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SAM RAIMI - SPIDER-MAN (2002)

Spider-Man, appelé à régner (sur le box-office)
« Spider-Man » premier du nom est le genre de film dont on sait avant même sa sortie qu’il va avoir un succès considérable. En tout cas au moins aux Etats-Unis (mais le reste du monde a suivi, 500 millions de dollars de bénefs). Parce que derrière le film il y a une culture, une science du marketing bien rodée, et des sommes faramineuses investies par des majors du cinéma.
Maguire, Raimi & Dunst
La culture, c’est celle des Etats-Unis. Un peuple sans Histoire (moins de 250 ans), donc sans trop de héros réels, et qui en a inventé d’imaginaires. Et tant qu’à faire, comme l’immodeste pays ne fait pas dans la demi-mesure, tant qu’à avoir des héros, autant que ce soit de super-héros. Usine à fabriquer les super-héros, la maison d’édition de comics Marvel, avec à son catalogue tous ces Hulk, Captain America, Iron Man, Wolverine, les X-Men, le Surfeur d’Argent, et tant d’autres. Perle du catalogue, Spider-Man, dont les première planches sont parues en 1963. Personnage créé par le scénariste Stan Lee et le dessinateur Steve Ditko (Lee scénarisera pendant des années, de nombreux dessinateurs se relaieront pour des parutions mensuelles encore en cours me semble t-il). Les aventures de Spider-Man, entre science-fiction et heroic fantasy avec scénarii et rebondissements abracadabrants, c’est pas du tout ma cup of tee, d’autant plus que se révèlent en filigrane toute la déplaisante idéologie respectable et les « saines valeurs » d’une Amérique triomphante, forcément triomphante.  
Peter Parker / Spider-Man
Spider-Man fait partie de la culture américaine, et faire un film de ses aventures était dans l’air du temps depuis des décennies (deux essais guère convaincants qui tiennent plus du téléfilm que du cinéma dans les années 70). Par définition, Spider-Man se doit d’être un film spectaculaire, à grand renfort d’effets spéciaux. La Columbia, associée à Stan Lee, y travaille depuis le début des années 80. L’avancée technologique en matière d’images numériques rendra le film envisageable au début des années 2000. Les billets verts sont engloutis sans compter, pour le film lui même et tous ses à-côtés (promotion, contrats de sponsoring, campagnes de pub, objets dérivés, …). Le budget de l’opération « Spider-Man - The Movie » dépasse très largement les 100 millions de dollars. De quoi en foutre plein la vue …
« Spider-Man » la BD est une saga interminable, peuplée de personnages remplis de super-pouvoirs, qui évoluent au fil des ans, sont amis puis ennemis, meurent et renaissent dans un embrouillamini total, enfin tout le tremblement habituel de ce genre de sornettes dessinées. La première étape a consisté à isoler des personnages et une « histoire » cohérente (entendez compréhensible par un gosse de douze ans gavé de comics, de burgers et de pop-corn). On a donc les origines du super-héros (le puceau timide Peter Parker qui se fait piquer par une araignée radioactive et devient Spider-Man), sa « fiancée » Mary Jane Watson, et bien sûr son faire valoir maléfique le Bouffon Vert (Green Goblin en V.O.) … Plus quelques personnages récurrents de la série.
Rencontrer la belle Mary Jane, il en est tout retourné Spider-Man ...
La caméra est confiée à Sam Raimi, soi-disant fan de Spider-Man depuis tout enfant. Un Sam Raimi qui met avec ce film un terme à sa carrière de réalisateur de séries B horrifiques loufoco-gores (la série des « Evil dead ») pour intégrer le cercle restreint des gens à qui l’on ne confie plus que des projets colossaux en terme de budget (il réalisera également les deux épisodes suivants de la saga Spider-Man, avec des budgets exponentiels). Tobey Maguire est Peter Parker / Spider-Man, il est depuis longtemps dans le métier, mais c’est le premier grand rôle qu’on lui confie. Idem pour sa douce et parfois tendre Mary Jane Watson, jouée par Kirsten Dunst. Mais celui qui survole la distribution, seule vraie « star » du casting au départ, c’est Willem Dafoe pour son double rôle Norman Osborn / Bouffon Vert. Les acteurs, surtout Dafoe, ont assuré eux-mêmes la plupart des scènes d’action, bagarres et cascades, les doublages physiques ou numériques étant peu nombreux (par exemple, la scène où Parker rattrape tous les plats à la cantine n’est pas truquée, elle a nécessité des dizaines de prises). Par contre, les effets numériques sont omniprésents dans les décors (un New York retouché, Times Square numérisé lors de la première confrontation Spider-Man / Bouffon Vert, et évidemment, toutes les ballades aériennes de Spider-Man). D’où l’importance de la coopération entre Raimi et le responsable des effets spéciaux John Dysktra.
La « patte » de Raimi tel que le connaissaient les fans de « Evil dead » est quasi-invisible. Tout au plus faut-il noter un de ses plans typiques (le bras du Bouffon qui sort lentement des décombres façon zombie lors de la baston finale), et la présence au casting de quelques-uns de ses acteurs attitrés, le plus en vue étant logiquement Bruce Campbell en présentateur de combats de catch. On sent derrière ce « Spider-Man » toute la pression et la force de la Columbia-Sony et un cahier des charges extra-cinématographique tellement colossal qu’il éclipse toute velléité d’originalité. Raimi a le budget, certes, mais est entouré d’une pléiade de producteurs (tout court, exécutifs, …). On est prié de rester sérieux avec les millions de dollars.
Le résultat est visuellement remarquable, sans que le film, avec son scénario et ses rebondissements cousus de fil blanc, soit réellement intéressant et encore moins captivant. Ce qui n’empêche pas quelques jolis plans (le baiser « à l’envers » entre Spider-Man et Mary Jane), quelques scènes bien vues (notamment celle du dialogue devant le miroir entre Dafoe/Osborn et son double maléfique).
Miroir, dis-moi qui est le plus méchant ...
Plus gênants sont quelques postulats véhiculés par le film. Passe pour le côté positif, le Bien qui triomphe du Mal, c’est assez commun. Mais si Spider-Man est conçu comme une vitrine, c’est aussi une allégorie de la « bonne » Amérique qui triomphe des méchants, et à ce titre, un des derniers plans du film qui montre Spider-Man accroché à la hampe d’un gigantesque drapeau américain a de quoi laisser perplexe sur le côté cocardier et subliminal de cette affaire. La morale du film et le credo de Spider-Man, qui revient plusieurs fois genre mantra c’est la saine maxime : « avoir un grand pouvoir donne de grandes responsabilités ». Tu parles Charles, suffit de donner du pouvoir à un type pour qu’il se foute royalement de ceux qui le lui ont donné … Il est aussi assez édifiant d’entendre (fugacement, ils s’étendent pas trop sur le sujet) les responsables des effets spéciaux évoquer la retouche numérique de toutes les marques des objets anodins utilisés pour les besoins évidents du film (les boîtes de céréales, les canettes, les paquets de clopes, les affiches, les écrans publicitaires sur les immeubles) dans le but de remplacer la marque d’origine par celle des sponsors ayant amené leurs dollars au projet. Rien n’est neutre, laissé au hasard, tous ont payé pour être visibles à l’écran. Business is business …
Les produits dérivés du film ont évidemment été déclinés à l’infini, même si la plupart existaient de longue date. Il en va de même pour les supports physiques du film, les Dvd, Blu-ray sont cesse réédités sous de nouvelles formes vendues à chaque fois comme « définitives » (même s’il manque encore la director’s cut et la version 3D). Je me suis enquillé (d’occase, 1,5 euro plus frais de port, tout se brade, crise quand tu nous tiens …) une édition « collector » double Dvd avec des heures de bonus plus ou moins intéressants (et plutôt moins que plus d’ailleurs). J’y ai appris deux choses. La première, c’est qu’il n’y a rien de plus pénible qu’un film commenté par les types qui ont fait les effets spéciaux, jamais ils parlent de la scène en cours, ils anticipent celle d’après ou reviennent interminablement sur celle d’avant. La seconde concerne Kirsten Dunst. Si elle est rousse dans le film, c’est en fait une vraie blonde. Elle le démontre avec ses commentaires audio du film (en direct live semble t-il) qui sont d’une banalité, voire d’une bêtise affligeantes. Par contre, dans les exercices imposés des interviews de service après-vente où là elle semble réciter de conventionnelles leçons bien apprises, elle est un peu plus à son avantage … Fuck Mary Jane … quoi, faut faire gaffe à Spider-Man ? Pff, même pas peur …



PRIMAL SCREAM - XTRMNTR (2000)

La synthèse ...
Comme celle qui permet de fabriquer des poudres blanches … ou comme la conclusion d’une réflexion, d’un travail. Toxicos, les Primal Scream le sont, et pas qu’un peu dans les nineties. Enfin, Bobby Gillepsie, tant on peut quasiment résumer Primal Scream à sa seule personne. Aventuriers sonores, Primal Scream le fut aussi durant cette décennie. Qu’ils avaient quasiment inaugurée avec « Screamadelica », leur disque qui est rentré dans les livres d’histoire, et auquel on les réduit souvent, tant son succès et son impact ont marqué l’époque.
Perso, je lui reconnais toutes les qualités qu’on lui prête, mais je trouve qu’il vieillit mal (ou vite, ce qui revient au même), comme tous ces disques à la pointe de la tendance lors de leur parution et donc forcément démodés plus tard. En tout cas, ce cocktail de classic rock et de dance music est resté le fil conducteur de Primal Scream durant toute la décennie (après j’en sais rien, j’ai un peu laissé tomber). En gros, des disques qui tentaient de refaire le coup de « Screamadelica », avec plus ou moins de bonheur.
Bobby Gillepsie
Jusqu’à ce « XTRMNTR » (pour Exterminator, au cas où un fan de Maé passerait par là). Autant jouer cartes sur table, « XTRMNTR », je le trouve meilleur que « Screamadelica ». Parce que là, on parle plus de voisinage, de juxtaposition, de cohabitation de genres, c’est vraiment du mélange, de la fusion. Et pas seulement d’obsessions pour les Rolling Stones et les premières rave-parties. Ici, toutes les idoles du classic rock de Gillepsie remontent à la surface, les derniers sons electro-techno-dance-machin aussi, mais aussi des sonorités jusque là peu rencontrées chez Primal Scream.
Alors oui, on croise sur « XTRMNTR » le punk à tendance stoogienne, le Velvet, du free jazz, du krautrock, et plus encore, tout ça passé à la moulinette big beat, le son « électronique » du moment. Et là, Primal Scream déborde et enfonce les Prodigy et autres Chemical Brothers. Pour une raison toute simple, c’est que Gillepsie, du rock il en a fait pendant dix ans au début de sa carrière, et pas en version fleur bleue (il fut rappelons-le, le mauvais batteur des débuts des Jesus & Mary Chain, pas vraiment des tendres, à quelque niveau qu’on envisage le groupe des frangins Reid). Les bigbeateux, ils ont fait que sampler des grosses guitares hardos et déliré là-dessus.
Et « XTRMNTR », ça déchire sa race. Rien que les titres placent la barre très haut, « Kill all hippies » ou « Swastika eyes », ça a de la gueule, au moins autant qu’un douteux « Smack my bitch up ». Gillepsie et son inamovible lieutenant Innes ont réuni du beau monde, les Chemical Bros sont venus faire un remix, Kevin Shields a participé à un hommage à son groupe My Bloody Valentine, Sumner de New Order traîne sur un titre, et des remerciements sont adressés à Jaki Liebezeit, le fantastique batteur de Can et Liam Howlett, figure de proue de Prodigy.
Primal Scream live 2000
Ça démarre par un extrait de film, ensuite arrivent une guitare filtrée, une batterie très Liebezeit-style, se met en place un gros groove robotique, s’installent les gimmicks de synthé, et c’est parti pour « Kill all hippies ». « Accelerator » qui suit porte bien son nom, on monte dans les tours, « Exterminator » est une tuerie, rouleau compresseur sonore bâti sur une rythmique grondante et des guitares dissonantes. « Swastika eyes », petit succès en single, c’est à la base de l’electro-pop des 80’s, mais comme remixée par un savant fou genre Trent Reznor, ça tourbillonne de partout à en donner le vertige.
Le cœur du disque est plus calme, plus apaisé. D’une façon toute relative. Des chants grégoriens introduisent « Pills », puis il y a des scratches de vinyles sur lesquels Gillepsie ( ? ) vient rapper, au milieu d’arrangements tournoyants. Etrange mais pas forcément captivant. Un énorme grondement de basse à la Entwistle (des Who, pour le fan de Maé s’il est toujours là) lance l’instrumental « Blood money » dans lequel s’entrechoquent synthés cristallins, ambiance jazz, solo de batterie, pour un résultat qui sonne comme du jazz-rock sous acide. « Insect royalty » est un peu son pendant en version psyché barrée, comme si Zappa (quand c’est étrange, on cite toujours Zappa) avait gobé de l’ecstasy. Entre les deux, une magnifique ballade perverse « Keep your dreams », très Velvet Underground (les clochettes de « Sunday morning », les intonations à la Nico).
Retour au boucan pour le final. Un hommage à My Bloody Valentine, « MBV Arkestra (If they move, kill ‘em) », dans lequel le fan de « Loveless » risque fort de ne pas retrouver ses repères, il y a juste ces sonorités « liquides » typiques de la bande à Kevin Shields mais noyées si l’on peut dire dans des vapeurs de krautrock et de free-jazz, avant que tout ça s’encastre dans un mur dissonant. Le remix de « Swastika eyes » par les Chemical Brothers est peut-être le seul morceau sans réelle originalité, ça bastonne comme sur les morceaux énervés de « Surrender ». « XTRMNTR » s’achève par une tuerie (le bien nommé « Shoot speed / Kill light », c’est mixé à un volume beaucoup plus fort que tout le reste, ça envoie la purée, c’est répétitif, bête et méchant, donc excellent.
« XTRMNTR » marque à sa façon la fin d’une décennie, d’un siècle, d’un monde. Désormais, tout pouvait changer, être comme avant mais en pire …Pour moi le disque qui est en même temps le plus original et le plus abouti de Primal Scream …

NORAH JONES - COME AWAY WITH ME (2002)

Non merci, je reste là ...
D’entrée la question essentielle, fondamentale, cruciale, la Mère des questions : qu’en serait-il advenu de ce disque si Norah Jones avait été le sosie d’Arlette Chabot ? Et venez pas me dire que c’est un argument déloyal, qu’elle l’a pas joué string en avant comme la première Lady Fada venue … parce que moi, des trucs aussi BCBG que Norah, je trouve ça suspect. Ça pue l’arnaque, tout ce bazar, le plan marketing genre Alanus Mauricette ou Lana de La Raie, la beauté centriste qui se pointe avec ses rengaines molles de l’entrecuisse et qui vend des camions de disques à tous ceux qui n’en achètent qu’un par an …
Va falloir agrandir la cheminée, Norah ...
Y’a tout pour donner envie aux lectrices du Figaro Madame d’investir dans le Cd. Une fille de (en l’occurrence Ravi Shankar, curiosité exotique et dispensable du festival de Woodstock), délaissée par papa, signée par un prestigieux label de jazz (Blue Note), pour un disque produit par une grabataire légende (Arif Mardin) de la musique soul des sixties … Pour un résultat donnant lieu à des comparaisons aussi déplacées que malhonnêtes avec les figures tutélaires du jazz vocal féminin (les bios de Billie Holiday ou Nina Simone, c’est du Zola trash à côté des petits bobos de l’existence de la Norah) …
Tiens, et à propos de bobos, ce doit être la musique qu’ils aiment passer. Mais pas écouter. On ne peut pas écouter, y’a rien à écouter. Un murmure jazzy de vernissage dans un bar branchouille, des chansons infiniment lisses, sans aspérités. Je veux dire, faut quand même forcer pour arriver à faire de « Cold cold heart », l’assez sombre classique country de Hank Williams, cette purge murmurée que la Jones nous livre sur « Come away with me ». Elle chante bien, la Jones ? Oui, certes, elle chante juste. D’une façon encore plus glaciale que Sade dans les 80’s, la Nigériane s’appuyant elle sur des chansons quand même plus sexy. Il n’y a qu’un seul titre (« Turn me on ») sur lequel Norah Jones donne l’impression d’exister, de vibrer pour ce qu’elle chante. Le reste n’est qu’un mignon exercice de style.
Ça assure musicalement ? Même pas, et malgré la présence au générique de colifichets attrape-nigauds (le déjà cité Mardin, ou le virtuose de la guitare jazz Bill Frisell), ça mouline un soft jazz de piano-bar totalement calibré, formaté, batterie balayée, contrebasse feignasse, inoffensif et insipide au possible… Quatorze titres sur le même invariable tempo traînard dans lequel le seul « Feelin’ the same way » fait figure de sarabande endiablée tellement les autres sont soporifiques…
Vingt millions de copies vendues, dont deux millions en France … no comment …

JACK MEATBEAT & THE UNDERGROUND SOCIETY - BACK FROM WORLD WAR III (2001)

L'Apocalypse ...

On ne sait pas qui avait commencé. Lequel dans son bunker avait validé le premier l’algorithme de mise à feu des missiles. Tous l’avaient suivi. Guerre nucléaire totale…
Et contrairement aux prévisions, ce ne furent pas les scarabées, les rats ou les scorpions qui survécurent. Non, juste des chevelus en train d’écouter les Stooges au moment du Big Bang terminal. Juste une poignée de types. Des Finlandais, la plupart faisant autrefois partie d’un groupe nommé Flaming Sideburns. Et aussi un Argentin bizarre. Au doux surnom de Speedo Martinez.
C’est lui qui retrouvera les Finlandais, calfeutrés dans un studio d’enregistrement. Et qui leur dit que puisqu’ils avaient survécu en écoutant les Stooges, peut-être la vie renaîtrait-elle si on jouait du rock’n’roll. Comme les Stooges, évidemment … Tous ensemble, ils prendraient le nom de code et de guerre de Jack Meatbeat & the Underground Society.

Il fallait faire vite, les générateurs menaçaient de lâcher définitivement… Moins d’une heure d’autonomie. Ça suffirait… on ferait ça sous forme de jam, on enchaînerait tous les titres …
Et on commencerait par une courte incantation en espagnol sur un fond de free-jazz. Et puis on continuerait par un blues mutant, menaçant, très lent, avec plein d’orgue Hammond (« Back in the Delta ») parce que le blues, y’avait de quoi l’avoir devant la folie des hommes et que le Delta, c’est là dans le Mississippi que tout avait commencé. Mais bon, le seul truc capable de faire tenir, de faire oublier tout ce bazar, d’espérer en une régénération, c’était du rock métallique et violent. Y’avait qu’à faire un shoot électrique et meurtrier (« Stay and dance »), d’ailleurs y’avait un gratteux au surnom prédestiné, il se faisait appeler Sky Williamson, et à temps perdu, mais il y en avait plus beaucoup à perdre, il se prenait pour Hendrix (à moins que ce soit l’autre guitariste, Mr. Hellstone),  les titres étaient pleins de ces notes sales, distordues, cosmiques, si caractéristiques du Voodoo Chile.
De toutes façons, y’avait pas le choix, fallait jouer, compact, dru, méchant, dresser des murs de larsens et de feedback, parce que là, dehors, quelques silhouettes, qui avaient peut-être été des hommes avant, rendus aveugles et brûlés par les radiations, traînaient près du studio, et menaçaient de contaminer les survivants (« We are the zombies »). L’électricité n’allait pas tarder à manquer, les bécanes d’enregistrement recrachaient des bruits bizarres au gré des micro-coupures, y’avait tout un bourdonnement, tout un parasitage, des interférences à rendre jaloux Ministry, Trent Reznor et Marylin Manson s’ils avaient encore été de ce monde (« Cosmic power », comme une jam entre les Stooges et le MC5 en 1970). Le matos déconnait de plus en plus, « Granada smokin’ gypsy », on aurait un Cd d’Aphex Twin passé à l’envers, avec l’Argentin qui venait se lamenter sur le Mur des larsens …
Tout manquait, les meufs, l’alcool, la came … ils en étaient réduits à invoquer le nom d’un narco colombien (« Hotel Escobar »), dans une complainte de junkie en manque, sale et dangereuse comme une aiguille rouillée avec laquelle on va se faire un shoot. Et puis, avant que la vision devienne mirage (« Sun eclipse 1999 »), un dernier hommage au Maître Iggy et à sa bande (« Magnetic KO ») allusion transparente à un live semi-officiel (« Metallic KO »).
Le compresseur du studio rendait l’âme, la fourniture d’électricité devenait de plus en plus aléatoire, il y avait sur les bandes des échos stéréo bizarres, on avait l’impression qu’un type tapait le blues pendaient que les autres jouaient du métal indus (« Space mountain blues ») … Bon, là, ça y est, c’est la fin, la lumière clignote, l’oxygène se fait rare, y’en a qui bougent plus, peut-être qu’eux aussi ils sont morts, alors les derniers valides balancent un rock’n’roll ultime avant la fin (« Jack’s ink gone red »).
L’espace-temps était en pleine déconnade, Speedo Martinez, dernier encore en vie, vient de s’apercevoir que ça a pris trois ans pour enregistrer ces treize titres, mais de toutes façons on s’en fout, le jour où quelqu’un écoutera cette musique, Jack Meatbeat lui aussi sera mort depuis au moins deux ans …
Voilà, c’était quelque part près du cercle polaire, c’était la fin de la fin du monde, et l’orchestre jouait du rock’n’roll …

QUENTIN TARANTINO - INGLOURIOUS BASTERDS (2009)

Drôle de drame ...
Un des films les plus controversés, sinon le film le plus controversé de Tarantino…et un de ses meilleurs.
Le bon peuple cinéphile et érudit (les ceusses qui regardent le film du dimanche soir sur TF1 et Questions pour un champion) s’est offusqué devant pareille chose. Pour qui se prenait-il ce jeune gommeux américain de Tarantino, à bafouer l’Histoire majuscule, celle qui est dans les livres ? A nous montrer tonton Adolph criblé de balles en 44 dans un cinéma en feu parisien ? Et criblé de balles par, en plus, un commando de juifs américains plus sauvage que les hordes d’Attila et de Gengis Khan réunies, ayant auparavant dézingué et scalpé du soldat nazi à profusion dans des geysers d’hémoglobine ? 
Eli Roth & Brad Pitt
Bon, les constipés, ce que vous avez vu c’est un film. Pas les archives de l’INA des émissions d’André Castelot. Ça vous est pas venu à l’esprit que le cinéma c’était fait pour raconter des histoires, faire rêver, passer du bon temps ? Et que ça n’a pas à être vrai, véridique ou vraisemblable. Vous avez été troublés de voir les flots de la Mer Rouge s’ouvrir devant Moïse dans « Les Dix Commandements », et ensuite se refermer pour engloutir l’armée égyptienne ? Vous croyez que tout dans « Spartacus », « Ben Hur », ou le « Napoléon » d’Abel Gance est rigoureusement exact ? Et vous croyez que dans les années 40 en France, c’était comme dans « La grande vadrouille » ou « On a retrouvé la septième compagnie » ?
En plus, j’ai l’impression que vous tombez mal avec Tarantino. Parce qu’il a bossé comme un forcené sur son scénario, et qu’il prouve dans les bonus du BluRay que l’histoire – la vraie – de la Seconde Guerre Mondiale, il la connaît aussi, beaucoup plus que ce que vous croyez …
« Inglourious basterds », c’est une comédie. Noire, sordide, macabre, de mauvais goût, si vous voulez. Mais une fuckin’ géniale comédie, pleine de clin d’œils, d’allusions, … et de non-dits, même si ça jacasse encore plus vite que les rafales de mitraillette. Un film de fan (plus encore que tous ceux de la Nouvelle Vague, Tarantino est avant d’être un réalisateur un dingue de cinéma). Et puis, quand les répliques deviennent plus posées, on a de grands moments de cinéma. Avec trois scènes de bien vingt minutes, celle de la ferme qui débute le film, celle du restaurant, et celle de la taverne (et encore ces deux dernières ont été raccourcies au montage). Des sommets de suspense, avec une tension qui n’achève jamais de monter. On sent que ça va mal finir, c’est inéluctable, et dans la ferme ça finit effectivement très mal. On s’attend donc au pire au restaurant, et … surprise, ça se « passe » bien. Du coup, dans la taverne, on ne sait plus à quoi s’attendre, et là, on va en avoir pour notre argent … Clouzot ou Hitchcock, et encore plus Leone (tant les références à son cinéma sont nombreuses, de la lenteur des scènes-clés à la musique de Morricone, très présente dans la B.O.) auraient approuvé, Fincher devra se surpasser …
Christoph Waltz
« Inglourious basterds », au moins autant qu’un film d’action sur la guerre (le premier du genre de Tarantino) est un film sur le cinéma. Et là bizarrement, on a pas lu trop de grincheux surenchérir sur l’exposé du cinéma d’époque, surtout allemand, les liens que certains acteurs ou réalisateurs ont eu (ou pas) avec le régime nazi, le cinéma de propagande de l’époque. Le film c’est pas toujours de l’uchronie, là c’est la leçon du fan et du connaisseur. Et je suis prêt à parier que l’œuvre de Leni Riefenstahl n’a pas de secrets pour Tarantino. Le film dans le film (« La fierté de la Nation ») est un petit bijou (réalisé non par Tarantino, mais par Eli Roth, celui qui joue dans le film Donowitz, le « bâtard » à la batte de base-ball). Coupé aux deux-tiers au montage, il pastiche les films de Goebbels, ceux de la propagande stalinienne, et même avec un landau sur une place mitraillée le « Cuirassé Potemkine ») Et comme le film est un fake, on a droit dans les bonus à un génial fake de making-off. Clairement, « Inglourious basterds » est un film sur le cinéma. Une bonne part de l’histoire se passe dans un cinéma et y trouve en partie son épilogue. L’agent double allemand (un des meilleurs rôles de Diane Kruger) est une actrice allemande, le commando des Bâtards s’infiltre dans le cinéma en se faisant passer pour équipe technique et un réalisateur italien, …
Diane Kruger & Michael Fassbender
Et là, dans cette Tour de Babel des nationalités présentes à l’écran, réside une autre trouvaille assez formidable de Tarantino. On passe sans arrêt d’une langue à l’autre, et évidemment, les polyglottes finissent par paraître tenir les atouts maîtres de l’action. Et le personnage central du film, à peu près le seul lien entre des histoires dans l’histoire menées en parallèle, est le formidable acteur allemand Christoph Waltz. Qui incarne le colonel nazi Landa surnommé le « chasseur de Juifs », raffiné, sadique, machiavélique et cruel, qui jongle entre allemand, anglais, français et italien, tout en assurant un jeu plein d’acteur, tout en regards, poses, mimiques, et gestes d’une justesse absolue. Quasiment inconnu, c’est lui l’acteur de premier plan du film. Il éclipse à mon avis un Brad Pitt pourtant concerné et intéressant en leader du commando juif. C’est pourtant Pitt qui est en avant sur toute la promo du film (les affiches notamment), à la tête d’un casting international très fourni en second rôles. Et ce sont ces seconds rôles qui font toute la richesse du film, sans obscurcir l’intrigue. Dans les bonus, Pitt et Tarantino (interview plus souvent en roue libre que réellement intéressante) ne tarissent pas d’éloges sur un autre quasi inconnu qui ne va pas le rester (Michael Fassbender, dans le rôle d’un officier anglais qui rejoint les Bâtards). Mais on trouve également dans la distribution Myke Miers, pote de déjante de Tarantino, et toujours au rayon hommage (hommage et vengeance sont les deux moteurs du cinéma tarantinien), la participation de Bo Svenson et Enzo Castellari, respectivement acteur principal et réalisateur d’un nanar italien de série Z (y’a Michel Constantin qui y joue, c’est dire …) dont s’est inspiré Tarantino (en fait d’une seule scène) pour le scénario de « Inglourious … ». Anecdote : Castellari a fait cadeau de ses droits à Tarantino à la condition d’avoir une réplique dans le film, c’est lui l’officier nazi au premier rang du cinéma qui crie « Au feu ! » quand l’écran s’embrase …
En fait, la seule dans ce casting qui me semble un peu en dedans, c’est Mélanie Laurent (Soshana, jeune juive dont la famille a été massacrée par Landa et ses hommes). Même si elle incarne la vengeance implacable, quasi rituelle (la scène  du maquillage en forme de peinture de guerre indienne, avec en fond sonore le « Cat people (Putting out fire) » de Bowie et Moroder), on a l’impression qu’elle ne « s’amuse » pas sur ce film, alors que tous les autres semblent s’en donner à cœur-joie …
Mélanie Laurent
« Inglourious basterds » est un film qui fourmille de détails qui eux-mêmes peuvent renvoyer à d’autres thématiques. L’une d’entre elles, qui revient comme un fil rouge subliminal a trait aux Indiens d’Amérique  (Raine – Brad Pitt a un peu de sang indien, le rituel du scalp des Bâtards, le maquillage de Mélanie Laurent, une carte à deviner dans une scène coupée de la taverne porte le nom d’un chef Indien). D’autres détails des personnages restent sans réponse : pourquoi la cicatrice autour du cou de Raine ? Pourquoi à tout prix identifier par des flèches et des incrustations à l’écran les hauts dignitaires nazis dans le cinéma alors qu’à ce moment on est en totale fiction historique?
« Inglourious basterds » (l’orthographe bizarre du titre vient de l’accent en V.O. de Pitt, mais aussi pour éviter la confusion avec le film italien de Castellari, sorti aux States sous le nom de « Inglorious bastards ») fait pour moi partie du quarté majeur de Tarantino avec « Reservoir dogs », « Pulp fiction » et le Volume I de « Kill Bill ».
Un film à visionner obligatoirement en V.O. sous-titrée pour prendre la mesure de tout le jeu de langage des acteurs. Il existe un coffret métal à prix dérisoire contenant le film en BluRay et en Dvd, ainsi que le Dvd du film italien de Castellari. Qualité du BluRay excellente, mais bonus de l’ensemble un peu chiches …


Du même sur ce blog :
Kill Bill Vol. 2




WRAYGUNN - ECCLESIASTES 1.11 (2005)

Et Dieu, dans tout ça ?

Où il va être question de blues et musiques assimilées… Question préliminaire : qu’y a t-il de plus chiant qu’un disque de blues récent ? Et le premier qui me dit un vieux disque de blues, il s’en ramasse une … Bon, je reformule : qu’est-ce qui est plus chiant qu’un disque de Joe Bonamachin, de Robert Cray, de Clapton depuis trente ans, de Stevie Ray Vaughan, et de tous leurs semblables ? Ben rien, cette bande de pénibles se contentant de remettre à la sauce électrique avec des budgets colossaux ce que des types pauvres comme Job avaient fait mieux qu’eux en deux temps trois mouvements et leur vieille gratte pourrie il y a des décennies. Et qu’on me dise pas que le blues c’est bien parce que c’est toujours pareil, un genre qui n’évolue pas est un genre mort …

Et qu’est-ce qu’il faut pour faire évoluer le blues ? Revenir aux sources, aux origines, laisser de côté toute la putain fuckin’ technique à la noix, mettre toute son âme (la soul dit-on dans une autre langue) dans la bataille, et ne pas avoir comme objectif de faire un duo avec BB King au Royal Albert Hall devant des bourgeois qui auront raqué cinq cent livres leur strapontin …
Et le type dont au sujet duquel il va être question, il a fait le meilleur disque de blues depuis … Hendrix, au hasard. Donc, le gars il s’appelle Paulo Furtado pour l’état-civil, il est Portugais, son nom de scène quand il est tout seul, c’est Legendary Tiger Man, et son groupe c’est Wraygunn, on  y arrive … Et pourquoi il a tout bon dès le départ ? Parce qu’il est allé dans sa démarche encore plus loin que le blues, il est remonté jusqu’aux églises où l’on chantait du gospel, des spirituals, il a du au moins dans ses rêves se retrouver au fameux crossroad et là, il a pas choisi entre Dieu et le Diable, il a pris les deux. Parce qu’il a bien compris qu’il y a quelque chose de diabolique dans le blues, mais qu’à la base, tous les vieux bluesmen sortent des églises. Et Furtado a recruté une bande de caralhos dans son Portugal, pays cousin des très dévotes Espagne et Italie. Des gars et une fille qui aiment peut-être Muddy Waters, mais surtout faire bouger les lignes. Et dans cette troupe, il y a … éloignez les enfants et les fans de Canned Heat ou John Mayall… un type aux synthés, scratches, platines et bruitages divers … un DJ quoi … et croyez-moi, on l’entend … Et les cinq autres, dont deux batteurs (et non, on ne dit pas comme les foutus frangins Allman, ou je vais de nouveau me fâcher), ils lâchent les chevaux, envoient le bois…
La pochette dit tout, et plus encore … on y voit Furtado prendre la pose du Christ du Corcovado, mais au lieu de surplomber Rio, il est au milieu d’une décharge publique. Et là, sous nos oreilles ébahies, ce métèque et sa bande de va-nu-pieds vont pendant trois quarts d’heure détruire, reconstruire et finalement réinventer le blues. En réinjectant dans les douze mesures les chants des églises noires d’Amérique, la soul, le rhythm’n’blues, l’électro. … avec les bouffées de violence qui renvoient le pauvre Jon Spencer à ses chères études, avec ce côté prêcheur fou sous substances partagé entre démons et rédemption que n’a fait qu’effleurer un Nick Cave. Wraygunn est toujours partagé entre appels au sexe et à la prière, c’est le mariage du mystique et du pornocrate.

On est d’entrée au cœur du sujet. « Soul city » le premier titre commence par une incantation de prêcheur habité (Martin Luther King ?), qui se transforme brutalement en un rhythm’n’soul qui arrache tout. « Drunk or stoned » qui suit est un rock’n’roll crade, moîte, sexuel, avec un super gimmick de synthés. Le troisième titre (« Keep on prayin’ ») finit de planter le décor, rhythm’n’blues torride avec ses handclaps et l’apparition pour un duo avec Furtado de la voix féminine du groupe, la troublante Raquel Ralha. Un quart du disque et les bases sont posées. Le son est unique, tentaculaire, gavé d’effets électroniques, de distorsions, de filtres, comme si Trent Reznor avait remixé Howlin’ Wolf. Le phrasé peut se rapprocher du rap (« How long, how long ? »), peut devenir syncopé et dangereux comme celui d’Alan Vega (« Sometimes I miss you »), les guitares peuvent empiler des cocottes funky (« She’s a speed freak », le meilleur titre que les Red Hot Machin ont oublié d’écrire), le boogie (« All night long ») être aussi puissant que ceux de ZZ Top dans les 70’s, l’hommage aux Stones (« Hip », démarquage du « Shake your hips » de Slim Harpo, déjà entendu sur le « Exile … » des Cailloux) est plein de cette déglingue obligatoire de l’exercice …
« Ecclesiastes 1.11 » apporte la preuve que l’on peut faire du neuf avec du très vieux. Suffit d’avoir de l’imagination et de ne rien respecter. Un disque exceptionnel passé évidemment inaperçu (ils ont beau être portugais, ils chantent – très correctement – en anglais et sont distribués par une major), et d’après le peu que je connais de Furtado et de son œuvre, très nettement au-dessus de ce qu’il a pu produire avant ou après …

ABDELLATIF KECHICHE - LA GRAINE ET LE MULET (2007)

Vous reprendrez bien un peu de couscous ?

Abdellatif Kechiche est un réalisateur remarquable, au sens étymologique du terme. Il a un style, tant pour la narration que pour la mise en images, et il semblerait qu'on s'en soit rendu compte dernièrement à Cannes. Kechiche est un type qui arrive à faire une fresque humaine, une épopée, avec trois fois rien. Des histoires simples de gens simples.
Même pas des histoires d’ailleurs. Dans « La graine et le mulet », on prend l’intrigue en route, et le film se termine alors que des pans entiers du scénario n’ont pas trouvé leur épilogue. Slimane va t-il réussir à le monter, son restaurant ? D’ailleurs, est-ce qu’il n’est pas en train de crever contre un mur de son quartier, le souffle coupé après avoir poursuivi les enfants qui lui ont piqué sa vieille mobylette ?
Kechiche, Herzi & Boufares
Tout ça parce que Kechiche est autant intéressé par les gens qu’il montre que par leur(s) histoire(s). La trame principale du film tient sur un timbre-poste. Un ouvrier immigré, la soixantaine, perd son boulot sur les quais de Sète. Il va se mettre en tête de transformer une épave de bateau en restaurant spécialisé dans le couscous (la « graine », pour la semoule) au poisson (le « mulet »). Kechiche filme l’intrigue chronologiquement, mais se concentre sur quelques très longues scènes, dans lesquelles les principaux protagonistes s’exposent (le repas de famille chez Souad, le premier repas au restaurant). Le talent de Kechiche est de livrer un rendu de documentaire, avec des mouvements apparemment confus de caméra (on dirait que c’est un des protagonistes qui filme avec un caméscope, c’est fait exprès, Kechiche sait tenir une caméra, voir « La Vénus Noire »), et de très gros plans sur les visages (c’est un régal de voir les sentiments qui passent par les regards et les non-dits). L’aspect documentaire vient aussi de la distribution, pas de têtes d’affiche, mais des habitués des films de Kechiche, et de nombreux acteurs non professionnels. Dont le « héros » Slimane, joué par un ouvrier du bâtiment (Habib Boufares, un ami du père décédé de Kechiche prévu à l’origine pour le rôle), ou la parfaite débutante pour l’occasion Hafsia Herzi (la fille de la compagne de Slimane dans le film). Il y a d’ailleurs une « famille » d’acteurs utilisés par Kechiche, qui peuvent avoir des rôles importants dans un film et des rôles mineurs dans un autre. Dans « La graine et le mulet », Sabrina Ouazani (la Frida de « L’esquive ») est une fille de Slimane, qui est peu à l’image, Carole Frank (la prof de français de « L’esquive ») apparaît très fugacement parmi les invités du repas sur le bateau, les deux jouent des personnages mineurs de l’intrigue. De même, on retrouvera dans « La Vénus Noire » pour de petits rôles trois actrices très présentes dans « La graine … » (celles qui jouent l’ancienne femme, Souad, et deux des filles de Slimane). Autres points communs dans la distribution des films de Kechiche, des « héros » peu loquaces (le jeune garçon de « L’esquive », la « Vénus Noire », ou ici Slimane), et des acteurs principaux dans un film absents des autres.
Repas de famille chez Souad
Kechiche, c’est un peu le cinéaste de la fiction « vraie ». A une époque, on a appelé ça du néoréalisme, plus tard du cinéma social. On a souvent cité à propos des films de Kechiche et de « La graine … » en particulier des réalisateurs comme Cassavetes (la descente dans l’intimité familiale) ou Ken Loach (l’engagement, le militantisme, …), et Kechiche a reconnu lui-même que le final du film (Slimane poursuivant les gosses) est un hommage au premier degré au « Voleur de bicyclette » de De Sica. Moi je rajouterais l’influence du cinéma nordique, certaines choses de Bergman (l’hystérie claustrophobe en moins, quoi que le pétage de plombs de la belle-fille cocufiée à la fin …), la façon de tourner très Dogme (Lars Von Trier des débuts et toute la clique), l’importance des deux repas longuement filmés m’évoque elle fortement « Festen » et « Le festin de Babette » deux classiques du cinéma danois. Kechiche n’a pourtant rien d’un Nordique, il est d’origine tunisienne, et « La graine … » est un film très méditerranéen. Parce qu’il se déroule à Sète (qui n’est certes pas la ville littorale la plus glamour, cité portuaire industrielle dévastée par les crises économiques à répétition, genre Le Havre ou Dunkerque, avec le soleil et l’accent qui chante en plus), mais aussi parce qu’il met en scène « sa communauté ». Un des reproches faits à Kechiche, ce « communautarisme », voire même du « racisme à l’envers » (comme si le racisme avait un sens !). Kechiche est un réalisateur engagé certes, qui montre. Et autant on peut émettre des réserves sur certaines de ses stigmatisations (le contrôle musclé des flics dans « L’esquive », la charge contre la « science » occidentale et française dans « La Vénus Noire »), autant dans « La graine … », on a son traitement le plus fin et le plus subtil de l’aspect « social ». Oui, la défiance voire la méfiance entre les deux communautés est explicite, notamment sur le bateau, entre une famille « issue de l’immigration » comme on dit dans les JT, et les petits notables sétois, et la condescendance des banquiers ou de l’administration vis-à-vis d’un Slimane un peu largué côté paperasserie, est un régal de finesse d’observation et de retranscription à l’image. Le trait n’est pas forcé, c’est la vie, quoi. Comme lorsqu’on se retrouve en famille, on peut passer un moment à causer prix des couches-culottes. Les personnages de Kechiche sont des gens « normaux », pas des Batman ou des James Bond…
La danse du ventre d'Hafsia Herzi
De plus, Kechiche sait éviter l’atmosphère sordide, voire glauque que pourraient entraîner certaines situations. Il y a toujours un sourire, tout un vocabulaire ensoleillé, tout un tas de petites réflexions, allusions, regards  (ah, les fabuleux regards des petits bourges sétois imbibés d’alcool lors de la danse du ventre d’Hafsia Herzi), mimiques, de tous ces anonymes voire étrangers aux studios de cinéma, qui arrivent à faire passer plus d’émotions et de sentiments que beaucoup de têtes d’affiche de nos productions franchouillardes (non, je ne vais pas me laisser aller à citer des noms comme Clavier, Reno, Boon ou Dubosc, j’ai pitié des minables …).
« La graine et le mulet » porte bien son nom de long-métrage (deux heures et demie), et encore Kechiche use d’un stratagème venu du théâtre (les copains musiciens du dimanche de Slimane qui au milieu du film racontent l’évolution de l’histoire, comme un remake du rôle des chœurs antiques) pour passer à une autre étape de son histoire. Mais on ne s’ennuie pas, il y a suffisamment de mini-intrigues et de mini-personnages secondaires pour captiver l’attention. Les gens « ordinaires » peuvent être très intéressants. Merci à Abdellatif Kechiche de nous le rappeler ...

Du même sur ce blog : 
L'Esquive


THE STROKES - IS THIS IT (2001)

Golden boys ...

Les Strokes, dès qu’on a commencé à en parler, ça sentait le coup fourré. Des fils de bonne, voire de très bonnes familles new-yorkaises, les études dans les collèges privés suisses, les gueules d’anges, une jolie minette à chaque bras, une signature illico sur une major. Verdict a priori: boys band …
Les Strokes, dès qu’on a commencé à écouter, ça sentait bon le rock’n’roll. Et putain que ça tombait bien, en ce début des années 2000, d’avoir autre chose à se mettre dans les oreilles que les purges des joueurs de disquettes qui savaient plus quel sous-genre inventer pour se rendre pénibles.
Les Strokes, eux, ils ont rien inventé. Enfin, si, juste un son. Facilement identifiable. Une rythmique rapide et sautillante, des guitares ligne claire, un chanteur à la voix nonchalante et filtrée. Parce que les titres, ils lorgnaient tous vers des choses antiques et parfaitement identifiées. En gros, de la power-pop américaine fin 70’s – début 80’s. Avec tout un tas de recettes déjà entendues chez Blondie, avec qui selon moi les similitudes sont évidentes, mais on peut aussi déceler des choses repérées chez Devo, les B 52’s, ou les oubliés Feelies et Dwight Twilley Band.
The Strokes live 2001
Et ce premier disque, enrobé dans un visuel évoquant (gentiment, leurs gouvernantes leur ont appris les bonnes manières) cuir SM, bondage et érotisme soft, plus de dix ans après, il tient encore la route. Certes l’effet de « nouveauté » lors de sa parution, contre lequel on ne peut rien (le jackpot rock’n’roll est tombé sur eux), mais surtout ce « Is this it » contient leurs meilleures chansons. Trois hits imparables. « Hard to explain », sympa, un peu centriste quand même. « Someday » le plus représentatif de leur son particulier. « Last nite », superbe, avec sa rythmique venant en droite ligne de la Tamla Motown. Et puis le meilleur titre du disque, l’énorme bijou pop « New York City cops ». qui s’est retrouvé blacklisté après le 11 septembre, lors de cette ahurissante chasse aux sorcières et aux symboles de l’après Twin Towers (un titre qui a fait partie de la même charrette de condamnés que le « Aeroplane » des RHCP, et l’intégrale de Anthrax, et des milliers d’autres morceaux ou artistes sans autre forme de procès, réaction quand tu nous tiens …).
Les Strokes, qui n’en demandaient peut-être pas autant, se sont vus promus leaders d’un revival de rock à guitares, alors que moi je les verrai plutôt en chef de file d’une pop énervée en Converse. Conjointement à ce « This is it », les White Stripes allaient sortir « White blood cells » (eux, c’était leur troisième disque), et en Angletrerre les Libertines de Pete Doherty et Carl Bârat allaient se prendre pour les Clash. Il n’en faudra pas plus pour que tous les fainéants théoriciens du rock parlent du « retour du rock » et d’une vague de groupe en « The », alors que ces trois groupes ne s’apprécient guère, et surtout n’ont à peu près rien en commun …

SUFJAN STEVENS - COME ON FEEL THE ILLINOISE (2005)


Génie take a ride ...

Ainsi donc Sufjan Stevens aurait été un génie musical (je parle au passé parce que la mayonnaise est semble t-il très retombée). C’est en tout cas le terme que l’on retrouvait le plus souvent accolé à son nom. C’est sûr qu’il connaît la musique, on ne sort pas le genre de morceaux et leurs arrangements précieux qui figurent sur ce disque si l’on n’est pas capable de lire et d’écrire la musique et si l’on n’a pas assimilé deux-trois trucs sur l’art de composer une chanson …

Mais bon, quelques plaisantes rengaines alignées sur un disque, et qui vont plus loin que le sempiternel binaire bastonné ou les programmations empilées trop souvent de mise dans ces années 2000 de recyclage permanent valent-elles la litanie de louanges et de superlatifs attribués à Stevens ? Est-ce qu’une ritournelle avec un couplet et un refrain qui peuvent se retenir, le tout enrobé dans des arrangements psychédéliques millésimés et des harmonies vocales élaborées, doit obligatoirement faire surgir les références aux Beatles, aux Beach Boys ? Il n’y a tout de même rien dans ce « Illinoise » qui s’approche de « A day in the life » ou « Good vibrations » …
Sufjan Stevens est doué, certes. Ambitieux également. Son projet délirant (un concept-album pour chaque état de l’Union) semble avoir pris avec le temps du plomb dans l’aile. La longueur démesurée de ce « Come on feel the Illinoise » (une heure et quart) en fait le « concurrent » de quelques antiques double 33 T. Et le comparer à des choses comme « Blonde on blonde », le Double Blanc, « Electric Ladyland », « Exile on Main Street », « Songs in the key of life », « London calling », … bon, restons calmes, sérieux, ne perdons pas tout sens la mesure …
Il y a de bonnes choses sur ce « … Illinoise », c’est sûr. De bons mélanges de jolies mélodies et d’arrangements baroques, avec des trompettes omniprésentes, ce qui rapproche parfois ces titres de ceux du Love d’Arthur Lee. Quelques folks mélodiques rétro-futuristes généralement plus classieux que ceux de Devendra Machin, autre surestimé notoire. Des tentatives assez réussies de faire de longs morceaux  complexes à tiroirs où se succèdent et se chevauchent les ambiances. De jolies harmonies vocales.
Mais aussi l’impression de redites et de répétitions sur la longueur. Beaucoup de morceaux se ressemblent, et le parti pris de leur donner des titres interminables ne facilite pas leur mémorisation. On sent à la longue un désagréable besoin de vouloir faire du clinquant, de la citation lettrée, du tape-à-l’oreille en permanence. Alors que les disques et références visées étaient justement des oeuvres simples.
Au final, la seule chose que je trouve vraiment géniale dans ce disque, c’est son titre, bonne blague sur un morceau des graisseux et pas vraiment finauds bûcherons glam de Slade. Pour le reste, tout a déjà été fait, et souvent mieux, il y a bien longtemps … et quelqu’un a t-il de nouvelles de Sufjan Stevens ?

MICHAEL MOORE - FAHRENHEIT 9/11 (2004)


Le Moore, pas la guerre ...

« Fahrenheit  9/11 » a reçu la Palme d’Or au festival de Cannes 2004 (jury présidé par Quentin Tarantino, américain controversé dans son pays, tout comme Michael Moore, et donc pas vraiment un hasard). « Fahrenheit  9/11 » est construit autour de la seconde guerre en Irak qui a succédé aux attentats du 11 septembre 2001. Mais « Fahrenheit 9/11 » est un film qui pose finalement plus de questions qu’il n’apporte de réponses … de par sa nature même, ce n’est pas un exposé ex cathedra, c’est plutôt une succession de vignettes plus ou moins édifiantes.
On vient de lui annoncer que "la Nation est attaquée"
Mais est-ce un film ou un documentaire ? Un peu des deux mon général … Il y a un procédé narratif, des personnages que l’on suit, et sinon une mise en scène (dans tous les sens du terme), du moins des séquences préparées, qui peuvent rattacher « Fahrenheit …» au cinéma. Mais c’est surtout l’aspect documentaire (ou documenteur, on y reviendra) qui ressort, par le montage d’images d’archives, d’extraits de journaux télévisés, par l’aspect d’investigation de bien des séquences, par la non-utilisation de comédiens (sauf Moore, on y reviendra aussi). De toute façon, ce que tout le monde a retenu, c’est un des plus violents pamphlets en images adressés à un pouvoir en place. En l’occurrence, le premier mandat de George Bush (W., ou Junior, comme on veut, mais le paternel valait pas mieux, l’Histoire – et le film – l’ont montré) et de son administration. L’existence même de « Fahrenheit … » fait d’ailleurs partie des paradoxes que le peuple américain se plaît à cultiver. Capable de se faire confisquer une élection présidentielle, et ensuite de réagir culturellement à chaud pendant ou juste après des guerres ou des évènements politiques majeurs (voir par comparaison ce qu’on est capable de faire, ou plutôt de ne pas faire, en Europe en général et en France en particulier).
« Fahrenheit » commence par la victoire suspecte de Bush à l’élection présidentielle de 2000, entachée par de nombreuses irrégularités dans l’Etat (crucial pour le résultat) de Floride, gouverné par le propre frère de Bush. Nous est présenté un début de mandat ridiculement calamiteux, avant qu’arrive le générique du film. Ensuite écran noir, bruit de fond des avions qui s’encastrent dans les Twin Towers, et visions de New Yorkais effarés après l’effondrement des tours, au milieu de papiers calcinés qui volent (d’où le titre du film, en référence au livre de Bradbury « Fahrenheit 451 » dans lequel un pouvoir totalitaire procède à des autodafés de livres). On voit aussi la fameuse scène de l’école de Floride, dans laquelle un Bush en visite feuillette un livre pour enfants alors qu’on lui a annoncé que « la Nation est attaquée ». Révélation manifeste du désarroi d’un incompétent face à cette situation inédite et inimaginable.
Michael Moore et une femme dont le fils soldat sera tué en Irak
D’entrée, et c’est un peu là que le bât blesse, on voit qu’on a une charge ad hominem contre Bush. Suivent ensuite les relations ambiguës, tant politiques que commerciales à travers leurs sociétés, entretenues par les Bush père et fils avec l’Arabie Saoudite, patrie de la famille Ben Laden, et le lent mais calculé lavage de cerveaux d’une population pour la préparer (entretien d’une peur à l’attentat par des médias pro-Bush, vote à la sauvette du liberticide « Patriot Act », mensonges sur les armes irakiennes de destruction massive, …) à la seconde guerre contre l’Irak. Tout mettre sur le dos de Bush est un peu facile, c’est quand même négliger le rôle de ses proches (Powell, Rumsfeld, Cheney, Rice) aux postes essentiels du gouvernement, et la pression du lobby militaro-industriel et de ses va-t-en-guerre. Une guerre qui sera sale, longue, et meurtrière (comme si des guerres sans victimes et sans horreurs ça pouvait exister) et son impact sur la société américaine, bravache et patriote au début, de plus en plus gagnée par le doute, y compris parmi les soldats eux-mêmes ou leurs familles). Hasard tragique, Moore dans sa ville natale de Flint (ville industrielle automobile sinistrée, et lieu de son premier film, « Roger & me ») suit le quotidien d’une famille, les Pedersen, qui va par la suite perdre un des ses enfants en Irak. Pendant que déjà, dans l’ombre, des colloques et réunions de grosses entreprises gèrent la fin future de la guerre et se préparent à se partager les énormes bénéfices de la « reconstruction » irakienne.
Séance de micro-trottoir pour pièger un membre du Congrès
« Fahrenheit » est une œuvre partiale. Assumée comme telle, certes. Dont le but est d’empêcher la réélection de Bush en Novembre 2004. En triturant des vérités. Curieux paradoxe, quand on voit que le film dénonce cette désinformation par l’administration Bush. Certes tous les faits et éléments rapportés dans « Fahrenheit » sont probables (24 procès ont eu lieu, tous gagnés par Moore, ce qui ne veut pas pour autant dire que la vérité est toujours de son côté, d’ailleurs des historiens ou des journalistes spécialisés remettent en cause dans les bonus du Dvd certains points avancés par Moore), mais certaines grosses ficelles démago sont pour moi inexcusables. Comment peut-on oser présenter l’Irak d’avant « l’intervention » US comme une sorte de paradis sur Terre, peuplé d’enfants joyeux et d’une population accueillante et bon enfant ? Alors que le pays est sinistré par une guerre (la première du Golfe) perdue, en proie à un embargo terrible de la part des vainqueurs, et sous la coupe d’un Saddam Hussein, dans le Top 10 des plus sanglants dictateurs du siècle … Comment laisser croire que seuls les Républicains peuvent se compromettre avec des lobbyistes belliqueux (Lyndon Johnson a entamé la guerre du Vietnam, il était Démocrate) quand ces lobbies  arrosent copieusement les deux camps lors des levées de fonds pour les campagnes présidentielles ? Comment croire que les quelques témoignages de soldats US seraient représentatifs et majoritaires parmi les militaires déployés en Irak ? Quels sont les liens (les contrats ?) unissant Moore et le prétendu réfractaire caporal Henderson, accompagnant Moore lors des avant-première du film et auteur de bouquins-témoignages sur son histoire personnelle, sans jamais avoir été inquiété par sa hiérarchie militaire ? …
N’en reste pas moins que « Fahrenheit 9/11 » est à regarder, au moins pour avoir une vision alternative de l’Histoire officielle. Même si l’on peut regretter quelques effets faciles (la multiplication de séquences de guerre gore), quelques digressions plus ou moins hors-sujet (les garde-côtes de l’Oregon, les vieux babas-cool pacifistes, …), et une tendance insistante de Moore à se mettre en scène (lors d’interviews, de séances de micro-trottoirs). Pas étonnant que son clone français Karl Zero (même manque d’humilité et même façon de ne regarder l’actualité et la société que par le petit bout de sa propre lorgnette) soit en extase devant le film dans les bonus DVd. Un Michael Moore, qui a tout de la caricature de l’Américain moyen, avec sa casquette de base-ball, ses sweat-shirts pourris et sa bedaine de bouffeur de Big Macs et autre junk-food … mais qui n’en perd pas le sens des affaires pour autant, c’est un businessman, pas un philanthrope, et qui a fait fortune avec « Fahrenheit 9/11 ». Sorti judicieusement, du moins le croyait-il, au moment de la campagne électorale présidentielle de 2004, assorti à la fin de chaque présentation par des appels à voter (sans préciser pour qui, mais quand on a vu le film on sait contre qui), « Fahrenheit » a suscité un buzz énorme (aidé par la Palme d’Or de Cannes), a été vu par des millions d’américains, a déchaîné les passions …
Résultat : Bush a été plébiscité pour un second mandat …
Conclusion : faut pas prendre les électeurs américains pour des cons, ils le sont encore plus que ce qu’on croit  …

GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR - YANQUI U.X.O. (2002)


Du post-rock trotskiste ?

Hum … Y’a des clients pour un concept-album de trois titres et d’une heure et quart ? ‘tain, ça fout les jetons sur le papier. D’autant plus que rien n’est clair dans cette histoire.
Godspeed … est un groupe canadien à géométrie très variable. Ils sont une bonne demi-douzaine sur ce disque, certains avec des noms qui sonnent « réel », d’autres sous des sortes de pseudos énigmatiques. On sait pas très bien qui joue de quoi, ni d’ailleurs s’ils jouent tous de quelque chose. Quelques-uns font partie d’un projet parallèle, A Silver Mt. Zion, qui œuvre à quelque chose près dans le même registre… le genre de conglomérat abstrait qui te prend bien le chou avant d’avoir écouté la moindre note …
Les Godspeed You ! Black Emperor vont-ils sortir de l'ombre ?
Surtout que faut faire des efforts. « Yanqui U.X.O » est présenté comme un concept-album. Qui parle de quoi ? Ben faut deviner, c’est totalement instrumental et … il reste quelqu’un là ? Bon, faut se contenter du titre du disque (parce que ceux des morceaux, « 09-15-00 », « Rockets fall on rocket falls » et « Motherfucker = Redeemer », ils sont comme qui dirait pas très parlants de prime abord). « Yanqui », c’est de l’espagnol pour Yankee, OK, et « U.X.O. » pour unexploded ordnance, mines antipersonnel ou munitions n’ayant pas explosé. D’où ce largage de bombes sur le visuel … Au recto, une sorte d’organigramme indiquant les liens entre les plus grands groupes multinationaux et les firmes d’armement, et en farfouillant bien sur le Net, on trouve que le 15 septembre 2000 du premier titre correspond au début de la seconde Intifada palestinienne … donc pour faire simple, les zozos de Godspeed se situent politiquement entre José Bové et les Brigades Rouges, et côté musical « impliqué », ce serait Amon Düül (I ou II, arrivé à ce stade, on va pas chipoter …) ou Neu !. Le genre de prise de tête que même après un brainstorming de trois ans, les Radiohead ils y arrivent pas … 
Et la musique, alors ? En gros, du post-rock, c’est-à-dire des types qui veulent faire du prog mais qui n’y arrivent pas (pas assez de fuckin’ technique, pas assez de sens de la « progression » remplacée par « l’évolution »). On commence doucement, gentiment, parce qu’on a le temps, en gros vingt minutes ou plus (même si le premier le dernier titre sont divisées en deux « parties »), on accélère, on rajoute des instruments, on monte dans les tours, puis on replonge dans les murmures sonores … c’est pas pénible, y’a de bons passages, même si à la longue ça finit par ressembler à un film d’Ozu au ralenti question ambiance.
Sinon, rien de révolutionnaire là-dedans, de quelque point de vue qu’on appréhende la chose … des influences guère mystérieuses, remontent au fil de l’écoute des titres Tangerine Dream, Tortoise, Mogwai, Spiritualized, le Pink Floyd de « Echoes », Hawkwind, les Cure de « 17 seconds », la trilogie berlinoise de Bowie, le « Machine Gun » d’Hendrix (en plus sage, moins fou) pour « Rockets fall … » , le « Red » de King Crimson pour certains passages de « Motherfucker … ». Le tout entrecoupé de longues « préparations » plus minimalistes, bourdonnements de basse, notes économes des guitares.
Globalement intéressant, même si finalement assez peu original, le genre de machins qui semblent ravir les forcenés qui veulent à tout prix écouter « autre chose ».
Une remarque quand même, valable également pour Neil Young et quelques autres. Je comprends pas bien que ces Canadiens s’évertuent à pointer systématiquement du doigt les USA. Ils auraient aussi pas mal à faire (et à dire) chez eux, le Canada étant depuis des décennies rigoureusement aligné dans tous les domaines (économique, militaire, douanier, …) sur la politique des Etats-Unis …