.
Deneuve, Castelnuovo & Demy
Non content de se lancer dans un genre peu prisé par ici, il va pousser le bouchon encore plus loin en faisant des « Parapluies … » un film dont tous les dialogues seront chantés. Une entreprise un peu folle, surtout qu’il faut faire doubler tous les acteurs par de vrais chanteurs (quiconque a en mémoire les « chansons » interprétées par Deneuve, qu’elles soient de Gainsbourg ou de Malcolm McLaren, mesure l’ampleur de la tâche qui attendait Demy). Résultat logique des courses, alors que comme tout le monde (enfin, ceux de la Nouvelle Vague), il se tourne vers de Beauregard pour le financement, il va se faire rembarrer par ce dernier et ne trouvera son salut que dans les (moins nombreuses) pépettes de la productrice Mag Bodard qui se lance quasiment dans le métier à cette occasion.
« Les Parapluies de Cherbourg » multipliera les paradoxes. Pour commencer celui d’un film totalement désuet lors de sa parution (un mélo provincial chanté avec des personnages qui semblent sortir des romans courtois du Moyen-Age), et qui ne prendra pas une ride, allant même jusqu’à se bonifier avec le temps.
La Reine Deneuve
Paradoxe également d’un film totalement kitsch (‘tain, ces décors font vraiment mal aux yeux, genre maison de poupées) et politiquement contemporain (la guerre d’Algérie et ses conséquences humaines et sociales). Rappelons qu’on était en plein gaullisme triomphant, arrogant et méprisant (les « veaux » de De Gaulle valent bien les « casse-toi pauv’ con » ou les « sans-dents »), maintenant la France sous une chape de plomb, avec un général au pouvoir, un ministère de l’Information (sous-entendu de la censure). Rappelons pour en rester dans le domaine cinématographique que « Les sentiers de la gloire » fut interdit suite à des « pressions diplomatiques » pendant vingt ans, sans parler de « La bataille d’Alger ». Rappelons aussi que c’est de cette époque et des pantins qui nous gouvernaient dont « l’écrivain » Zemmour (philosophe de comptoir, penseur de chiottes, historien de cour de récréation et sociologue de club de vacances), est nostalgique. Tout çà pour dire qu’en 1964, coller à l’actualité est plus que rare, et le traumatisme durera des siècles (alors que les Ricains par exemple sont totalement décomplexés par leur Histoire récente et pas toujours glamour, et n’hésitent pas à la mettre en scène, les Français à de très rares exceptions ne le font pas de la leur, et à plus forte raison si elle a moins de cent ans). Tout ça pour dire que « Les Parapluies … » est aussi un film politique … subtil, raison pour laquelle il a évité les coups de ciseaux …
Paradoxe d’une distribution de quatrièmes couteaux dont sortira Catherine Deneuve, l’une des plus grandes, si ce n’est notre plus grande actrice, qui crève l’écran du haut de ses vingt ans, et qui vieillit quand même nettement mieux que sa quasi contemporaine Bardot. Et qui doit faire face dans « Les Parapluies … » à des comédiens que pour être gentil on qualifiera de très moyens.
Autre paradoxe, ce film qu’aujourd’hui on qualifierait d’indépendant, et qui est par moments de façon un peu trop voyante une publicité pour Esso. Certes les pétroliers ont du mettre quelques biftons dans la prod, mais Castelnuovo (le premier amoureux de Deneuve-Geneviève dans le film), travaille dans un garage de la marque avant l’armée, y revient à son retour, s’installe à son compte sous leur enseigne, et son fils  vers la fin joue du tambour sur un bidon … Esso. Ca fait beaucoup …
Vernon & Deneuve
L’histoire des « Parapluies … » est pour l’époque subversive en bien des points. Une jeune mijaurée se fait mettre en cloque avant de se marier, et une fois la fille de cette union née, épouse un riche bellâtre falot, se désintéressant de son premier amour qui ne l’a pas oubliée. Et celui-ci, soldat plus ou moins valeureux (même si le contenu de ses lettres n’est pas vraiment un modèle de patriotisme), quand il revient d’Algérie, sombre dans la bibine, envoie chier son patron, et fréquente les bars à putes. Tout ça vingt cinq ans avant « Né un 4 Juillet » d’Oliver Stone …
« Les Parapluies … » est un film fauché. Qui ne s’en cache pas, ce qui le rend encore plus sympathique. Les contrastes sont voulus et exacerbés par Demy (comment pourrait-il en être autrement), entre les couleurs vives et criardes des intérieurs et l’aspect pisseux des rares scènes filmées en extérieur (y’a des excuses, on est à Cherbourg, c’est la Bretagne en pire)… Parce que Demy a, sinon du talent, au moins de bonnes idées, et on s’en rend compte dans la première scène qui voit défiler le générique, avec ce plan en plongée sur ce parapluies qui se hâtent sous l’averse.  En plus d’avoir des idées, Demy a aussi de la suite dans celles-ci. « Les Parapluies … » est pour lui le second volet d’une trilogie commencée avec « Lola » (évoquée par le bellâtre Marc Michel comme son premier amour, et par un court plan d’une cour intérieure où ont lieu des scènes déterminantes de ce premier film). Le troisième volet sera l’oublié « Model shop » (et non pas comme beaucoup le croient « Les demoiselles de Rochefort »). Tiens, et tant qu’à vouloir faire mon malin, on a souvent affirmé que « Les parapluies … » se démarquait de toute influence des autres films musicaux déjà parus. Il y a quand même une scène, filmée en plongée, quand Deneuve se fraye un passage parmi les danseurs du Carnaval, qui me semble un copier-coller parfait d’une de « Orfeu Negro » de Marcel Camus …
Deneuve & Michel
Et pour en finir, puisque « Les Parapluies … » est un film musical, deux mots sur la musique. Signée du suffisant Michel Legrand. A force d’entendre dire à droite et à gauche qu’il était génial, il a fini par le croire et c’est devenu une évidence. Bon, moi il m’a toujours gavé avec ses ritournelles molles, et celles des « Parapluies … » risquent pas de me faire changer d’avis. On craint même au début avec le premier morceau de devoir se fader un truc genre big band de jazz. En fait non, le gimmick suprême du film, c’est de répéter ad nauseam le leitmotiv d’une unique phrase musicale, plutôt mignonne, mais assez loin de Mozart ou Chopin … D’un autre côté, les pointures françaises de musiques de film, on les cherche encore (qui a dit Eric Serra ?)…
Curieusement, alors qu’à partir des années soixante le film musical disparaît quasiment des écrans (sauf à Bollywood), Demy va obtenir l’autre succès de sa carrière avec « Les Demoiselles de Rochefort ». Encore un autre paradoxe qui touche à la carrière de ce grand artisan quelquefois oublié du cinéma des 60’s.
Conclusion : « Les Parapluies de Cherbourg » c’est bien, voire plus, mais ça vaut pas « Saturday night fever » …


JOHNNY CASH - AT HIS MIGHTY BEST Vol. 1 (1991)

MIB ...
Johnny Cash … Le Man In Black original… Une carrière longue comme un jour sans amphétamines, et pour celui qui aura passé l’essentiel de sa vie à se comporter comme un redneck pur jus, une reconnaissance sur le final comme un type sommet de coolitude … étrange perception d’un gars qui pourtant n’aura guère perdu de temps à essayer de brouiller les cartes. Cash, c’est (forcément) du direct, sans trop de fioritures.

Cette compile light, premier volet d’un triptyque consacré à ses années Sun Records (58 à 64), est loin d’être cruciale, même si elle recouvre une de ses périodes (avec la dernière sous l’égide de Rick Rubin) où pas grand-chose n’est à jeter. Les compilateurs se sont pas foulés, vingt titres pour un peu plus de quarante minutes, loin de toute considération chronologique, livret squelettique … Parue au début des années 90, quand L’Homme en Noir (et le reste de l’écurie Sun), étaient totalement out, ringards ultimes. On en était aux types en pantacourts qui faisaient du grunge (Nirvana et ses suiveurs), une bouillasse affublée du terme de fusion (les Red Hot Machin, les Rage Against Bidule), ou à l’opposé avec des zozos en survêt orange à capuche qui poussaient des disques accompagnés de montagnes d’ordinateurs … Sun Records était un label ayant cessé toute activité depuis plus de vingt ans, élément d’un puzzle qui à coups de rachats, de reventes, de fusions d’entreprises, allait contribuer à mettre en place le monde merveilleux de la World Company musicale que l’on connaît. La FNAC, qui en plus de vendre des Cds en fabriquait, distribuait sous licence des choses dont pas grand monde voulait, le fonds de catalogue Sun entre autres … A l’époque et hormis Presley (la grosse machine RCA sortait du disque du King à la pelle) quasiment le seul moyen d’avoir sur une rondelle argentée des titres des « pionniers ».
Johnny Cash aux débuts donc. Musicalement, le plus blanc de tous (même Carl Perkins se laissait parfois tenter par des arrangements jazzy ou bluesy). Aussi le moins « and roll » du lot. Cash venait de la country roots et ne perdait pas une occasion de revenir vers son idiome d’origine. Un peu à part au milieu des gloires de Sun. A côté des bigleux (Perkins, Orbison), du grassouillet (Presley), du cinglé (Jerry Lee Lewis), Cash, lui, c’était le Dur. Austère (très vite tout fringué de noir), toujours la mine renfrognée, sa voix traînante de baryton, et son immuable rythme country ralenti et feignasse …

Il a suffi d’un seul titre (« I walk the line ») pour faire de Cash un type qui comptait, et d’un seul autre (« Folsom prison blues ») pour asseoir sa légende. Les deux sont présents ici (ce premier volet de la compile est d’assez loin le meilleur des trois). « I walk … » tout le monde connaît, le morceau qui a défini pour l’éternité le Johnny Cash style. « Folsom prison blues » a fait de Cash le gourou chantant de tous les rednecks qui jouent au dur. A cause d’une phrase : « I shot a man in Reno just for watch him die » (écoutez les acclamations qui la ponctuent sur ses live carcéraux des 60’s). Une phrase prise pour argent comptant, alors que même si Cash n’a jamais eu la réputation d’un type qui se laissait marcher sur les pieds, il semble à peu prés acquis que c’est de la pure fiction.
Cette réputation de type à la redresse, Cash saura l’entretenir et elle ne le quittera plus (son public le plus fidèle, ses « frères », ce sont les taulards Blancs).
Même s’il saura plus tard en jouer, ses débuts ne peuvent pas vraiment être affublés du sticker « explicit lyrics ». Cash fait comme tous les autres, essaye de trouver sa voie originale, son style. Il se cherche. Avant de tourner la page du rock’n’roll lorsqu’il signera chez Columbia, il s’y laisse parfois aller dans ses débuts (« Rock Island line » est un pur et strict rockabilly, « Get rhythm » un bon petit rock’n’roll. Mais on le sent plus naturellement à son aise dans la country. Et là que ce soit ses propres compos (assez rares, Cash n’est pas vraiment un auteur prolixe) ou sur ses nombreuses reprises, sa touche personnelle se remarque assez vite. Tiens, un exemple, allez écouter la scie « I forgot to remember to forget » et comparez sa version à celle du King, Cash tient la route … Il revisite même assez bien les « classiques » du répertoire, notamment ceux de Hank Williams, le premier chanteur de country « moderne » si tant est que les deux mots puissent être accolés. « You win again » ou « Cold cold heart » par Cash valent le détour …

Une compile quand même un peu beaucoup surannée, assez loin d’un vrai Best of, jamais rééditée. On trouve facilement beaucoup plus exhaustif, mieux documenté, avec un meilleur son dans la multitude qui sont dédiées à cette période-là du bonhomme …


Du même sur ce blog :


JEAN-LUC GODARD - A BOUT DE SOUFFLE (1960)

Un homme et une femme ... et Godard ...
« A bout de souffle », c’est un peu les Sun Sessions du cinéma. Tout à coup, il se passe un truc de nouveau, un truc qui fait avancer le schmilblick. Derrière la caméra, un débutant, Jean-Luc Godard. En fait, non, celui qui tient la caméra, c’est le chef opérateur Raoul Coutard. Godard, lui, il donne des consignes plus ou moins hermétiques à ses acteurs, des trucs qu’il a écrits dans la nuit. Parce que « A bout de souffle » n’est pas exactement un film « écrit ».
A l’origine de tout, une bande de potes, critiques dans les Cahiers du Cinéma, qui n’hésitent pas à dézinguer les pensums avachis des vieilles gloires du 7ème art, ou à s’extasier démesurément sur le talent méconnu de nouveaux metteurs en scène. Deux de cette bande, Truffaut et Chabrol sont déjà passés de « l’autre côté » avec un certain succès, et ils font le siège d’un producteur réputé aventureux, Georges de Beauregard, afin qu’il mette quelques biftons pour que celui qu’ils estiment le plus doué de la petite équipe, Godard donc, puisse faire son premier film. Beauregard, qui n’apprécie guère la grande gueule et les manières désinvoltes de Godard (la réciproque est vraie, et des rumeurs font même état d’une bagarre entre les deux sur le tournage), n’accepte qu’à une condition : Truffaut écrira le scénario, et Chabrol « supervisera » le tournage. Même si les deux sont crédités, leur participation a été en réalité quasi inexistante, Truffaut s’étant contenté de trouver le fait divers à l’origine de l’histoire (le petit truand marseillais qui tue un flic, s’en va retrouver sa fiancée à Paris, avant de finir sous les balles des poulets, ce qui donnera cette dernière scène de légende d’un Belmondo blessé à mort, courant en titubant au milieu d’une rue sous les regards ébahis des vrais passants), et Chabrol, de son propre aveu, n’est passé en coup de vent qu’une paire de fois sur le tournage.
Petit truand et vendeuse du New York Herald Tribune
Un tournage qui commence sous les plus mauvais auspices. Toute l’équipe est réquisitionnée le 17 Août 1959, et au bout de deux heures, tout le monde est renvoyé, Godard n’ayant écrit que quelques lignes de dialogue. Dès lors, systématiquement, se mettra en place sa méthode toute particulière de travail, il tournera le lendemain ce qu’il aura écrit dans la nuit. Heureusement, il a des potes ou du moins des gens avec lesquels il s’entend bien chez les technicos (pas très nombreux, cinq-six personnes maxi, on n’est pas exactement chez Cecil B DeMille). Par contre, de Beauregard et les acteurs se grattent la tête. Surtout les deux acteurs principaux. Le jeune premier Belmondo y va à fond, même s’il pense que le film ne s’achèvera pas ou ne sortira pas en salles. Pour l’Américaine Jean Seberg, c’est la soupe à la grimace. Elle vient de s’extirper des pattes de Preminger (pas vraiment un tendre avec ses acteurs) auquel elle était liée par un contrat léonin, pour se retrouver sous la direction d’un type en totale roue libre. Les relations Seberg-Godard seront pour le moins tendues.
Parce que Godard apporte une approche unique dans le cinéma. « A bout de souffle » n’atteint pas l’heure et demie minimale de rigueur. Et pourtant Godard réussit à livrer des pistes pour des générations de cinéastes. Godard fait passer les personnages avant l’histoire. Plutôt que ce qu’ils vivent, c’est ce qu’ils pensent qui est au cœur du film, tout en évitant les sinistres films psychologiques plombants. Les personnages de Godard ne sont pas des intellos, non, juste des vivants qu’il nous montre dans l’action ou la réflexion. Godard, grâce, ou plutôt à cause de son manque de moyens, fait du cinéma-vérité. Caméra souvent sur l’épaule, qui suit les acteurs et ne les dirige pas. Pas le temps ou les moyens pour installer des rails nécessaires aux travellings sophistiqués ? Qu’importe, un fauteuil roulant de handicapé fera l’affaire … Pas le temps ou les moyens de vider les Champs-Elysées de ses passants pour mettre des figurants à la place ? Qu’à cela ne tienne, la caméra sera planquée dans un tricycle de livraison de la Poste lors de la première scène mythique entre Seberg et Belmondo … Encore moins de temps et de moyens ? On filme depuis le fauteuil roulant sur un trottoir de rue et on voit à l’écran tous les (vrais) passants se retourner et fixer le cameraman … On passe des jours dans une minuscule chambre d’hôtel pour tourner ce qui est le cœur du film, ce ping-pong verbal entre Seberg et Belmondo, avec des répliques et un jeu quelquefois improvisés ? On prie la scripte de dégager les lieux et on a droit à tous ces plans de quelques secondes avec des raccords plus qu’approximatifs … Il faut donner une impression de foule ? On mélange les acteurs à la foule qui se presse sur les boulevards pour voir passer le cortège d’Eisenhower en visite officielle …
Godard, Coutard, Seberg et Belmondo dans un travelling "maison"
Godard, avant d’être un cinéaste, est un fan de cinéma. « A bout de souffle », polar parisien (enfin, quoi que, on y reviendra) est d’abord un hommage aux films noirs américains. Les plans, les attitudes, les personnages, leurs répliques sont des décalques idéalisés de scènes ou de films mythiques. Les bagnoles que fauche Poiccard – Belmondo sont des voitures américaines, qui couraient pas vraiment les rues de Paris à la fin des années 50. Poiccard à l’arrêt devant une affiche de Bogart (celle de « Plus dure sera la chute ») et qui imite son tic le plus célèbre (l’index qui fait le tour de la bouche), c’est pas gratuit, c’est une déclaration d’amour à une certaine forme de cinéma. Dans le même registre, la participation de Melville, maître du polar à la française, dans le rôle d’un écrivain mégalo et hautain n’est pas un hasard. Car contrairement à Chabrol, Truffaut, Resnais, Rohmer, Rivette et les autres de la Nouvelle Vague, Godard ne tombe pas dans le symbolique, le détachement. Les personnages et le film de Godard sont organiques, rejettent les codes et les bonnes manières, montrent des hommes et des femmes pleins de vie, et non pas des automates qui s’agitent devant une caméra.
Chambre 12, Hôtel de Suede
« A bout de souffle » est aussi une déclaration d’amour à Paris, ce Paris que le monde entier nous envie. Les acteurs de Godard évoluent, certes chichement, mais dans un décor de carte postale ou d’Office du Tourisme, même si le Paris de Godard est plus vivant encore la nuit que le jour. Et puis, moi, il y a un truc qui m’impressionne chez Godard. Ce punk avant l’heure derrière une caméra est un maître dès lors qu’il s’agit de filmer une femme. Il y a chez lui quelque chose de magique lorsqu’il s’agit d’en mettre une en valeur. On peut à la limite comprendre quand il s’agissait d’Anna Karina qui partageait sa vie, mais qui mieux que lui a filmé Bardot dans « Le mépris » ? Et Jean Seberg ? Suffit de voir ses photos américaines … pas vraiment une apparence de laideron, certes, mais lookée et coiffée très girl next door. Godard va faire de cette actrice américaine de seconde zone l’une des images idéales et fantasmées de la jeune femme libre des sixties … C’est pas Godard, c’est sa caméra qui est amoureuse des actrices, à des lieux des vicieux plans de vieux pervers d’un Hitchcock par exemple …
Parce que la liberté, Godard y tient, mine de rien. Les dialogues et les situations mis en scène s’ils ne choquent personne aujourd’hui, ont valu au film lors de sa sortie une interdiction aux moins de dix-huit ans, ce qui par un joli coup de boomerang, fera beaucoup pour la réputation « sulfureuse » de Godard. Et ce débutant, cet inconnu, ne lâche rien, fait avec le cachet substantiel de Seberg, mais quand il n’a plus les moyens de la fringuer chicos, fait balancer à Belmondo une réplique devenue culte sur les avantages du Prisunic du coin par rapport à la boutique Dior. Et les dialogues, monologues et discussions du Godard des débuts, avant qu’il devienne une caricature de vieux con asocial et misanthrope, amènent dans chaque film, y compris dans ce tout premier, leur lot de phrases-chocs, maximes bizarres et aphorismes en tout genre. Une signature encore plus remarquable qu’un cadrage et un raccord approximatifs. Des grosses ficelles populaires voire populacières, ces « Je fonce, Alphonse », « Tu parles, Charles » avant le gimmick définitif de « Pierrot le Fou », l’insurpassable « Allons-y Alonzo », à ces interrogations qui reviendront les années suivantes comme un mantra (la fille qui demande à Belmondo s’il n’a rien contre la jeunesse, lui répondant qu’il préfère les vieux, comme un raccourci d’entrée de cette incompréhension chronique entre Godard et les « jeunes », voir la bande-son, jazz centriste de Martial Solal, Godard ne comprendra jamais rien à la musique des « jeunes »), jusqu’aux définitives sentences godardiennes (« Mieux vaut rouiller que dérouiller »). Même dans la précipitation, le cinéma de Godard reste écrit, rien n’est vraiment là par hasard.
On filme au milieu des passants la scène finale ...
A ce titre, la très longue scène dans la chambre d’hôtel (une vraie chambre, la 12 de l’Hôtel de Suede), dans un vaste fourre-tout qui semble totalement space, n’en pose pas moins des questions essentielles de « société » et aborde des sujets tabous à l’époque, la sexualité et en filigrane l’avortement par exemple.
Et puis, mine de rien, Godard met beaucoup de lui dans ses films. Et notamment dans celui-là. Il a trente ans, rumine et rêve depuis des années de passer derrière la caméra, et rien n’est là par hasard. D’après les spécialistes, « A bout de souffle » est le film ou Godard a mis le plus de lui. Mais faut pas espérer que le bonhomme décrypte. Faut voir dans les bonus la façon dont il envoie bouler, même trente cinq ans après les faits, ceux qui veulent savoir, veulent la confirmation qu’ils ont « compris ». Mettre des vrais noms sur tous les personnages secondaires par exemple. Derrière eux se cachent le plus souvent des potes d’enfance suisse à Lausanne, et certaines situations, certains patronymes ne seraient que des private jokes …

Et le résultat de tout çà ? Certes, il y a eu un avant et un après « A bout de souffle ». Qui est, et ce n’est pas rien, comme le « Citizen Kane » d’une génération. Un film qui porte en lui tout le génie visionnaire et révolutionnaire de Godard. Mais aussi ses défauts, cet aspect roue libre perpétuelle. Durant les années soixante qui seront ses meilleures, Godard, en imposteur dilettante (y’a du boulot, de la réflexion, et quoiqu’on puisse en penser, une logique dans sa démarche), fera mieux, au moins à deux reprises (« Le mépris » et « Pierrot le Fou »). Mais il me semble qu’il ne retrouvera plus l’innocence et l’ingénuité provocante de « A bout de souffle ».


Du même sur ce blog :

JACQUES BECKER - LE TROU (1960)

Un certain doigté ...
Bon, promis, j’en referais plus des comme celle-là. Parce que « Le Trou » n’est pas exactement le genre de film pour fans de Bigard… « Le Trou » est plus austère qu’exubérant, mais aussi beaucoup plus euh… profond qu’un simple visionnage en travers laisserait supposer.
A l’origine du « Trou », deux hommes. Jacques Becker et José Giovanni.
Jacques Becker 
Le premier, patriarche d’une lignée qui fera carrière dans le septième art (son fils, Jean, également réalisateur, mais aussi sa fille et son gendre, l’accompagnent ou l’assistent sur ce film) n’a quand il débute le tournage, plus rien à prouver. Trois films à gros succès derrière lui (« Goupi Mains-Rouges », « Touchez pas au grisbi » et le navrant « Ali Baba et les quarante voleurs »), un qui a fait un bide public mais qui sera plus tard reconnu comme un des classiques du cinéma français (« Casque d’or »). « Le Trou » sera son testament cinématographique. Becker est malade, se sait condamné, achèvera tout juste le montage, mais sera mort lorsque le film sortira en salle. Sans qu’on puisse pour autant parler de film crépusculaire …
Le second, José Giovanni, est un petit mafieux, qui entre coups tordus, séjours en cabane et cavales plus ou moins réussies, décide de se ranger et écrit un bouquin très largement autobiographique. L’adaptation de Becker sera assez fidèle. Dès lors, Giovanni va entamer une carrière à succès sous le double signe de l’écriture de polars et de la réalisation de polars.
Becker et Giovanni collaborent étroitement à l’écriture du scénario. Point de départ, « Le Trou », le bouquin, est une histoire d’hommes, de vrais, de types à la redresse. Le film sera tourné avec des hommes, des vrais, des types à la redresse, pas des acteurs … ou du moins pas tous. Seuls deux « vrais » acteurs ont des rôles majeurs, le très oublié André Bervil (le directeur de la prison) et le jeune premier à tronche de Gérard Philippe (le Brad Pitt de l’époque) Marc Michel, qui disparaîtra plus ou moins de la circulation après avoir été le héros des « Parapluies de Cherbourg ». Un mot sur Michel. Becker a voulu un pro pour le rôle, qui est celui d’un Judas de pénitencier. Michel est pour moi celui du casting qui s’en sort le plus mal, s’entêtant dans des postures détachées et cette diction lente et prétentieuse caractéristique de la Nouvelle Vague. A tel point que Michel Constantin, pas exactement le De Niro de sa génération, qui a enchaîné par la suite avec une constance de métronome mauvaises prestations dans de mauvais films, est beaucoup plus convaincant en dur désabusé et sentimental (il choisit de ne pas s’évader pour ne pas faire de peine à sa mère). Celui qui crève l’écran, c’est Jean Kéraudy (Roland dans le film) qui joue le rôle de Giovanni, et qui a un sacré background dans les prisons (de multiples incarcérations, dix tentatives d’évasion, dont six réussies), tête pensante et véritable McGyver de la cavale …
Le Club des Cinq en prison ...
L’intrigue du « Trou » est on ne peut plus simple : quatre types en attente de jugement (et même s’ils se montrent peu loquaces, certainement pas pour des bricoles) se voient adjoindre dans leur cellule un jeunot embastillé après une dispute amoureuse qui a fini par une blessure au fusil de chasse. Les quatre ont déjà le projet de s’évader, ils mettent rapidement le nouveau venu dans le coup, et dès lors, solidairement, vont chacun accomplir leur part de travail pour s’évader ensemble. En creusant des  trous, d’abord dans le plancher de leur cellule, ensuite dans les égouts de la prison.
Autrement dit, on est pas dans les effets spéciaux à la James Cameron. L’essentiel du film nous montre des types cogner avec des outils de fortune sur des murs de béton. Du « vrai » béton, même s’il semble beaucoup plus friable (les accessoiristes ont fait de nombreux essais de dosage pour que le film reste crédible pour les maçons du dimanche). Par contre, pour le reste, y’a du vrai et du faux. La cellule et la prison de la Santé ont été reconstituées en studio, les souterrains sont vrais (ceux du fort d’Ivry, mais pas ceux de la Santé) et le système d’égouts a été lui aussi reconstitué en studio.
Tout est bien qui finit mal ...
Mais là où « Le Trou » dépasse le cadre étriqué du simple film de cavale, c’est qu’entre les coups de barre à mine « faites maison », les dialogues (pas trop, le genre de personnages mis en scène est à ranger dans le camp des taiseux), et plus encore les attitudes et le non-dit dépeignent un monde (le milieu carcéral, ses « arrangements », ses codes, ses combines) dans lequel l’instinctif ou à l’inverse, le rapport de force psychologique comptent plus que le simple rapport de force physique…
La version initiale de Becker faisait 2 heures 20, soit un quart d’heure de plus que la version exploitée en salles et la seule connue à ce jour. Sorti dans les premières semaines de 1960, ce film est parfois rattaché à l’œuvre de la Nouvelle Vague. Même s’il admirait ces nouveaux réalisateurs (« ils font de bons films sans argent » disait-il en substance), Becker n’a par son passé que peu à voir avec eux. Un peu beaucoup à part dans sa filmographie, « Le Trou » est ce qui dans son œuvre se rapproche le plus de la Nouvelle Vague (même si Becker l’envisage lui comme une sorte de remake de « La Grande Illusion » en version dépouillée).
Un contemporain de Becker, Melville, lui aussi plus ou moins en marge de la Nouvelle Vague, décrètera que « Le trou » est le plus beau film français …

« Le Trou », c’est de la balle …