ANTHONY MANN - WINCHESTER 73 (1950)

Deux frères ...
Si un quidam vient à vous causer western, pour montrer que vous savez de quoi de quoi il retourne, c’est simple, faut balancer au débotté, avec une docte nonchalance, les deux noms accouplés de John Ford et John Wayne. Et affirmer d’un ton péremptoire, que personne n’a jamais fait mieux, mis à part peut-être, James Huth et Jean Dujardin dans « Lucky Luke » …
James Stewart et Anthony Mann sur le tournage
Quoique, à la place de Ford-Wayne, vous pouvez aussi citer la doublette Mann-Stewart. Parce que là aussi, y’a du répondant. Une collaboration qui donnera huit films, dont quelques merveilles comme « The naked spur » (« L’appât ») et « The man from Laramie » (« L’Homme de la Plaine »). Et pour commencer la série, peut-être le plus fameux de tous, « Winchester 73 ».
Qui fait entrer Anthony Mann et James Stewart dans une autre dimension. Le premier est un yesman des studios américains, tâcheron salarié qui tourne à grosses cadences des séries B plus ou moins anecdotiques. Et qui vient juste de terminer son premier western, « La porte du Diable ». Le second n’a plus grand-chose à prouver, star et acteur polyvalent, mais à qui beaucoup commencent à reprocher son jeu stéréotypé et ses rôles sans prise de risque. Dans ses films, James Stewart est toujours un mec bien, un héros hyper positif (« La vie est belle » de Capra, « La tempête qui tue » de Borzage). Sous la houlette d’Anthony Mann, il va commencer à développer des traits de caractère plus ambigus, jouer des personnages qui ont un côté sombre, voire malsain (avec une forme d’aboutissement dans « Fenêtre sur cour » d’Hitchcock quelques années plus tard).
« Winchester 73 » est d’abord un film sur l’Amérique et son histoire. Vue dans le petit prisme de la lorgnette d’une haine fratricide qui nous est révélée à la fin. « Winchester 73 », c’est le règlement de comptes biblique à la Abel-Cain. Stewart (Lin McAdam) parcourt le Kansas, accompagné d’un ami fidèle (Frankie / Millar Mitchell) à la recherche d’un certain Dutch Henry Brown (Stephen McNally). Les deux hommes vont se retrouver dès le début du film dans des circonstances assez particulières, lors d’un concours de tir à Dodge City, dont le premier prix est une Winchester (modèle) 73.
Le concours de tir à Dodge City
Et d’emblée, le film entre dans une autre dimension, colle à l’Histoire, la vraie. L’action débute le 4 Juillet 1876 (jour anniversaire du centenaire de la naissance des Etats-Unis), le shériff de Dodge City est le mythique Wyatt Earp (Wyatt Earp, Doc Holliday, le règlement de comptes à OK Coral, ça en fait de trame à westerns tout ça…). Et la Winchester 73 à gagner est la carabine qui a fait l’histoire des Etas-Unis. Première arme à répétition fiable, c’est elle qui va permettre aux Blancs la colonisation du pays (avec son corollaire, l’extermination des peuplades indiennes autochtones). Fabriquée en série depuis 1873, avec un soin particulier accordé à quelques exemplaires qui deviennent des objets-œuvres d’art à l’aura magique qui font rêver et fantasmer la population. Il n’est qu’à voir les yeux brillants des enfants qui la contemplent et la convoitise dans le regard des participants au concours. On comprend dès lors (le film a presque 70 ans) que cette fascination des américains pour les armes ne date pas d’aujourd’hui et que  les sinistres connards de la NRA ont encore de beaux jours armés jusqu’aux dents devant eux.
Mitchell, Stewart & Winters
Les deux tireurs diaboliques Lin et Dutch se retrouvent en finale du concours et la carabine revient à Lin. Pour quelques minutes seulement, il est agressé par Dutch et ses amis patibulaires qui la lui dérobent. S’ensuit dès lors ce qui donne le cœur du film, cette double quête de l’arme d’exception et de son possesseur.
Le flingue va changer plusieurs fois de mains, se retrouver dans celles d’un trafiquant d’armes et accessoirement joueur de cartes professionnel, dans celles d’un chef de tribu Sioux (Rock Hudson dans un de ses premiers rôles), dans celles de l’amoureux couard d’une entraîneuse de bar (la remarquable Shelley Winters, quasiment la seule femme d’un casting macho), dans celles d’un truand prompt à dégainer (Dan Duryea), avant de terminer à nouveau dans celles de Dutch. Pas pour longtemps, Lin est sur ses traces (on a appris entre-temps qu’ils sont frères, et que Dutch a abattu leur père) et finit par récupérer son « bien » au cours d’un duel à mort fratricide dans une colline rocheuse. Un scénario cousu de fil blanc.
Le duel final
Mais l’essentiel n’est pas là. C’est le portrait des personnages et notamment celui de Lin / Stewart qui est fascinant. Ce type  dans la tradition des lonesome cowboys (même s’il est toujours accompagné de son pote), est prêt à tout (y compris des trucs pas très réglos) pour mener à bien sa quête-mission-vengeance. Tout juste se laisse t-il quelque peu distraire et séduire par Shelley Winters, mais le film ne laisse pas entrevoir que Lin puisse se « ranger » à ses côtés. Tous les personnages traversent et nous exposent des pans de l’Histoire des USA (non, pas exactement à la façon de Forrest Gump), Mann nous raconte à travers ses personnages la fin de Custer à Little Big Horn, comment la Winchester 73 servira à l’extermination des Indiens (l’attaque du campement des soldats, avec parmi eux un autre débutant à l’écran, Tony Curtis), et comment les stigmates de la Guerre de Sécession sont encore bien présents (Lin et les soldats ont participé à la même bataille, mais Lin et son pote étaient du côté des Sudistes). On voit aussi se mettre en place toute la dichotomie de cette époque-là, soit l’on se positionne du côté de la loi et de l’ordre (Wyatt Earp qui confisque les armes de tout type pénétrant dans Dodge City), soit on bascule du côté obscur de la force (tous les « méchants » du casting).
Il ne faut cependant pas s’imaginer que « Winchester 73 » est seulement un film instructif, pédagogique, un truc d’intello qui te file mal au casque si t’es fâché avec l’Histoire. C’est aussi et surtout un western d’exception, un des meilleurs de cette période qui constitue l’apogée du genre.

On en a la preuve dès le premier plan, d’une beauté hallucinante, qui nous montre les deux silhouettes à cheval de Stewart et Mitchell en contre-jour au sommet d’une colline. Le genre de plan à rendre jaloux John Wayne et John Ford …

Du même sur ce blog :
L'Appât / The Naked Spur
L'Homme de l'Ouest / Man Of The West



2 commentaires:

  1. Heureusement qu'il n'y a pas que Ford et Wayne pour représenter le western ! Et si tu déclares qu'il n'y a pas mieux, pas sûr que le "vrai" amateur te trouve très crédible ! Le duo Stewart/Mann a donné cinq réalisations majeures. Je ne pourrais pas dire lequel je préfère (les Affameurs ?). "Winchester 73" est-il le plus connu parce qu'il passait souvent à la télé (plis maintenant...) ? Il y a une sécheresse dans le récit proche du polar de série B, du Film Noir, on va vite et à l'essentiel. Et si le scénar est cousu de fil banc, comme tu dis, il est vachement bien construit, en cycle, avec cette carabine qui semble fuir sans cesse, comme une savonnette qui te glisse des mains. Les cinq films du duo ont tous été écrits pas le même scénariste, Borden Chase. On peut donc parler du golden-trio !!

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    1. Bon, moi aussi j'avoue. J'ai jamais "les affameurs" je pense bien.

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