ROB REINER - QUAND HARRY RENCONTRE SALLY (1989)


Dirty Harry & Sally goes round ...

Dans sa carrière Rob Reiner, en plus de quelques films à succès (le gentillounet « Le Président et Miss Wade », le très bon « Stand by me »), peut se targuer d’avoir réalisé deux films « culte ». Le faux documentaire plus vrai que nature sur le monde du rock du début des 80’s « Spinal Tap », et une des comédies, si ce n’est la comédie qui restera des mêmes années 80, cet étonnant « When  Harry met Sally ».
Qui n’est pas une de ces comédies grasses de l’époque que l’on a un peu honte de regarder genre les séries « Flic de Beverly Hills », ou « Y’a t-il un flic … un pilote .. ? », mais un film tout en douceur, délicatesse, et surtout subtilité.
L’histoire est on ne peut plus simple : des tranches de la vie de deux personnages (Harry et Sally, comment ça, vous aviez deviné ?) qui se rencontrent lors d’un covoiturage de circonstance les amenant de Chicago à New York jusqu’aux fêtes du Nouvel An onze ans plus tard … Le scénario est sans surprise, le dénouement quasiment contenu dans le titre …
Billy Crystal, Bruno Kirby, Carrie Fisher, Meg Ryan
Et ça fonctionne pendant une heure et demie. Parce que le film est fait par des gens qui se connaissent, Rob Reiner, Billy Crystal (Harry) et Bruno Kirby (Jess, copain de Harry) sont potes et un rien déjantés dans la vraie vie, Reiner et la co-scénariste et co-productrice Nora Ephron sont également amis et ont mis beaucoup d’eux-mêmes dans les personnages et les caractères. Et c’est cette équipe, plutôt qu’un directeur de casting, qui a choisi les deux rôles féminins majeurs, Meg Ryan (Sally) et Carrie Fisher (la princesse Leia de « Stars Wars », déjà un peu tombée dans l’oubli et qui est ici Marie, la copine de Sally). Cette fine équipe a beaucoup écrit, mais a parfois laissé l’improvisation prendre le dessus (dans la scène du musée où Harry parle avec un drôle d’accent (asiatique ?), il se lance dans une tirade non écrite, et on peut voir Meg Ryan jeter furtivement un regard inquiet et interrogateur vers la caméra – la scène a été conservée – avant de suivre Billy Crystal dans son jeu). Le film est rempli de dialogues (la plupart lancés par Harry, cynique, odieux, dépressif et désabusé) et de scènes (la fameuse simulation d’orgasme de Sally en plein restaurant) qui sont devenus cultes.
Evidemment, les personnages (des bobos), leurs caractères (des dépressifs qui cherchent l’amour d’une nuit ou de leur vie) et le lieu du film (New York), ça fait clignoter un nom, celui de Woody Allen. Et « Quand Harry rencontre Sally » est en même temps un hommage et un pastiche. Et on n’aurait pas été surpris de voir dans une scène Sally et Harry filmés de dos discuter à l’aube sur un banc de Riverview Terrace, face au Queens. D’ailleurs Reiner avoue dans les bonus du Dvd qu’il a du renoncer  à quelques-uns de ses premiers choix de lieux de tournage, se rendant compte que Woody Allen y avait déjà tourné des scènes. « Harry & Sally », en plus d’être par bien des aspects le meilleur film que Allen a oublié de tourner, partage avec ceux du binoclard une bande-son jazzy (et pour moi très pénible, mais ça colle à peu près avec le côté branchouille chic des personnages). Ici, sera révélé (honte à toi, Reiner) l’insignifiant centriste Harry Connick Jr qui lancera sa carrière grâce aux bluettes geignardes de la B.O.
La fameuse scène au restaurant (au second plan, la mère de Rob Reiner qui va commander "la même chose" que Sally)
On sent qu’il y a de la part des protagonistes impliqués dans ce film un souci quasi-obsessionnel de soigner le détail, de renvoyer à d’autres comédies, à d’autres films (le « Casablanca » de Curtiz évidemment, sujet de discussions et dont on voit des extraits), de faire des personnages des répliques de « vraies » célébrités (le look de Meg Ryan au début, c’est un copier-coller de la Farah Fawcett de « Drôles de dames », cinq ans après dans la scène de l’avion, c’est la réplique d’une patineuse people). Le film repose essentiellement sur le contraste entre un Harry planqué derrière sa carapace de goujat désinvolte et une Sally très romantique. C’est l’évolution lente de leurs caractères respectifs au cours des années qui est disséquée dans le film avec une légèreté, un humour et une justesse de ton qui en font tout le charme. On ne rit pas à gorge déployée devant trois gags énormes, mais on garde en permanence un sourire en coin devant ce film qui fonctionne à plusieurs niveaux.
« Quand Harry rencontre Sally » sera un succès international considérable. Le film fera de ses deux têtes d’affiche Billy Crystal et Meg Ryan deux des acteurs les plus bankables d’Hollywood, le premier en polissant quand même pas mal son humour finira présentateur quasi attitré de la cérémonie des Oscars, la seconde en tenant le rôle principal dans des blockbusters des 90’s (notamment « Nuits blanches à Seattle » de … Nora Ephron, le monde est petit), avant de progressivement disparaître du haut de l’affiche. Pour Rob Reiner, ce film marquera la fin de sa meilleure période artistique. Alors qu’il était en plein divorce au début du projet du film, il fera comme son personnage d’Harry et rencontrera l’amour (et le mariage) pendant le tournage. Quand je vous disais que ce film sentait le vécu …

Du même sur ce blog :

THE BEATLES - THE BEATLES (1968)


Double page blanche ...




















Hum ...
Mais qu’est-ce que je pourrais bien raconter sur ce skeud que personne ne sache déjà ? Rien, tout a été dit et redit des milliards de fois… Apothéose des Quatre de Liverpool pour les uns, début de la fin pour les autres… Certainement le double album le plus célèbre du monde, autant par son immaculée pochette que parce qu’il est des Beatles… Sempiternellement aussi nominé comme le meilleur des Beatles (en alternance avec « Revolver », « Sgt Pepper’s … » ou « Abbey Road ») … Toujours dans le Top 5 des meilleurs albums de tous les temps dans tous ces palmarès centristes qui fleurissent comme des pulsions pédophiles dans un congrès d’évêques …
Et pourtant, rarement œuvre aussi ambitieuse (plus d’une heure et demie) aura été enfantée dans des conditions aussi délétères. Brian Epstein, le manager du groupe qui les a lancés, est mort. Son successeur Allen Klein, escroc réputé, a été désigné contre l’avis de McCartney, ce qui n’est pas rien … le torchon brûle entre les membres du groupe, surtout entre John et Paul (des histoires de gonzesses, où reviennent les noms de Yoko Ono et Linda Eastman, qui se détestent, et leurs mecs respectifs les suivent dans leurs détestations) …
Et puis les Beatles s’emmerdent au milieu de leurs supposées montagnes de livres sterling (beaucoup moins qu’escompté, là aussi le réveil sera brutal). En plein délire financier hippie, ils montent une sorte de phalanstère culturel, la fameuse et fumeuse structure Apple Records qui se met petit à petit en place dans le courant de l’année 68. Et comme ils ont arrêté les concerts depuis belle lurette, ils donnent dans le cinéma, classique ou d’animation, pour des résultats soit pas très bons, soit mauvais,  traînent quand ils y pensent en studio pour sortir des 45T magiques qui se retrouvent systématiquement en haut des charts. Dernier en date, une bluette de McCartney, « Hey Jude », avec en face B une ballade « concernée » de Lennon, « Revolution », excusez du peu …
De fait, les Beatles ne sont plus un groupe, dans la mesure où ceux qui écrivent arrivent avec des chansons toutes faites, les autres n’ont rien à dire, jouent les accompagnateurs. Il faut tout le talent et surtout toute la diplomatie des saints hommes des studios Abbey Road (George Martin, mais aussi les ingés-son Geoff Emerick, Ken Scott, Chris Thomas) pour que l’essentiel de tous ces projets très personnels et de ces querelles d’ego aboutissent. Même si les Beatles en ordre dispersé, ça reste quand même malgré tout et surtout des types qui savent trousser la mélodie.
Sessions chaotiques donc. McCartney arrive le premier au studio, et quand les autres tardent trop, enregistre tout seul tous les instruments. Le résultat (« Back in USSR »), clin d’œil à Chuck Berry (« Back in the USA ») et aux Beach Boys (« Surfin USA »), sera placé au tout début du disque. Harrison et Ringo se pointent plus tard dans la matinée, le premier pour essayer de caser ses titres (il en aura finalement un par face du double vinyle original), le second pour voir si on a besoin de lui. Harrison fait la gueule, s’estimant sous-utilisé, et même le débonnaire Ringo, qui en a sa claque de compter ses bagouzes sans rien foutre, pète un beau matin les plombs et se casse en vacances en Italie. Il reviendra à Abbey Road au bout de quelques semaines, plus par ennui que par envie de s’impliquer. Lennon, lui se pointe le dernier avec la sangsue Yoko pendue à son bras, qui ne le lâche pas d’une semelle, s’asseyant dans un coin du studio, couvant toute la journée son mec du regard tout en lui envoyant de bonnes vibrations (c’est du moins ce que Lennon croit). McCartney, Lennon et Harrison ont chacun un studio, chacun bosse de son côté dans Abbey Road, c’est quand le groupe se retrouve ensemble que les tensions croissent … De ceci, évidemment à l’époque, seul le cercle fermé et très restreint des proches des Beatles est au courant. Le public et les fans attendent le disque, qui paraît fin novembre 1968.
Ce « White Album » part logiquement dans tous les sens, et les fans n’y verront bien entendu qu’une preuve indiscutable du talent protéiforme de ses auteurs. Alors que c’est juste la preuve du délabrement de la maison Beatles.
McCartney, que ses détracteurs trouvent trop gentil et trop mièvre, balance quand même les trois rocks les plus furieux du disque, « Back in the USSR », « Birthday », et surtout le colossal « Helter Skelter », allant des lustres avant eux plus loin dans métal aplatissant que les fafs de Slayer ou les crétins de Metallica. Au même titre que le « Sympathy for the Devil » des Stones sorti six mois plus tôt, « Helter Skelter » est un des morceaux les plus dangereux du rock, et sera assimilé aux pires dérives sanglantes qu’il suscitera (les crimes « rituels » de Manson et de sa secte The Family). Le reste de ses titres sera plus conforme à ce que l’on attend de lui (les morceaux « gentils », les mélodies évidentes), y compris les fautes de goût impardonnables (« Ob La Di – Ob La Da » et sa trame reggae certes visionnaire à l’époque, mais tellement naïve et surannée qu’elle en devient caricaturale).
Lennon cultive son image de chien fou, de déconneur sérieux, d’intellectuel infantile. Il mélange tout cela sur ce disque, passant du blues roots (« Yer blues »), aux mises en forme à base de cut-ups (« Glass onion », « Happiness is a warm gun »), joue au dur au cœur tendre (« Julia » sur sa mère disparue), puis au gourou générationnel (« Revolution » ici dans sa version dite « saturée »), pour finir par se vautrer lamentablement dans l’expérimental inaudible sous la conduite de Yoko (le funeste « Revolution n°9 »).
Harrison, qui commence à accumuler des titres non retenus (son premier disque solo deux ans plus tard, le bien long et quelque peu surestimé « All things must pass » sera un triple vinyle) doit se contenter d’une pochade sociale (« Piggies »), d’un rhythm’n’blues cuivré et tendu (« Savoy Truffle »), d’une bluette quelconque qui porte bien son nom (« Long, long, long »), et d’un solo de Clapton sur son titre de légende du disque « While my guitar gently weeps ». Pas une bonne bonne idée d’inviter son pote Clapton, qui perd pas une occasion de reluquer Pattie « Layla » Boyd-Harrison, et finira par la lui piquer …
Ringo se contentera de chanter deux titres, dont le clap de fin de ce disque, la berceuse à la guimauve « Good night ».
Au final, le « Double Blanc » a les défauts de ses qualités (ou vice-versa), c’est un disque de compromis, de palabres et de rancunes qui commencent à se mettre en place. Si on l’élague d’à peu près un quart des titres, reste une œuvre majeure et colossale. Tiens, par exemple à comparer avec ce qu’ont produit les amis et rivaux des Stones, quand Jagger et Richards étaient à la limite de se foutre sur la gueule dans les années 80. Le « Double Blanc » amène accessoirement la preuve que travaillant ensemble ou pas, les Beatles étaient le meilleur groupe des années 60 … et suivantes …

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Sgt Pepper's Lonely Hearts Club Band

AC/DC - LIVE AT RIVER PLATE (2012)


Un bon groupe et un mauvais chanteur ...

Quel intérêt peut-il y avoir à écouter un disque d’AC/DC ? Enfin, depuis que Bon Scott est mort, s’entend … A mon humble avis, pas beaucoup … et surtout un live récent … les types ont tous cent ans, font le même disque depuis au moins quatre vingt quinze … et nous sortent là un live exotique, enregistré dans un stade argentin, et version audio d’un DVD déjà paru …
Il semblerait d’ailleurs que les Sud-américains prennent un malin plaisir à s’entasser dans les stades. Il y a quelques temps, c’était pour prendre au minimum des coups de matraque (voire beaucoup plus si affinités et refus de coopérer), maintenant c’est pour prendre des milliers de watts dans les yeux et les oreilles … Tropisme quand tu nous tiens …
Bon, je vais vous dire, ils ont pas eu forcément tort d’hypothéquer leur baraque (à côté de l’Argentine, la Grèce est un pays très riche) pour aller voir les Australopithèques à casquettes et culottes courtes. Autant AC/DC en studio, y’a pas de quoi se relever la nuit (quoique, il y en a un qui m’avait assez plu y’a bien dix ans, « Stiff upper lip » il s’appelait) depuis que … enfin, vous m’avez compris, autant là, devant tous ces types qui sautent partout pour oublier toute la misère qu’ils s’enquillent, et que la nôtre à côté c’est caviar au tracto-pelle au petit déjeuner, et bien AC/DC, ça putain de déménage.

Ces gars, Rudd, Evans, les frangins Young, sont ensemble depuis toujours, jouent depuis toujours un heavy boogie-blues reconnaissable au bout de trois notes, et en live, ils tressent un mur de décibels en béton armé. C’est absolument implacable, ils ont remplacé les cordes de guitare par des rails de chemin de fer, et ne lâchent rien. Mais les AC/DC, faut bien y revenir, ont un problème. Qui piaille dans les suraigus depuis 30 ans. L’ineffable Brian Johnson, c’est le type qui a gagné la super cagnotte au Loto du hard. Alors que tout le destinait avec son look de camionneur à finir dans un groupe de quinzième zone, à passer sa vie à se bourrer la gueule dans un pub, et à peloter des catins à forte poitrine, voilà que maintenant il passe sa vie à se bourrer la gueule dans des pubs, à peloter des catins à forte poitrine, et qu’en plus il chante (enfin, ça c’est lui qui le croit) dans AC/DC. Vocalement parlant, ce type est une catastrophe, il hurle comme s’il venait de se prendre un Boeing dans les roubignolles, sans jamais chercher à moduler, à faire autre chose … et comme en plus il avance dans l’âge et commence à avoir un durillon de comptoir respectable, il s’essouffle vite. Là, sur ce live, pendant « Whole lotta Rosie », soit à demi-heure de la fin du concert, il avale la trompette comme disait l’autre. Fini, terminé, aphone le Johnson. Il a du bol, Angus prend un solo d’un quart d’heure ( ! ) sur « Let there be rock », le temps certainement que le Brian aille consulter un ORL en coulisses, prenne quelques pastilles Valda et voilà que notre Ecossais revient tant bien que mal assurer le final du concert … et non, je vous assure que tout ce j’écris est véridique, z’avez qu’à acheter le skeud ou mater la vidéo, vous verrez … A noter aussi les spectaculaires efforts du Brian pour communiquer avec le public, il connaît trois mots (pas un de plus) en espagnol (« muchas », « gracias », « amigos »), et lance même au début un « scusi ». Faudra que quelqu’un essaye de lui expliquer, s’il est à jeun un jour, que l’Espagne et l’Italie, ça à beau être au Sud de Glasgow, c’est pas exactement la même chose …
Cin cent millions de Sud-américains et moi et moi et moi ...
Parce que les quatre autres, ils assurent grave, sur les vieux titres, parce qu’ils les jouent sans débander depuis plus de trente ans (la moitié de la setlist, elle date du temps de Bon Scott) et même sur les autres, parce qu’en fait, AC/DC, c’est toujours la même chose, mais là, avec le temps, de plus en plus puissant, genre bulldozer inexorable et inarrêtable.
Mais aux débuts, c’était même pas Bon Scott qui focalisait les regards, c’était ce gosse en tenue d’écolier qui massacrait sa Gibson comme si le sort de l’humanité en dépendait. Et donc, qu’est-ce qu’il devient, l’Angus, maintenant qu’il atteint un âge où le commun des mortels commence à compter les trimestres d’activité en vue de faire valoir ses droits à la retraite ? Il s’est calmé, enfin juste un peu, fini le temps où il passait le concert à se rouler par terre en effectuant des descentes de manche à vitesse supersonique. L’âge, l’arthrose, tout çà, d’ailleurs il montre plus on cul sur « The Jack », juste un slibard taille XXL floqué AC/DC … mais de guitariste épileptique, il est devenu bon guitariste, instantanément reconnaissable la plupart du temps, le côté chien fou en moins. Et puis, il a ajouté un truc très hendrixien dans son jeu, pas les zigouigouis à grande vitesse de mise chez tous les nullards présentés comme les héritiers-successeurs-descendants du gaucher de Seattle, non, juste ces coulis de notes traînantes que balançait Jimi sur ses blues mutants. Ici, c’est particulièrement flagrant sur « The Jack », le blues des maladies vénériennes, avec même une intro qui cite quelques notes de « Manic depression » on dirait bien … Conclusion : même si c’est pas l’Angus des 70’s, ça reste quand même un type qui utilise plus que bien (et même mieux qu’avant selon moi) une guitare …
Résultat des courses, ce live est quand même un peu saboté (si, si et je suis gentil) par le Johnson à casquette. Et je n’échangerais certes pas les presque deux heures de ce « River Plate » contre les quarante minutes de « If you want blood » …

Des mêmes sur ce blog :
Back In Black

BRUCE SPRINGSTEEN - LIVE / 1975-85 (1986)


Un bon chanteur et un mauvais groupe ...

De quelque côté qu’on l’envisage, ce live est un pavé. Et un pavé, que tu le prennes sur les pieds ou en pleine poire, ça fait mal …
Par où commencer ? Des chiffres ? 40 titres, 3 heures et demie … aujourd’hui trois Cds bien pleins. Lors de sa parution fin 86, cinq vinyles. Personne n’avait été aussi loin dans la démesure, les funestes live de Santana, Yes et Wings s’étaient arrêtés à trois rondelles de plastique noir, ce qui faisait déjà beaucoup (trop). Idem  en studio pour les Clash, George Harrison ou le Nitty Gritty Dirt Band (le Nitty qui ? ... pfff, c'est bon, laissez tomber ...). Argument entendu à l’époque : c’est pour être conforme à la durée des concerts du Boss. Soit …
Derrière tout ça, un plan marketing mégalo de Columbia-Sony, relayé par le management (l’ambitieux et omnipotent Landau), et in fine cautionné par un Springsteen pas très bien dans ses baskets à cette époque-là : un mariage qui part en vrille, et la sortie de sa période dents refaites – bodybuilding et look Rambo-Stallone-Rocky.
Objectif de ce « Live » : être vendu à au moins dix millions d’exemplaires sur la lancée du multiplatiné « Born in the USA ». Pour l’anecdote, il y eut un petit problème de timing. Un autre label distribué par Sony, Epic, voulait sortir à la même époque le nouveau disque de Michael Jackson (« Bad »), et comptait, en ces temps de show-biz triomphant en écouler cent millions de copies. Sollicitées, les usines de pressage américaines déclarèrent impossible de faire face à une telle demande, et l’enregistrement de Jackson fut décalé de plus de six mois. Pour la morale, aucun des deux disques n’atteint ces objectifs …
Par quoi continuer ? Springsteen ? Dont je ne suis pas fan. Que j’apprécie mais sans plus. Et dont l’essentiel de la discographie me passe par-dessus la tête. Bon, touchez pas (ou dites pas de mal) à « Nebraska » et aux deux « Born … », ces trois-là je les défendrai. Mais comment, entends-je, et …, sans parler de …, ou encore …, ils sont pas géniaux peut-être ? Si vous voulez, mais moi ils me gavent… Et l’homme Springsteen me gave aussi, ce centriste perclus de bonnes manières, de bons sentiments, de bons engagements, défenseur de toutes les causes validées par l’ONU, l’Unesco et Bono… Je veux bien le soupçonner d’être tout à fait sincère, mais il y a quand même un monde entre ce pur produit du music entertainment et le Chevalier Blanc du combat social que certains le voient incarner. Finalement aussi crédible qu’un diététicien qui mangerait matin et soir chez MacDo (reproche valable également pour l’immense majorité de ses semblables).
Son succès ? Ben, on peut ni le nier ni le lui retirer. Phénomène typiquement américain par de nombreux aspects (le fan de folk, de country, de old rock’n’roll, des films des années 40 en général et de John Ford en particulier, de Woody Guthrie, Dylan et Steinbeck, le troubadour des classes populaires, plus américain que tout ça, tu peux pas …) qui a réussi à s’exporter all around the world, tandis que des contemporains pas plus mauvais et guère différents par leurs références sont restés beaucoup plus confidentiels hors de chez eux (Seger, Petty, Southside Johnny, Graham Parker et tant d’autres …) A l’écoute de ce « Live », il m’est venu un questionnement : le public du Boss (tout a été enregistré aux States) comprend-il de quoi il retourne dans ses chansons ? Sans parler du « malentendu républicain » du morceau « Born in the USA », il y a dans ce « Live » un titre qui par l’écho qu’il reçoit fait froid dans le dos. C’est la reprise du classique de Woodie Guthrie « This land is your land ». Springsteen présente le morceau, sans citer ni le titre ni Guthrie. Silence glacial (alors qu’absolument tous les autres titres du shows sont couverts par les hurlements du public au début et à la fin). Version acoustique du titre. Personne ne réagit aux premiers vers. Timides chuchotements au début  du refrain. Fin du titre et applaudissements très très clairsemés. Chacun en tirera les conclusions qu’il veut, mais il me semble qu’en France, où les trois-quarts de ses spectateurs ne comprennent pas les paroles, ils savent qui est Woody Guthrie et la filiation idéologique que représente Springsteen.
Et ce tas de skeuds ? T’en causeras un jour ? Enervez-vous pas, ça vient … Qui dit musique, dit musiciens. Et là, surprise … autant on sait que Springsteen bâcle pas le boulot en studio, que ses prestations live ravissent forcément les fans, autant un concert ou des bribes de shows différents accolées les unes aux autres comme c’est ici le cas, on est vite amené à se gratter l’occiput. Le son d’abord. Très correct, voire excellent, rien à dire, et l’on sait Springsteen particulièrement méticuleux de ce côté-là. Sauf que je subodore que tout a été remixé avec le fameux « Born in the USA  sound », à savoir claviers très présents et batterie très très en avant de Weinberg. Et là, comment dire, misère … Weinberg est un batteur d’une médiocrité étonnante, inattendue à ce niveau … et on n’entend que lui. Un autre qu’on est obligé d’entendre, c’est le « Big Man », le pote de base du Boss dans le groupe, Clarence Clemons. Qui ne joue pas du saxophone, mais souffle dedans, ce qui n’est pas exactement la même chose … Reste le cas Miami Steve Van Zandt. Auquel, plutôt que son look assez souvent consternant, on peut reprocher d’être un guitariste effacé, bon accompagnateur rythmique, mais manquant de « présence, d’attaque ». Pas un hasard si sur certaines tournées, Nils Lofgren, pourtant pas un guitar-hero au sens seventies du terme, vient renforcer le E-Street Band. Qui reste un gang soudé (les types jouent ensemble depuis des siècles), mais techniquement assez limité …
La grosse bonne surprise, elle vient de Springsteen … qui en tant que chanteur me laisse assez froid et sceptique en studio, où je trouve qu’il a souvent tendance à en faire trop, à « surchanter ». Là, dans le cadre de concerts de plus de trois heures, il peut pas se permettre de gueuler tout le temps, il faut tenir la distance, et donc y aller plus au feeling qu’au physique, suivre la mélodie et pas brailler. Les titres essentiellement acoustiques sont pour moi les meilleurs. « Thunder Road », juste piano guitare et voix en entrée est fabuleux, de même que le « Jersey girl » repris à Tom Waits qui conclue symétriquement le tracklisting. Et entre, tous les titres sur lesquels le E Street Band reste discret, (tous ceux issus de « Nebraska », plus « Racing in the streets », « Independence day », « I’m on fire », et mentions particulières à un excellent « My hometown » et un fantastique « No surrender »), surnagent nettement du reste.
Le reste, justement … il y a des classiques springsteeniens (je suis beau joueur, il en a quand même écrit queqlues uns) qui s’en sortent mieux que d’autres, comme «Hungry hearts » (grande chanson pop, une des rares du Boss dans ce domaine) ou « Born to run » pour moi à jamais son meilleur titre. A l’inverse, ça fait mal aux oreilles de voir successivement sabotés « Badlands » par une intro calamiteuse et des arrangements catastrophiques, « Because the night » par un solo de guitare affligeant, et sur la lancée « Candy’s room » malmenée par un E Street Band à la ramasse … Curieusement, alors qu’avec quarante titre son répertoire est largement balayé, on n’a pas droit à « Glory days », un de ses plus gros succès en simple et ... et ces sagouins ils ont aussi oublié « Jungleland », faut pas déconner, « Jungleland » quand même ...
On a par contre droit à tous ces twists étriqués et ces rocks centristes plus ou moins entraînants, tous ces « Paradise by the C », « Cadillac ranch », « You can look … », « Darlington County », « Working on the highway », mais qui manquent tellement de substance, de tripes, d’adrénaline … et j’aurais préféré que sur un « Rosalita » de dix minutes, au lieu de la présentation interminable du Band, on ait droit à un medley de classiques rock’n’roll ou de Mitch Ryder, comme en contenaient parfois certaines versions live de ce titre …
Ce « Live 1975 / 85 », c’est un peu une version DeLuxe d’un « Greatest hits live ». Et du côté des fans, on a pu lire plus souvent que prévu des réserves ou de la déception par rapport à ce pavé. Et quand on cause grands disques en public, peu de téméraires se hasardent à le citer. L’occasion était bonne, Springsteen était au sommet de sa popularité, encore plus au sommet au niveau artistique (il n’a pas sorti depuis cette date un disque qu’on puisse qualifier de majeur). Mais bon, là, pour le coup, c’est un peu trop … un truc beaucoup plus concis aurait certainement eu une autre allure ...

Du même sur ce blog :
Born To Run
Darkness On The Edge Of Town
Nebraska

 

ALEJANDRO GONZALES INARRITU - 21 GRAMMES (2004)


Talents à la tonne ...

Contrairement à ce que pourrait laisser supposer son titre, « 21 grammes » n’est pas un film léger. C’est un film très noir, très sombre. « 21 grammes », selon l’accroche de la bande-annonce, c’est le poids que nous perdons tous à l’instant précis de notre mort. Et donc c’est bien évidemment la mort qui est au centre du film. Mais pas seulement.
Watts & Inarritu
Le scénario est superbe. Paul (Sean Penn), enseignant supérieur est dans une situation physique désespérée et son couple bat de l’aile. Seule une transplantation cardiaque peut le sauver. Jack (Benicio Del Toro), petit délinquant multirécidiviste, veut s’en sortir, en s’appuyant sur une foi et un mysticisme exacerbés. Christine, ex alcoolo et junkie, s’est sortie de ses addictions en fondant une famille avec un mari architecte et deux fillettes. Le destin va faire se rencontrer ces trois personnages qui ne se connaissent pas, et va les entraîner dans une terrible spirale.
Derrière la caméra, un quasi-débutant, le Mexicain Alejandro Gonzales Inarritu. Mais dont le premier film, l’extraordinaire « Amours chiennes » a suffisamment fait parler de lui, pour que les producteurs hollywoodiens lui confient un gros budget pour « 21 grammes ». Un bon scénario, un bon réalisateur, de bons acteurs, ça peut faire un bon film. « 21 grammes » a quelque chose en plus. C’est un film qu’on ne regarde pas distraitement. Un chef-d’œuvre de montage fait qu’il nécessite toute notre attention pour comprendre quelque chose. A titre d’exemple, la première scène est chronologiquement l’avant-dernière, et seule la dernière est vraiment à sa place. Durant la première demi-heure, on navigue dans le temps et l’espace autour des trois personnages principaux, au mépris de toute chronologie. Et puis, à partir de là, quand on a fini par saisir tous les tenants et aboutissants de l’histoire, on reconstitue tout le puzzle, aidé aussi par un récit qui devient « normal ». Enfin, presque, car sont menées en parallèle les histoires des protagonistes avant et après l’accident.
Del Toro
L’accident ? Oui, car comme dans « Amours chiennes », c’est un accident de voiture qui va nouer l’intrigue. Et dès lors comme dans les tragédies raciniennes ou cornéliennes, c’est le déterminisme des personnages qui va inexorablement guider leurs vies et leurs choix. Responsable de l’accident : Jack. Victimes : le mari et les deux filles de Christine. « Bénéficiaire » : Paul, qui y trouve un cœur pour sa transplantation.
Fondamentalement, et d’après Inarritu dans les (maigres) bonus du Dvd, « 21 grammes » est un film sur le pardon et la rédemption. Pas un hasard si c’est le personnage de Jack qui est le plus marquant, personnage rehaussé par une prestation hallucinante de Benicio Del Toro. Le seul des trois protagonistes principaux, d’une détermination mystique sans limite, et qui ne va pas varier d’un iota, malgré le monde qui se dérobe sous ses pieds après l’accident et dont la vie ne sera plus dès lors que quête de la rédemption. Cette quête du pardon, Jack et Christine (Penn et Watts également à leur meilleur niveau, le premier ayant suggéré la seconde à Inarritu) vont s’y trouver confrontés. Paul, parfait égoïste (notamment avec sa femme, bon second rôle pour Charlotte Gainsbourg), qui fait passer ses envies et ses quêtes au mépris des cataclysmes qu’ils peuvent engendrer va pourtant hésiter lorsqu’il se retrouve flingue au poing face à Jack. La plus ambiguë face à cette notion de pardon et de rédemption, c’est Christine, qui replonge dans la came, ne porte pas plainte après l’accident mais veut ensuite se venger, passe par des sentiments contradictoires vis-à-vis de Paul, et est perpétuellement déchirée entre faiblesses et déterminations.
Penn
Les personnages d’Inarritu ne sont pas des héros,  ce sont des gens « normaux »,  des gens auxquels on peut s’identifier, plutôt banals, même. Ils sont filmés crûment, souvent en gros plan et en lumière naturelle (ou alors c’est bien imité) dans leur milieu parfois sordide. Naomi Watts joue sans maquillage (ou alors là aussi, c’est plus que bien fait) et n’a rien de glamour avec ses survets informes …
Il y a dans « 21 grammes » des scènes très dures, sans aucune outrance « hollywoodienne », reposant entièrement sur le jeu des acteurs face aux événements que leurs personnages affrontent, avec mentions particulières à la scène de l’hôpital où se rend Christine après l’accident, à celles de Jack en prison ou lorsqu’il scarifie ses tatouages religieux devant le Dieu qui l’abandonne et qu’il veut abandonner …
Il n’y a dans « 21 grammes » rien de superflu, tous les personnages secondaires (notamment les enfants de Christine et Jack, quatre mini-comédiens très bien utilisés) et les intrigues mineures sont juste là pour permettre de cerner au plus près les rôles principaux et comprendre leurs réactions. Avec ce film, similaire par bien des points au « Amours chiennes » (trois personnages centraux, l’accident de voiture au cœur de l’histoire, le montage oubliant la chronologie), Inarritu confirme ô combien tous les espoirs (et les dollars) placés en lui, impose un style, une vision narrative de ses histoires, assez rare dans le milieu du cinéma actuel, et en tous cas assez unique et originale.
Autant d’éléments qui tourneront quelque peu au procédé sur le suivant (« Babel »), plus « facile », plus « grand public », qui sera juste un bon film … assez loin de ce « 21 grammes » qui risque fort d’être un chef-d’œuvre difficile à dépasser …
A noter que dans la musique, dûe à Joao Santaolalla, les synthés ont des sonorités proches de la guitare de Neil Young sur la B.O. du « Dead Man » de Jarmusch, autre grand film mystique sur la mort ...

Du même sur ce blog :


SUEDE - SUEDE (1993)


Glam, vous avez dit glam ?

Puisque c’est le terme sous lequel on a qualifié le groupe à ses débuts (et même par la suite, il y a des raccourcis faciles qui ont la vie dure). Parce que faudra qu’on m’explique … le glam, c’est le début des années 70 en Angleterre, T.Rex, Bowie, Roxy, Sweet, Slade, Glitter, … en gros tous ces types maquillés comme des camions portugais, les platform shoes, les paillettes, et les riffs de Chuck Berry et Eddie Cochran remis au goût du jour …
Vingt ans plus tard, que trouve t-on de tout ça chez Suede ? En cherchant bien, la voix parfois maniérée et théâtrale de Brett Anderson, quelques trucs de « The Drowner » qui évoquent le T.Rex de la fin (que personne n’écoutait plus), des intonations à la Brian Ferry solo sur « Sleeping pills », à la limite la construction de « Animal nitrate », le titre « Metal Mickey » qui fait penser au « Metal Guru » de T.Rex, la musique n’ayant rien à voir… ce qui fait peu de choses, et il doit y avoir plein de disques de pop à guitares (car c’est plutôt de cela qu’il s’agit) qui font plus penser à Ziggy et sa clique que cette première rondelle de Suede …
Bon, je vais pas non plus jouer les linguistiques de la musique de djeunes. Qu’on l’appelle comme on veut, reste qu’il est pas mal ce disque. Il a quand même pris un bon coup de vieux (lui aussi), et impressionne beaucoup moins aujourd’hui que lors de sa sortie …
Porté par une série de singles éclaireurs (« Animal nitrate », « The drowners », « Metal Mickey »), ce « Suede » connaîtra un gros succès, dans une Angleterre un peu à la ramasse, subissant le raz-de-marée américain du grunge, la vague Madchester n’étant déjà plus qu’un lointain souvenir, et la britpop de Blur, Oasis, Pulp et consorts, encore en gestation.
Un disque qui a du succès est aussi un disque dont on parle. Le bon peuple briton (et d’ailleurs) s’était offusqué de la pochette quand il avait appris que c’était deux jeunes garçons qui s’y roulaient une gamelle, et ça avait fait jaser dans les chaumières … baîllements …
Mais si Suede n’a jamais vraiment joué dans la cour des très grands, le groupe a sorti quelques disques qui se laissent écouter (les deux- trois premiers) avant la débandade et bien sûr la reformation, et Anderson  a sorti des disques solo jugés intéressants par les maniaques du genre.
Ce qu’on retient surtout de ce « Suede », c’est la mise en avant du duo Anderson – Butler, le premier étant un de ces grands chanteurs maniérés et lyriques que les ménagères adorent, cultivant look hémophile fin de race et poses de dandy. Le second est le Johnny Marr des années 90, à savoir un guitariste (mais il joue aussi du piano) considéré par ses pairs comme le meilleur de sa génération, mais qui est resté à peu près inconnu du grand public.
« Suede » le disque s’articule en gros autour de titres électriques très « rock » (surtout les singles), alternant avec ballades (mention particulière à la très réussie « Pantomime horse ») qui flirtent parfois avec du pompier lyrique (notamment  « Sleeping pills » qui dans son final renvoie aux grandiloquences de Freddie Mercury, ce qui n’est pas forcément une bonne idée). Le tout est enrobé par une production abusant parfois un peu trop beaucoup de toutes sortes d’échos qui finissent par devenir pénibles…
Entre phénomène de mode et conjugaison de deux réels talents, Suede est un de ces groupes quelque peu oubliés aujourd’hui … il mérite quand même mieux … 

THE EVERLY BROTHERS - EB 84 (1984)


Brothers in arms ...

Fin des années 50, début des années 60, Don et Phil Everly étaient des stars aux States. Deux voix célestes qui chantaient à l’unisson. Vocalement, Beatles et Beach Boys leur doivent beaucoup, Simon & Garfunkel leur doivent tout, pour ne citer que les plus célèbres et les plus évidents …
Et puis, comme ça arrive à tous, le sweet smell of success a fini par les fuir jusqu’à ce que les deux frangins s’embrouillent et se brouillent à mort au début des seventies. Le temps passant et l’acharnement de quelques fans (anglais principalement) à recoudre les plaies les feront se rabibocher. Et en 1983, les deux frères réconciliés donneront leur « Reunion concert » dans le cadre du prestigieux Albert Hall de Londres. Un tour de chant magique où les deux voix toujours intactes revisitent classiques de leur répertoire et classiques des 50’s tout court …
Et tant qu’à faire, le sorcier des manettes, l’ambulance des héros cabossés du vintage, le sieur Dave Edmunds va les traîner en studio pour donner une suite au « Reunion concert ». Et alors que toutes les vieilles gloires sont dans le meilleur des cas soit passables et le plus souvent pathétiques dans ces reformations nostalgiques, les frangins Everly ont sorti un bon disque. Qui certes ne fera pas oublier un de leurs bons « Best of ». Mais qui a obtenu beaucoup de louanges justifiées à sa sortie. Et qui pour un disque paru dans ces maudites années 80 au son si daté aujourd’hui, a plus que bien résisté à l’épreuve du temps. Bon, c’était pas un disque « à la mode » lors de sa sortie, ceci explique sans doute cela.
Parce que les briscards réunis par Edmunds, des vieux de la vieille biberonnés au classic rock, allaient pas se vautrer dans les empilages de synthés analogiques alors de mise. Même si des claviers high tech, il y en a, mais ils sont là pour accompagner, pas pour occuper le cœur de l’espace sonore. Le rappel des fans a été battu. Sir Paul McCartney a offert un de ses plus beaux titres des quarante dernières années, ça s’appelle « On the wings of a nightingale », c’est une sucrerie pop comme lui seul sait les écrire, et ça ouvre le disque. Le sieur Jeff Lynne (un des dix « cinquième Beatles ») a mis dans la corbeille « The story of me », c’est une ballade un peu gluante, mais Don et Phil la sauvent de la noyade dans la soupe. La bluette de Dylan et Johnny Cash sur « Nashville skyline » (« Lay Lady Lay ») subit un traitement bien poppisant et  retrouve une seconde jeunesse.
Tout n’est pas stratosphérique dans ce disque. Don Everly a même composé quelques titres que l’on est bien obligés de qualifier de remplissage avec par exemple un « You make it seem so easy », sorte de reggae qui laisse assez dubitatif, les deux frangins étant faits pour les rythmes jamaïcains comme David Douillet l’est pour la lecture de Kant … « Asleep » qui clôt le disque, c’est un peu la ballade de trop (même si l’ensemble ne dépasse guère la demi-heure), d’autres sont plus réussies (« The first on line »). Sinon on alterne gentiment titres lents (pas les meilleurs) et titres plus enlevés (le bon pop-rock de « Danger danger », le mignon rockabilly « I’m takin’ my time »).
« EB 84 » n’était de toutes façons pas fait pour disputer le sommet des hit-parades à Michael Jackson ou Bruce Springsteen. C’était l’œuvre d’un groupe de fans (remarquable - comme presque toujours - Albert Lee à la guitare) qui « payaient leurs dettes » à un couple de vieilles gloires (bon, c’était pas des croulants non plus, ils avaient pas cinquante ans) qui les avait fait rêver. Le résultat aurait pu être juste passable, le talent vocal intact des deux frangins emporte quand même l’adhésion …
Et puis, vous en connaissez beaucoup, au bout de trente années passées dans le pop-rock-machin-tout-ce-que-vous-voulez, capables de sortir un disque correct ?  … Parlez pas tous en même temps …

Des mêmes sur ce blog :
The Definitive Everly Brothers 

THE CARS - HEARTBEAT CITY (1984)


Dans ma Benz, Benz, Benz ...

Les Cars sont un groupe américain de Boston, et pas de Detroit comme certains analphabètes musicaux sévissant sur Net peuvent l'écrire (au passage, c'est dommage, ça aurait fait une bonne vanne, les Cars de Detroit) totalement atypique, qu’une fainéantise temporelle de certains encyclopédistes du binaire (ils ont commencé à faire parler d’eux vers 76-77) a rattaché à la vague punk, alors qu’ils ont beaucoup plus à voir avec le rock FM ou la new wave tendance synthé-pop anglaise.
« Heartbeat City » est le dernier disque de la formation « historique » des Cars (avant la séparation, les projets parallèles, les carrières solo, et la reformation des lustres plus tard), celui qui a eu le plus de succès. Un disque qui s’est trouvé au bon endroit au bon moment et a profité de la conjonction de talents (ceux internes au groupe, celui de « Mutt » Lange), et d’un timing favorable imprévu (les Cars ont été boostés par l’arrivée de MTV, et leurs clips malins sont passés en heavy rotation sur la toute nouvelle et omnipotente chaîne musicale).
Les Cars sont un faux groupe de variété, qui peut s’appuyer sur un trident majeur, Ric Ocasek (composition, guitare et chant), son pote Ben Orr (parfois également auteur et chant lead) et Greg Hawkes (sorcier des synthés). Les premiers albums, pleins de guitares, d’arrangements de synthés, de jolies mélodies et de chœurs alambiqués, leur ont déjà valu de jolis succès aux States. Rien cependant à côté de la déferlante « Hearbeat City ». Là, ils vont carrément chasser sur les mêmes terres que Foreigner, Toto, la Benatar, Van Halen, …, sortir des mélodies de derrière les fagots, qui s’appuient sur des riffs de guitare d’une fulgurance et d’une évidence peu communes. Faut dire que de ce côté ils ont mis le paquet, en recrutant le producteur sud-africain Robert John « Mutt » Lange. Qui a un sacré pedigree, « Highway to hell » et « Back in black » d’AC/DC, le « 4 » de Foreigner, « Pyromania » de Def Leppard. Lange est le maître des guitares hard qui passent en boucle à la radio.
« Heartbeat City » n’est pas un album, c’est une collection de titres appelés à devenir des hits. Six (sur dix, ça fait une sacrée moyenne) se hisseront vers le haut des charts.
Aujourd’hui, que reste t-il de tout ceci ? Un son tellement parfait et représentatif de son époque qu’il a quand même assez mal vieilli (ces funestes synthés très années 80) et prête à sourire, voire peut occasionner des rejets catégoriques chez certains plus les années passent. D’un autre côté, il y a dans « Heartbeat City » quelques riffs inoubliables (« Magic », « It’s not the night »), des compositions malines d’une structure tellement classique qu’elles en sont devenues intemporelles et n’ont pas pris une ride, une alternance de guitares hardos et de ballades faussement sucrées, les textes d’Ocasek sont assez vicieux, témoin « Drive » (… par les Cars, joke tordue) qui n’est pas une ode aux joies du bitume, mais raconte la tristesse et les idées noires d’un type largué par sa femme …
Les Cars, c’est du second degré tellement bien fait que ça peut paraître du premier (je sais pas si je me fais bien comprendre, là), ça a un côté malsain qui se planque derrière un aspect totalement inoffensif … La discographie entière du groupe est un exercice de style faussement naïf. A preuve la carrière hors Cars du leader Ric Ocasek, responsable d’un inaugural disque solo sombre et froid (« Beatitude »), pote du Presley radioactif Alan Vega (c’est Ocasek qui a produit le second disque de Suicide, et il a été très recherché dans cet exercice dans les années 80-90 par des gens qui faisaient pas vraiment dans la soupe FM, genre Bad Brains, D Generation, Bad Religion, …).

Des mêmes sur ce blog :
The Cars


NEIL YOUNG - AFTER THE GOLD RUSH (1970)


Une pépite ...

Neil Young doit avoir le don d’ubiquité. Pour le même prix, vous pouvez tomber sur un disque du Roi des hippies (« Harvest » au hasard), ou sur un du Parrain du rock lourd (« Ragged glory » tout aussi au hasard). Sachant que la plupart du temps vous risquez de vous retrouver avec un mélange des deux.
« After the gold rush » est le troisième disque en solo de Neil Young, paru juste après sa collaboration à (très gros) succès avec Stills et les deux boulets Crosby et Nash. La pochette est sombre, le contenu un peu moins. Triste et mélancolique, c’est bien le moins … En tout cas dans mon tiercé des préférés du Canadien.
« After the gold rush », c’est le disque des mélodies en or massif, les plus délicates et souvent les plus dépouillées de sa carrière. Et même si on trouve au casting trois guitaristes (Young, Danny Whitten et Nils Lofgren), c’est le piano qui est l’instrument roi du disque. Les accompagnateurs historiques de Young sont là (le Crazy Horse, et David Briggs à la production).
Alors bien sûr il y a toutes ces ballades portées par la voix fluette, plaintive et inimitable de Neil Young, qui donnerait envie de chialer tellement c’est beau rien que s’il lisait le bottin. Des sommets de feeling que l’on croyait intouchables ou inaccessibles surgissent de partout. L’irréelle « After the gold rush » (juste piano et voix), « Only love can break your heart » (une des plus belles mélodies de Young qui dépasse largement le côté baba-cool dans laquelle on pourrait la réduire), « Don’t let it bring you down » (même verdict que la précédente), la petite bluette sautillante d’à peine plus une minute (« Till the morning comes »), ou encore « Birds » et « I believe in you » qui évitent tout pathos lyrique dégoulinant … Grosso modo, ces titres représentent la moitié du disque.
Il y a encore d’autres choses fabuleuses. « Oh lonesome me », c’est un blues mais avec l’approche toute particulière qu’a toujours eu Neil Young pour le genre rustique. « Tell me why » placé en ouverture est un country-rock cool et pépère, peut-être le maillon faible du disque, le genre de morceaux qu’on a l’impression d’avoir entendu mille fois depuis, et qui ne laisse pas vraiment présager de la qualité de ce qui suit. Dernier titre, « Crippple creek ferry » est un hillbilly antidéluvien, qui ravira ceux qui ont été scotchés par la B.O. de « O’Brother ».
Et puis avec parcimonie (un titre sur chaque face du 33T original), et parce qu’il faut bien occuper les trois gratteux, deux déflagrations électriques. Oh, pas des tord-boyaux tout en larsens, non, plutôt des titres sournois, puissants mais bridés, reposant sur de gros riffs semblant joués au ralenti, « When you dance you can really love », et le fameux « Southern man ». Fameux parce que c’est un classique youngien qui fait chauffer les Marshall, et aussi parce que ça en a énervé quelques uns, des hommes du Sud. Faut dire que Young a souvent oublié qu’il avait un passeport canadien et s’est mêlé de ce qui se passait dans la vie sociale et politique aux Etats-Unis, souvent de façon bizarre et incompréhensible. Mais avec « Southern man » pour le coup c’est très clair, c’est une dénonciation de tous les culs-terreux réactionnaires qui ont tendance à pulluler à mesure que le soleil donne comme dirait l’autre. Un titre qui avec son quasi-siamois par le propos « Alabama » (sur « Harvest »), fera voir rouge à quelques-uns, les plus célèbres étant les par ailleurs excellents graisseux Lynyrd Skynyrd qui répliqueront avec leur « Sweet home Alabama » (genre par chez nous, c’est très bien, c’est juste que c’est pas un bled pour les chochottes, et que si le Sud des USA te plaît pas, tu retournes dans ta cabane au Canada).
« After the gold rush » sera un gros succès pour Neil Young, qui va avec ce disque continuer la période la plus florissante commercialement parlant de sa carrière, entre les cartons planétaires de « Déjà vu » (avec Stills et les deux boulets sus-cités)  et de « Harvest ».

Du même sur ce blog :
Everybody Knows This Is Nowhere
Harvest 
On The Beach


THE ROLLING STONES - IT'S ONLY ROCK'N'ROLL (1974)


Le dernier ...

Le dernier avec Mick Taylor. Certes… mais comme je ne fais pas partie de ceux qui vouent un culte démesuré aux blueseux habiles du solo de guitare, je n’y vois, contrairement à certains un peu trop obnubilés à compter le nombre de notes à la seconde, qu’un hasard. Que je sache, Taylor ne composait pas, ne produisait pas, n’avait guère voix au chapitre en ce qui concernait la direction artistique du groupe. Dont il se foutait quelque peu, ses déclarations depuis des lustres l’ont confirmé. Et même si son apport musical pendant cinq ans est indéniable, il n’était que le guitariste soliste d’un groupe de rock. Qui s’appelait les Rolling Stones, ce qui change la perception de tout pour certains, et notamment des évidences. Les Stones, surtout dans les seventies, c’était les Glimmer Twins, Jagger et Richards (surtout Richards d’ailleurs) et point barre …
Rolling Stones 1974
« It’s only … » est surtout le dernier disque des Stones écoutable d’un bout à l’autre. Même si tout n’est pas parfait (on y reviendra, c’est un peu le but du jeu, isn’t it ?), c’est au moins aussi bien que celui d’avant (« Goat’s head soup », et mieux que ceux d’après (et personne moufte hein, me sortez pas « Some girls », ou alors je dégaine « Black & blue », que bizarrement, j’ai toujours trouvé assez réussi …). Faut relativiser aussi, parce que les Stones avaient livré une série entre 68 et 72 dont on cherche encore l’équivalent dans les musiques de djeunes … Parce qu’en 1974, les Stones sont des dinosaures, le plus vieux groupe de rock du monde encore en activité (en fait ce doit pas être eux, plutôt les Shadows, mais ceux-là plus personne les écoutait). Et les naturalistes du rock s’interrogeaient déjà sur la longévité exceptionnelle de Jagger & Co, qui atteignent tous l’âge canonique de trente-cinq ans ... S’ils avaient su qu’ils fêteraient leurs cinquante ans de carrière…
« It’s only rock’n’roll » donc. Les Stones sont le plus grand groupe du monde. Et n’ont plus rien à prouver. Juste à se maintenir au niveau. Vu le succès rencontré par le disque, ils y sont arrivés. En s’entourant des usual suspects habituels aux pianos (Preston, Hopkins, Stewart). Et avec un nom qui apparaît pour la première fois dans les notes de pochette, celui de Ron Wood, crédité de l’« inspiration » ( ? ) sur le morceau-titre. Lequel sortira en single éclaireur et rencontrera un gros succès des deux côtés de l’Atlantique. La routine, quoi … un peu comme ce titre, savant fouillis d’instruments et de chœurs très travaillés, mais avec la Stones touch immédiatement  reconnaissable. Un de leurs classiques, peu souvent présent live …
Glimmer Twins
La ligne directrice de l’album, c’est un peu « move your ass ». Marqués par leurs fréquentations, les gens qu’ils écoutent et notamment ceux qui ont fait ou feront leurs premières parties durant les seventies (Ike & Tina Turner, Stevie Wonder, Dr. John, les Meters, …), les Stones se plongent vers un aspect de la musique qu’ils avaient jusque là peu abordé, un son groovy et funky à la place du sempiternel rhythm’n’blues. Pas un hasard si le second single sera la reprise de « Ain’t to proud to beg » des Temptations. Encore plus flagrant sur l’ultime « Fingerprint file » fausse jam funky, sur laquelle le groupe sonne très « noir », et pour moi la grande réussite du disque. Sinon, pour l’essentiel, les Stones font du Stones. Et mention particulière pour l’immense « Dance little sister ». Ce qui, mine de rien, fait quatre grands titres sur ce disque. Pareille fête ne se reproduira plus …
Parce que les autres morceaux de cette longue galette (48 minutes, durée assez rare en ces temps vinyliques) assurent tout juste le minimum syndical. Rien d’indigne, rien de transcendant non plus. « If you can rock me » démarre le disque en demi-teinte, et aurait gagné à voir son interminable final un peu élagué, « Till the next goodbye » ballade introduite à la guitare acoustique tente sans conviction de battre le rappel des fans d’« Angie ». Mick Taylor par un solo aérien sauve ce qui peut l’être sur « Time waits for no one », mais personne ne peut rien pour alléger le boogie à gros cul de « Luxury » qui ne décolle jamais. Et avant « Fingerprint file », deux titres qui n’en demandaient certes pas tant sont là pour boucher les trous, la ballade énervée et énervante  « If you really want to be my friend » et « Short and curlies » qui semble un rebut de « Exile .. ».
Vu de la sorte, ça peut paraître léger, mais ne pas oublier l’axiome de base qui stipule qu’un morceau anecdotique des Stones en vaut d’excellents par beaucoup d’autres…
A noter l’amusante pochette de Guy Pellaert, qui nous montre les Stones, Imperators du rock, évoluer dans un décor d’orgie romaine. Même pas sûr qu’elle soit à prendre au second degré …
« It’s only rock’n’roll » … and I like (encore) it …

Des mêmes sur ce blog :

Aftermath 




PEDRO ALMODOVAR - PARLE AVEC ELLE (2002)


La poésie selon Almodovar ...

« Parle avec elle » est un des films les plus subtils (le plus subtil ?) d’Almodovar. Un de ses plus basiques aussi. Un mélo de derrière les fagots, traité quasiment de façon « académique ».
Sauf un interlude en noir et blanc, film dans le film qui a fait débat, hommage au cinéma muet et aussi à « L’homme qui rétrécit » de Jack Arnold, avec notamment une scène qui voit un homme de quelques centimètres se glisser dans le sexe d’une femme. C’est pas choquant, de toutes façons mon degré de blasitude est tel qu’il en faut plus que çà pour m’émouvoir, c’est juste à mon sens un gros hors-sujet par rapport à l’histoire, et ça montre que c’est un fantasme récurent chez Almodovar (le plongeur-jouet qui explore l’entrejambe de Victoria Abril dans « Attache-moi »). Côté récurent et également hors-sujet par rapport à l’intrigue, un dialogue sur les curés (« si ce ne sont pas des violeurs, ce sont des pédophiles »), témoin d’une rancune-haine tenace que voue Almodovar au clergé, et qui trouvera son développement dans sa pelloche suivante « La mauvaise éducation ».
Les deux "couples" : Benigno & Alicia, Marco & Lydia
Pour le reste, ce film fut une bonne surprise pour beaucoup, Almodovar alignant à l’écran des personnages « vrais », qui ne surjouent pas (ce qu’il a souvent tendance à demander à ses acteurs), au service d’une histoire étonnante. Le choix du sujet est difficile, tout tourne autour de deux femmes qui à la suite d’accidents sont dans un état végétatif irréversible dans une clinique. Les deux personnages principaux sont deux hommes, l’un, Benigno est infirmier, l’autre, Marco est le compagnon d’une des deux femmes. La situation  est traitée avec beaucoup de justesse, en évitant tout misérabilisme lacrymal. En gros, c’est un film, pas un rallye télévisé genre Téléthon. Et quand par la suite, il sera question de viol sur une des deux femmes, là aussi, le ton adopté sera juste, en ne cherchant pas à jouer sur la facilité de gros effets provocateurs, et évitant d’instaurer l’atmosphère scabreuse dans laquelle beaucoup auraient fait sombrer leur histoire.
De nombreux flash-back, signalés par des intertitres à l’écran, nous montrent comment ces quatre personnages en sont arrivés là, et comment leurs destins vont se retrouver liés. Le personnage central, c’est Benigno, joué par un acteur peu connu, Javier Camara, venu du théâtre. D’ailleurs, les trois autres rôles principaux sont également tenus par des quasi-inconnus du grand public (Dario Grandinetti, Leonor Watling et Rosario Flores). C’est Benigno, infirmier a priori remarquable, mais personnage complexe, qui porte sur ses épaules tout le poids d’une existence secrète et renfermée. On pourrait craindre l’analyse psychologique tarabiscotée et plombante, mais Almodovar en montre ou en suggère juste assez pour que l’on puisse cerner le personnage, et « comprendre » ses actes.
En face de lui, les autres rôles sont sinon plus stéréotypés, du moins pas autant fouillés. Lydia, la femme torero détruite par son orgueil macho, son copain Marco, journaliste globe-trotter qui ne comprend pas que de toutes façons il allait la perdre, et Alicia, la danseuse fille de bonne famille. Il n’était pas utile de s’appesantir sur leur caractère, ils subissent tous plus ou moins (et les femmes par la force des choses, passant l’essentiel du film dans le coma) leur situation.
Evidemment, on peut à la fin se dire que cette histoire est trop folle pour être accrocheuse, beaucoup d’éléments du scénario apparaissant totalement invraisemblables. Mais Almodovar n’a pas voulu faire du Dickens ou du Zola revisité par Freud. Ce film n’est pas un fait divers sordide, c’est un long poème. Une poésie déconstruite et ce n’est pas un hasard que le film s’ouvre et se ferme sur deux extraits de ballet mis en scène par Pina Bausch, qui traite la danse comme Almodovar traite la poésie, en rompant pas mal de codes. C’est aussi une réflexion sur l’amour  qui peut faire perdre la raison. L’intrigue par son évolution est dérangeante, glauque, mais Almodovar a rendu une copie qui n’est pas oppressante, il se dégage une humanité, une empathie pour tous les personnages.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux …

A noter que ce film récent n’est pas disponible en Blu-Ray et que la version DVD est ultra-basique (quasiment aucun bonus).