EURYTHMICS - TOUCH (1983)

Europop ...
Y’a des fois faut remettre les pendules à leur place et les choses à l’heure. Flashback donc …
1983. Les débuts de MTV et des « émissions » de clips. Y’en a un qui tourne en boucle en Angleterre et par extension en Europe. « Sweet dreams (are made of this) » qu’il s’appelle. On y voit au milieu d’allusions à deux balles à Kubrick, le Floyd et les Beatles, un type à lunettes noires coiffé comme un caniche pianoter un ordi d’époque et une rouquine androgyne fixer façon dominatrice glaciale la caméra. La chanson, portée par une mélodie tellement évidente que beaucoup ont regretté de ne pas l’avoir trouvée, fera un hit colossal, de ceux qui traversent les décennies. Le binoclard, c’est Dave Stewart. La meuf à poil ras, Annie Lennox. Anglais, ancien couple à la ville, ayant formé leur premier groupe à l’époque du punk, The Tourists, ça s’appelait. Coupables d’une reprise ratée de la scie « I only want to be with you », popularisée en son temps par Dusty Springfield. Parenthèse : allez voir cette dernière vidéo et comparez l’évolution de la Lennox, tant du point de vue vocal que de l’attitude (Stewart n’est pas encore dans le groupe). A cause de la troublante et équivoque Annie, Eurythmics intrigue, se détache d’un lot de poseurs et de figurines de mode qui encombraient le paysage musical. « Sweet dreams » le titre était quelque peu perdu au milieu d’un album du même nom sans grand intérêt. Ce qui faisait penser que ces deux zozos avaient tout dit avec un titre, et qu’on n’en entendrait plus parler.

1983 toujours. Dix mois après « Sweet dreams » paraît déjà son successeur. « Touch ». RCA qui distribue le duo veut enfoncer le clou, capitaliser sur le phénomène. Soyons clair, les Eurythmics se font fait bouffer par la machine. « Touch », même s’il est meilleur que « Sweet dreams », c’est quand même un torchon sonore pas très net. D’abord, c’est Lennox qui est mise en avant. Photo de pochette genre dominatrice de partouze, « on » lui confectionne sur mesure un look hautain, glacial et distant pour en faire une sorte de Greta Garbo new wave. Soit. En faisant disparaître Dave Stewart, qui, l’histoire le montrera, est bien plus que la moitié d’Eurythmics. Le son de « Touch », qui se voulait à la pointe lors de sa parution, est atroce aujourd’hui. Farci de ces premiers synthés cheap, de ces batteries électroniques monolithiques, de ces infâmes basses slappées mises en avant (c’est un type dont par charité on taira le nom qui en joue, seul élément extérieur greffé au duo), noyant sous leur raffut cordes (plus ou moins vraies) et cuivres (faux). Avec tous les clichés et maniérismes inhérents à l’époque. Un disque bien de sa triste époque quoi.

Faut faire du travail d’archéologue, gratter sous le vernis pour trouver des choses intéressantes. Un don certain (Stewart, puisque c’est lui qui signe toutes les musiques) pour la mélodie qui sauve quelques titres, que RCA n’a pas oublié de mettre en avant. « Here comes the rain again » cold wave à donf), « Right by your side » (improbable salsa-calypso électronique qui fonctionne) et « Who’s that girl » (soul rigide et martiale sauvée par le chant de Lennox) essaieront de se frayer un chemin vers le haut des charts, sans toutefois égaler le parcours de « Sweet dreams ». Comme par hasard les trois titres les plus « sobres » dans le contexte. Et puis la Lennox, derrière ses atours fashion, se livre à un gros boulot sur les voix, les doublant, rajoutant les chœurs. Derrière le morne cliquetis des synthés, transparaissent d’évidents clins d’œil au gospel, à la soul, au rhythm’n’blues. Ce que pas grand-monde avait relevé à l’époque, les Eurythmics semblant se diriger à grande vitesse direct vers les poubelles de la variété neuneu.
La suite serait totalement imprévisible. Deux ans plus tard, Stewart reprendra tout en main, le duo signera un des meilleurs disques (« Be yourself tonight ») de rhythm’n’blues de la décennie (non, je déconne pas), épaulé par un gang de super requins de studio, avec des participations plus que remarquées d’Aretha Franklin, Stevie Wonder (certes pas au mieux de leur carrière) et Elvis Costello (celui-ci à cette époque là très tatillon sur ses collaborations). Mieux encore, Dave Stewart, catalogué au départ archétype du joueur de synthés anglais, allait être courtisé comme producteur par les figures de proue du classic-rock ricain, Tom Petty en tête …

« Sweet dreams » are vraiment made of this …


FUZZ - II (2015)

Black & Blue ...
Black comme Sabbath, Blue comme Cheer. En gros le credo de Fuzz. Déjà, rien que l’intitulé du groupe montre que l’on n’a pas affaire à des fans d’Adele, ce qui par les temps qui courent (à leur perte ?) est déjà une bonne chose. Parce que la pleurnicharde à gros mollets, elle me gave aussi sûrement qu’un best of de Patrick Sébastien. Ou qu’un quintuple live de Santana …
Fuzz donc. Le projet du surbooké Ty Segall. A qui les « spécialistes » (entendez par là les mecs payés pour donner leur avis sur le wockenwoll, avis que personne lit sinon Adele vendrait pas autant de skeuds, on y revient toujours …) font endosser les costumes des Strokes, Libertines et White Stripes de la décennie précédente. En gros les sauveurs du wokenwoll (on y revient aussi). Sauf que maintenant le dénommé Segall se retrouve bien seul, y’a pas une concurrence exacerbée dans le rôle. Et peut-être que le costard va finir par être trop large pour ses épaules… Il a beau se multiplier, entre disques sous son nom, participations tous azimuts aux rondelles de ses potes de San Francisco, et projets « annexes » comme Fuzz, il doit se contenter pour le moment de ce qu’on appellera pour être gentil un succès d’estime (même si son « Manipulator » de l’an dernier, tout en madeleines zeppeliniennes, était excellent).

Fuzz donc (encore). Trois zozos chevelus, Segall à la batterie et parfois au chant, et ses poteaux Moothart (gratte et voix) et Ubovitch (basse et chœurs), les trois à temps perdu tapotant à l’occasion sur de vieux synthés (ça s’entend pas trop, voire pas du tout, au milieu du boucan). Y’a même une nana créditée aux cordes (soit je suis sourd, soit distrait, soit les deux, mais je m’en étais pas aperçu).
J’ai mentionné pour attirer ( ? ) le chaland les patronymes bruyants du Sabbath et de Blue Cheer parce que Fuzz fait pas vraiment dans la dentelle. C’est un concept un peu bête comme chou qu’ils poussent loin (très loin même, ces trois olibrius raisonnent en terme de vinyle, et ce « II » en est un de double, quasi soixante dix minutes de boucan). Alors certes, on pourrait dire (et je vais pas m’en priver) qu’ils sont pas allés chercher la difficulté, taquiner les légendes. On est loin de la technique ébouriffante de Cream, des envolées cosmiques de l’Experience, ou du raffut terminal de Motörhead. Plutôt du côté des bourrins que des subtils. Mais bon, c’est quasiment en filigrane dans le nom du groupe, y’a pas non plus tromperie sur la marchandise. Par contre, là où me semble t-il ils en rajoutent un peu trop, c’est que les trois se montrent souvent grimés et maquillés comme des glameux imbéciles (celui qui a dit Slade a tout bon). Lendemain de cuite mal négocié, simple tocade, ou alors concept totalement crétin ? J’en sais rien et je m’en fous …
« II », c’est gavant sur la durée, hormis pour les fans de rodomontades boogie interminables (Canned Heat à la préhistoire, Status Quo au Moyen-âge, les bien nommés Endless Boogie ces temps-ci). C’est pas pour autant bâclé. Maintenant tout le monde avec trois bouts de ficelle et quatre dollars peut sonner aussi fort que Metallica. Et Fuzz a doté sa rondelle d’un son kolossal emmenée par une basse monstrueuse en avant.

Il y a dans ce disque des trucs lourds pour pas dire lourdingues, une pièce de bravoure (« II » le titre) longue comme un jour de canicule sans bière, des redites et des autocitations complaisantes. Mais aussi une abnégation qui force le respect, des types qui ont peut être pas eu la meilleure idée du monde, mais qui en exploitent toutes les possibilités. Et qui se distinguent assez facilement du lot de tout le marigot du heavy psyché revival. Je suis preneur de choses comme l’introductif et tarabiscoté « Time collapse … », de l’hendrixien (un peu bourrin, mais hendrixien quand même) « Rat race », du punky « Red flag », et des deux titres à mon sens les plus « écrits » du disque (tant le reste sonne un peu roue libre déjantée tous potards sur onze), à savoir « Say Hello » et « New flesh ».

De quoi patienter en attendant le prochain … en attendant le prochain quoi au fait ?


ROBERT CLOUSE - OPERATION DRAGON (1973)

Show must go on ...
Ouais, sale journée… il paraît qu’on est en guerre … mais celle contre la connerie, les QI négatifs, on l’a perdue, dix douzaines de morts à zéro... Et pourtant on peut pas dire qu’on soit encore au siècle des Lumières par chez nous. Qu’est-ce qu’il faudrait faire, alors que les prétendus « spécialistes » qui monnayent leur incompétence sur les chaînes d’info en boucle n’en savent rien ?
Moi aussi, j’en sais putain de rien, mais j’ai vu que des mecs qui buvaient un godet en terrasse d’un bistrot, ou étaient à un concert se sont fait dégommer juste parce qu’ils étaient là en 2015, par des zozos obscurantistes qui réinventent le Moyen-âge.
Tiens, aujourd’hui j’ai réécouté deux très vieux morceaux de Lavilliers, l’Indiana Jones de Saint-Etienne, pas entendus depuis des décennies, « Les barbares » et « Juke-box ». En mélangeant les paroles des deux, vous avez à peu prés ce que je pense de ce fuckin’ Vendredi 13 (« les cités exilées au large des business » … « rééduqués par des curés new look armés de pataugas de parkas et de boucs »).
Et ces tarés à Kalach et ceintures d’explosifs seraient les héros de quelqu’un ? Quelle misère …

Tiens, des héros populaires, et de tous les méprisés, les pauvres, les laissés-pour-compte de notre putain de monde capitaliste, j’en ai un là … Il était petit, pas Blanc, miaulait comme un chat en rut quand il lattait les sales mecs…



Ce ne sera pas faire injure au pauvre Robert Clouse, tâcheron réalisateur à la solde de la Warner, de dire que « Opération Dragon » (« Enter the Dragon » en VO), est plus le film de Bruce Lee que le sien.
Bruce Lee & Robert Clouse
D’ailleurs, si c’est lui derrière la caméra face à un casting de quinzième zone (et c’est pas la présence du figurant Jackie Chan qui se prend une fugace torgnole par Bruce Lee dans une scène de baston qui rehausse le niveau), c’est qu’il y avait de l’incertitude au sujet de la réussite de ce film.
Bruce Lee était un inconnu aux USA, au mieux remarqué pour un second rôle de donneur de baffes dans une navrante série tout ce qu’il y a de familiale au mauvais sens du terme, « Le frelon vert ». Il était pourtant venu faire fortune à Hollywood, sans succès ; mais voilà, Bruce Lee était une idole dans une grande partie de l’Asie par ses films réalisés à Hong-Kong et produits par les frangins Chow. Là, il avait le rôle principal, devenait une légende de la baston en 16 mm sur fond de scénarios simplets filmés à la va-vite avec les pieds par d’obscurs cameramen chinois (« The big boss », « La fureur de vaincre », « La fureur du dragon »). Des types de la Warner subodorèrent qu’il serait peut-être possible de ramasser quelques liasses de billets verts en rationalisant quelque peu « le phénomène », d’où Robert Clouse en charge des caméras pour diriger ce qui me semble t-il constitue une première en matière de cinéma, une collaboration et une coproduction sino-américaine.
Les bons
La prise de risque n’est pas énorme, le nom de Bruce Lee est vénéré dans tous les ghettos et les quartiers populaires du monde, où des hordes de gamins s’agglutinent dans les cinémas pour littéralement vivre les combats du petit niaouké musclé (c’est pas des conneries, j’ai de mes yeux vu un dimanche après-midi dans mon petit bled de province tout ce qu’il y a de peinard, des gosses comme moi hurler, monter sur les sièges, « participer » à la bagarre avec Bruce Lee arrachant les poils du torse du bovin Chuck Norris dans le Colisée, il y a avait plus de spectacle dans la salle qu’à l’écran, moi je m’en foutais un peu de tout ce bazar, mais plein de mes potes adoraient, fallait y être quoi …). Plus encore que le Che et avant Marley, Bruce Lee allait être une star planétaire venue de ce que l’on appelait pudiquement le « tiers monde ». Si Lennon dans une de ses sentences avinées avait affirmé que les Beatles étaient plus célèbres que Jésus, Bruce Lee était immensément plus célèbre que les Fab Four. Au milieu des années 70, personne n’égalait sa notoriété, dans quelque domaine que ce soit.
Le méchant
« Opération Dragon » est un film qui marche au premier degré. Les bons contre les très méchants, et personne qui change de camp en cours de route. Le droit et la vengeance contre les bandits et la cruauté. De la baston (beaucoup) et du nichon (un tout petit peu). Un déroulement vers un final cousu de fil blanc, autant prévisible qu’inéluctable. Toutes les grosses ficelles d’un scénario basique sont de sortie. Mais pas que. Ceux qui ont des lettres cinématographiques verront les allusions aux James Bond (le commanditaire de Lee très british, le méchant très Dr No et Blofeld avec son chat blanc et sa base souterraine), le karateka black Williams est très blaxploitation (les fringues, la coupe afro, jusqu’à la musique de Lalo Schifrin lors de son apparition à l’écran qui parodie celles de «Shaft » ou « Superfly »), l’américain flambeur et tombeur ressemble étrangement au Roger Moore « Amicalement vôtre »). On a même droit à la « caméra documentaire » dans la misère du port de Hong-Kong, et même au surprenant (dans ce genre de film) commentaire social (Williams, que l’on devine pro-Black Panthers : « Les ghettos sont les mêmes dans le monde entier. Tous dégueulasses. »).
A room full of mirrors
Mais tout ça, c’est de l’accessoire. Le centre de gravité du film, c’est évidemment Bruce Lee. Metteur en scène de fait de toutes les scènes de baston, qu’il chorégraphie avec une précision et un sens du rythme, de l’espace et de la dynamique qui ne doivent rien au hasard ou à l’improvisation. Tout est fait pour le mettre en valeur, pour présenter le contraste entre le type hyper zen, mais qui quand on le cherche écrase (hors champ) les têtes et malaxe les cervicales. La scène finale, au milieu de paraît-il huit mille ( ! ) miroirs, est une de celles qui feront date.
Le succès de « Opération Dragon » sera colossal … dans le monde anglo-saxon, entraînant une véritable Bruce Leemania. Par contre, ce film au scénario très américanisé (l’immense majorité des méchants sont des asiatiques) n’a pas marché très fort lors de sa sortie en Asie, contrairement aux précédents de Lee. Et ce malgré la mort de Bruce Lee quelques jours avant la sortie du film.
« Opération Dragon » est plus qu’un film. Ou plus qu’aucun autre film, toutes époques et tous pays confondus. C’est un phénomène de société, un marqueur et un inspirateur pour des lignées infinies de héros dérivés (tous les bastonneurs indestructibles des décennies suivantes, qu’ils soient asiatiques ou pas, qu’ils soient réels ou virtuels dans les jeux vidéo, lui doivent tout), Bruce Lee a fait la fortune pour tous ceux qui ont eu la bonne idée d’ouvrir une salle d’arts  martiaux dans la foulée, et est en quelques mois devenu le héros de tous les asiatiques et de tous les laissés-pour-compte du reste de la planète, ce qui même à l’époque faisait beaucoup de monde.

« Opération Dragon » est un film populaire, au sens le plus pur du terme … 


HOLLYWOOD VAMPIRES - HOLLYWOOD VAMPIRES (2015)

Le coin des grabataires ?
Si l’on en croit la légende ( ? ), ils se sont retrouvés au bar d’un endroit branchouille chicos de L.A. où ni vous ni moi n’avons aucune chance d’être un jour acceptés à l’entrée. Tous les trois avec une saleté macrobio, colorée, édulcorée, et sans alcool dans le verre. Et ils se sont remémorés les good old times, quand ils étaient moins vieux et qu’ils picolaient plus sévère qu’un Biélorusse déprimé. Et comme ils s’emmerdaient ferme malgré les montagnes de billets verts amassés depuis des décennies, ils se sont dit tiens, pourquoi est-ce qu’on ferait pas un disque ensemble, juste pour le fun. Et comme aucun n’avait été foutu d’écrire un titre audible depuis au moins le siècle dernier, pourquoi est-ce que ce serait-il pas génial de reprendre des titres qui nous éclataient quand on était jeunes, il y a de cela très longtemps. Et puis, comme on est pas vraiment dans le besoin, on filera la thune du disque à une asso qui s’occupe de soigner des musiciens alcoolos dans la dèche (solidarité de piliers de bars repentis oblige), et comme ça on reparlera vachement de nous et ce sera l’occasion de gagner par la suite encore plus de pognon (bon, ça ils l’ont peut-être pas dit, mais ça se voit gros comme un tatouage sur le cul d’une stripteaseuse que c’est aussi le but de la manœuvre, relancer une carrière qui part un peu en sucette, et c’est pas les hexagonaux Enfoirés qui diront le contraire …).
Perry, Depp, et Cooper. Fatigués, les vieux ?
Bon et alors, t’accouches Ducon, c’est qui ces trois types ? Vincent Furnier, plus connu sous le nom d’Alice Cooper, Joe Perry d’Aerosmith, et Johnny Depp, du Pirate des Caraïbes Lonely Hearts Club Band. Un type pour produire ? Facile, ce sera Bob Ezrin, vieux compagnon de route du Coop. Et manière de pousser la vanne jusqu’au bout, on fera venir quelques potes. Ah ça, des potes, vu qu’ils ont sur leur portable une liste de contacts autrement plus glamour que les nôtres, il en est venu de partout. Résultat des courses, le sticker qui les liste couvre la moitié de la pochette du disque. Des convenus qui cachetonnent en studio derrière l’Alice, jusqu’à Sir Paul Macca et Sir Christopher Lee (et que ceux qui ont pas compris pourquoi Cristopher Lee sur « Hollywood Vampires » se fassent connaître, y’a une morsure dans le cou à gagner …). D’ailleurs le Lee, c’est un des derniers trucs qu’il a fait, cette intro de disque avec sa grosse voix sépulcrale, avant d’aller s’allonger cette fois pour de bon dans son cercueil.
Les mêmes, plus Laboriel et McCartney
Des reprises de vieux machins, plutôt connus, pour pas dire célébrissimes. Traités façon hard, c'est-à-dire quand même un peu beaucoup bourrin la plupart du temps. C’est bien là le problème, d’ailleurs. Ces titres, on les a pour la plupart tellement entendus dans leur version d’origine, que là ça fait souvent tout bizarre, de les retrouver dans des versions avec un son kolossal qui fissure l’émail des molaires, avec des chœurs façon hooligan, et des solos de guitare qui à force te font regretter de pas être fan de Mouloudji. En gros, y’a des fois ou trop c’est trop. Par exemple « Instant Karma » de Lennon ou « My generation » des Who, ça m’enchante pas, leur version. Ça marche bien mieux à mon sens sur le « Itchycoo Park » des Small Faces, voire « Come and get it » de Badfinger (sur lequel on retrouve un McCartney qui se multiplie au piano, à la basse, aux vocaux, bon faut dire que c’est lui qui l’a écrit le titre il y a plus de quarante ans).
Autre truc qui me chagrine les oreilles, la voix de Cooper, omniprésent au micro. Oh, certes, il est reconnaissable entre mille, avec ses intonations de maniaque vicieux et pervers, et il s’en sert bien pour ses morceaux, mais ceux des autres, hum … Il est à mon sens totalement à côté de la plaque sur « Whole lotta love », où il manque toute la sexualité développée sur l’originale par Plant (il ont d’ailleurs zappé les râles de la partie centrale) et c’est pas les chœurs du pauvre Brian Johnson qui vont relever le niveau … De même, on s’attaque à un medley Doors, et on passe à côté de l’ambiance chaman en rut de Morrison, malgré le renfort d’un orgue manzarekien plus vrai que nature et de Robbie Krieger à la gratte.
Bob Ezrin au centre (de l'affaire)
Puis, y’a carrément des choses qu’il faudrait pas oser. Reprendre du Hendrix quand on est guitareux et qu’on veut coller à l’original (une version problématique de « Manic depression ») ou à T.Rex quand on swingue comme un régiment d’enclumes (le mauvais choix du lascif « Jeepster » sans le chaloupement érotique de Bolan, ça le fait vraiment pas).
Et comme quand on aime on ne compte pas, on a droit à une paire de titres quelconques écrits pour l’occasion par le Coop et le Depp dont l’hommage final aux hordes de rockers tombés au champ d’honneur verre de vodka orange à la main (« My dead drunk friends »). Ah, et j’allais oublier, ce qui est par beaucoup perçu comme le coup de génie du disque, le medley « School’s out / Another brick on the wall » montre juste qu’un bon morceau d’Alice Cooper n’en vaut pas un bon du Floyd. Si encore ils avaient eu l’idée d’y rajouter « L’école est finie » de Sheila, ça aurait été mieux, et surtout plus drôle. Parce qu’au final, c’est un peu ça qui manque, le fun. Tout le disque empeste la bonne copie appliquée, tout le monde bien concentré sur son sujet avec une mine de carême …
« Hollywood Vampires » n’est pas mauvais, il est juste un peu trop scolaire à mon goût.

Si ça peut permettre aux « jeunes générations » (c’est pas gagné, les djeunes ils doivent s’en taper de ces vioques qui jouent des trucs de vioques pour les vioques), de se cultiver au son de titres mémorables des 60’s -70’s, pourquoi pas …

SLAVES - ARE YOU SATISFIED ? (2015)

I wanna be your dog ?
Il y a dans cette rondelle comme des airs de déjà vu (ou entendu). Comme toujours depuis … ouais, au moins.
Les Slaves sont deux. Un batteur et un guitariste (liste interminable de prédécesseurs dans cette formule minimaliste, furieusement tendance pendant les années 2000, un peu moins maintenant que les White Stripes sont débandés et les Black Keys mainstream). Les Slaves sont jeunes (la vingtaine) et Anglais. Ma foi, nobody’s perfect. Rasés et tatoués comme tout prétendu rebelle en recherche de respectabilité (faudra un jour expliquer à tous ces chérubins en colère que c’est pas le poil ras et l’encre sur les biceps qui feront d’eux les prochains Che, ça suffira pas, ou quand la rébellion a ses normes, ses codes, ses repères visuels et esthétiques, c’en est plus vraiment de la rebellion, c’est plutôt du panurgisme, mais bon, on va pas débattre là-dessus …).
Qui foutent deux bichons ou pas loin (le clebs des mémères réacs à breloques et permanentes) sur leur pochette. Qui baptisent leur skeud en hommage – réponse désabusée – doigt d’honneur (à vous de choisir) au premier Hendrix. Qui l’enrobent d’un rose fluo comme un clin d’œil subliminal aux couleurs fluo du seul disque des Pistols (parce que les Slaves sont des punks, je vas vous l’expliquer …). Qui reprennent quasiment le lettrage et le logo des crétins de Slayer (ou de Twisted Sister, ce qui niveau crétinerie, revient à peu près au même)… comme une litanie sans fin de toute une symbolique vue et entendue des milliards de fois dans tous les groupes « sérieux ».
Les Slaves (diminutif de « you are all slaves » leur slogan et accessoirement nom de leur pages web) ne font pas dans la dentelle, reprenant la mise du slogan en musique là où des gens comme Clash ou Specials avaient lâché l’affaire il y a trente cinq ans (d’autres s’y étaient essayés entre-temps, avec plus ou moins de bonheur, et le premier qui dit Rage Against Bidule se ramasse un glaviot dans la face). Les Slaves c’est du véner sans fioritures, avec un batteur-chanteur (enfin, plutôt batteur-rappeur, il chante pas vraiment, du moins pas au sens Otis Redding du terme) minimaliste et martial, et un gratteux adepte des gros riffs qui tachent et qui dégueulent de distorsion. Un peu comme les Royal Blood, diront ceux qui veulent avoir l’air malin et montrer qu’ils connaissent des disques sortis après 1953.

Ici, on en arrive au moment crucial où il faut prendre position, lever ou baisser le pouce pour ces Spartacus du riff. Bon, moi, avec toutes les réserves d’usage (voir plus haut) et toute ma mauvaise foi (je m’en tape des Slaves), je les défends ces deux minots. Ils ont aligné treize titres plutôt bien foutus, c'est-à-dire bien crétins et gueulards, dans une parfaite rigidité madmaxienne (on fonce, puis on regarde combien on en a écrasés en passant), ont l’air, comme tout imbécile heureux qui se respecte, très fiers d’eux et seraient même prêts à continuer sur la lancée pourvu qu’on se souvienne d’eux dans six mois.
Face aux calibrages, aux « cœurs de cible », aux « niches » (ouah, elle est subtile, celle-là, putain le talent que j’ai), ces deux merdeux adressent un fuck-off électrique à tous les centristes musicaux de la galaxie. « Are you satisfied » est un bloc, qui sent certes la redite vers la fin, alternant punkeries pistoliennes, heavy metalleries judaspriestiennes, voire grungeries nirvanesques avec une naïveté et un aplomb réconfortants. Preuve qu’ils ont peut-être vraiment du talent, ils osent même une ballade acoustique éraillée (le morceau-titre, genre de « On a plain » de Nirvana ) et un final « atmosphérique » qui ne convaincra absolument pas les ceusses qui trouvent captivant le dernier Pink Floyd (ou le dernier Gilmour).

Allez vous faire foutre les Slaves. Vous avez ma bénédiction ….


DELBERT MANN - MARTY (1955)

La beauté cachée des laids, des laids, ...
… se voit sans délai, délai, dixit Gainsbourg. Qui n’avait pas exactement un physique de playboy, mais s’est révélé excellent séducteur. Les deux personnages principaux de « Marty », le film de Delbert Mann, sont plutôt moches et n’ont rien de séduisant. Bourrés de complexes, de gaucherie, s’entêtant à mettre des bâtons dans les roues de leur chétive amourette …
Delbert Mann (chemise blanche), l'équipe technique, Blair & Borgnine
Le résultat est pourtant superbe. Pas vraiment à cause de la romance à deux balles qui est au cœur du film, mais surtout grâce au contexte de cette histoire (le quartier italien de New York dans les années 50), et plus encore grâce aux acteurs. Betsy Blair (pas si moche que ça, en fait, mais pas non plus une bombe sexuelle sortie des studios américains, certes …), parfaite en  prof fille à papa, trop timide et coincée pour oser prendre sa vie en mains. Et surtout l’inattendu (dans ce rôle-là) Ernest Borgnine, garçon boucher au cœur d’or, empêtré dans les traditions du petit peuple rital et embrouillé par ses potes niais et grandes gueules.
Ouais, Borgnine. Trapu et court sur pattes, regard bovin de petite frappe. Jusque là remarqué pour des seconds rôles de méchant, de salaud, dans des grands films comme « Et tant qu’il y aura des hommes » (au passage, c’est Burt Lancaster, qui co-produit le film et présente la bande-annonce américaine de « Marty »), « Johnny Guitare », « Vera Cruz », « Un homme est passé ». Dans « Marty », il est à total contre-emploi (mais y gagnera la statuette de meilleur acteur). Il est Marty Piletti, apprenti boucher, vivant la trentaine bien sonnée chez sa vieille mère quand tous ses frères et sœurs cadets sont mariés. Affable, travailleur, complexé par son physique, traînant sa timidité et son mal de vivre dans les bistrots et les « dancings » le samedi soir … Pote avec d’autres traine-savates à l’existence aussi morne que la sienne, mais dont il redoute le regard et les quolibets quand il démarre son idylle avec Clara (Betsy Blair).
Marty & Clara
Qu’il a osé aller consoler alors que sous prétexte de mocheté, elle venait de se faire abandonner dans un dancing par un bellâtre coureur.
« Marty », du peu connu Delbert Mann (bien que ce film, phénomène assez rare dans les annales cinématographiques, lui ait valu la même année Palme d’Or et Oscar), est un film court (moins d’une heure et demie), au rythme nonchalant et indolent, comme ses personnages principaux. Il est pourtant d’une grande richesse, grâce à une merveille de scénario qui nous immerge dasn la communauté (voire le communautarisme) italien de New York, et une galerie de personnages secondaires fouillée, faisant ressortir des caractères mémorables, comme la mère de Marty (excellente Esther Minciotti), la tante fouteuse de merde, le couple à problèmes et disputes de son cousin comptable, le pote bien relou Angie, …
Il n’y a pas d’action (au sens Chuck Norris du terme) dans « Marty ». Pas non plus une galerie de portraits plombante comme un casting de Dreyer (grand réalisateur qui a fait de grands films, mais qui te foutent le moral dans les chaussettes encore plus sûrement qu’un discours de Fillon sur les soins palliatifs en fin de vie). « Marty » est un film vivant, qui trouve le rythme parfait entre les personnages et leur histoire (le temps que va passer Marty à essayer de rouler une pelle à sa chérie, qui évidemment va au dernier moment détourner la tête et le regard…). « Marty » est un film qui rend crédibles et réalistes des personnages et des situations sur lesquels on a quelque peu forcé les traits (les merveilleuses scènes entre la mère et la tante de Marty, entre Marty et Angie).
Marty & Angie
Aujourd’hui, « Marty » est un film quelque peu oublié (on ne le trouve par ici que dans une version DVD assez bâclée sans bonus), certainement plus à cause de la carrière en demi-teinte qu’ont effectué Mann, Borgnine et plus encore Blair, que de ses qualités intrinsèques.

Plus qu’un vague mélo 50’s, « Marty » est une belle tranche de vie sur une génération et une époque prétendues « dorées », mais où derrière le vernis de l’insouciance, se trouvaient déjà les fêlures et le mal-vivre de ceux qui n’entraient pas dans le moule idéal du « rêve américain » …


TAME IMPALA - CURRENTS (2015)

Pet Shop Boys revival ?
Pour pas accabler, on va dire que c’est la faute à la pression. Ou une erreur de parcours. Parce que là, genre baudruche qui se dégonfle, il a fait fort le Parker (ouais, Parker, de son prénom Kevin, c’est Tame Impala à lui à peu prés tout seul). Même si le web est plein de gens qui le trouvent génial ce « Currents ». Bon, faut pas déconner …
Tame Imapla 2015 (Parker au milieu en bas)
De quoi donc il retourne t-il ? En gros, le Parker s’était vu qualifier sur la foi d’un premier disque (« Innerspeaker ») sympathique et surtout d’un second plus consistant (« Lonerism ») de génie du moment, tendance absorption de cinq décennies de zizique de djeunes et déglutition à sa propre sauce. Genre le chef de file du « renouveau » psychédélique version chansonnette azimutée. Avec dans son sillage sa « famille », de son égérie Melody Prochet (la française qui faisait une sorte de revival Daho sous le nom de Melody’s Echo Chamber), à ses potes australiens de Pond,  et j’en passe… Perso, je trouvais tout ça assez sympathique, mais bon, de là à crier au génie …
« Currents » est semble t-il un disque de rupture, un disque de solitaire. Parker s’est même passé de David Fridman (au vu de ce que ce dernier a commis avec les Vaccines, c’était peut-être une bonne idée), leader des Flamings Lips et promu au rang de producteur, sorcier bidouilleur de vieux synthés. Parker fait à peu près tout le boulot tout seul. Bon point, ce « Curents » est cohérent, on peut pas le lui reprocher. Une unité de son, d’ambiances, une direction et un choix musicaux clairement et pleinement assumés. Mais alors le résultat …
Empilage de tonnes de synthés des années 80, voix à l’hélium, morceaux broyés par un son où se combinent infra-basses et suraigus qui encadrent des couches et des couches de synthés … Il faut quand même être gonflé ou sacrément inconscient (voire les deux) pour en tirer un résultat honorable. Aller jouer sur le même terrain que les new waveux de l’electro-pop anglaise circa 82-85, personne de sensé et de bon goût ne s’y était encore risqué. La misère d’Orchestral Manœuvres ou les premiers trucs chelous de Depeche Mode en ligne de mire, fallait oser. Quand bien même le côté désuet de ces choses-là peut leur conférer aujourd’hui une certaine patine amusante. Le problème, ça n’a jamais été les synthés, mais toujours ceux qui en jouent. Même si on pourrait dire la même chose des guitares, des basses, des binious et des flûtes traversières …
De même, de même ...
« Currents », alors qu’il me semble être un disque tout ce qu’il y a de plus sérieux, du moins dans l’esprit de Parker, moi il m’afflige au premier degré et me fait sourire au second, comme une blague limite de potache. « Let it happen », la longue pièce montée inaugurale, que le grand cric me croque si c’est pas totalement du Pet Shop Boys (la voix à l’hélium en plus). Ce qui est pas une insulte, les Boys étant tout de même de géniaux mélodistes, mais là, aujourd’hui, à quoi bon. Un disque qui commence par un malentendu comme ça, c’est pas bon. Et rien ne s’arrange par la suite. « Nangs », on dirait une balance du Floyd vers 72 quand Rick Wright testait ses claviers, « The less I know », ça fait tellement penser à Moroder et Chic qu’on dirait le dernier Daft Punk, la ballade surchargée « Eventually » semble chasser sur les mêmes plates-bandes pompières qu’Arcade Fire, « Disciples », on dirait du Lio (si si, je vous assure) des années 80 passé à la mauvaise vitesse, « Past life » et sa voix au vocoder réveille le fantôme de Michou Jackson, « ‘cause I’m a man » a tout de la ballade simplette qui finit par faire un hit … Perso, je trouve rien dans cette galette pour relever un tant soi peu le niveau …

Faudra vite passer à autre chose, garçon …


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LEO McCAREY - CETTE SACRÉE VÉRITÉ (1937)

Gai, gai, divorçons-les ...
« Cette sacrée vérité » (« The awful truth » en VO), c’est une comédie. Une vraie, c’est-à-dire pas un de ces machins poussifs où les gags éculés (de ta mère), tu les vois arriver cinq minutes avant avec leurs gros sabots, dopés aux effets numériques et aux motion captures.
« Cette sacrée vérité » date de l’avant-guerre (putain, laquelle, il s’en déclenche une tous les trois jours, s’interroge le type cultivé aux programmes de LCI ?), à une époque où tu plantais une caméra devant des acteurs, tu leur filais un texte, et ils faisaient le taf … Après, le reste, à savoir si c’était plus ou moins marrant, ça dépendait du type derrière la caméra, de celui ou ceux qui avaient écrit le scénar, et des types ou des meufs qu’étaient filmés. Les choses étaient simples…
Dunne, McCarey & Grant
Derrière la caméra, Leo McCarey. Un de ces antiques touche-à-tout, réalisateur et producteur ici, parfois même également scénariste, un des hommes de base de la Columbia. Pas le type le plus doué du monde, plutôt laborieux, pas d’images virevoltantes, non, le genre à souder une caméra au sol et à faire passer les acteurs devant, si vous voyez ce que je veux dire. Mais le Leo, avec sa filmo de stakhanoviste, assure l’essentiel. Sans plus … Même si sur celui-là, il s’y est pas mal investi, soi-disant parce que l’histoire à l’écran ressemblait en bien des points à la sienne … Le film ayant été un gros succès au box-office, McCarey a même gagné la statuette du meilleur réalisateur en 1938. Ma foi …
Le scénario est issu d’une pièce de théâtre, ce qui est assez flagrant au vu du film. Œuvre de l’à-peu-près inconnu Arthur Richman, retravaillée par les scribes de la Columbia, en l’occurrence Vina Delmar et Sydney Buchman, elle a déjà été tournée deux fois sans que ça déplace les foules au temps du muet, et le succès de la version de McCarey la verra à nouveau adaptée à moultes reprises, y compris en version comédie musicale … L’histoire de « Cette sacrée vérité » n’est pas vraiment un sommet d’étude psychologique, dans ce couple Warriner qui bat de l’aile, à tel point que le divorce est demandé et sera juridiquement effectif  trois mois plus tard. Le film nous montre alors les étranges pas de deux à la « Je t’aime moi non plus » des futurs divorcés le temps de la période probatoire. Un amusant jeu de séduction sur le tard alors que tout semble dit, au prix de situations rocambolesques, de quiproquos et subterfuges divers, entrecoupés de gens plaqués derrière des portes. Du théâtre de boulevard tout ce qu’il y de classique, avec un final évident (c’est aussi la partie la plus bâclée, en roue libre au niveau écriture) que tout le monde devine au bout de dix minutes … Mais pendant plus d’une heure, les bonnes répliques fusent et s’enchaînent sans aucun temps mort, toutes empreintes de cet humour et de cette finesse so british, bien que le film soit totalement américain …
Mr & Mrs Warriner ... & Mr Smith (le chien)
Bon, y’en a bien un de British dans le lot … Et pas le moindre. Cary Grant, star en devenir (il a déjà cartonné au box office) livre ici une de ces performances d’acteur qui font date. Absolument irrésistible tout en étant d’une économie de jeu remarquable (on n’est pas chez De Funès, if you know what I mean …), enchaînant répliques et postures loufoques sans se départir un instant de son flegme de grand bourgeois (le couple Warriner fait partie de la haute société new-yorkaise), sa présence est un ravissement de tous les instants et une leçon à méditer pour tous les acteurs prétendus comiques.
Ralph Bellamy, Cary Grant & Irene Dunne au restaurant
Une performance qui tire tout le casting vers le haut. Son ex (Irene Dunne), également coureuse et volage, partage avec lui les gros caractères en haut de l’affiche, est un peu en retrait dans les strictes scènes de comédie, mais se rattrape lors de courtes séances de danse ou de chant mémorables. Les seconds rôles, galerie de personnages pittoresques, reprennent toute la galerie de portraits classiques de la comédie de boulevard. Défilent tour à tour les maîtresses de Grant (de la nunuche chanteuse de restaurant, à la très coincée héritière de grande famille), les amoureux de Dunne (le mondain transparent, le riche plouc de l’Oklahoma chaperonné par sa désagréable mère) … Sans oublier la vieille tante bringueuse de Dunne ou le chien du couple, principal objet de querelle du divorce et dont ils obtiennent la garde alternée …
Il y a des scènes où pas une seconde n’est à jeter, les deux plus mémorables étant une rencontre au restaurant entre les deux « divorcés » accompagnés de leur prétendant du moment, l’autre quand Irene Dunne s’invite chez la future belle-famille de son futur ex-mari en se faisant passer pour sa sœur …

Un bon vieux film comme on aimerait en voir plus souvent …



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BAD BRAINS - BAD BRAINS (THE ROIR SESSIONS) (1982)

Aux armes et caetera ...
Les Bad Brains sont un des groupes les plus singuliers qui soient. Déjà ceux qui ont des lettres savent qu’ils tirent leur nom d’un morceau des Ramones (album « Road to ruin »). Donc les Bad Brains sont des punks. Soit. Mais ça se complique très vite. Parce que les Bad Brains sont tous les quatre Blacks. Ce qui limite la concurrence. Mais c’est pas tout. Les Bad Brains jouent encore plus vite (si, si) que des punks. Et en plus ils jouent bien parce qu’ils ont tous débuté dans le jazz-fusion. Il reste plus grand-monde, surtout au début des années 80 dans ce registre-là.

Tant qu’à faire ils sont très politisés (des effluves Black Panthers), vouent un culte au reggae, au dub, au rastafarisme. Et donc logiquement fumeurs compulsifs d’herbe qui fait rire. Et comme on ne rigole pas (surtout quand t’as pas la bonne couleur de peau) avec ces choses-là au pays de Reagan, y’a même leur chanteur qui se retrouvera au pénitencier pour quelques joints.
Tout ça fait quand même un peu compliqué dans le milieu du rock où il est de bon ton de choisir sa case, d’y rester bien sagement et d’essayer de faire carrière. On a donc affublé les Bad Brains du titre ronflant de précurseurs du hardcore. Ce qui n’est pas totalement stupide, mais quand même un tantinet réducteur. Seul le positionnement géographique (Washington DC) les rapproche des « vrais » premiers groupes hardcore (la galaxie Minor Threat – Ian McKaye) bien blancs et bien propres sur eux (le fumeux Straight Edge, mode de vie curieux, mélange de radicalisme politique et de new age cérébral).
Bon, revenons à nos moutons (noirs). Avec pareilles bases de départ, les attachés de presse des majors se sont pas bousculés pour les signer. Ils ne trouveront asile que chez les azimutés de ROIR (à tel point que ce premier disque éponyme est souvent appelé « The ROIR Sessions »). La particularité du label ROIR (rappelons que nous sommes au début des années 80) étant de ne sortir de l’audio que sous forme de K7 (de K quoi ? s’exclame le fan de Kenji Girac. Demande à ton grand père, connard …), et avec un catalogue de gens euh … bizarres (Suicide et Lydia Lunch font partie de leurs premières signatures).
Bad Brains : renversant, isn't it ?
« Bad Brains » le disque est un truc qui défile à mille à l’heure. Les cinq premiers titres, dont le plus long culmine à 1’55 constituent un tir de barrage sonique inédit à l’époque. Et ma foi, avec ses tempos frénétiques ses guitares-mitraillettes, ses vocaux-slogans hurlés à toute berzingue, on peut sans déclencher les froncements de sourcils parler de hardcore. La suite des quinze titres (l’ensemble du disque est expédié dans ta face en à peine plus de trente minutes) est globalement moins brutale, moins épileptique, même si des choses peuvent apparaître comme les lointains ancêtres du grindcore (« Supertouch / Shitlift »), ou comme du speed à la Motörhead (« I »). En fait, ce qui atténue l’impression de rouleau compresseur très heavy, ce sont trois morceaux plus ou moins reggae, grosso modo les trois plus longs du disque. Même si de véritable reggae au sens Marley du terme, il n’y a point, « Jah calling » et « Leaving Babylon » étant résolument orientés dub avec leurs basses grondantes en avant et leur structures décharnées, et le dernier, le très long (dans le contexte général, puisqu’il dure plus de six minutes) « I luv Jah », havre de quiétude final, cousin des lovers-rock de Gregary Isaacs, mais quelque peu redondant sur la durée.
Les textes sont paraît-il engagés, voire enragés sur les brûlots rapides, mais là, franchement, ça tchatche trop vite pour moi. De toute façon, rien qu’à voir la pochette (un éclair foudroyant la Maison-Blanche), on se doute bien que les quatre olibrius n’ont pas leur carte au Parti Républicain. Ni chez les Démocrates d’ailleurs.
Même si les Bad Brains s’en foutent un peu beaucoup, on leur a attribué toute une descendance hétéroclite au vu de déclarations énamourées à leur musique émanant des Beastie Boys ou de Living Colour, ce qui ratisse tout de même assez large comme spectre sonore d’héritiers.
Bon an mal an, les Bad Brains continuent encore de sortir des disques au succès très confidentiel, avec quelques changements de personnel. C’est néanmoins la formation des années 80, avec le chanteur « dangereux » H.R. et le guitariste virtuose (si, si, même dans des morceaux d’une minute on s’en rend compte, y’a de la technique) Dr. Know qui est considérée comme la meilleure et « historique ».

Evidemment, avec des disques et des blazes pareils c’était pas gagné d’avance …Z’auraient dû s’appeler Michael Jackson comme tout le monde …


NEIL YOUNG & PROMISE OF THE REAL - THE MONSANTO YEARS (2015)

Dorian Gray ...
Un petit tour au Rock’n’Roll Hall of Fame des has-been, ça vous dit ? Vous savez, là où on trouve les cadavres de tous ces types morts (pas forcément physiquement), toutes ces superstars qu’ont pas sorti un bon disque depuis au moins vingt ou trente ans, les Bowie, Stones, Springsteen, Prince, Wonder and so on … Pourquoi cette balade gothique me direz-vous ? Ben pour voir si Neil Young ne s’y trouve pas …
Un cas à part, lui. Nettement plus vieux que la plupart des croûtons suscités, et qui s’est entêté à sortir de bons disques dans les années 60, 70, 80 et 90. Qui dit mieux ? Personne, même pas Dylan. Ouais, mais voilà, le bon Neil depuis pile vingt ans (le fabuleux « Mirror Ball » avec les tocards du grunge Pearl Jam, fallait le faire, sortir pareil chef-d’œuvre avec pareille ribambelle de pas bons …), n’était plus que l’ombre chauve de lui-même, on le voyait traîner ses larsens et ses rouflaquettes tombantes sur tout un tas de galettes qui sentaient la redite, le pilotage automatique et l’inspiration aussi sèche qu’un vagin de centenaire. A tel point que le seul truc qui ait fait illusion, c’était le soundtrack de « Dead man », tout en saturation et grondements guitaristiques, enregistrés live pendant que défilaient les images de Jarmusch. Problème, sans les images justement, ce truc est inécoutable …
Neil (Plus Très) Young 2015
Par contre, Neil Young avait quelque peu accentué son côté Don Quichotte, soutenant de plus ou moins bonnes causes, de plus ou moins catastrophiques candidats à la Présidence US (alors qu’il est Canadien, de quoi il se mêle, ce con ?), se lançant dans des combats épiques perdus d’avance. Comme sa dernière tocade, le Pono, iPod version hi-fi, censé grâce à un encodage (de mouches ?) novateur, donner un son qui déchire sa mère … alors que le brave Neil, t’écoutes ses disques, on est quand même assez loin du Pharell Williams sound, t’as le choix entre de la saturation et du folk acoustique, pas besoin de stéréo de la mort pour ça, mais bon, c’est Neil Young et ses croisades …
Plus haut fait d’armes, l’ancien Roi des Hippies s’était reconverti dans l’humanitaire social concerné, était devenu la  pierre angulaire du Farm Aid, ce téléthon musical annuel pour les paysans américains, encore plus mal barrés que les bouseux d’Europe, ce qui n’est pas rien. Et on le voyait chaque année depuis trente ans arpenter les scènes du Midwest en compagnie de Willie Nelson (prenez des notes, y’a des trucs qui ont leur importance) et John (anciennement Cougar, on ne rit pas) Mellencamp, vous savez le Springsteen campagnard, celui qui fait des disques (pas mauvais au demeurant) sur des petites villes et des épouvantails…
Et pourquoi il fallait que Young les soutienne les culs-terreux yankees ? Ben en gros parce qu’ils se faisaient niquer grave par toute l’industrie agro-alimentaire,  peu soucieuse d’environnement, de commerce équitable, de partage et autres balivernes de gauchistes révolutionnaires et surtout prompte à ramasser tout le brouzouf qu’on pouvait tirer de l’agriculture. Principale cible : la multinationale Monsanto (on y arrive … quoi, qui a dit enfin ?) qui fournit graines et semences et pesticides divers pour que tes mouflets ils se gavent d’OGM et pèsent deux cent kilos à quatorze ans … En fait, Neil Young, c’est un peu le José Bové de son continent, la guitare en plus et la pipe en moins …
Promise Of The Real
Et aux concerts du Farm Aid, Young découvre les fils de Willie Nelson, Lukas, leader et guitariste, et Micah (comme papa est de toutes les éditions, ça aide pour se faire connaître, népotisme quand tu nous tiens …) et leur groupe Promise of the Real. Un groupe qui casse pas trois pattes à un canard transgénique, mais qui assure d’après quelques extraits écoutés, le minimum syndical en termes d’americana sans imagination. On sait pas trop pourquoi, Neil Young convoque ces minots pour enregistrer un disque. « The Monsanto Years » donc. Le truc à gros sabots, le gros pamphlet, la charge incendiaire qui mange pas de pain, mais qui fait bien dans un CV, ou, vu l’âge du Neil, dans une prochaine épitaphe : « Il est mort guitare au poing, dénonçant les complots des suppôts du capitalisme sans frontière qui exploitent les autres, les ruinent pour s’en foutre encore plus plein les fouilles etc, etc … », alors que les mecs maintenant ils ont la flemme de se brosser les dents, ils achètent un bidule électrique qui leur bousille les gencives, tu parles s’ils vont se bouger pour faire la révolution … Et bizarrement, la rumeur enfle, prétendant que vous allez voir ce que vous allez entendre. Sauf qu’on me la fait pas, des retours du diable vauvert orchestrés par le buzz de vieux schnocks qui seraient meilleurs à 70 balais qu’à 25, y’en a chaque semaine. Et quand t’écoutes leurs rondelles, oh putain la misère …
Et plus par réflexe boulimique que par conviction, tu mets le skeud dans le lecteur, t’appuies sur Play … une intro folky électro-acoustique dont voudrait même pas Hugues Aufray(ses), tu te dis que cinquante minutes ça va être long et que comme il fait un putain de cagnard, vaudrait mieux aller chercher une mousse pour aider à tuer le temps. Sauf qu’au bout d’exactement vingt et une secondes, il se passe un truc, y’a la foudre qui sort des haut-parleurs. Un riff de brontosaure, hyper cradingue, saturé, une batterie aplatissante jouée par un mammouth en rut, un tempo rampant comme un crotale ébouillanté, la voix du Neil certes vieillie, breathless mais toujours reconnaissable entre dix millions. Et les neurones en surchauffe font clignoter des titres qu’on croyait à jamais disparus, des « Down by the river », des « Cortez the Killer », des « Hey hey my-my », des disques comme « Live rust », « Ragged glory », « Weld », « Mirror ball », … Ouais, carrément … Le Neil Young que j’aime is back, alive and very well. « A new day for love », il s’appelle ce titre inaugural de « Monsanto years ».
Un peu fatigué, quand même, le Loner
Et ça va durer comme ça jusqu’au bout. Sauf sur « Wolf moon », la ballade acoustique éternelle, comme tout le monde en pond, et Young particulièrement sur « Harvest » ou sa fausse suite « Harvest moon ». Et ce « Wolf moon » n’aurait pas dépareillé dans ces deux classiques, c’est dire son niveau. « The Monsanto Years » est à peine un peu moins bon que « Ragged glory » (parce 70 balais le Neil, parce que Promise of the Real c’est pas Crazy Horse, que Lukas Nelson c’est pas Whitten ou Sampredo, et que moi aussi j’ai plus vingt ans …). Il y a des choses raisonnablement inenvisageables ou qu’on croyait maintenant inaccessibles à Young, cette colère électrifiée tous potards sur onze, ces coulis de distorsion, ces duels épiques de guitare, ces slogans braillés rage aux tripes. Des titres comme « People want to hear about love », « Workin’ man », « Monsanto years»,  sont proprement exceptionnels et « A rock star bucks a coffee shop », avec son refrain à limite de la rupture et son irrésistible gimmick sifflé est un des dix meilleurs morceaux que Neil Young ait jamais écrit. Et ne me dites pas que j’exagère, c’est brothers and sisters la putain de vérité vraie …

Disque de l’année, au moins …


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JEAN-LUC GODARD - LE MEPRIS (1963)

A Capri, c'est fini ...
« Le Mépris », c’est le film le plus abordable de Godard. Peut-être bien aussi son meilleur. Et ça, Godard le sait. Et depuis longtemps. Conclusion, pour ceux qui en douteraient : Godard filme ce qu’il veut, se fout du succès et vous emmerde.
Piccoli, Bardot & Godard
« Le Mépris », c’est une figure imposée, et un exercice de style. La figure imposée, c’est que son fidèle financeur (dans le cinéma on dit producteur) Georges de Beauregard commence à en avoir ras le chéquier de « sponsoriser » Godard dont les films, pour faire simple, ne remplissent pas vraiment les salles, et ne veut plus foncer tout seul, surtout que Godard rêve de faire travailler Bardot, superstar du cinéma européen et donc aux cachets conséquents. Une approche est tentée vers le magnat italien Carlo Ponti. Qui veut bien mettre des pépettes mais n’entend pas laisser carte blanche à Godard qu’il considère ingérable. Qu’à cela ne tienne, le Suisse lui met sous le pif un best-seller d’Alberto Moravia, « Le Mépris », qu’il compte adapter. Marché conclu. Des investisseurs américains complètent le tour de table. Et auront ô combien leur importance dans l’histoire du film. Ce sont eux, qui après avoir vu les premiers montages piquent une gigantesque colère. What ? Ils ont sorti les dollars pour avoir Bardot et elle se fout même pas à poil ? Ils imposent à Godard des « scènes de nu » selon le vocabulaire pudibond de l’époque. Résultat : la première « vraie » scène du film, celle d’anthologie avec Bardot nue sur un lit qui demande (entre autres appréciations anatomiques) de son inégalable voix d’ingénue à Piccoli : « Tu les trouves jolies mes fesses ? » … Un grand merci aux producteurs américains, parce que le cul à Bardot, ben je vais vous dire ma bonne dame, c’est quand même quelque chose …
Mais résumer « Le Mépris » au popotin de BB, c’est quand même plutôt réducteur. Parce que le film, c’est avant tout du Godard. Mais accidentellement. Je m’explique. Godard, il en avait rien à cirer du bouquin de Moravia, même s’il a écrit un script (avant le tournage, chose assez rare chez lui), il est assez éloigné, voire très éloigné du livre. Godard veut faire un film classique. A tiroirs, comme d’habitude, mais un film classique par la forme. Il a la tête d’affiche absolue de l’époque (Bardot), filme (enfin, c’est plutôt comme d’habitude le fidèle Raoul Coutard qui est derrière la caméra) en couleurs, en extérieurs et en scope. C’est-à-dire assez loin de ses noirs et blancs baveux caméra sur l’épaule qui ont fait sinon sa fortune, du moins sa réputation. Et Godard va soigner ses plans, ses prises de vue dans le féérique décor de Capri. Sauf qu’un beau jour, après environ trois semaines de tournage, les comptables lui font remarquer qu’il a bouffé les trois-quarts du budget, et qu’il n’a même pas mis une demi-heure de film en boîte. Résultat : un quasi plan-séquence (intercalé au milieu du film) de trente quatre minutes dans un appartement inachevé pendant lequel Piccoli et Bardot, se disputent, se réconcilient, se baladent à poil, se disputent, prennent un bain, se disputent, s’envoient des baffes, se disputent … et ne se réconcilieront plus. Une enfilade de dialogues quasi-improvisés qui font, évidemment, qu’on ne comprend plus grand-chose à ce qui a précédé et qu’on ne comprend plus rien à ce qui va suivre. Du Godard, quoi, comme je vous disais quelque part plus haut …
Lang, Piccoli, l'Alfa Roméo, Palance, Bardot
« Le Mépris », c’est l’art des poupées gigognes mis en images. Le mariage du couple Javal prend soudainement l’eau. Paul Javal (Piccoli dans un de ses meilleurs rôles, sinon le meilleur) est scénariste, sa femme Camille (Bardot) dactylo, mais ça n’a aucune espèce d’importance dans le film. Le producteur américain Prokosh (Jack Palance) propose à Paul de refaire le scénario d’une adaptation de « L’Odyssée » que tourne Fritz Lang, qui joue son propre rôle. Evidemment, la relation qui devient tumultueuse entre Paul et Camille s’imbrique dans le tournage et les à-côtés du tournage  du film de Lang, et offre des bifurcations sur la création, l’art, et les rapports qu’ils entretiennent avec l’argent. Mais comme toujours chez Godard, rien n’est franchement dit ou montré, tout est sous-entendu, elliptique. Rien que le choix de Lang pour jouer son propre rôle (Godard apparaît vers la fin, il joue le rôle de son assistant, décryptez ce que vous voulez, bon courage …) relève plus du mystique que du rationnel. Il y a d’ailleurs dans les bonus du BluRay un documentaire d’une heure (« Le dinosaure et le bébé », en voilà du titre de doc !) retranscrivant une discussion en 1967 (assez passionnante il faut dire) entre les deux hommes, plus une interview d’une demi-heure de Lang pendant le tournage du « Mépris ». Autant dire que pour Godard, le personnage clé du film, c’est pas Bardot (d’ailleurs Godard et Bardot s’engueuleront souvent sur le tournage), c’est pas le couple qu’elle forme avec Piccoli, c’est bel et bien le vétéran allemand. Avant toute autre chose, « Le Mépris » est un film sur le cinéma, ou plutôt sur la vision qu’a Godard du cinéma.
Film dans le film : Lang (sous le parasol) & Godard (sous le chapeau)
Il est d’ailleurs amusant de constater que tous les spécialistes ès-Godard patentés et les protagonistes du film (sauf Bardot, mais à l’ère du BluRay, vaut mieux éviter de faire causer la Brigitte, eu égard à toutes les conneries qu’elle pourrait raconter), bien des années plus tard (et y compris Godard), sont incapables de dire pourquoi, au vu du film, Camille méprise Paul, et quel est in fine le message du film.
Ce qui n’est pas bien grave, car « Le Mépris » est un film pour les yeux avant d’être un film pour l’esprit. Un film qui commence par le générique (mais un générique particulier, puisque en montrant à l’image le tournage d’une scène à Cinecitta, c’est Godard lui-même qui de sa si particulière voix nonchalante, lit en off ledit générique), nous donne l’occasion de prises de vue superbes à Capri et dans le bunker futuriste de la villa Malaparte où se consommera la rupture définitive entre Paul et Camille. Un film où l’on s’aperçoit aussi que même avec une perruque de brune, Bardot crève l’écran (alors qu’elle joue « naturellement », c’est-à-dire comme une savate). Que les acteurs américains y vont à fond (Palance manque réellement de décapiter une actrice en jetant en proie à une colère noire une bobine à travers une salle de projection). Que Godard ne peut s’empêcher de caser ses jeux de mots idiots à base de prénoms (après « On fonce Alphonse » de « A bout  de souffle » et avant le « Allons-y Alonzo » de « Pierrot le Fou », on a droit ici à « Tu me prends dans ton Alfa, Roméo ? »). Que la peinture bleue commence à faire son apparition (les yeux des statues grecques, avant le face-painting de « Pierrot le Fou »)… Et que la qualité du BluRay est tout juste passable … Et que Bardot a un joli cul, mais je crois l’avoir déjà dit …
La villa Malaparte à Capri
A noter aussi, et ça n’arrivera pas souvent dans l’œuvre de Godard (parce que lui et la musique semblent définitivement fâchés malgré tout le mal qu’il se donne pour s’y intéresser), que « Le Mépris » est aussi un film pour les oreilles. La B.O. est une de celles qui font date, portée par un thème lancinant de Georges Delerue, qui vient toujours rythmer de façon judicieuse (et ce malgré son côté répétitif) mais jamais agaçant les scènes ou même les plans-clés du film. Et puis il y a la reprise d’un des rares titres de rock’n’roll italien, le « 24 000 baci » de Celentano, par une chanteuse yéyé-neuneu pendant l’entracte dans une salle de cinéma.
Bon, allez, pour finir, une anecdote. Godard voulait que dans la longue scène dans l’appartement en construction, Bardot mette une perruque brune. Refus catégorique de la star. Pari de Godard, qui déjà avait l’air de perpétuellement se réveiller et fumait des cigares gros comme des troncs d’arbre : « Si je parcours quinze mètres en marchant sur les mains, tu mets la perruque ? ». La super-nunuche accepte. Et bien Godard, qu’on a du mal à imaginer en artiste de cirque équilibriste, l’a fait, preuve à l’appui dans le doc filmé en 1967…

Mais oui, B.B., on les trouve très jolies, tes fesses … Et le reste du film aussi …

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