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JACK MEATBEAT & THE UNDERGROUND SOCIETY - BACK FROM WORLD WAR III (2001)

L'Apocalypse ...

On ne sait pas qui avait commencé. Lequel dans son bunker avait validé le premier l’algorithme de mise à feu des missiles. Tous l’avaient suivi. Guerre nucléaire totale…
Et contrairement aux prévisions, ce ne furent pas les scarabées, les rats ou les scorpions qui survécurent. Non, juste des chevelus en train d’écouter les Stooges au moment du Big Bang terminal. Juste une poignée de types. Des Finlandais, la plupart faisant autrefois partie d’un groupe nommé Flaming Sideburns. Et aussi un Argentin bizarre. Au doux surnom de Speedo Martinez.
C’est lui qui retrouvera les Finlandais, calfeutrés dans un studio d’enregistrement. Et qui leur dit que puisqu’ils avaient survécu en écoutant les Stooges, peut-être la vie renaîtrait-elle si on jouait du rock’n’roll. Comme les Stooges, évidemment … Tous ensemble, ils prendraient le nom de code et de guerre de Jack Meatbeat & the Underground Society.

Il fallait faire vite, les générateurs menaçaient de lâcher définitivement… Moins d’une heure d’autonomie. Ça suffirait… on ferait ça sous forme de jam, on enchaînerait tous les titres …
Et on commencerait par une courte incantation en espagnol sur un fond de free-jazz. Et puis on continuerait par un blues mutant, menaçant, très lent, avec plein d’orgue Hammond (« Back in the Delta ») parce que le blues, y’avait de quoi l’avoir devant la folie des hommes et que le Delta, c’est là dans le Mississippi que tout avait commencé. Mais bon, le seul truc capable de faire tenir, de faire oublier tout ce bazar, d’espérer en une régénération, c’était du rock métallique et violent. Y’avait qu’à faire un shoot électrique et meurtrier (« Stay and dance »), d’ailleurs y’avait un gratteux au surnom prédestiné, il se faisait appeler Sky Williamson, et à temps perdu, mais il y en avait plus beaucoup à perdre, il se prenait pour Hendrix (à moins que ce soit l’autre guitariste, Mr. Hellstone),  les titres étaient pleins de ces notes sales, distordues, cosmiques, si caractéristiques du Voodoo Chile.
De toutes façons, y’avait pas le choix, fallait jouer, compact, dru, méchant, dresser des murs de larsens et de feedback, parce que là, dehors, quelques silhouettes, qui avaient peut-être été des hommes avant, rendus aveugles et brûlés par les radiations, traînaient près du studio, et menaçaient de contaminer les survivants (« We are the zombies »). L’électricité n’allait pas tarder à manquer, les bécanes d’enregistrement recrachaient des bruits bizarres au gré des micro-coupures, y’avait tout un bourdonnement, tout un parasitage, des interférences à rendre jaloux Ministry, Trent Reznor et Marylin Manson s’ils avaient encore été de ce monde (« Cosmic power », comme une jam entre les Stooges et le MC5 en 1970). Le matos déconnait de plus en plus, « Granada smokin’ gypsy », on aurait un Cd d’Aphex Twin passé à l’envers, avec l’Argentin qui venait se lamenter sur le Mur des larsens …
Tout manquait, les meufs, l’alcool, la came … ils en étaient réduits à invoquer le nom d’un narco colombien (« Hotel Escobar »), dans une complainte de junkie en manque, sale et dangereuse comme une aiguille rouillée avec laquelle on va se faire un shoot. Et puis, avant que la vision devienne mirage (« Sun eclipse 1999 »), un dernier hommage au Maître Iggy et à sa bande (« Magnetic KO ») allusion transparente à un live semi-officiel (« Metallic KO »).
Le compresseur du studio rendait l’âme, la fourniture d’électricité devenait de plus en plus aléatoire, il y avait sur les bandes des échos stéréo bizarres, on avait l’impression qu’un type tapait le blues pendaient que les autres jouaient du métal indus (« Space mountain blues ») … Bon, là, ça y est, c’est la fin, la lumière clignote, l’oxygène se fait rare, y’en a qui bougent plus, peut-être qu’eux aussi ils sont morts, alors les derniers valides balancent un rock’n’roll ultime avant la fin (« Jack’s ink gone red »).
L’espace-temps était en pleine déconnade, Speedo Martinez, dernier encore en vie, vient de s’apercevoir que ça a pris trois ans pour enregistrer ces treize titres, mais de toutes façons on s’en fout, le jour où quelqu’un écoutera cette musique, Jack Meatbeat lui aussi sera mort depuis au moins deux ans …
Voilà, c’était quelque part près du cercle polaire, c’était la fin de la fin du monde, et l’orchestre jouait du rock’n’roll …

QUENTIN TARANTINO - INGLOURIOUS BASTERDS (2009)

Drôle de drame ...
Un des films les plus controversés, sinon le film le plus controversé de Tarantino…et un de ses meilleurs.
Le bon peuple cinéphile et érudit (les ceusses qui regardent le film du dimanche soir sur TF1 et Questions pour un champion) s’est offusqué devant pareille chose. Pour qui se prenait-il ce jeune gommeux américain de Tarantino, à bafouer l’Histoire majuscule, celle qui est dans les livres ? A nous montrer tonton Adolph criblé de balles en 44 dans un cinéma en feu parisien ? Et criblé de balles par, en plus, un commando de juifs américains plus sauvage que les hordes d’Attila et de Gengis Khan réunies, ayant auparavant dézingué et scalpé du soldat nazi à profusion dans des geysers d’hémoglobine ? 
Eli Roth & Brad Pitt
Bon, les constipés, ce que vous avez vu c’est un film. Pas les archives de l’INA des émissions d’André Castelot. Ça vous est pas venu à l’esprit que le cinéma c’était fait pour raconter des histoires, faire rêver, passer du bon temps ? Et que ça n’a pas à être vrai, véridique ou vraisemblable. Vous avez été troublés de voir les flots de la Mer Rouge s’ouvrir devant Moïse dans « Les Dix Commandements », et ensuite se refermer pour engloutir l’armée égyptienne ? Vous croyez que tout dans « Spartacus », « Ben Hur », ou le « Napoléon » d’Abel Gance est rigoureusement exact ? Et vous croyez que dans les années 40 en France, c’était comme dans « La grande vadrouille » ou « On a retrouvé la septième compagnie » ?
En plus, j’ai l’impression que vous tombez mal avec Tarantino. Parce qu’il a bossé comme un forcené sur son scénario, et qu’il prouve dans les bonus du BluRay que l’histoire – la vraie – de la Seconde Guerre Mondiale, il la connaît aussi, beaucoup plus que ce que vous croyez …
« Inglourious basterds », c’est une comédie. Noire, sordide, macabre, de mauvais goût, si vous voulez. Mais une fuckin’ géniale comédie, pleine de clin d’œils, d’allusions, … et de non-dits, même si ça jacasse encore plus vite que les rafales de mitraillette. Un film de fan (plus encore que tous ceux de la Nouvelle Vague, Tarantino est avant d’être un réalisateur un dingue de cinéma). Et puis, quand les répliques deviennent plus posées, on a de grands moments de cinéma. Avec trois scènes de bien vingt minutes, celle de la ferme qui débute le film, celle du restaurant, et celle de la taverne (et encore ces deux dernières ont été raccourcies au montage). Des sommets de suspense, avec une tension qui n’achève jamais de monter. On sent que ça va mal finir, c’est inéluctable, et dans la ferme ça finit effectivement très mal. On s’attend donc au pire au restaurant, et … surprise, ça se « passe » bien. Du coup, dans la taverne, on ne sait plus à quoi s’attendre, et là, on va en avoir pour notre argent … Clouzot ou Hitchcock, et encore plus Leone (tant les références à son cinéma sont nombreuses, de la lenteur des scènes-clés à la musique de Morricone, très présente dans la B.O.) auraient approuvé, Fincher devra se surpasser …
Christoph Waltz
« Inglourious basterds », au moins autant qu’un film d’action sur la guerre (le premier du genre de Tarantino) est un film sur le cinéma. Et là bizarrement, on a pas lu trop de grincheux surenchérir sur l’exposé du cinéma d’époque, surtout allemand, les liens que certains acteurs ou réalisateurs ont eu (ou pas) avec le régime nazi, le cinéma de propagande de l’époque. Le film c’est pas toujours de l’uchronie, là c’est la leçon du fan et du connaisseur. Et je suis prêt à parier que l’œuvre de Leni Riefenstahl n’a pas de secrets pour Tarantino. Le film dans le film (« La fierté de la Nation ») est un petit bijou (réalisé non par Tarantino, mais par Eli Roth, celui qui joue dans le film Donowitz, le « bâtard » à la batte de base-ball). Coupé aux deux-tiers au montage, il pastiche les films de Goebbels, ceux de la propagande stalinienne, et même avec un landau sur une place mitraillée le « Cuirassé Potemkine ») Et comme le film est un fake, on a droit dans les bonus à un génial fake de making-off. Clairement, « Inglourious basterds » est un film sur le cinéma. Une bonne part de l’histoire se passe dans un cinéma et y trouve en partie son épilogue. L’agent double allemand (un des meilleurs rôles de Diane Kruger) est une actrice allemande, le commando des Bâtards s’infiltre dans le cinéma en se faisant passer pour équipe technique et un réalisateur italien, …
Diane Kruger & Michael Fassbender
Et là, dans cette Tour de Babel des nationalités présentes à l’écran, réside une autre trouvaille assez formidable de Tarantino. On passe sans arrêt d’une langue à l’autre, et évidemment, les polyglottes finissent par paraître tenir les atouts maîtres de l’action. Et le personnage central du film, à peu près le seul lien entre des histoires dans l’histoire menées en parallèle, est le formidable acteur allemand Christoph Waltz. Qui incarne le colonel nazi Landa surnommé le « chasseur de Juifs », raffiné, sadique, machiavélique et cruel, qui jongle entre allemand, anglais, français et italien, tout en assurant un jeu plein d’acteur, tout en regards, poses, mimiques, et gestes d’une justesse absolue. Quasiment inconnu, c’est lui l’acteur de premier plan du film. Il éclipse à mon avis un Brad Pitt pourtant concerné et intéressant en leader du commando juif. C’est pourtant Pitt qui est en avant sur toute la promo du film (les affiches notamment), à la tête d’un casting international très fourni en second rôles. Et ce sont ces seconds rôles qui font toute la richesse du film, sans obscurcir l’intrigue. Dans les bonus, Pitt et Tarantino (interview plus souvent en roue libre que réellement intéressante) ne tarissent pas d’éloges sur un autre quasi inconnu qui ne va pas le rester (Michael Fassbender, dans le rôle d’un officier anglais qui rejoint les Bâtards). Mais on trouve également dans la distribution Myke Miers, pote de déjante de Tarantino, et toujours au rayon hommage (hommage et vengeance sont les deux moteurs du cinéma tarantinien), la participation de Bo Svenson et Enzo Castellari, respectivement acteur principal et réalisateur d’un nanar italien de série Z (y’a Michel Constantin qui y joue, c’est dire …) dont s’est inspiré Tarantino (en fait d’une seule scène) pour le scénario de « Inglourious … ». Anecdote : Castellari a fait cadeau de ses droits à Tarantino à la condition d’avoir une réplique dans le film, c’est lui l’officier nazi au premier rang du cinéma qui crie « Au feu ! » quand l’écran s’embrase …
En fait, la seule dans ce casting qui me semble un peu en dedans, c’est Mélanie Laurent (Soshana, jeune juive dont la famille a été massacrée par Landa et ses hommes). Même si elle incarne la vengeance implacable, quasi rituelle (la scène  du maquillage en forme de peinture de guerre indienne, avec en fond sonore le « Cat people (Putting out fire) » de Bowie et Moroder), on a l’impression qu’elle ne « s’amuse » pas sur ce film, alors que tous les autres semblent s’en donner à cœur-joie …
Mélanie Laurent
« Inglourious basterds » est un film qui fourmille de détails qui eux-mêmes peuvent renvoyer à d’autres thématiques. L’une d’entre elles, qui revient comme un fil rouge subliminal a trait aux Indiens d’Amérique  (Raine – Brad Pitt a un peu de sang indien, le rituel du scalp des Bâtards, le maquillage de Mélanie Laurent, une carte à deviner dans une scène coupée de la taverne porte le nom d’un chef Indien). D’autres détails des personnages restent sans réponse : pourquoi la cicatrice autour du cou de Raine ? Pourquoi à tout prix identifier par des flèches et des incrustations à l’écran les hauts dignitaires nazis dans le cinéma alors qu’à ce moment on est en totale fiction historique?
« Inglourious basterds » (l’orthographe bizarre du titre vient de l’accent en V.O. de Pitt, mais aussi pour éviter la confusion avec le film italien de Castellari, sorti aux States sous le nom de « Inglorious bastards ») fait pour moi partie du quarté majeur de Tarantino avec « Reservoir dogs », « Pulp fiction » et le Volume I de « Kill Bill ».
Un film à visionner obligatoirement en V.O. sous-titrée pour prendre la mesure de tout le jeu de langage des acteurs. Il existe un coffret métal à prix dérisoire contenant le film en BluRay et en Dvd, ainsi que le Dvd du film italien de Castellari. Qualité du BluRay excellente, mais bonus de l’ensemble un peu chiches …


Du même sur ce blog :
Kill Bill Vol. 2




WRAYGUNN - ECCLESIASTES 1.11 (2005)

Et Dieu, dans tout ça ?

Où il va être question de blues et musiques assimilées… Question préliminaire : qu’y a t-il de plus chiant qu’un disque de blues récent ? Et le premier qui me dit un vieux disque de blues, il s’en ramasse une … Bon, je reformule : qu’est-ce qui est plus chiant qu’un disque de Joe Bonamachin, de Robert Cray, de Clapton depuis trente ans, de Stevie Ray Vaughan, et de tous leurs semblables ? Ben rien, cette bande de pénibles se contentant de remettre à la sauce électrique avec des budgets colossaux ce que des types pauvres comme Job avaient fait mieux qu’eux en deux temps trois mouvements et leur vieille gratte pourrie il y a des décennies. Et qu’on me dise pas que le blues c’est bien parce que c’est toujours pareil, un genre qui n’évolue pas est un genre mort …

Et qu’est-ce qu’il faut pour faire évoluer le blues ? Revenir aux sources, aux origines, laisser de côté toute la putain fuckin’ technique à la noix, mettre toute son âme (la soul dit-on dans une autre langue) dans la bataille, et ne pas avoir comme objectif de faire un duo avec BB King au Royal Albert Hall devant des bourgeois qui auront raqué cinq cent livres leur strapontin …
Et le type dont au sujet duquel il va être question, il a fait le meilleur disque de blues depuis … Hendrix, au hasard. Donc, le gars il s’appelle Paulo Furtado pour l’état-civil, il est Portugais, son nom de scène quand il est tout seul, c’est Legendary Tiger Man, et son groupe c’est Wraygunn, on  y arrive … Et pourquoi il a tout bon dès le départ ? Parce qu’il est allé dans sa démarche encore plus loin que le blues, il est remonté jusqu’aux églises où l’on chantait du gospel, des spirituals, il a du au moins dans ses rêves se retrouver au fameux crossroad et là, il a pas choisi entre Dieu et le Diable, il a pris les deux. Parce qu’il a bien compris qu’il y a quelque chose de diabolique dans le blues, mais qu’à la base, tous les vieux bluesmen sortent des églises. Et Furtado a recruté une bande de caralhos dans son Portugal, pays cousin des très dévotes Espagne et Italie. Des gars et une fille qui aiment peut-être Muddy Waters, mais surtout faire bouger les lignes. Et dans cette troupe, il y a … éloignez les enfants et les fans de Canned Heat ou John Mayall… un type aux synthés, scratches, platines et bruitages divers … un DJ quoi … et croyez-moi, on l’entend … Et les cinq autres, dont deux batteurs (et non, on ne dit pas comme les foutus frangins Allman, ou je vais de nouveau me fâcher), ils lâchent les chevaux, envoient le bois…
La pochette dit tout, et plus encore … on y voit Furtado prendre la pose du Christ du Corcovado, mais au lieu de surplomber Rio, il est au milieu d’une décharge publique. Et là, sous nos oreilles ébahies, ce métèque et sa bande de va-nu-pieds vont pendant trois quarts d’heure détruire, reconstruire et finalement réinventer le blues. En réinjectant dans les douze mesures les chants des églises noires d’Amérique, la soul, le rhythm’n’blues, l’électro. … avec les bouffées de violence qui renvoient le pauvre Jon Spencer à ses chères études, avec ce côté prêcheur fou sous substances partagé entre démons et rédemption que n’a fait qu’effleurer un Nick Cave. Wraygunn est toujours partagé entre appels au sexe et à la prière, c’est le mariage du mystique et du pornocrate.

On est d’entrée au cœur du sujet. « Soul city » le premier titre commence par une incantation de prêcheur habité (Martin Luther King ?), qui se transforme brutalement en un rhythm’n’soul qui arrache tout. « Drunk or stoned » qui suit est un rock’n’roll crade, moîte, sexuel, avec un super gimmick de synthés. Le troisième titre (« Keep on prayin’ ») finit de planter le décor, rhythm’n’blues torride avec ses handclaps et l’apparition pour un duo avec Furtado de la voix féminine du groupe, la troublante Raquel Ralha. Un quart du disque et les bases sont posées. Le son est unique, tentaculaire, gavé d’effets électroniques, de distorsions, de filtres, comme si Trent Reznor avait remixé Howlin’ Wolf. Le phrasé peut se rapprocher du rap (« How long, how long ? »), peut devenir syncopé et dangereux comme celui d’Alan Vega (« Sometimes I miss you »), les guitares peuvent empiler des cocottes funky (« She’s a speed freak », le meilleur titre que les Red Hot Machin ont oublié d’écrire), le boogie (« All night long ») être aussi puissant que ceux de ZZ Top dans les 70’s, l’hommage aux Stones (« Hip », démarquage du « Shake your hips » de Slim Harpo, déjà entendu sur le « Exile … » des Cailloux) est plein de cette déglingue obligatoire de l’exercice …
« Ecclesiastes 1.11 » apporte la preuve que l’on peut faire du neuf avec du très vieux. Suffit d’avoir de l’imagination et de ne rien respecter. Un disque exceptionnel passé évidemment inaperçu (ils ont beau être portugais, ils chantent – très correctement – en anglais et sont distribués par une major), et d’après le peu que je connais de Furtado et de son œuvre, très nettement au-dessus de ce qu’il a pu produire avant ou après …

ABDELLATIF KECHICHE - LA GRAINE ET LE MULET (2007)

Vous reprendrez bien un peu de couscous ?

Abdellatif Kechiche est un réalisateur remarquable, au sens étymologique du terme. Il a un style, tant pour la narration que pour la mise en images, et il semblerait qu'on s'en soit rendu compte dernièrement à Cannes. Kechiche est un type qui arrive à faire une fresque humaine, une épopée, avec trois fois rien. Des histoires simples de gens simples.
Même pas des histoires d’ailleurs. Dans « La graine et le mulet », on prend l’intrigue en route, et le film se termine alors que des pans entiers du scénario n’ont pas trouvé leur épilogue. Slimane va t-il réussir à le monter, son restaurant ? D’ailleurs, est-ce qu’il n’est pas en train de crever contre un mur de son quartier, le souffle coupé après avoir poursuivi les enfants qui lui ont piqué sa vieille mobylette ?
Kechiche, Herzi & Boufares
Tout ça parce que Kechiche est autant intéressé par les gens qu’il montre que par leur(s) histoire(s). La trame principale du film tient sur un timbre-poste. Un ouvrier immigré, la soixantaine, perd son boulot sur les quais de Sète. Il va se mettre en tête de transformer une épave de bateau en restaurant spécialisé dans le couscous (la « graine », pour la semoule) au poisson (le « mulet »). Kechiche filme l’intrigue chronologiquement, mais se concentre sur quelques très longues scènes, dans lesquelles les principaux protagonistes s’exposent (le repas de famille chez Souad, le premier repas au restaurant). Le talent de Kechiche est de livrer un rendu de documentaire, avec des mouvements apparemment confus de caméra (on dirait que c’est un des protagonistes qui filme avec un caméscope, c’est fait exprès, Kechiche sait tenir une caméra, voir « La Vénus Noire »), et de très gros plans sur les visages (c’est un régal de voir les sentiments qui passent par les regards et les non-dits). L’aspect documentaire vient aussi de la distribution, pas de têtes d’affiche, mais des habitués des films de Kechiche, et de nombreux acteurs non professionnels. Dont le « héros » Slimane, joué par un ouvrier du bâtiment (Habib Boufares, un ami du père décédé de Kechiche prévu à l’origine pour le rôle), ou la parfaite débutante pour l’occasion Hafsia Herzi (la fille de la compagne de Slimane dans le film). Il y a d’ailleurs une « famille » d’acteurs utilisés par Kechiche, qui peuvent avoir des rôles importants dans un film et des rôles mineurs dans un autre. Dans « La graine et le mulet », Sabrina Ouazani (la Frida de « L’esquive ») est une fille de Slimane, qui est peu à l’image, Carole Frank (la prof de français de « L’esquive ») apparaît très fugacement parmi les invités du repas sur le bateau, les deux jouent des personnages mineurs de l’intrigue. De même, on retrouvera dans « La Vénus Noire » pour de petits rôles trois actrices très présentes dans « La graine … » (celles qui jouent l’ancienne femme, Souad, et deux des filles de Slimane). Autres points communs dans la distribution des films de Kechiche, des « héros » peu loquaces (le jeune garçon de « L’esquive », la « Vénus Noire », ou ici Slimane), et des acteurs principaux dans un film absents des autres.
Repas de famille chez Souad
Kechiche, c’est un peu le cinéaste de la fiction « vraie ». A une époque, on a appelé ça du néoréalisme, plus tard du cinéma social. On a souvent cité à propos des films de Kechiche et de « La graine … » en particulier des réalisateurs comme Cassavetes (la descente dans l’intimité familiale) ou Ken Loach (l’engagement, le militantisme, …), et Kechiche a reconnu lui-même que le final du film (Slimane poursuivant les gosses) est un hommage au premier degré au « Voleur de bicyclette » de De Sica. Moi je rajouterais l’influence du cinéma nordique, certaines choses de Bergman (l’hystérie claustrophobe en moins, quoi que le pétage de plombs de la belle-fille cocufiée à la fin …), la façon de tourner très Dogme (Lars Von Trier des débuts et toute la clique), l’importance des deux repas longuement filmés m’évoque elle fortement « Festen » et « Le festin de Babette » deux classiques du cinéma danois. Kechiche n’a pourtant rien d’un Nordique, il est d’origine tunisienne, et « La graine … » est un film très méditerranéen. Parce qu’il se déroule à Sète (qui n’est certes pas la ville littorale la plus glamour, cité portuaire industrielle dévastée par les crises économiques à répétition, genre Le Havre ou Dunkerque, avec le soleil et l’accent qui chante en plus), mais aussi parce qu’il met en scène « sa communauté ». Un des reproches faits à Kechiche, ce « communautarisme », voire même du « racisme à l’envers » (comme si le racisme avait un sens !). Kechiche est un réalisateur engagé certes, qui montre. Et autant on peut émettre des réserves sur certaines de ses stigmatisations (le contrôle musclé des flics dans « L’esquive », la charge contre la « science » occidentale et française dans « La Vénus Noire »), autant dans « La graine … », on a son traitement le plus fin et le plus subtil de l’aspect « social ». Oui, la défiance voire la méfiance entre les deux communautés est explicite, notamment sur le bateau, entre une famille « issue de l’immigration » comme on dit dans les JT, et les petits notables sétois, et la condescendance des banquiers ou de l’administration vis-à-vis d’un Slimane un peu largué côté paperasserie, est un régal de finesse d’observation et de retranscription à l’image. Le trait n’est pas forcé, c’est la vie, quoi. Comme lorsqu’on se retrouve en famille, on peut passer un moment à causer prix des couches-culottes. Les personnages de Kechiche sont des gens « normaux », pas des Batman ou des James Bond…
La danse du ventre d'Hafsia Herzi
De plus, Kechiche sait éviter l’atmosphère sordide, voire glauque que pourraient entraîner certaines situations. Il y a toujours un sourire, tout un vocabulaire ensoleillé, tout un tas de petites réflexions, allusions, regards  (ah, les fabuleux regards des petits bourges sétois imbibés d’alcool lors de la danse du ventre d’Hafsia Herzi), mimiques, de tous ces anonymes voire étrangers aux studios de cinéma, qui arrivent à faire passer plus d’émotions et de sentiments que beaucoup de têtes d’affiche de nos productions franchouillardes (non, je ne vais pas me laisser aller à citer des noms comme Clavier, Reno, Boon ou Dubosc, j’ai pitié des minables …).
« La graine et le mulet » porte bien son nom de long-métrage (deux heures et demie), et encore Kechiche use d’un stratagème venu du théâtre (les copains musiciens du dimanche de Slimane qui au milieu du film racontent l’évolution de l’histoire, comme un remake du rôle des chœurs antiques) pour passer à une autre étape de son histoire. Mais on ne s’ennuie pas, il y a suffisamment de mini-intrigues et de mini-personnages secondaires pour captiver l’attention. Les gens « ordinaires » peuvent être très intéressants. Merci à Abdellatif Kechiche de nous le rappeler ...

Du même sur ce blog : 
L'Esquive


THE STROKES - IS THIS IT (2001)

Golden boys ...

Les Strokes, dès qu’on a commencé à en parler, ça sentait le coup fourré. Des fils de bonne, voire de très bonnes familles new-yorkaises, les études dans les collèges privés suisses, les gueules d’anges, une jolie minette à chaque bras, une signature illico sur une major. Verdict a priori: boys band …
Les Strokes, dès qu’on a commencé à écouter, ça sentait bon le rock’n’roll. Et putain que ça tombait bien, en ce début des années 2000, d’avoir autre chose à se mettre dans les oreilles que les purges des joueurs de disquettes qui savaient plus quel sous-genre inventer pour se rendre pénibles.
Les Strokes, eux, ils ont rien inventé. Enfin, si, juste un son. Facilement identifiable. Une rythmique rapide et sautillante, des guitares ligne claire, un chanteur à la voix nonchalante et filtrée. Parce que les titres, ils lorgnaient tous vers des choses antiques et parfaitement identifiées. En gros, de la power-pop américaine fin 70’s – début 80’s. Avec tout un tas de recettes déjà entendues chez Blondie, avec qui selon moi les similitudes sont évidentes, mais on peut aussi déceler des choses repérées chez Devo, les B 52’s, ou les oubliés Feelies et Dwight Twilley Band.
The Strokes live 2001
Et ce premier disque, enrobé dans un visuel évoquant (gentiment, leurs gouvernantes leur ont appris les bonnes manières) cuir SM, bondage et érotisme soft, plus de dix ans après, il tient encore la route. Certes l’effet de « nouveauté » lors de sa parution, contre lequel on ne peut rien (le jackpot rock’n’roll est tombé sur eux), mais surtout ce « Is this it » contient leurs meilleures chansons. Trois hits imparables. « Hard to explain », sympa, un peu centriste quand même. « Someday » le plus représentatif de leur son particulier. « Last nite », superbe, avec sa rythmique venant en droite ligne de la Tamla Motown. Et puis le meilleur titre du disque, l’énorme bijou pop « New York City cops ». qui s’est retrouvé blacklisté après le 11 septembre, lors de cette ahurissante chasse aux sorcières et aux symboles de l’après Twin Towers (un titre qui a fait partie de la même charrette de condamnés que le « Aeroplane » des RHCP, et l’intégrale de Anthrax, et des milliers d’autres morceaux ou artistes sans autre forme de procès, réaction quand tu nous tiens …).
Les Strokes, qui n’en demandaient peut-être pas autant, se sont vus promus leaders d’un revival de rock à guitares, alors que moi je les verrai plutôt en chef de file d’une pop énervée en Converse. Conjointement à ce « This is it », les White Stripes allaient sortir « White blood cells » (eux, c’était leur troisième disque), et en Angletrerre les Libertines de Pete Doherty et Carl Bârat allaient se prendre pour les Clash. Il n’en faudra pas plus pour que tous les fainéants théoriciens du rock parlent du « retour du rock » et d’une vague de groupe en « The », alors que ces trois groupes ne s’apprécient guère, et surtout n’ont à peu près rien en commun …

SUFJAN STEVENS - COME ON FEEL THE ILLINOISE (2005)


Génie take a ride ...

Ainsi donc Sufjan Stevens aurait été un génie musical (je parle au passé parce que la mayonnaise est semble t-il très retombée). C’est en tout cas le terme que l’on retrouvait le plus souvent accolé à son nom. C’est sûr qu’il connaît la musique, on ne sort pas le genre de morceaux et leurs arrangements précieux qui figurent sur ce disque si l’on n’est pas capable de lire et d’écrire la musique et si l’on n’a pas assimilé deux-trois trucs sur l’art de composer une chanson …

Mais bon, quelques plaisantes rengaines alignées sur un disque, et qui vont plus loin que le sempiternel binaire bastonné ou les programmations empilées trop souvent de mise dans ces années 2000 de recyclage permanent valent-elles la litanie de louanges et de superlatifs attribués à Stevens ? Est-ce qu’une ritournelle avec un couplet et un refrain qui peuvent se retenir, le tout enrobé dans des arrangements psychédéliques millésimés et des harmonies vocales élaborées, doit obligatoirement faire surgir les références aux Beatles, aux Beach Boys ? Il n’y a tout de même rien dans ce « Illinoise » qui s’approche de « A day in the life » ou « Good vibrations » …
Sufjan Stevens est doué, certes. Ambitieux également. Son projet délirant (un concept-album pour chaque état de l’Union) semble avoir pris avec le temps du plomb dans l’aile. La longueur démesurée de ce « Come on feel the Illinoise » (une heure et quart) en fait le « concurrent » de quelques antiques double 33 T. Et le comparer à des choses comme « Blonde on blonde », le Double Blanc, « Electric Ladyland », « Exile on Main Street », « Songs in the key of life », « London calling », … bon, restons calmes, sérieux, ne perdons pas tout sens la mesure …
Il y a de bonnes choses sur ce « … Illinoise », c’est sûr. De bons mélanges de jolies mélodies et d’arrangements baroques, avec des trompettes omniprésentes, ce qui rapproche parfois ces titres de ceux du Love d’Arthur Lee. Quelques folks mélodiques rétro-futuristes généralement plus classieux que ceux de Devendra Machin, autre surestimé notoire. Des tentatives assez réussies de faire de longs morceaux  complexes à tiroirs où se succèdent et se chevauchent les ambiances. De jolies harmonies vocales.
Mais aussi l’impression de redites et de répétitions sur la longueur. Beaucoup de morceaux se ressemblent, et le parti pris de leur donner des titres interminables ne facilite pas leur mémorisation. On sent à la longue un désagréable besoin de vouloir faire du clinquant, de la citation lettrée, du tape-à-l’oreille en permanence. Alors que les disques et références visées étaient justement des oeuvres simples.
Au final, la seule chose que je trouve vraiment géniale dans ce disque, c’est son titre, bonne blague sur un morceau des graisseux et pas vraiment finauds bûcherons glam de Slade. Pour le reste, tout a déjà été fait, et souvent mieux, il y a bien longtemps … et quelqu’un a t-il de nouvelles de Sufjan Stevens ?

MICHAEL MOORE - FAHRENHEIT 9/11 (2004)


Le Moore, pas la guerre ...

« Fahrenheit  9/11 » a reçu la Palme d’Or au festival de Cannes 2004 (jury présidé par Quentin Tarantino, américain controversé dans son pays, tout comme Michael Moore, et donc pas vraiment un hasard). « Fahrenheit  9/11 » est construit autour de la seconde guerre en Irak qui a succédé aux attentats du 11 septembre 2001. Mais « Fahrenheit 9/11 » est un film qui pose finalement plus de questions qu’il n’apporte de réponses … de par sa nature même, ce n’est pas un exposé ex cathedra, c’est plutôt une succession de vignettes plus ou moins édifiantes.
On vient de lui annoncer que "la Nation est attaquée"
Mais est-ce un film ou un documentaire ? Un peu des deux mon général … Il y a un procédé narratif, des personnages que l’on suit, et sinon une mise en scène (dans tous les sens du terme), du moins des séquences préparées, qui peuvent rattacher « Fahrenheit …» au cinéma. Mais c’est surtout l’aspect documentaire (ou documenteur, on y reviendra) qui ressort, par le montage d’images d’archives, d’extraits de journaux télévisés, par l’aspect d’investigation de bien des séquences, par la non-utilisation de comédiens (sauf Moore, on y reviendra aussi). De toute façon, ce que tout le monde a retenu, c’est un des plus violents pamphlets en images adressés à un pouvoir en place. En l’occurrence, le premier mandat de George Bush (W., ou Junior, comme on veut, mais le paternel valait pas mieux, l’Histoire – et le film – l’ont montré) et de son administration. L’existence même de « Fahrenheit … » fait d’ailleurs partie des paradoxes que le peuple américain se plaît à cultiver. Capable de se faire confisquer une élection présidentielle, et ensuite de réagir culturellement à chaud pendant ou juste après des guerres ou des évènements politiques majeurs (voir par comparaison ce qu’on est capable de faire, ou plutôt de ne pas faire, en Europe en général et en France en particulier).
« Fahrenheit » commence par la victoire suspecte de Bush à l’élection présidentielle de 2000, entachée par de nombreuses irrégularités dans l’Etat (crucial pour le résultat) de Floride, gouverné par le propre frère de Bush. Nous est présenté un début de mandat ridiculement calamiteux, avant qu’arrive le générique du film. Ensuite écran noir, bruit de fond des avions qui s’encastrent dans les Twin Towers, et visions de New Yorkais effarés après l’effondrement des tours, au milieu de papiers calcinés qui volent (d’où le titre du film, en référence au livre de Bradbury « Fahrenheit 451 » dans lequel un pouvoir totalitaire procède à des autodafés de livres). On voit aussi la fameuse scène de l’école de Floride, dans laquelle un Bush en visite feuillette un livre pour enfants alors qu’on lui a annoncé que « la Nation est attaquée ». Révélation manifeste du désarroi d’un incompétent face à cette situation inédite et inimaginable.
Michael Moore et une femme dont le fils soldat sera tué en Irak
D’entrée, et c’est un peu là que le bât blesse, on voit qu’on a une charge ad hominem contre Bush. Suivent ensuite les relations ambiguës, tant politiques que commerciales à travers leurs sociétés, entretenues par les Bush père et fils avec l’Arabie Saoudite, patrie de la famille Ben Laden, et le lent mais calculé lavage de cerveaux d’une population pour la préparer (entretien d’une peur à l’attentat par des médias pro-Bush, vote à la sauvette du liberticide « Patriot Act », mensonges sur les armes irakiennes de destruction massive, …) à la seconde guerre contre l’Irak. Tout mettre sur le dos de Bush est un peu facile, c’est quand même négliger le rôle de ses proches (Powell, Rumsfeld, Cheney, Rice) aux postes essentiels du gouvernement, et la pression du lobby militaro-industriel et de ses va-t-en-guerre. Une guerre qui sera sale, longue, et meurtrière (comme si des guerres sans victimes et sans horreurs ça pouvait exister) et son impact sur la société américaine, bravache et patriote au début, de plus en plus gagnée par le doute, y compris parmi les soldats eux-mêmes ou leurs familles). Hasard tragique, Moore dans sa ville natale de Flint (ville industrielle automobile sinistrée, et lieu de son premier film, « Roger & me ») suit le quotidien d’une famille, les Pedersen, qui va par la suite perdre un des ses enfants en Irak. Pendant que déjà, dans l’ombre, des colloques et réunions de grosses entreprises gèrent la fin future de la guerre et se préparent à se partager les énormes bénéfices de la « reconstruction » irakienne.
Séance de micro-trottoir pour pièger un membre du Congrès
« Fahrenheit » est une œuvre partiale. Assumée comme telle, certes. Dont le but est d’empêcher la réélection de Bush en Novembre 2004. En triturant des vérités. Curieux paradoxe, quand on voit que le film dénonce cette désinformation par l’administration Bush. Certes tous les faits et éléments rapportés dans « Fahrenheit » sont probables (24 procès ont eu lieu, tous gagnés par Moore, ce qui ne veut pas pour autant dire que la vérité est toujours de son côté, d’ailleurs des historiens ou des journalistes spécialisés remettent en cause dans les bonus du Dvd certains points avancés par Moore), mais certaines grosses ficelles démago sont pour moi inexcusables. Comment peut-on oser présenter l’Irak d’avant « l’intervention » US comme une sorte de paradis sur Terre, peuplé d’enfants joyeux et d’une population accueillante et bon enfant ? Alors que le pays est sinistré par une guerre (la première du Golfe) perdue, en proie à un embargo terrible de la part des vainqueurs, et sous la coupe d’un Saddam Hussein, dans le Top 10 des plus sanglants dictateurs du siècle … Comment laisser croire que seuls les Républicains peuvent se compromettre avec des lobbyistes belliqueux (Lyndon Johnson a entamé la guerre du Vietnam, il était Démocrate) quand ces lobbies  arrosent copieusement les deux camps lors des levées de fonds pour les campagnes présidentielles ? Comment croire que les quelques témoignages de soldats US seraient représentatifs et majoritaires parmi les militaires déployés en Irak ? Quels sont les liens (les contrats ?) unissant Moore et le prétendu réfractaire caporal Henderson, accompagnant Moore lors des avant-première du film et auteur de bouquins-témoignages sur son histoire personnelle, sans jamais avoir été inquiété par sa hiérarchie militaire ? …
N’en reste pas moins que « Fahrenheit 9/11 » est à regarder, au moins pour avoir une vision alternative de l’Histoire officielle. Même si l’on peut regretter quelques effets faciles (la multiplication de séquences de guerre gore), quelques digressions plus ou moins hors-sujet (les garde-côtes de l’Oregon, les vieux babas-cool pacifistes, …), et une tendance insistante de Moore à se mettre en scène (lors d’interviews, de séances de micro-trottoirs). Pas étonnant que son clone français Karl Zero (même manque d’humilité et même façon de ne regarder l’actualité et la société que par le petit bout de sa propre lorgnette) soit en extase devant le film dans les bonus DVd. Un Michael Moore, qui a tout de la caricature de l’Américain moyen, avec sa casquette de base-ball, ses sweat-shirts pourris et sa bedaine de bouffeur de Big Macs et autre junk-food … mais qui n’en perd pas le sens des affaires pour autant, c’est un businessman, pas un philanthrope, et qui a fait fortune avec « Fahrenheit 9/11 ». Sorti judicieusement, du moins le croyait-il, au moment de la campagne électorale présidentielle de 2004, assorti à la fin de chaque présentation par des appels à voter (sans préciser pour qui, mais quand on a vu le film on sait contre qui), « Fahrenheit » a suscité un buzz énorme (aidé par la Palme d’Or de Cannes), a été vu par des millions d’américains, a déchaîné les passions …
Résultat : Bush a été plébiscité pour un second mandat …
Conclusion : faut pas prendre les électeurs américains pour des cons, ils le sont encore plus que ce qu’on croit  …

GODSPEED YOU ! BLACK EMPEROR - YANQUI U.X.O. (2002)


Du post-rock trotskiste ?

Hum … Y’a des clients pour un concept-album de trois titres et d’une heure et quart ? ‘tain, ça fout les jetons sur le papier. D’autant plus que rien n’est clair dans cette histoire.
Godspeed … est un groupe canadien à géométrie très variable. Ils sont une bonne demi-douzaine sur ce disque, certains avec des noms qui sonnent « réel », d’autres sous des sortes de pseudos énigmatiques. On sait pas très bien qui joue de quoi, ni d’ailleurs s’ils jouent tous de quelque chose. Quelques-uns font partie d’un projet parallèle, A Silver Mt. Zion, qui œuvre à quelque chose près dans le même registre… le genre de conglomérat abstrait qui te prend bien le chou avant d’avoir écouté la moindre note …
Les Godspeed You ! Black Emperor vont-ils sortir de l'ombre ?
Surtout que faut faire des efforts. « Yanqui U.X.O » est présenté comme un concept-album. Qui parle de quoi ? Ben faut deviner, c’est totalement instrumental et … il reste quelqu’un là ? Bon, faut se contenter du titre du disque (parce que ceux des morceaux, « 09-15-00 », « Rockets fall on rocket falls » et « Motherfucker = Redeemer », ils sont comme qui dirait pas très parlants de prime abord). « Yanqui », c’est de l’espagnol pour Yankee, OK, et « U.X.O. » pour unexploded ordnance, mines antipersonnel ou munitions n’ayant pas explosé. D’où ce largage de bombes sur le visuel … Au recto, une sorte d’organigramme indiquant les liens entre les plus grands groupes multinationaux et les firmes d’armement, et en farfouillant bien sur le Net, on trouve que le 15 septembre 2000 du premier titre correspond au début de la seconde Intifada palestinienne … donc pour faire simple, les zozos de Godspeed se situent politiquement entre José Bové et les Brigades Rouges, et côté musical « impliqué », ce serait Amon Düül (I ou II, arrivé à ce stade, on va pas chipoter …) ou Neu !. Le genre de prise de tête que même après un brainstorming de trois ans, les Radiohead ils y arrivent pas … 
Et la musique, alors ? En gros, du post-rock, c’est-à-dire des types qui veulent faire du prog mais qui n’y arrivent pas (pas assez de fuckin’ technique, pas assez de sens de la « progression » remplacée par « l’évolution »). On commence doucement, gentiment, parce qu’on a le temps, en gros vingt minutes ou plus (même si le premier le dernier titre sont divisées en deux « parties »), on accélère, on rajoute des instruments, on monte dans les tours, puis on replonge dans les murmures sonores … c’est pas pénible, y’a de bons passages, même si à la longue ça finit par ressembler à un film d’Ozu au ralenti question ambiance.
Sinon, rien de révolutionnaire là-dedans, de quelque point de vue qu’on appréhende la chose … des influences guère mystérieuses, remontent au fil de l’écoute des titres Tangerine Dream, Tortoise, Mogwai, Spiritualized, le Pink Floyd de « Echoes », Hawkwind, les Cure de « 17 seconds », la trilogie berlinoise de Bowie, le « Machine Gun » d’Hendrix (en plus sage, moins fou) pour « Rockets fall … » , le « Red » de King Crimson pour certains passages de « Motherfucker … ». Le tout entrecoupé de longues « préparations » plus minimalistes, bourdonnements de basse, notes économes des guitares.
Globalement intéressant, même si finalement assez peu original, le genre de machins qui semblent ravir les forcenés qui veulent à tout prix écouter « autre chose ».
Une remarque quand même, valable également pour Neil Young et quelques autres. Je comprends pas bien que ces Canadiens s’évertuent à pointer systématiquement du doigt les USA. Ils auraient aussi pas mal à faire (et à dire) chez eux, le Canada étant depuis des décennies rigoureusement aligné dans tous les domaines (économique, militaire, douanier, …) sur la politique des Etats-Unis …

THE WHITE STRIPES - WHITE BLOOD CELLS (2002)


Stripes & (future) stars ...

Les White Stripes, eux c’est sûr, ils viennent de Detroit. Ville au passé lourdement chargé rayon rock violent (Nugent, Stooges, MC5, …). Les White Stripes sont une aberration. Alors que le meilleur groupe du monde de l’époque, Radiohead (on ne rit pas, de toute façon ils ont jamais fait rire personne, ces névrosés), balance les guitares au vide-ordures, dévalise tous les magasins de synthés et autres funestes joujoux bruyants, avec l’ambition de produire un bousin cataleptique que seuls quelques sourds trouveront prodigieux, les White Stripes font le contraire. Retour à l’essence de la musique, juste de la percussion et du rythme.
C’est tout simple, tout con, on a juste besoin de quatre boîtes en carton sur lesquelles cogner, et d’une vieille gratte à trois dollars. Et le temps que le Greenwood de Radiomachin trouve la notice de la machine à fabriquer les ondes Martenot, les Stripes avaient sorti deux disques. Que personne a écouté ou acheté, mais qui constituaient un sacré pied de nez aux mathématiciens et à leur musique assistée par les portables à Steve Jobs… Les White Stripes, c’était le retour à toute allure vers l’éthique « do it yourself ».
Pour les Stripes, tout va changer avec « White blood cells ». Ou du moins commencer à changer. Jack White va s’offrir un plongeon dans le passé. Et ne pas s’arrêter au garage sixties des Sonics, Seeds, Remains, et toute la clique des compiles Nuggets. Il va remonter aux sources du rock, aux blues secs et austères, au folk des hobos, à la country et au hillbilly des campagnes blanches. Digérer tout çà. Et le recracher à travers un filtre punk. Ce son craspec, cette électricité bourdonnante et bouillonnante, il va en tartiner ses disques. Avec un truc en plus. Il va donner à son groupe une image, un son, trouver un concept.
D’abord ils ne seront que deux, lui et Meg (à l’époque présentée comme sa sœur, en fait son ancienne femme). Et ils feront tout sans l’aide de zicos additionnels en studio. Ils ne se vont s’habiller qu’en blanc et rouge. Et jouer le plus sale et le plus saturé possible. Et rester maîtres de leurs productions (pas de majors du disque derrière eux). En fait, Jack White réunit tous les ingrédients pour faire un bide colossal… sauf qu’il sait écrire des chansons. A l’inverse des productions de la plupart des revivalistes, on trouve sur « White blood cells » seize compos originales, zéro reprise.
Le ton est donné d’entrée sur « Dead leaves … » : de la guitare saturée, de la batterie simple (iste ? ette ?), un rock brutal à la  mélodie accrocheuse, et hop, envoyez, c’est imparable. Et c’est parti pour la machine à remonter les good times qui rollent. Ou pas. Parce que les White balancent des stricts blues (« I’m finding … »), du hillbilly (« Hotel Yorba »), des bombes soniques lourdes dignes des dinosaures heavy des temps anciens (« Expecting » cogne aussi fort que le « White room » de Cream , « Offend in every way » ou « I think I smell a rat » contiennent des riffs que n’aurait pas renié Jimmy Page, « The Union forever » démarré cool s’offre une accélération de dragster, « Fell in love … » prouve que le grunge et le punk ont été assimilés, …). Le tout dans la concision, 40 minutes pile pour 16 titres, deux couplets, deux refrains, et alors que « White blood cells » est un disque de guitare et rien que de guitare, c’est aussi un gigantesque pied de nez à tous les guitaristes qui sont malheureux s’ils ne casent pas douze millions de notes sur un solo dans chaque titre. La guitare utilisée façon Keith Richards et pas façon John McLaughlin.
Jack White démontre que c’est un grand compositeur. Et quand il faut calmer le jeu, ralentir le tempo, il est là aussi, et pas qu’un peu, le folk acoustique « We’re going to be friends » deviendra un des titres emblématiques du disque et du groupe. Jack White (désolé de ne citer que lui, mais la brave Meg, on peut pas dire qu’elle soit impressionnante sur cette rondelle, ni d’ailleurs sur les suivantes) montre que déjà, il aperçoit les limites de sa formule (les Black Keys mettront dix ans à comprendre) : on tourne vite en rond avec juste une batterie et une guitare. Et une fois qu’on a fait un titre sans guitare (« Little room »), un sans batterie (« We’re going … »), le risque de rabâchage arrive. Les White Stripes sauront contourner en studio ce qui aurait pu être un écueil. Un piano se pointe sur le dernier titre (« The protecter »). Les Stripes par la suite ne s’enfermeront pas dans une sorte de dogme musical, et adjoindront à la guitare et à la batterie cordes, cuivres, claviers divers pour un résultat moins basique, moins brut, mais plus successfull.
A noter que ce disque, pour moi leur meilleur, est dédié à Loretta Lynn, vieille gloire de la country. Peu de monde l’avait remarqué, mais ça annonçait déjà un Jack White, qui les premiers succès venus, n’allait pas se contenter de compter ses dollars, et allait devenir le Monsieur Loyal de tous ses anciens potes de Detroit, ne perdant pas une occasion de les citer (Greenhornes, Von Bondies, …), avant de se lancer dans la création d’un label publiant des disques inespérés de Wanda Jackson ou … Loretta Lynn. Définitivement un type qui a la classe, qui sait d’où il vient, et n’oublie pas de payer ses dettes …

Des mêmes sur ce blog :

THE VINES - HIGHLY EVOLVED (2002)


Dans le rouge ...

Ceux-là, les Vines, ils demandaient rien à personne et se sont retrouvés dans la fumeuse liste des groupes en « The » apparus au tournant du siècle. Pourtant, ils n’étaient pas Anglais (Libertines), Américains (White Stripes, Strokes), ou Scandinaves (Hives). Ils venaient d’Australie, pays-continent au passif lourdement encombré de groupes violents, ils n’avaient certainement pas vent de l’existence du NME, du Melody Maker ou des Inrocks. Et se sont retrouvés à leur corps défendant dans la même charrette que les autres. Condamnés à n’être qu’un groupe de revivalistes garage-rock de plus.
Ce qui n’est pas totalement infondé mais sacrément réducteur, remarque également valable pour leurs congénères cités au-dessus, tant ces groupes ont peu de choses en commun et se distinguent entre eux dès les premières mesures. Mais bon, y’a plus rien à faire, cette étiquette un peu méprisante et condescendante ne les quittera plus.
Les Vines, c’est le traditionnel groupe de potes agencé autour de Craig Nicholls, guitariste, chanteur et auteur ou co-auteur de tous les titres de ce « Highly evolved » leur premier disque. Cette rondelle est bordélique, à l’image de Nicholls. Dont à la suite de quelques pétages de plombs hystériques, on se rendra compte qu’il souffre d’une forme d’autisme aiguë et rare. Dès lors, on comprend mieux tout ces entrelacs de sons, de climats, d’ambiances, ces passages du coq à l’âne ininterrompus. Bien dans la tradition des surdoués de l’écriture un brin rétamés qui ont marqué l’histoire de la musique des djeunes. Il y a chez ce garçon un peu de la folie et de la démesure des Brian Wilson, Arthur Lee et autres Syd Barrett.
Sauf que le terrain de jeu n’est pas le même. Déjà le disque est produit par Andy Wallace, le genre de très gros calibre aux consoles qu’on ne séduit pas avec une ritournelle de guingois ou du folk acoustique. En 2002, Wallace avait déjà vu son nom associé à du rock qui déménage (de Nirvana à Slipknot, en passant par Sepultura, System of a Down, et en gros tout ce la Terre a porté de bruyants et d’enragés dans les 90’s) et d’entrée chez les Vines, le premier titre « Highly evolved » entre décharge punk et garage épileptique, déménage salement.
Seulement voilà, le sieur Nicholls ne se cantonne pas à fournir de la mitraille pour buveurs de bière en Perfecto. Il est fan maladif des Beatles et comme eux, entend bien partir dans tous les sens. Le second titre est une ballade très propre, très classique, contrastant avec le brûlot précédent. Et dès lors, dans ce curieux disque, vont s’entrecroiser mortiers soniques de deux minutes et des choses beaucoup plus complexes, travaillées, sur des tempos nettement moins frénétiques. Avec dans ce rayon-là une nette prédisposition pour des titres qui renvoient à la pop psychédélique des sixties.
Certes, parce que ce devait être plus facile « à vendre », les morceaux mis en avant ont été les plus rapides (« Outthathaway » a même fait un petit hit). Moi, ce sont les titres un peu plus élaborés qui m’interpellent davantage, avec mention particulière à la délicatesse pop avec son piano à un doigt de « Homesick », ou encore le final « 1969 » (rien à voir avec les Stooges), un morceau mélodique très Pink Floyd (« Us and them », ce genre) entrelardé de giclées d’électricité boueuse avant un final louchant vers le prog metal, le tout rendant une atmosphère sourde, lente et noire. Tout n’est pas parfait, il y a quelques titres anecdotiques, la ballade folk qui vire bubblegum  (« Mary Jane »), voire même une grosse bêtise, un truc niaisement sautillant avec refrain à la Offspring (« Factory », le « Ob la di Ob la da » du disque).
Un disque en tout cas étrange et intéressant, fruit d’un cerveau en perpétuel chantier. La Nicholls-dépendance du groupe fera que l’aggravation de l’état du santé du leader l’empêchera de donner une suite correcte à ce premier jet plein de promesses. Ils sont semble t-il revenus après une longue période de passage à vide et un Nicholls chargé de médocs, rendant très improbable le renouvellement déjanté et insouciant de ce bon « Highly evolved ».

DOMINIQUE A - LA MUSIQUE (2009)


A part ?

Dominique A, je connais juste de nom … et un vieux hit mineur de ses débuts au siècle dernier (« Le Twenty-Two Bar »). Et comme la plupart de ses congénères (les ceusses qui chantent en français, qui font pas vraiment du rock mais plus tout à fait de la variété, les Bretons et les chauves), il m’inspire pas vraiment confiance a priori …
« La musique », se présente sous plusieurs formes (un Cd simple auquel je me suis prudemment tenu, un double dont le titre de l’autre volet est « La matière », un double avec un livre, …), comme souvent maintenant, dernier stratagème des maisons de disques pour faire acheter aux fans plusieurs fois la même chose … Un disque enregistré tout seul dans son home studio, comme l’avait paraît-il été son premier (« La fossette »). Le A tout seul avec des machines, c’est une occasion de voir ce qu’il a dans le ventre ce garçon …
Résultat des courses, je suis plutôt preneur, même s’il n’y a pas de quoi se relever la nuit pour se le passer en boucle. Il y a indéniablement un type qui sait écrire, de la musique (des mélodies bien foutues, assez variées), mais aussi des textes, personnels donc assez hermétiques, jouant bien sur la sonorité et la musicalité des mots, évitant les slogans et les effets de tribun … Le tout voguant la plupart du temps sur un registre mélancolique, désabusé. Dominique A sur ce disque en tout cas, n’est pas un joyeux, mais n’est pas non plus sinistre.
Il sait varier les effets de ses disquettes, quelques fois pas très loin du trip-hop (« Qui est-tu ? »), taquinant ailleurs l’indus-noisy (« Je suis parti avec toi »). Jouant aussi sur sa voix (c’est pas un grand chanteur, c’est le moins que l’on puisse dire, mais il passe du quasi talk-over au chant « normal ») pour multiplier les ambiances. Bon, perso, il y a des choses qui me gavent (« Le bruit blanc de l’été » naïf et franchement commercial bas de gamme, l’assez expérimental « Hotel Congress », « La fin d’un monde » chanson triste ringarde j’espère à prendre au second degré). D’autres m’accrochent beaucoup plus, « Nanortalik » qui a un je-ne-sais-quoi de Manset (compliment), « Des étendues », planante et funèbre, « Les garçons perdus » avec ses riffs ( ? ) de synthé, la chanson-titre, belle ballade triste. Et le reste, une bonne moitié du Cd, qui se laisse écouter …
Un disque forcément intimiste, assez consensuel, allez, un peu centriste, y’a longtemps que l’avais pas placé. Qui me donne pas forcément envie d’acquérir sur-le-champ l’intégrale, mais ne me dégoûtera pas d’en écouter d’autres si l’occasion se présente… ce qui est pas si mal …

WILCO - YANKEE HOTEL FOXTROT (2002)


Fallait pas ...

Oh non, fallait pas se pointer avec un disque aussi bon chez les gros cigares de chez Reprise (le label) et de Warner (la maison-mère). Parce que les comptables qui prétendent s’occuper de musique (et accessoirement y connaître quelque chose), ils ont toussé quand Jeff Tweedy est venu leur faire écouter les bandes de son nouveau disque « Yankee Hotel Foxtrot ». Et les hommes de l’art(gent) n’ont pas voulu de pareille chose.
Quoi, ce Wilco, considéré par beaucoup comme le meilleur groupe de classic rock étatsunien, auteur de choses comme « Being there » ou « Summerteeth », qui faisaient tripper tous les tenants d’une americana moderne, et promis s’il avait continué sur la lancée à un grand avenir dans le rock pour stades, voilà t-il pas qu’il se pointe avec un disque de … pop anglaise, et encore de la pop qui semble agencée par quelque savant fou. Un disque qui a l’outrecuidance de commencer par le plus mauvais titre (« I am trying to break … ») des onze, de quoi faire fuir le client (euh, pardon, l’amateur de musique), qui sera quelque peu rebuté par une intro désordonnée, une mélodie feignasse, la voix endormie de Jeff Tweedy, … du n’importe quoi maîtrisé, mais un peu du n’importe quoi quand même …  Le disque dans son ensemble se verra refusé par la maison de disques, le contrat sera rendu à Wilco, qui malgré sa bonne réputation, cherchera un label pendant des mois, avant d’être signé par l’indépendant Nonesuch (distribué par ... Warner, comprenne qui pourra). Les ventes conséquentes de « Yankee … » et des suivants fera que les deux parties auront tout lieu de se réjouir de cette coopération, jusqu’à ce que Wilco crée sa propre structure (dBpm) pour son dernier (et très excellent « The whole love »). Fin de la parenthèse gros sous …
Car pour la musique, y’a pas débat. « Yankee Hotel foxtrot » est un monument, pour moi le meilleur de Wilco et un des tout meilleurs disques des années 2000. Il y a dans ces onze titres des mélodies, des trouvailles que l’on croyait impossibles à entendre tant dans ce qu’on appellera faute de mieux le classic rock, tout semblait déjà avoir été fait et refait depuis des lustres. Le cœur du disque est monumental, de « War on war » à « I’m the man loves you », un enchaînement de cinq titres comme on n’en fait plus, je vous le dis ma bonne dame … Et on a beau les passer en boucle, on n’arrive pas à savoir si on préfère l’énorme nostalgia évoquée par l’autobiographique « Heavy metal drummer », la folie de « I’m the man … » (ses « whouhou » à la « Sympathy for the Devil », ses riffs rhythm’n’blues, ses sonorités hendrixiennes, le genre de fusion après laquelle les laborieux Red Hot Chili Peppers courent depuis vingt cinq ans), la merveilleuse ballade mid-tempo de « Jesus, etc … », les gargouillis de guitares et la mélodie sautillante de « War on war », ou le rock down tempo avec ses synthés apocalyptiques au final de « Ashes of american flag ».
Et le restant, autour, est pas mal également. Malgré l’assez ardu titre d’ouverture, (qui trouve son écho symétrique dans le final de la dernière piste avec ses synthés rappelant ceux des plages instrumentales de « Heroes » de Bowie), on en connaît beaucoup, en couverture de mags musicaux, qui aimeraient bien avoir été capables de glisser ne serait-ce qu’une des chansons « moyennes » de ce disque sur leurs rondelles à eux.
Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur ce disque. Notamment la surévaluation du rôle du frangin Bruitos, la mouche du coche noisy Jim O’Rourke (le cinquième Sonic Youth d’avant la débandade), sous prétexte que son nom figurait au générique de ce « Yankee Hotel Foxtrot ». Il n’est crédité que du mixage (les Wilco sont à l’époque quatre en studio et six sur scène, pas manchots, n’ont besoin de personne pour jouer sur leurs disques, et celui-ci ils l’ont produit), et cet aspect parfois noisy-bruitiste qu’on trouve dans les titres, le groupe l’a par la suite fait sans lui. Ce côté sonore un peu bourdonnant, parasité, plus rarement abscons et dissonant a valu à Wilco le qualificatif à cette époque de « Radiohead américain », le parallèle étant fait entre l’évolution des uns et des autres de « OK computer » à « Kid A » et de « Summerteeth » à « Yankee … ». Qu’on puisse comparer les endives blettes d’Oxford à Wilco relève d’une excellente performance à des tests de surdité ou de mauvaise foi, voire des deux …

Des mêmes sur ce blog :
The Whole Love