THE CLASH - LONDON CALLING (1979)

Before the storm ...

Le dernier grand disque de rock des 70’s … quasiment le dernier grand disque de rock tout court … avant que des déluges de daubes diverses et (a)variées tombent de partout pendant plus de trois décennies …
« London  calling » … du Clash … the last gang in town… déjà en 1979 quasiment un vestige du mouvement punk original de 76-77. Un mouvement qui n’en finit déjà plus de compter ses morts et ses groupes disparus … Le Clash est encore là, mais dans l’œil du cyclone, attendu au tournant. Parce que le Clash, et surtout Strummer, le plus ancien de la bande (un des plus vieux punks du monde, 27 ans au compteur) savent qu’il faut pas faire du sur-place, que la définition même du punk (no future) est une impasse vers laquelle tous ces suiveurs horribles aux slogans simplistes se précipitent.
The Clash 1979
Strummer est un intuitif, qui fonctionne au feeling, et qui ne sait pas trop où emmener sa troupe dont il est le leader « politique ». Action Joe, marxiste convaincu sinon convaincant, se sait piégé et attendu au coin du bois par la CBS qui les a signés. Le groupe entier est mal à l’aise dès lors qu’il faut faire bouillir la marmite et aller tourner dans ces Etats-Unis qu’ils ont violemment brocardés à leurs débuts (« I’m so bored with the USA »). Le Clash aux States est observé comme une bête curieuse par un public apathique … De rage à l’issue d’un concert au New York Palladium le 21 septembre 79 où le groupe avait tout donné devant des spectateurs amorphes, Paul Simonon fracasse sa basse sur la scène. L’instant sera immortalisé par la photographe Pennie Smith et sera la pochette du futur 33T. Artistiquement, le Clash est à la dérive. N’a pas su quoi faire après son premier disque, classique punk. Avait choisi le sorcier fêlé des studios jamaïcains Lee Perry pour produire le second disque. Il n’en sortira qu’un single (« Complete control »). Et le groupe va aller se perdre avec Sandy Pearlman, le producteur attitré du Blue Oyster Cult, rechercher le « gros son », pour finalement sortir un disque de quasi hard-rock (« Give ‘em enough rope »), dont même pas une poignée de titres sont à sauver.
Donc pas de droit à l’erreur pour le troisième. Il faut vraiment trouver l’homme de la situation pour coucher sur vinyle et canaliser toute la frénésie créative du groupe, qui, amphétamines aidant, a des dizaines de titres en gestation. Guy Stevens sera l’Elu. La légende mod underground, oracle sonore du swingin’ London, l’homme qui a trouvé leur nom aux Procol Harum, produit Free, fait débuter Mott The Hoople. Stevens est recruté pour produire le disque. Las, il est alcoolique au dernier degré, perpétuellement vautré dans un hébétement éthylique. Il ne sera d’à peu près aucune utilité technique pour le groupe, prostré dans un état second en studio, tout juste bon à envoyer de « bonnes vibrations ». C’est l’ingénieur Bill Price qui de fait produira « London calling ».
Qui sera double. Problème, la CBS ne veut pas d’un double. Bras de fer avec la foutue multinationale. Au prix d’un arrangement léonin, la CBS sortira le disque au prix d’un simple 33T, le manque à gagner pour elle sera retenu sur les royalties des musiciens. Comme le Clash répètera la manœuvre avec le suivant, « Sandinista », un triple vendu au prix d’un double, et que les disques du Clash ne se vendront jamais par millions, Strummer et sa clique vont se retrouver quasiment débiteurs à vie de leur maison de disques …
London calling 45T
Avec « London calling », le Clash ne veut plus faire de punk-rock (seul « Koka-Kola » peut répondre à cette définition). Le Clash va partir dans tous les sens, livrer en 19 titres ses amours, ses obsessions, ses fantasmes du meilleur rock des deux dernières décennies. Et tout ça à grande vitesse. On avait juste eu le temps d’entendre à la radio le single, qu’une semaine après, l’album arrivait. Le single, c’était « London calling », le titre. Un truc martial, mid-tempo, inspiré par « l’incident » de la centrale nucléaire américaine de Three Mile Islands (« a nuclear error »), transposé à Londres, avec le Joe qui braillait que Londres était en train de se noyer, qu’il habitait à côté de la rivière, et qu’il avait même pas peur. La face B, c’était le colossal reggae, la reprise de l’« Armaggedon Time » de Willie Williams, et ça en faisait dans tous les sens du terme le 45T le plus apocalyptique qui soit …
« London calling », c’est le premier titre de l’album. Et on a pas le temps de souffler (on n’aura de toute façon jamais le temps de souffler durant 65 minutes) qu’arrive une reprise toutes tripes et riffs de Mick Jones en avant du « Brand new Cadillac », le seul classique de Vince Taylor, pionnier anglais maudit du rock’n’roll, que même Bowie n’avait pu réhabiliter (le personnage de Ziggy Stardust, c’est un croisement de Vince Taylor et d’Iggy Pop). Cette exhumation des racines rock’n’roll, les plus instruits (ou les plus vieux) l’avaient vu venir avec le lettrage de la pochette, directement inspiré par celui du premier disque d’Elvis Presley. De toutes façons, des vieilleries, le Clash semblait décidé à nous en faire bouffer, le morceau suivant, c’était …aargh, du fuckin’ jazz. Avec du sax ! Trahison ! … Euh non, en fait, ça swinguait mille fois plus que Mahavishnu Machin et Weather Truc réunis, ça parlait de l’histoire d’un petit dealer qui venait de se faire serrer par les keufs. Et pour tout un tas de gens, le Clash allait sortir la face de 33T la plus moderne qui soit, en n’utilisant que des musiques antédiluviennes, parce qu’elle s’achevait par « Hateful », une extrapolation de Diddley beat (modèle déposé vers 1957-58), et « Rudie can’t fail » (rocksteady, Jamaïque, début des années 60).
New York Palladium 21/09/1979 : bientôt Paul Simonon va destroyer sa basse ...
Parce que les Clash étaient fans de reggae (surtout Paul Simonon, et un peu Strummer, pour l’aspect politique et social) sous toutes ses formes. Ils en ont mis partout (déjà le fabuleux « Police & thieves » sur leur premier disque), et « London calling » sera leur disque où le reggae sera le plus présent. Le reggae, c’est la musique qu’on écoute dans les quartiers populaires de Londres, communauté jamaïcaine immigrée oblige, et le Clash est obligé, se sent investi de la mission d’être de leur côté, à leurs côtés (le groupe au complet parade, un peu comme des coqs il faut bien dire, dans Notting Hill, et ne manquerait pour rien au monde son carnaval et les émeutes qui vont généralement avec). Le reggae et ses dérivés sont partout dans « London calling ». Dans le traitement sonore de « Clampdown », gros rock qui déménage à la base, et servi bouillant, comme si les Who reprenaient Jimmy Cliff, dans le reggae-dub des « Guns of Brixton », chanté basse sur les genoux et voix sourde en avant par Simonon. « Wrong ‘em boyo », c’est du ska, comme si Madness faisait du dragster. « Lover’s rock », c’est une allusion transparente à un sous-genre de reggae, même si c’est moins suave que quand c’est chanté par Gregory Isaacs, le maître du genre. Et puis, et surtout, la profession de foi, le cœur politique du disque (en fait la vieille utopie hippie remise au goût du jour, la musique qui doit et va changer le monde), l’énorme « Revolution rock », reggae-ska et contrepoint-réponse au « Roots, rock, reggae » de Saint Bob Marley …
Le reste ? Du rock couillu, servi par un festival de riffs énervés de Mick Jones, accompagné par les accords rageurs de Strummer extirpés de sa vieille Telecaster entre deux gerbes de postillons, la basse ronde et mixée en avant de Simonon. Et derrière tout ça, derrière le trio inamovible, la pièce rapportée du Clash, le batteur. Ici Topper Headon, le batteur « historique » du groupe, même s’il n’était pas là aux débuts. Un Topper dont on a dit le plus grand mal, souvent à juste titre. Vite devenu héroïnomane à plein temps, les bras minés par la poudre, souvent incapable d’assurer le tempo en live. Et bien, là, en studio, il répond présent et pas qu’un peu, et fait la démonstration (écoutez-le sur « Clampdown ») qu’avant d’être un junkie pathétique, c’était un putain de grand batteur … alors il pousse au cul toute sa troupe sur les titres comme « Death or glory », « I’m not down », ou le gigantesque « Four horsemen » (eh non, les Quatre Cavaliers de l’Apocalypse, c’est pas les neuneus de Metallica, la preuve ici …). Bon, évidemment, comme tout est fait au feeling, pas trop de technique et beaucoup de cojones, quand il y a un titre trop « réfléchi », il se voit comme le nez rouge au milieu de la figure d’un clown. Ici, c’est « The card cheat », piano limite grandiloquent en intro, plein de cuivres, du pathos presque dégoulinant … on frôle la faute de goût.
The Clash live 1980
C’est pas tout. Il y a encore au menu quatre plutôt bizarreries à la base, et qui, parce que le groupe était dans un état de grâce qu’il ne trouvera plus (il n’aura pas assez de temps pour ça, d’ailleurs), sont devenus des morceaux emblématiques de ce disque. « The right profile » est un strict (enfin, dès que le Clash est dans le coup, plus rien n’est strict) rhythm’n’blues avec les cuivres et tout et tout, dédié à Montgomery Clift (perso, j’ai jamais vraiment saisi pourquoi, si quelqu’un sait, merci, mais aucune récompense n’est prévue). Deux titres de pure pop : « Spanish bombs » sur l’interventionnisme américain en Amérique Centrale, (« Sandinista » n’est plus très loin), et la superbe bluette anti-consommation de masse chantée par Mick Jones « Lost in the supermarket ». Et last but not least, l’ultime titre du disque, rajouté in extremis (il figure pas sur le tracklisting de la pochette originale), à la demande pressante de la CBS, qui après écoute des 18 premiers titres, a jugé le boulot intéressant. Susceptible de se vendre même au States, à condition de rajouter un titre bien anglais mais suffisamment américain pour que ça puisse plaire et éventuellement faire un hit chez les bouffeurs de burgers. En gros, le Clash a été sommé par sa maison de disques de rajouter un titre genre Rolling Stones, qui vendaient du « Some girls » par millions. Qu’à cela ne tienne, le Clash tutoyait les anges, pouvait tout faire … « Train in vain » sera ce hidden track ô combien stonien.
Le résultat ? Il surpasse de très loin tout ce que la mouvance punk ou assimilée a jamais produit. Totalement hors du temps et des modes, un double vinyle jalon d’un certain âge d’or du rock, voisin et égal de marqueurs de leur époque aussi forts que « Blonde on blonde », le Double Blanc, « Exile … », « Physical graffitti ». Avec « London calling » sous le bras, des concerts incessants, le Clash va devenir là, au tout début des années 1980, le plus grand groupe de rock du monde. En gros jusqu’à la parution du boursouflé « Sandinista » un an plus tard …
Certains prétendent que « London calling » est le plus grand disque de rock jamais gravé. Y'a des jours que moi aussi …

Des mêmes sur ce blog :
Combat Rock

10 commentaires:

  1. Dans mes bras!...
    Pour ceux qui kiffent, il faut se procurer le CD spécial 25e anniversaire avec sur un 2e CD 21 titres plus ou moins foutraques de démo dont un Lonesome Me country avec de l’harmonica, et un DVD sur lequel sont gravés des séances d'enregistrement studio où l'on voit Guy Stevens balancer des chaises et faire tournoyer une échelle sur les zicos, et même verser de la bière sur le piano pour donner un meilleur son...
    Le tempo de Brand New Cadillac s'accélère au milieu mais Stevens trouvait ça très bien et a gardé tel-quel.
    Pas de Train In Vain sur la pochette originale, je confirme, mais bien écrit sur le 33T.
    Ça devait s'appeler The Last Testament, vu la suite du Clash ( mis à part Sandinista que j'affectionne beaucoup), c'est effectivement prémonitoire...



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    1. J'ai jamais écouté tous ces trucs pirates ou officiels qui sont sortis autour de London calling ... pas envie de voir l'huître dont est sortie la perle ...

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  2. Tubes + titres sympa + remplissage. Donne moi The Clash à la place, ça fera la rue Michel. C'est un peu le Tales From Topographic Ocean du punk ça.

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    1. remarque euh ... originale ...
      Conserve ton dealer, c'est de la bonne qu'il te refile ...

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  3. Simonon est à la guitare sur Guns of Brixton, c'est Strummer qui tient la basse, sur scène comme en studio.
    Comme tous les grands classiques, London calling n'est pas à mon sens, un album qui garde un grand intérêt. Le Clash fera mieux très vite.

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    1. Sur scène oui, mais pas en studio. C'est la ligne de basse de Simonon qu'on entend et il l'a dit lui même:
      "I played bass on the recording, but because of the song’s bass line, I felt more comfortable playing guitar and singing the whole song live."

      Je traduis pas parce qu'après on va dire que j’interprète...

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    2. Je crois que Simonon l'a d'abord composée à la guitare, un des rares titres qu'il a écrit pour le Clash ...

      Ben, moi c'est après London calling que je trouve pas grand-chose d'intéressant, un tiers des titres de Sandinista, un quart de Combat rock, et il vaut mieux oublier Cut the crap ... quand j'ai acheté LC fin décembre 79, je savais pas que ce serait un classique, j'ai juste pris une grosse claque dont j'ai oublié de me remettre ...

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    3. Tout à fait, à sa sortie London calling m'a aussi fait l'effet d'une découverte si incroyable que j'en suis resté scotché un bon moment à l'écouter en boucle.
      Un an après le groupe alignait un triple album (j'avais le coffret 2 K7 pour être exact) qui m'amena encore plus loin car vers l'inconnu. Sandinista me décomplexa face au son Disco que j'adore, me donna gout pour le hip hop et l'électro alors à leurs premiers balbutiements, m'ouvrit au dub, aux ambiances plus feutrées (broadway) aux rythmes calypso. Bref Sandinista a tué toutes éventuelles tentations de sectarisme.

      Combat Rock ? Ok, vaguement raté, pour le moins inégal mais si tu écoutes la version Mick Jones (rat patrol from fort bragg, refusé par CBS) tu découvres un monument. Les titres durent 7 ou 8 mns et du coup ça supprime le côté inachevé des cuts de glyn johns, des morceaux restés inédits ouvrent de nouvelles portes,tout BAD est dedans pour simplifier et j'imagines que tu aurais détesté mais historiquement ce triple là aussi aurait fait date.

      Enfin, il y a eu Radio Clash, le maxi est une tuerie, l'un de ceux qui captèrent le mieux le son du New York d'alors. Mick Jones avait d'emblée positionné Clash au niveau de Grandmaster Flash et toute la clique. S'ils avaient duré et s'étaient adjoint un dj, le rock serait encore une musique vivante ! Avec un créateur comme Mick Jones et gars du calibre de Topper Headon, le groupe pouvait tout se permettre.
      Joe Strummer et Bernie Rhodes en décidèrent autrement. Depuis on vit un revival constant. Chapeau les gars...

      PS: Pour Simonon, c'est possible qu'il soit sur la version studio mais j'en doute, il joue rarement sur les disques en fait, la plupart du temps c'est Mick Jones qui fait les basses ou comme sur Sandinista Norman Watt-Roy (bassiste de Ian Dury, c'est facile de le repérer, il fait plein de notes et les met au bon moment et au bon endroit....) Les interviews dans lesquelles Jones salue avec un petit sourire aux lèvres l'évolution du jeu de Simonon sont légions, l'humour anglais.

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    4. Sandinista est effectivement une passerelle vers d'autres genres ... le problème c'est que si tu vas t'intéresser aux genres qu'ils abordent, Hitsville UK ça tient pas la route face à la Tamla, les titres rap c'est un peu léger à côté de Grandmaster Flash ou Sugarhill Gang, Sound of sinners c'est du gospel de série B, etc ...

      Moi, c'est le 33T Black Market clash que je place juste derrière London calling et leur premier ...

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    5. C'est pas faux mais au moins ils donnaient envie d'écouter autre chose, de découvrir. Et je pense que s'ils avaient refait london calling trois fois d'affilée ça aurait aussi perdu de son intérêt, y a qu'à voir le "retour au punk" orchestré par Strummer & Rhodes avec Cut the crap.
      Black Market est une tuerie et la version vinyls triple 25cm parut en même temps que le cd Super black market est encore meilleure car plus complète (toutes les face B !)

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