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MAZZY STAR - SEASONS OF YOUR DAY (2013)

Amazing ...
Quand on pense à ce que sont devenus les héros-triomphateurs des mornes années 90 (quelqu’un pour prendre la défense des derniers disques de Björk, Radiohead, Massive, Smashing Machins ou Oasis ?), on se dit que certains avaient bien fait de disparaître de la circulation, en laissant derrière eux des disques intéressants. Mazzy Star n’a jamais eu la notoriété et le poids commercial des mammouths suscités, mais ils avaient quitté la scène du grand rock’n’roll circus sur une triplette de bons disques.
Et voilà que près de vingt ans après leur dernier skeud (« Among my swan », bon cru du millésime 1996), ils remettent çà. Bon, le groupe n’est pas très difficile à réunir, ils ne sont vraiment que deux. David Roback, au long passé indie-rockeux (il avait commencé dans Rain Parade, ce qui ne rajeunit personne, et surtout pas lui) et Hope Sandoval, voix éthérée sortie d’on ne sait quels limbes, plus connue par ici grâce à une pub pour Air France (« Asleep from day », musique des Chemical Brothers), ou pour avoir été un temps la compagne du bougon boutonneux William ( ? ) Reid, des fabuleux Jesus & Mary Chain.

Forcément, un disque dont on n’attend rien et même pas la parution ne risque pas d’être décevant. Mais là, comme ça, sans avoir pris la peine de réécouter ceux d’avant (je sais c’est pas bien, mais je m’en fous), je dirais que c’est leur meilleur. D’abord, ceux qui caressaient l’espoir que Hope (joke, on rit) aurait conservé sa voix unique seront ravis, on la reconnaît dès la première mesure, et c’est toujours un enchantement.
« Seasons … » à première écoute a tout d’un disque monolithique. On savait le groupe peu enclin à développer des chants de fin de banquet, donnant plus volontiers dans le morose plutôt que dans le rose. La base de Mazzy Star, c’est du folk, qui se teinte parfois de (country)-rock tout en retenue. Résultat, on se retrouve avec un disque totalement hors du temps, qu’on pourrait croire sorti en 1973 et qui ne sonnera pas démodé dans quatre décennies. Passent à mesure que défilent les titres les ombres et souvenirs de Nick Drake (« California », « Sparrow »), Joni Mitchell ou Joan Baez (« Seasons of your day »), du Band quand ils moulinaient derrière les grands disques de Dylan (« In the kingdom »). Bien sûr, un peu partout, quand un fond noisy et bourdonnant vient parasiter la fragilité des mélodies, c’est le Velvet Underground chéri du groupe qui remonte à la surface (« Common burn » et « Spoon », réminiscents des ballades mortifères de la bande à Lou Reed).
Mais finalement, le nom qui revient le plus souvent à mesure que défilent les titres, c’est celui, pourtant assez inattendu, de Ry Cooder. « Seasons … » est une véritable ode à la slide guitar, Roback en met partout, prenant plaisir à étirer ces notes métalliques traînantes, et on pense alors très fort à Nastassia Kinski et son pull-over rouge dans « Paris, Texas ». Et puis, pour en rajouter encore une couche dans le côté rustique et intemporel, de l’harmonica vient parfois se mêler à cette fête sonore.
Sur dix titres, seuls deux sont un peu plus rythmés, le classique country-rock de « Lay myself down » et le très beau et surprenant final (« Flying low »), qui évoque très fortement « The Rover » de Led Zep, un « The Rover » joué un petit matin blême avec une gueule de bois carabinée…

L’automne et la grisaille arrivent. « Seasons of your day » en est la bande-son idéale. Et ce disque est tellement bon qu’il pourrait même passer l’hiver …


JACKSON BROWNE - FOR EVERYMAN (1973)


Au centre du centre ...

Jackson Browne, c’est le type dont on ne peut raisonnablement pas dire de mal. De toutes façons personne ne dit jamais de mal de Jackson Browne, c’est pas moi qui vais commencer.
Jackson Browne, c’est le songwriter doué, le bon chanteur, le type sympa, beau gosse et engagé dans plein de bonnes causes. Le gendre idéal des années 70. Musicalement, c’est clean, bien foutu, du classic rock américain (pléonasme) comme beaucoup l’aiment. Des influences et des copains irréprochables (le country-rock, Gram Parsons, Dylan, les Eagles, Springsteen, …). Des ventes de disques conséquentes également (chez lui aux States, parce qu’ailleurs, c’est confidentiel).
« For everyman » est son second disque, celui qui va l’installer pour des décennies au premier plan du paysage musical. Browne n’est pas un inconnu pour autant. Les curieux qui lisaient les notes de pochette de disques avaient déjà vu son nom dans le casting (pléthorique il faut dire) du Nitty Gritty Dirt Band, et dans les crédits de quelques compositions sur les disques des Eagles, des Byrds, ou Linda Ronstadt. Browne avait commencé très jeune, la légende veut qu’il ait été remarqué (et dépucelé, y’a pire pour débuter dans la vie sexuelle) par Nico dans le milieu des années 60. En tout cas, c’est sur le disque solo « Chelsea girl » de l’éphémère chanteuse du Velvet qu’on le retrouvera un peu partout dans les crédits.

Mais pour Browne, le premier jackpot viendra avec « Take it easy » co-écrit avec Glenn Frey, et premier gros succès de la carrière des Eagles en 1972. Et tout ce tissu d’amitiés occasionnera des retours d’ascenseur sur ses disques à lui. Ainsi on retrouve impliqués sur ce « For everyman » tout le gotha du rock West Coast (Frey et Henley des Eagles, Crosby, Joni Mitchell, Bonnie Raitt,…), celui qui restera son inamovible complice David Lindley (multi-instrumentiste avec prédisposition particulière pour le violon, électrique ou pas), et même cette grande folle d’Elton John au piano sur un titre et sous le pseudo (question de contrats) Rockaday Johnny.
« For everyman » débute par « Take it easy » qui va définir la couleur de l’album. Par rapport à la version des Eagles, celle de Browne est un peu plus clinquante, un peu plus « tape-à-l’oreille », avec un tempo un peu plus accéléré. Mais on reste en territoire connu, du country-rock bien dans la ligne du parti. Le reste est à l’avenant, musardant entre soft-rock, country rock, ballades pour chialer dans sa bière, mise en place sérieuse, bonnes compos, bien jouées, bien chantées, sans faute de goût. On bat plus vite la cadence quand arrive « Red neck friend » et son piano boogie-woogie, on pense à Dylan époque The Band (les inflexions de la voix, le souffle épique de ce titre le plus long du disque, le Hammond B3) avec la chanson-titre. Quand le tempo se ralentit au milieu d’arrangements de bon aloi, on se retrouve avec « These days », succès dans les charts et un des classiques de son auteur.
A ce stade, il faut bien placer le mot qui peut fâcher : centriste. Tout dans ce disque est bien joli, bien mignon, bien gentil. « For everyman » s’écoute facilement, passe comme une lettre à la poste. C’est bien fait, mais ça manque quand même de vie, de tripes … ça a tendance à s’oublier facilement …


Du même sur ce blog :


STEPHEN STILLS - MANASSAS (1972)


Le super-groupe de Stills

Quelque peu oublié aujourd’hui, Stephen Stills était au début des années 70 un des grands noms du rock ayant tour à tour fait partie de Buffalo Springfield, Kooper – Bloomfield – Stills, Crosby Stills Nash (& Young). Peut-être un petit problème d’ego, ce n’était pas forcément lui la star dans tous ces groupes. Et donc à la première occase, en l’occurrence l’implosion d’un CSN & Y en pleine gloire, Stills monte un projet mahousse, un brin mégalo, un (what else) super-groupe.
Alors que la plupart de ces conglomérats de people se limitaient généralement à un trio hyper technique (prototype : Cream), Stills va mettre sur pied une équipe très étoffée, en s’adjoignant six compagnons d’armes. Evidemment, lire le casting de la formation de Stills aujourd’hui, à moins d’être un passionné de ces vieux sons pour grabataires, n’est pas très parlant. Mais à l’époque, des gens comme Chris Hillman (Byrds puis Flying Burrito Bros), Al Perkins (accompagnateur de Gram Parsons), Samuels et Taylor (la section rythmique de CSN & Y), Joe Lala ou Paul Harris (musiciens de sessions très cotés) avaient été de tous les bons coups californiens et bénéficiaient d’une notoriété certaine.
« Manassas » sera un double vinyle, et entend bien marquer son temps. Il y réussira, définissant les bases d’un rock américain « West Coast », qui culminera quelques années plus tard avec le succès (hold-up ?) des Eagles. On trouve dans cette musique un retour aux sources (touches de country, bluegrass, blues, rock’n’roll …), enrobé de guitares souvent furieuses (Stills est un excellent guitariste), porté par de superbes harmonies vocales. Stills montre qu’il est en outre un superbe compositeur tout-terrain (il signe seul pratiquement tous les titres), avec  les magnifiques mélodies pop de « Both of us » et « It doesn’t matter ». Et comme il a traîné suffisamment de temps avec Neil Young, ça laisse des traces, l’écriture  est parfois similaire (« Hide it so deep », « Colorado »).
Chaque face du vinyle original avait un titre (titre de la dernière : « Rock and roll is here to stay », quand je vous parlais de Neil Young …) et une couleur sonore plus ou moins homogène, et le disque se terminait par un hommage (« Blues man ») aux premiers héros du rock tombés guitare à la main : Jimi Hendrix (pote de jam de Stills), Al Wilson de Canned Heat et Duane Allman.
Et même si aujourd’hui, on peut trouver à la longue dans « Manassas » quelques redites et quelques longueurs datées, il n’en constitue pas moins la pièce maîtresse de l’œuvre de Stills et un des disques de référence du rock californien des années 70. Si le terme avait existé à l’époque, on dirait que c’est un grand disque d’americana.
Le « groupe » fera paraître un an plus tard une suite (« Manassas down the road ») sans trop de conviction, avant que trop d’egos au mètre carré conduisent à l’éclatement logique, chacun s’en retournant avec plus ou moins de bonheur vaquer à ses projets solo … 

WILCO - YANKEE HOTEL FOXTROT (2002)


Fallait pas ...

Oh non, fallait pas se pointer avec un disque aussi bon chez les gros cigares de chez Reprise (le label) et de Warner (la maison-mère). Parce que les comptables qui prétendent s’occuper de musique (et accessoirement y connaître quelque chose), ils ont toussé quand Jeff Tweedy est venu leur faire écouter les bandes de son nouveau disque « Yankee Hotel Foxtrot ». Et les hommes de l’art(gent) n’ont pas voulu de pareille chose.
Quoi, ce Wilco, considéré par beaucoup comme le meilleur groupe de classic rock étatsunien, auteur de choses comme « Being there » ou « Summerteeth », qui faisaient tripper tous les tenants d’une americana moderne, et promis s’il avait continué sur la lancée à un grand avenir dans le rock pour stades, voilà t-il pas qu’il se pointe avec un disque de … pop anglaise, et encore de la pop qui semble agencée par quelque savant fou. Un disque qui a l’outrecuidance de commencer par le plus mauvais titre (« I am trying to break … ») des onze, de quoi faire fuir le client (euh, pardon, l’amateur de musique), qui sera quelque peu rebuté par une intro désordonnée, une mélodie feignasse, la voix endormie de Jeff Tweedy, … du n’importe quoi maîtrisé, mais un peu du n’importe quoi quand même …  Le disque dans son ensemble se verra refusé par la maison de disques, le contrat sera rendu à Wilco, qui malgré sa bonne réputation, cherchera un label pendant des mois, avant d’être signé par l’indépendant Nonesuch (distribué par ... Warner, comprenne qui pourra). Les ventes conséquentes de « Yankee … » et des suivants fera que les deux parties auront tout lieu de se réjouir de cette coopération, jusqu’à ce que Wilco crée sa propre structure (dBpm) pour son dernier (et très excellent « The whole love »). Fin de la parenthèse gros sous …
Car pour la musique, y’a pas débat. « Yankee Hotel foxtrot » est un monument, pour moi le meilleur de Wilco et un des tout meilleurs disques des années 2000. Il y a dans ces onze titres des mélodies, des trouvailles que l’on croyait impossibles à entendre tant dans ce qu’on appellera faute de mieux le classic rock, tout semblait déjà avoir été fait et refait depuis des lustres. Le cœur du disque est monumental, de « War on war » à « I’m the man loves you », un enchaînement de cinq titres comme on n’en fait plus, je vous le dis ma bonne dame … Et on a beau les passer en boucle, on n’arrive pas à savoir si on préfère l’énorme nostalgia évoquée par l’autobiographique « Heavy metal drummer », la folie de « I’m the man … » (ses « whouhou » à la « Sympathy for the Devil », ses riffs rhythm’n’blues, ses sonorités hendrixiennes, le genre de fusion après laquelle les laborieux Red Hot Chili Peppers courent depuis vingt cinq ans), la merveilleuse ballade mid-tempo de « Jesus, etc … », les gargouillis de guitares et la mélodie sautillante de « War on war », ou le rock down tempo avec ses synthés apocalyptiques au final de « Ashes of american flag ».
Et le restant, autour, est pas mal également. Malgré l’assez ardu titre d’ouverture, (qui trouve son écho symétrique dans le final de la dernière piste avec ses synthés rappelant ceux des plages instrumentales de « Heroes » de Bowie), on en connaît beaucoup, en couverture de mags musicaux, qui aimeraient bien avoir été capables de glisser ne serait-ce qu’une des chansons « moyennes » de ce disque sur leurs rondelles à eux.
Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur ce disque. Notamment la surévaluation du rôle du frangin Bruitos, la mouche du coche noisy Jim O’Rourke (le cinquième Sonic Youth d’avant la débandade), sous prétexte que son nom figurait au générique de ce « Yankee Hotel Foxtrot ». Il n’est crédité que du mixage (les Wilco sont à l’époque quatre en studio et six sur scène, pas manchots, n’ont besoin de personne pour jouer sur leurs disques, et celui-ci ils l’ont produit), et cet aspect parfois noisy-bruitiste qu’on trouve dans les titres, le groupe l’a par la suite fait sans lui. Ce côté sonore un peu bourdonnant, parasité, plus rarement abscons et dissonant a valu à Wilco le qualificatif à cette époque de « Radiohead américain », le parallèle étant fait entre l’évolution des uns et des autres de « OK computer » à « Kid A » et de « Summerteeth » à « Yankee … ». Qu’on puisse comparer les endives blettes d’Oxford à Wilco relève d’une excellente performance à des tests de surdité ou de mauvaise foi, voire des deux …

Des mêmes sur ce blog :
The Whole Love 

THE GUN CLUB - MIAMI (1982)


Racines hantées ...

Le Gun Club, c’est tellement invraisemblable, toute l’histoire, et surtout les débuts du groupe, ça tient de la mythologie du binaire. Au départ c’est une histoire de fans, et même de fan-clubs. Le Gun Club fut fondé par le président du fan-club des Ramones, Kid Congo (Powers),  et par celui du fan-club de Blondie, Jeffrey Lee Pierce. Bizarrement, le Gun Club (nom choisi parce que lors de son arrivée à Los Angeles, Pierce avait été surpris du foisonnement de ces clubs d’entraînement au maniement des armes, vivier intarissable de sympathisants de la sinistre NRA, d’électeurs républicains, et d’apprentis serial-killers dans les centres commerciaux, les églises ou les écoles – fin de la parenthèse), n’a que peu à voir avec Blondie ou les Ramones.
The Gun Club 1982
C’est avant tout un groupe nostalgique, composé d’éboueurs sonores, passant leur vie à fouiller dans les poubelles du blues, de la country, du rock’n’roll, … afin d’y dénicher quelques pépites un peu bizarres, faites par des gens un peu cinglés, tout cela constituant les alluvions qui vont servir à sédimenter le son du Gun Club.
En se focalisant sur l’aspect sordide, noirâtre, de cette musique. Ceux qui suivent sont en train de hurler le nom des Cramps. Oui, mes petits chéris, mais les Cramps s’arrêtaient au côté rockab et ’n’roll et pour Lux et Ivy tout disque paru après 1960 était suspect de modernité trop mise en avant. Et dans leur genre, les Cramps étaient les meilleurs. Le Gun Club lui ratisse plus large au niveau palette sonore, les deux groupes étant à leurs débuts rigoureusement indispensables.
« Miami » est un des meilleurs disques des 30 derniers siècles. Et pour accoucher d’un Cd comme ça, il faut être « différent ». Or Jeffrey Lee Pierce, le leader du Gun Club est « différent ». Il est hanté, possédé, envoûté par sa musique et cela s’entend. Et désormais, même si « Miami » n’est que le second disque du Gun Club, seul maître à bord (Kid Congo a quitté le groupe avant la parution de « Fire of love », l’également incontournable premier disque, pour aller rejoindre les « rivaux » des Cramps). Pierce est un auteur assez étonnant, remplissant ses titres d’un minimalisme épique. Pour faire simple, c’est de l’ultra basique, mais la puissance conférée à ces titres leur donne des allures de super production. Une super production pas en Technicolor scintillant, ici la palette explorée serait dans un nuancier de gris sombre et de noir. Tiens, puisqu’on parle de production, elle est signée Chris Stein, guiatariste et co-leader de Blondie (Debbie Harry apparaît dans les chœurs sur un titre), et c’est le couple Stein-Harry qui a permis au Gun Club d’être distribué par Chrysalis, et qui a mis quelques dollars dans la marmite pour que ce disque puisse voir le jour.
Jeffrey Lee Pierce
Ce disque, plus encore que le précédent du Club, a fait l’effet d’une bombe. Avec un Jeffey Lee Pierce en Adonis peroxydé et déglinguo, encore beau et tout juste un peu enveloppé, multipliant attitudes chamaniques et poses langoureuses sur scène. Récoltant au passage des comparaisons avec Jim Morrison et le Brando d’« Un tramway nommé Désir ». Des comparaisons qui seront longtemps valables, avant que les quantités industrielles de boissons pour hommes et de poudres blanches consommées par Pierce le fassent également s’épaissir physiquement. Et puisqu’on parlait de Désir (elle est pas grosse, la ficelle ?), on rappellera aux plus jeunes que Noir Désir a à peu près tout pompé sur le Gun Club, ce qu’ils ont d’ailleurs toujours reconnu, allant même jusqu’à faire un « Song for JLP » qui se passe de commentaires …
Il est question avec « Miami » d’exploration des racines de la musique populaire américaine : blues, country et leur progéniture illégitime, le rock’n’roll. Et dans sa démarche, ce disque se rapproche du « L.A. Woman » des Doors (vous ai-je déjà dit le parallèle qui avait été fait entre Pierce et Jimbo ? … c’était pour voir si tout le monde suivait). Jeffrey Lee Pierce part des des transes épileptiques au moindre prétexte, atteignant en intensité certaines prestations bien allumées d’Iggy Pop.
La reprise de « Run through the jungle » de Creedence (peut-être le plus grand groupe de rock’n’roll américain) est à la hauteur de l’original et le transcende par sa noirceur tragique et désespérée. Le lancinant « Texas serenade » et le « crampsien » « The fire of love », se détachent à peine d’un disque dense et compact qui est à aborder dans son intégralité, c’est une œuvre homogène, épaisse, lourde, parfois tragique et désespérée, et pas un assortiment de bric et de broc de titres mis les uns à la suite des autres pour arriver à garnir 40 minutes de plastique noir …
Les fans (peu nombreux, de quelque côté de l’Atlantique qu’on se situe) s’entêteront à trouver des œuvres majeures dans les disques qui suivront (pas beaucoup du Gun Club, quelques-uns de Pierce en solo, le compte est pas facile à faire, beaucoup de matériel étant plus ou moins « non officiel »). Les fans (par définition) ne sont pas lucides. La quintessence du Gun Club, le seul incontournable du groupe, c’est « Miami » …

RYAN ADAMS - HEARTBREAKER (2000)


Suicide ...

Ryan (ne pas confondre avec Bryan, le Canadien vérolé et ses infâmes ballades FM) Adams était à la fin du siècle dernier un des noms promis à un bel avenir. D’indéniables talents d’auteur, jugés mal exploités dans un groupe de country alternative (Whiskeytown) réservé aux initiés.
Et quand il annonça son départ du Whiskeytown et le début d’une carrière solo, les rotatives s’emballèrent, et les rumeurs de disques merveilleux à venir se répandirent. « Heartbreaker », paru en 2000, est le premier d’une copieuse discographie solo d’Adams. Et là tout le monde (enfin ceux qui sont censés acheter les disques, vous et moi, quoi) déchanta.
Quoi, ce type, au lieu de caresser l’auditeur potentiel dans le sens du poil, de faire un joli disque d’americana à la Springsteen-Petty-Seger-etc …, balançait un truc rêche et austère. Tiens et puisqu’on parlait de Springsteen, « Heartbreaker », c’est un peu à Adams ce qu’est le « Nebraska » au prétendu Boss. Le genre de disques qui plomberait même une veillée funèbre… attention, j’ai pas dit qu’il était mauvais, d’ailleurs « Nebraska » est pour moi au moins dans le tiercé de tête du gars du New Jersey. Mais bon, pour lancer une carrière sur les chapeaux de roue avec passages radio, clips joyeux et tout plein colorés en heavy rotation, c’est pas vraiment l’idéal …
L’explication, y’en a une, vient du fait qu’Adams venait de se faire larguer par sa meuf (prénommée Amy, un titre porte son prénom), et que vite fait bien fait, il a torché ce disque tout plein de ses idées noires, de ses rancœurs, de son blues d’amoureux éconduit …
« Heartbreaker » n’est pas un disque acoustique, mais c’est tout comme. L’instrumentation est souvent minimale, et dans tous les cas toujours très discrète, on accompagne, on suit la mélodie, on cherche pas à se faire remarquer … En résultent quelques titres quand même bien plombants et austères (« Cal me on the way back home », « To the one », « Don’t ask for the water », …), que n’arrivent pas contrebalancer deux ruades électriques, « To be young » (imitation de Dylan circa 66 ?) et « Shakedown on 9th Street », rockabilly mutant et rageur. Le reste est du country-rock traînard de bon aloi, entendez par là, bien fait, pleurnichard mais pas gnan-gnan.
Parce que le sieur Adams sait écrire, c’est sûr. Tous les titres, quel que soit l’enrobage, sont assemblés à partir de mélodies first class, et bien que guère « bruyants », ont recours à tous les instruments du genre (guitares de toutes sortes, piano, Hammond, …) qui moulinent sobrement au fond du mix. Et quand par hasard la voix d’ange d’Emmylou Harris vient contrechanter sur un « Oh my sweet Carolina », c’est tout simplement magique, et on en arriverait à confondre Ryan Adams avec Gram Parsons …
Evidemment, pareille chose n’a pas affolé les compteurs des chiffres de vente, des disques comme celui-là, il en sortait à la pelle depuis une quarantaine d’années. Le résultat est dans la « ligne du parti », même si perce en filigrane des talents d’auteur et de mélodiste bien au-dessus de la moyenne. Le suivant « Gold », sera plus énergique, plus « consensuel », et sera la meilleure vente de Ryan Adams. Sa propension pour la dive bouteille et autres substances moins licites feront de son auteur un artiste assez ingérable commercialement parlant qui devra se contenter selon la formule consacrée de « succès d’estime » …

BILL CALLAHAN - SOMETIMES I WISH WE WERE AN EAGLE (2009)


New folk ...

On va pas jouer les fins inspecteurs (Harry, … et ceux qui n’ont pas compris gagnent l’intégrale de Don Siegel), mais il y a des indices qui ne trompent pas. Voilà enfin un disque récent (même si son auteur n’est pas de la dernière pluie) où je comprends quelque chose, où il y a une démarche qui me parle …
Et ça commence par la pochette, animalière, champêtre et rustique, avec immédiatement, une pavlovienne association d’idées qui amène à citer des noms comme Neil Young ou le Buffalo Springfield, ce qui on en conviendra, revient à peu près au même. Et naturellement, on n’est pas surpris quand dès la premier titre, on entend les arpèges de guitares en bois accompagnant la voix mâle, welcome autour du feu de camp et en piste pour la séance folk et country-rock de derrière les fagots … Sauf que dans ce genre roots, j’attends strictement plus rien (les bons skeuds, je les connais, ils sont du siècle dernier), et qu’il en faut plus qu’un énième revival baba cool acoustique pour m’attendrir.
Bill Callahan était le leader du groupe Smog que je connais juste de nom, et ceux qui l’accompagnent sur ce disque dont je ne savais également rien, semblent issus d’une scène lo-fi alternative-roots-machin pour moi énigmatique (Daniel Johnston, Okkervil River, …). Il n’empêche que ce « Sometimes … », il est très bien, voire plus.
S’il se réfère à des choses elles parfaitement identifiées, il se dégage une impression rafraîchissante qu’on ne retrouve que chez ces quelques très rares qui savent faire du neuf avec du vieux. Le son est d’une limpidité et d’une clarté remarquables, enjolivé amoureusement par des arrangements de cordes, plus rarement de cuivres, le tout avec un sens de la retenue, de la parcimonie et du bon goût trop facilement oubliés dans les productions à tendance m’as-tu-vu qui semblent aujourd’hui la norme. Ou comment préférer l’utile au futile …
On pense quelques fois à un Bonnie Prince Billy qui se serait levé d’humeur triste et non plus sinistre, parfois à Leonard Cohen à cause de similitudes vocales troublantes (« Rococo Zephyr », « Eid Ma Clack Shaw »), à un Velvet qui aurait quitté les trottoirs new-yorkais pour les collines de Virginie … Grisaille, langueur et monotonie sont au programme, et pourtant on est à mille lieues d’un indigeste pensum avachi …
« Sometimes … » est un disque parfaitement invendable de nos jours, les grabataires qui s’intéressent au genre se contentent juste d’acheter les dernières daubes de Dylan ou Cohen, et ceux qui ont moins de cent ans écoutent des daubes d’un autre genre. Et d’ailleurs de ce « Sometimes … » il s’en est vendu des clopinettes… Pourtant il s’agit d’un disque rare, précieux, d’une intelligence musicale peu commune. Un disque qui n’a pas peur de prendre des risques, s’éloignant de tous les stéréotypes d’une americana consensuelle, pour explorer des contre-temps où la rythmique se fait bourdonnante (« My friend »), sautillante (celle de « Jim Cain » ressemble à celle du « Psychokiller » des Talking Heads). Rarement on a entendu des instruments de la musique classique se mêler avec autant de bonheur à du old folk (et non, les titres « symphoniques » d’ « Harvest » ne constituent pas la référence, ils sont globalement assez moches), ou des titres de dix minutes (« Faith / Void ») s’avérer captivants, combinant mantra des paroles, ambiance à « Song for Drella » de Lou Reed – John Cale, et arrangements merveilleux …
Et vous ai-je déjà dit que ce disque de choses antédiluviennes sonne mo-der-ne, et pas comme s’il était sorti en 1971 ? Oui, je vous l’ai déjà dit …
C’est bon, pouvez aller fumer …

JAMES TAYLOR - SWEET BABY JAMES (1970)


Soft rock ...

Le soft rock … rien que le nom, ça fait mal … du rock façon Canada Dry, de l’ersatz, un truc fade ? certes, bien que ce genre tombé en désuétude (aujourd’hui, on dit plus soft rock, on dit classic rock, americana, Eric Clapton ou Phil Collins, ou Muse, … ou tout ce qu’on voudra) a au siècle dernier, fini par mettre à ses pieds les seventies. Avec les triomphes et les ventes par millions des Eagles, Doobie Brothers, Fleetwood Mac, … en gros tous ces Californiens farcis de coke, mais aux chansons qui se retiennent …
James Taylor & Carole King 1971
L’affaire a commencé avec deux disques aux débuts des années 70. Le « Tapestry » de Carole King et ce « Sweet Baby James » de James Taylor. Et ce n’est bien évidemment pas un hasard si chacun des deux est crédité sur le disque de l’autre. Les deux étaient amis (et le sont toujours, ils tournent souvent ensemble maintenant dans le circuit nostalgia américain), et partagent la même vision de la musique. En gros, des chansons simples mais bien foutues avec de jolies mélodies en avant, des arrangements boisés et limpides, et une fausse nonchalance (fausse, parce qu’il faut bosser, ou être doué, pour faire ce genre de disques et éviter que ça sonne tout mou et tout ringard).
James Taylor est un touche-à-tout, qui musarde dans tous les genres traditionnels américains, passant avec une égale aisance du folk à la country, de la pop au blues, mélangeant à l’occasion tout çà … Ce « Sweet Baby James » rencontrera un colossal succès dans le monde dit libre, mais surtout au States, et surtout sur la côte Est, porté par des morceaux qui squatteront le haut des charts (le country-rock de « Country road », et cette quintessence de l’americana à venir qu’est « Fire and rain »).
Le reste n’est pas mal non plus, du folk pour feu de camp de « Oh ! Susannah », au duo avec Carole King (« Blossom »), en passant par le country-rock pépère du morceau-titre. Et puis, de temps en temps, Taylor se lâche, va s’abîmer la voix sur des blues près de l’os (« Steamroller » et « Oh baby, don’t you loose … », ces deux titres enregistrés live), ou sur le dernier titre, « Suite for 20 G », rhythm’n’blues canaille avec riffs sauvages de cuivres et tout le tremblement.
C’est sûr que le fan de grindcore restera quelque peu sur sa faim, mais celui qui aime des chansons américaines cool va y trouver son compte. James Taylor est une institution aux USA, mais a eu même dans sa période majeure (les 70’s), assez de mal à s’exporter …

GREEN ON RED - THE KILLER INSIDE ME (1987)


Retour aux fondamentaux
Green On Red est dans les livres d’histoire (quand ils y sont mentionnés, ce qui loin d’être toujours le cas) rattaché au mouvement dit Paisley Underground. En gros, un tas de groupes essentiellement basés en Californie, redécouvrant au milieu des années 80, les bienfaits d’une musique puisant son inspiration dans les sixties psychédéliques américaines (le folk-rock et le rock garage assaisonnés au LSD, toute cette sorte de choses …). Un retour aux sources et les prémices de ce que l’on finira par appeler americana.
Et une forme de réaction au punk, au hair metal, au revival rockabilly qui monopolisaient l’attention du « grand public ». Le mouvement Paisley Underground est composé de rustiques qui s’assument (la plupart des membres de Green On Red sont d’ailleurs des « immigrants », venus de Tucson, Arizona).
Leur musique présente un rock de facture classique, old-school, serait-on tenté de dire. La lecture des crédits, et celle du nom du producteur Jim Dickinson (l’homme des studios Trident de Memphis, et le metteur en sons des derniers soubresauts du Big Star d’Alex Chilton), commence à baliser le terrain. Le premier titre annonce la couleur sonore, avec un chanteur (Dan Stuart) à la voix fleurant bon clopes et alcool forts consommés en quantités déraisonnables, et un guitariste (Chuck Prophet), économe de notes, mais au toucher et à l’inventivité assez uniques. Un des rares guitaristes qui sera célébré par la suite (et deviendra un sessionman très recherché), beaucoup plus pour son originalité que par sa vitesse sur le manche …
« The killer inside me » présente une collection de chansons (les Green On Red savent en écrire et les jouer plus que correctement) de facture classique, bien en ligne avec ce que produisaient les stars célébrées du classic-rock des mid-eighties (Springsteen, Seger, Mellencamp, …). Tout en évitant le ronronnement dans lequel ces gens-là commençaient à tomber. Les Green On Red ont tout à prouver et se « lâchent ». Dan Stuart ne s’économise pas et son timbre vocal n’est pas sans rappeler celui de Dan Zanes, des malheureusement également oubliés Del Fuegos qui sévissaient à la même époque. L’ombre des Stones du début des seventies plane souvent sur ces compositions, celles de Dylan ou Springsteen aussi. Quand le tempo s’énerve et l’ambiance s’obscurcit (« Ghosthand »), on pense aux Cramps ou au Gun Club, quand un titre (« Track you down ») est lancé par un riff  voisin de celui de « Rebel Rebel », s’ajoute une touche plus glam-rock et sautillante.
Chuck Prohet marque son territoire sur tout le disque, survole de façon évidente quelques titres (« Clarkesville », « No man’s land », « Born to fight » « Killer inside me »). Le seul gros point noir est pour moi un son de batterie très typé (en gros celui du « Born in the USA » de Springsteen) et forcément daté, qui parasite quelque peu l’ensemble et relègue au second plan l’orgue et les claviers pourtant cruciaux dans ce genre de musique.
Il faut être clair, on n’a pas avec Green On Red et ce « Killer inside me » affaire au groupe génial honteusement ignoré, pas plus qu’à un disque « maudit » oublié qui mériterait toutes les louanges. C’est juste du bon boulot de fans, qui allaient à contre-courant des tendances de l’époque, et jetaient avec d’autres (Dream Syndicate, Rain Parade, Long Ryders, …) les bases d’une americana qui allait devenir un des genres majeurs des années 90 et suivantes aux USA.

SHOULDERS - TRASHMAN SHOES (1992)


Pas à côté de leurs pompes ...

Les Shoulders sont un groupe d’Austin, Texas, auteurs de deux albums au début des années 90, et apparemment disparus depuis. Et c’est bien dommage, tant ce Cd laisse entrevoir de belles choses.
Déjà décalés par rapport à leur origine géographique (ils ne jouent pas de cette country fadasse dont Austin était devenue la capitale, au contraire, ils remettent la ville sur les planisphères rock’n’roll, et ce sont des groupes comme les Shoulders qui rendront possible l’énorme succès du festival S X SW, référence maintenant absolue des grands raouts d’indie rock au niveau planétaire), ils l’étaient aussi par la musique proposée : un rock teinté de soul et de rythm’n’blues (présence de cuivres sur quelques morceaux), que l’on ne peut s’empêcher de rapprocher du Tom Waits des débuts, surtout à cause d’une voix (Michael Slattery) que l’on devine entretenue à la nicotine et aux alcools forts .
Leur musique très travaillée, composée maison sans aucune reprise est souvent festive, évoquant dans l’esprit celle des Pogues, mais on trouve aussi de magnifiques ballades (« Beckoning bells », « Fare thee well » ou encore le crépusculaire « I’ll take what’s left »).
Disque déglingué mais classe d’americana hors du temps à (re)découvrir.

JOHN FOGERTY - JOHN FOGERTY (1975)


Creedence Revival
Un cliché (forcément) sur le visuel du disque : John Fogerty, look total plouc, au milieu de la cambrousse avec un chien informe à ses pieds. Même Cabrel n’oserait pas …
Mais Fogerty n’est pas un vulgaire péquenot sudiste à chemise à carreaux. On parle là du leader, de l’âme du plus grand groupe de rock’n’roll américain, Creedence Clearwater Revival.
John Fogerty et un imitateur célèbre ...
Après la fin peu glorieuse (artistiquement) du groupe et un encombrant projet country (« Blue Ridge Rangers »), Fogerty fait en 1975 ce qu’il sait le mieux faire : du pur Fogerty.
Et forcément, comment ne pas penser à Creedence … Même alchimie des compositions, même voix, même guitare. Et Fogerty qui joue de tous les instruments recrée même par moments la magie des structures rythmiques de Cook et Clifford.
Deux hits, « Almost Saturday night » et « Rockin’ all over the World » (qui fera le bonheur et la fortune des graisseux de Status Quo), quelques reprises (« You rascal you », « Lonely teardrops », « Sea cruise ») et le reste bien dans la ligne du parti. En fait, un album de Creedence en solo. Pas au niveau des chefs d’œuvre passés (« Willy & the Poor Boys », « Green River », « Cosmo’s Factory »), mais nettement supérieur à des machins genre « Pendulum » ou « Mardi Gras ».
Avec ce disque éponyme comme point de départ, Fogerty aurait pu prétendre à une carrière solo fabuleuse. Un successeur raté (« Hoodoo »), des embrouilles sans fin avec sa maison de disques, le tiendront ensuite éloigné des studios et de la scène pendant pratiquement dix ans, jusqu’à un fulgurant retour en 1984 (« Centerfield »)

Du même sur ce blog :
Centerfield


GRATEFUL DEAD - AMERICAN BEAUTY (1970)


De toute beauté ...

Pour moi la masterpiece du Dead … En studio … Parce que Grateful Dead est un groupe compliqué, surtout vénéré par ses fans pour ses concerts-marathon et les improvisations stratosphériques de Jerry Garcia. Et tous ces Deadheads, baba-cools migrant au gré des dates de leur groupe, ont collé au groupe une de ces images d’Epinal (surtout en France) dont il est difficile de se remettre…

Pour beaucoup, le Dead n’est qu’un groupe de hippies, parfait symbole du flower-power de Haigh Asbury, aux titres étirés jusqu’à plus soif, aux concerts interminables dans les effluves d’encens, de patchouli et de marijuana. Une vision pas forcément inexacte mais en tout cas incomplète.

Grateful Dead live 1970
Car à force de faire des heures sup on stage, le Grateful Dead est devenu une redoutable machine à faire de la musique, et d’une technique qui ne doit rien à l’improvisation ou à l’approximation. Traumatisé par le retour aux sources du Dylan de « Nashville Skyline », le groupe qui vient de publier un « Workingman’s dead » déjà en rupture avec ses antécédents discographiques, va aller encore plus loin dans sa quête des racines de la musique populaire américaine.

Le résultat, cet « American beauty », n’a rien à envier à ce que venaient de faire Dylan et le Band au milieu des années 60, les Byrds avec « Sweetheart of the rodeo », ou à ce que fera Gram Parsons en solo. Alors ici, le Dead ressort les pedal steel, les harmonicas, donne une coloration électro-acoustique superbe, effectue un boulot considérable sur les harmonies vocales. Les maîtres de l’improvisation en public livrent un album studio à l’opposé, très travaillé, avec une mise en place millimétrée et un sens de la concision remarquable au service de titres d’une richesse mélodique étonnante. Surnagent du lot l’inaugurale « Box of rain », superbe chanson de country-folk, « Candyman » (rien à voir avec le film du même nom), un folk électrique avec (c’est exceptionnel dans ce disque) un court solo cosmique d’anthologie de Garcia, l’ultime « Truckin’ », rock enlevé et énergique qui sera par la suite un des titres de bravoure du Grateful Dead sur scène…

Ce disque sera un peu le chant du cygne en studio du Dead, qui préfèrera tourner sans relâche pendant plus de trois décennies jusqu’à la mort de Jerry Garcia, que d’essayer de donner une suite à ce « American beauty », chef-d’œuvre inégalé …

WILCO - THE WHOLE LOVE (2011)


Disque américain de l'année

Plus typiquement américain que Wilco, musicalement s’entend, y’a pas grand monde. De leur niveau. Parce que des gens qui pratiquent l’americana selon les codes définis du temps de Dylan et du Band, c’est pas ça qui manque et qui a manqué depuis « Highway 61 revisited » ou « The Band », depuis en gros quarante cinq ans.

Mais qui aujourd’hui peut sortir un disque intemporel comme ce « The whole love » ? J’attends, répondez pas tous ensemble … Evidemment, ceux qui croient qu’il s’agit d’une vieillerie avec guitares en bois sentant le feu de camp ont tout faux. Wilco a déjà fait ça au siècle dernier (« Being there », « Summerteeth »), a généré avec ces disques sa légende, et aujourd’hui certains gardiens du temple froncent les sourcils, sous le sacro-saint prétexte que c’était mieux avant. Désolé pour eux, mais Jeff  Tweedy et Wilco évoluent. « Yankee Hotel foxtrot » (dans mon Top 10 des années 2000) avait traduit un virage beaucoup plus pop, reléguant au second plan le country-rock de base jusque là de mise.

Dites-le avec des fleurs : Wilco 2011
Mais là, aujourd’hui, avec les deux titres qui ouvrent ce Cd, Wilco va encore plus loin. « Art of almost » est un morceau grandiose, fou, d’une puissance colossale. En sept minutes, Wilco rend caduque l’intégrale de Radiohead et de cinquante douzaines de labels d’électro-bidule … Une intro de deux minutes sous le signe des machines, et un final aussi long dans un déluge de batteries herculéennes et de guitares stridentes… « I might » qui suit, fait se télescoper de la techno et du rock garage 60’s à Farfisa comme en faisaient Question Mark & the Mysterians. Il y a dans ces deux titres plus de trouvailles, d’inventions sonores et rythmiques que la plupart des gens qui font de la musique en produiront dans une vie …

Le reste est plus conforme de ce que l’on peut attendre d’un (très) bon disque de Wilco. De « Black moon », arpèges de guitare, et voix brumeuse très Leonard Cohen des sixties, à des ballades comme « Open mind », qu’on croirait reprise au Band, ou la frissonnante « Sunloathe », en passant par la power pop de « Dawned on me » avec ses couplets qui renvoient à « Alright » de Supergrass, le rock bancal à la Pavement (« Born alone »), le classic rock « Standing O », le très Randy Newman « Capitol City » et ses sonorités volontairement désuètes, Wilco donne une grande leçon d’americana. Sans pour autant être scolaire, Tweedy est suffisamment doué pour se démarquer de ses modèles évidents, et les six du groupe sont ce qu’il est convenu d’appeler des pointures et ne se contentent pas de ressasser leurs gammes, comme le font malheureusement trop de dinosaures centristes ronronnants qui se contentent de persister sur leurs acquits …

Wilco sait être classique tout en innovant, faisant rentrer le old blue rock de plein pied dans le XXIème siècle. Mais Wilco reste un groupe humain, capable et coupable de complaisance et de choses anecdotiques. Les trois derniers titres sont tout ce qu’il y a de plus quelconque et d’anodins, avec même le dernier qui distille douze minutes folky ennuyeuses (on ne sort pas un « Sad eyed Lady of the Lowlands » tous les jours en euh … roue libre, quand bien même s’appelle t-on Wilco).

S’il  avait été absolument parfait de bout en bout, ce « The whole love » aurait forcément été le meilleur disque de 2011. Il n’est donc que le meilleur disque américain de l’année, ce qui n’est déjà pas si mal …

Des mêmes sur ce blog :
Yankee Hotel Foxtrot

J.J. CALE - ROLL ON (2009)


Un bon disque de Dire Straits ?

Assis à la droite de Dieu, J.J. Cale
Deux-trois chefs-d’œuvre il y a presque 40 ans, et d’autres (très) bons disques dans la lignée… Un mépris du show-biz et du cirque médiatique plus que sympathique… JJ Cale est assurément un type (très) bien.
Mais ce « Roll on » … Evidemment JJ Cale n’a pas enfilé des bermudas et sorti un disque de nu-metal, mais bon … Certes par moments on reconnaît son fameux style laid-back (qu’il a inventé), son si caractéristique jeu de guitare, …
Mais dans l’ensemble, ce « Roll on » sonne exactement comme un disque de Dire Straits, comme Knopfler en faisait aux débuts. Et quand on sait que Knopfler est le plus grand fan de Cale et qu’il essaie de l’imiter depuis 30 ans, on ne peut que constater que la boucle est désormais bouclée … Le Maître imitant l’élève.
Avec la présence sur un titre de Clapton qui semble depuis quelques lustres en tribute permanent (au blues, à Robert Johnson, à JJ Cale, à lui-même …)
« Roll on » n’est certes pas un mauvais disque, (très) loin de là. Mais JJ Cale a fait tellement mieux …


Du même sur ce blog :
Grasshopper



AMERICAN MUSIC CLUB - CALIFORNIA (1988)


Americana

Pas vraiment à l'aise devant les photographes, l'AMC...
Quand on parle des grands groupes américains méconnus de ces vingt dernières années, les amateurs du genre évoquent la larme à l’œil l’incompréhensible insuccès des Replacements de Paul Westerberg, des premiers Wilco de Jeff Tweedy (pour ces derniers, les années 2000 ont été florissantes)… Beaucoup plus rarement est cité le American Music Club de Mark Eitzel. Qui n’a rien à envier aux deux précédents et présente avec eux plusieurs points communs.

L’échec commercial des groupes puis de leur leader parti faire une carrière solo, mais surtout les paysages musicaux abordés, constituant un aboutissement parfait de tous les genres de musique populaire blanche des USA : country, folk, blues, rock and roll.

« California » est un chef-d’œuvre absolu où rien n’est à jeter. L’ambiance sombre, quelquefois sinistre renvoie au « Tonight’s the Night » de Neil Young, mais la pureté, la finesse et le classicisme des compositions en faisaient en cette fin des années 80 un sommet de ce que l’on n’appelait pas encore « americana ».

« Firefly », « Blue and grey shirt », « Western sky » sont stupéfiantes de perfection, le reste n’en est pas loin. Même les deux morceaux « décalés » du disque sont immenses : « Bad liquor » est un hallucinant brûlot punk de deux minutes et « Lonely » avec ses arpèges de guitare est le meilleur morceau que les R.E.M. ont oublié d’écrire à cette époque-là.


BILLY BRAGG & WILCO - MERMAID AVENUE (1998)


Woody Guthrie still alive ...

Il y a des disques qui ont une histoire. Celle de « Mermaid Avenue » est étonnante.

A l’origine du projet, on trouve Billy Bragg, le Besancenot du folk anglais et créateur dans les années 80 du Red Wedge, courant musical et politisé (contre les exactions en tous genres du gouvernement Thatcher). Un Billy Bragg à la carrière sympathique mais à la célébrité confinée par essence à l’Angleterre.

Un jour qu’il se produisait dans un festival folk aux Etats-Unis, il reprend une chanson de Woody Guthrie. Dans le public, la fille de Guthrie, qui le contacte et lui montre des textes se son père jamais mis en musique.

Bragg s’attelle au travail et a l’idée d’appeler à la rescousse Wilco, groupe de country-rock méconnu, auteur d’un « Being there » salué par la critique et boudé par le public, et dirigé par Jeff Tweedy et Jay Bennett.

Le résultat sera ce « Mermaid Avenue », du nom de la rue où vivait Woody Guthrie à Brooklyn.

C'est pas bien de piquer les chemises à Neil Young ...
Et alors qu’avec un tel projet et Billy Bragg dans le coup, on était en droit de s’attendre à un de ses machins habituels (des folks acoustiques revêches et bruts dans l’esprit de ce faisait Guthrie), l’apport des Wilco va donner un des meilleurs disques de country-rock depuis les débuts du genre fin 60’s – début 70’s, un de ces disques intemporels dans la lignée de ceux de Gene Clark ou Gram Parsons.

Le 1er titre, un honky-tonk avec chœurs genre chansons de marins montre que tout est possible dans ces adaptations. « California Stars » suit sur un mid-tempo éclairé par de lumineuses parties de slide. « Way over … » fait tellement penser à du Gram Parsons qu’on s’attendrait à voir arriver le contre-chant d’Emmylou Harris. En fait, c’est celui de Natalie Merchant (10 000 Maniacs) que l’on retrouve ensuite seule au chant sur le merveilleux « Birds and Ships ».

« Hoodoo Voodoo » est construit comme un morceau de REM dans les 80’s, un exercice de style troublant et parfaitement réussi. « At my Window » renvoie à l’axe Byrds  - Petty, avant qu’arrive, au mitan du Cd le plus roots (juste Bragg et une guitare acoustique) et le plus court des titres, une déclaration d’amour à Ingrid Bergman (l’irradiante actrice de « Casablanca ») dont Guthrie était secrètement amoureux.

Un bluegrass sautillant ensuite (« Christ for President »), « I guess I planted » lui sonne comme un inédit du 1er Traveling Wilburys, « One by One » est du Dylan période « Blood on the Tracks », « Eisler on the go » ressemble à une de ces ballades post-nebraskaïennes comme Springsteen en tartine sur ses albums depuis trente ans.

« Hesitating Beauty » est lui juste un country-rock de base, le seul titre anecdotique du Cd. Un court morceau pianoté à la Randy Newman introduit le final épique, « The Unwelcome guest » grandiose ballade dévastée avec slide larmoyante, piano et harmonica traînards.

« Mermaid Avenue » : 15 titres et pas un seul à jeter. J’en connais pas beaucoup des Cds comme ça.

Il y a eu une suite « Mermaid Avenue 2 », comme toutes les suites, moins réussie.

Billy Bragg a continué à faire du Billy Bragg.
Wilco ont sorti l’année d’après un « Summerteeth » excellent et qui a commencé à vraiment faire parler d’eux. Avant en 2002, après un imbroglio ubuesque avec leur maison de disques un « Yankee Hotel Foxtrot » d’anthologie, accessoirement un des deux-trois meilleurs disques des années 2000.