MARVIN GAYE - WHAT'S GOING ON (1970)


Le disque de l'émancipation ...

« What’s going on » inaugure le déclin et entérine le changement du style Motown. Déclin n’est peut-être pas le terme qui convient, parce que ce premier disque solo de Marvin Gaye ou plus encore ceux de Stevie Wonder afficheront des chiffres de vente plus que conséquents. Mais c’est toute une tradition, toute une culture de la maison de disques de Detroit qui se trouve remise en cause.
Motown, c’était l’usine à hits des sixties, axée sur le 45T. Une entreprise dirigée de main de fer par son créateur Berry Gordy. Avec une organisation quasi militaire. En haut, Berry Gordy, le Boss. A l’étage inférieur, les auteurs (Holland/Dozier/Holland, Smokey Robinson, …) et les musiciens (les Funk Brothers, fantastique groupe de studio qui joue sur tous les titres des 60’s). Viennent ensuite les stars, les figures de proue médiatiques du label (avec à leur tête Diana Ross, Gladys Knight, Little Stevie Wonder, …). Enfin, au bas de l’échelle, toute cette fourmilière d’employés attendant que le bon vouloir du maître leur confie une session de studio ou un titre à chanter. Marvin Gaye a commencé tout en bas, préparer le café, aller chercher des pizzas, ce genre de choses… De temps en temps, quand les Funk Bros étaient en tournée, il faisait des sessions à la batterie. Puis quelques chœurs sur les disques des autres. Puis on lui a refilé des morceaux que personne voulait chanter et dont il a fait des hits. Jusqu’à devenir au fil des années une des figures qui comptent dans le label. Et surtout un des rares à faire de la soul stricto senso, et à souvent chanter en duo avec Tammi Terrell. Un amour platonique unissait les deux, et elle s’effondrera dans ses bras sur scène, victime d’une tumeur foudroyante au cerveau, dont elle ne tardera pas à mourir. Marvin Gaye ne s’en remettra pas, abandonnant plus ou moins sa carrière.
Quand il veut revenir, il frappe un grand coup, entamant un bras de fer avec Berry Gordy pour pouvoir gérer seul sa carrière. Pas simple, la femme de Marvin, Anna, de dix-sept ans son aînée, est la sœur de Berry Gordy. Bonjour l’ambiance dans les repas de famille …
Marvin Gaye obtiendra gain de cause, il enregistrera ce qu’il veut, et ses disques continueront de paraître sur Motown. Lui qui jusqu’à présent était le chanteur soul, celui des bleus à l’âme et des peines de cœur, va effectuer par ses textes un virage radical. La Motown dans les sixties, c’était un peu le pays des Bisounours, les chansons « gentilles », alors que la communauté black américaine commençait à s’embraser (les émeutes de Watts, Angela Davis, Luther King, Malcolm X, James « say it loud, I’m black and I’m proud » Brown, …). Et là, coup sur coup, parce que la concurrence artistique et « politique » des autres labels la poussait au cul, Edwin Starr avec « War » et les Temptations avec « Ball of confusion » allaient remettre la Motown sur les rails de la revendication sociale … C’est dans ce contexte que paraît « What’s going on », qui sera le disque le plus résolument politique de Marvin Gaye.
Rien qu’à voir la pochette, on est frappé par ce regard hautain qui se fout de l’objectif du photographe, ce sourire un peu narquois, cette photo prise sous la pluie. A l’opposé des visuels traditionnels du genre. Sur chaque face du 33T original, tous les titres sont enchaînés, et construits autour de phrases musicales très proches. Une impression de n’avoir à faire qu’à des variations d’un même thème, impression renforcée par la voix de Marvin Gaye, qui se cantonne à un registre soyeux, léger, quasi murmuré … on est presque dans le concept album. Et puis, Marvin Gaye ne fait pas dans l’elliptique. De l’interrogation sur « l’état du monde » (« What’s going on »), de son rapport avec le mystique et la religion, (« Wholy holy », « God is love », Gaye est le fils d’un pasteur très strict qui l’assassinera le jour de ses 45 ans), de l’évocation de la guerre (« What’s happening brother », Marvin a son frère au Vietnam), de celle des ghettos noirs (« Inner City blues »), du monde que l’on laissera à nos enfants (« Save the children »), et même d’écologie, un mot très rarement utilisé à l’époque (« Mercy mercy me »). Sans oublier les poudres blanches qui sur la durée seront ses plus fidèles compagnes (« Flyin’ high »).
La musique, cette soul langoureuse et mid-tempo, soulignée par des cordes, des cuivres (mais toujours légèrement, on n’est pas chez Earth, Wind & Fire), s’orientant parfois vers des sonorités jazzy ou bluesy, va marquer son époque, orienter le son et générer les succès de toute une frange de la soul (Curtis Mayfield, Isaac Hayes, le Philly sound, …). Ce disque est un choc, tant pour l’esprit que pour l’oreille. Les hits seront là et bien là, trois titres classés en haut des charts (l’insurpassable « What’s going on », « Inner city blues », « Mercy mercy me »), l’album sera également un carton commercial, une influence durable (la réponse sarcastique de l’autre génie black du moment Sly Stone avec « There’s a riot goin’ on »), et régulièrement cité dans le Top Ten des meilleurs disques jamais publiès tous genres confondus …

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Let's Get It On


2 commentaires:

  1. Je préfère Sly Stone, mais faudrait quand même que je me le chope un jour celui là.

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  2. Inner city blues...Renversant! Rhââââââ Lovely!

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